B. D'EXÉCUTION À EXÉCUTION, UNE HAUSSE DE 3,2 MILLIARDS D'EUROS DES DÉPENSES DES MINISTÈRES ET DES OPÉRATEURS
1. Une augmentation de 3,2 milliards d'euros des dépenses des ministères et des opérateurs entre 2014 et 2015
Le Gouvernement met en avant une baisse des dépenses de 1,4 milliard d'euros hors charge de la dette et pensions entre 2014 et 2015, qui serait le témoin d'une gestion budgétaire sérieuse, voire rigoureuse. Entendu par la commission des finances, le secrétaire d'État chargé du budget Christian Eckert a ainsi déclaré : « On nous parle toujours de reports de charge, d'augmentation de la dette de l'État envers la sécurité sociale, d'économies de constatation en pointant la charge de la dette... Or, indépendamment de ces trois facteurs, les dépenses de l'État ont été réduites, d'exécution à exécution, de 1,4 milliard d'euros ».
Cependant, une analyse plus détaillée de l'évolution segment par segment des dépenses de l'État conduit à remettre en cause la maîtrise des dépenses affichée par le Gouvernement : il apparaît en effet que les dépenses des ministères et des opérateurs ont non pas diminué, ni même stagné, mais augmenté de 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2015 .
Graphique n°
28
:
Évolution des dépenses des ministères et des
opérateurs
entre exécution 2014 et exécution
2015
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
À périmètre constant et en neutralisant les crédits consommés en lien avec la rebudgétisation des ressources attendues sur le CAS « Hertzien », à hauteur de 1,5 milliard d'euros 59 ( * ) , l'augmentation atteint 1,7 milliard d'euros .
2. Une hausse compensée par la baisse des dotations aux collectivités territoriales
Le Gouvernement parvient à afficher une baisse des dépenses en présentant de façon agrégée les dépenses des ministères et les prélèvements sur recettes , alors que ceux-ci n'ont évidemment pas le même objet que celles-là. La diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales, par exemple, ne pèse pas sur l'État mais bien sur les finances locales, de la même façon qu'une révision à la baisse du prélèvement sur recettes versé à l'Union européenne n'a aucun impact réel sur les dépenses des ministères.
Graphique n°
29
:
Décomposition de l'évolution des dépenses de
l'État
entre 2014 et 2015
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Entre 2014 et 2015, c'est bien la diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales qui explique l'apparente maîtrise des dépenses de l'État . Cette réduction, dont les effets sont analysés dans la première partie du présent rapport, pèse sur les finances locales - ce que le Gouvernement reconnaît d'ailleurs implicitement puisqu'il assimile, dans le cadre de son plan de 50 milliards d'euros d'économies sur la période 2015-2017, la baisse du prélèvement sur recettes à une diminution des dépenses des collectivités territoriales.
3. Un plan de lutte contre le terrorisme qui ne justifie pas à lui seul le dérapage des crédits et des effectifs des ministères
a) 927 emplois créés et près de 200 millions d'euros de crédits engagés au titre de la lutte contre le terrorisme
(1) 241,4 millions d'euros en AE et 195,1 millions d'euros en CP consommés en 2015 dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme
À la suite des attentats du 11 janvier 2015, 247,3 millions d'euros (en AE=CP) de crédits d'investissement, d'équipement et de fonctionnement ont été ouverts par décret d'avance afin de renforcer la lutte anti-terroriste sur la période 2015-2017 et la création de 2 680 emplois supplémentaires a été annoncée. Ces moyens ont été renforcés en fin de gestion, à la suite des attentats du 13 novembre 2015.
Au total, au titre de l'année 2015, 176 millions d'euros (hors crédits de titre 2) ont été alloués au ministère de l'intérieur et 81,6 millions d'euros à celui de la justice dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, soit un total de 257,6 millions d'euros (en AE=CP).
La plus grande partie des dépenses sur le périmètre du ministère de l'intérieur vise à renforcer les moyens de fonctionnement et l'équipement des forces . Au surplus, 20 millions d'euros ont également été attribués au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), 16,2 millions d'euros à la modernisation de systèmes d'information et de communication et 0,4 million d'euros à la prévention.
Graphique n° 30 : Crédits alloués et consommés au ministère de l'intérieur et au ministère de la justice dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste en 2015
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général
Graphique n°
31
: Répartition des dépenses (CP)
exécutées en 2015
dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général
(2) Environ 1 000 postes supplémentaires en 2015, des ouvertures nombreuses prévues en 2016 et 2017 sur la mission « Justice »
Quant aux recrutements, concernant le ministère de l'intérieur, 534 personnes ont été affectées sur des postes ouverts dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, soit 10 emplois non pourvus reportés sur 2016. S'agissant du ministère de la justice, la majorité des postes a également été pourvue dans la mesure où, sur les 683 emplois supplémentaires autorisés en 2015 au titre de la lutte contre le terrorisme, seuls 15 emplois (principalement d'assistants de justice spécialisés) n'ont pas été pourvus au 31 décembre 2015 ; ces recrutements sont également reportés sur 2016.
Les années 2016 et 2017 devraient voir des recrutements particulièrement nombreux puisque, d'après les éléments transmis par le Gouvernement, 1 575 emplois sont inscrits au titre du plan de lutte anti-terroriste sur la mission « Justice » en loi de finances initiale pour 2016 et 1 193 emplois additionnels sont prévus pour 2017.
Le redéploiement de moyens budgétaires pour assurer la sécurité du pays se comprend aisément au regard des problématiques de sécurité intérieure rencontrées par le pays au cours de l'année 2015.
Cependant, cette réorientation aurait pu être compensée par des efforts conséquents sur d'autres ministères , ce qui n'a pas été le cas - contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre en affirmant que « les économies réalisées ont permis de financer les dépenses nouvelles en faveur de la sécurité des Français » 60 ( * ) . En réalité, les seules économies significatives en 2015 portent sur les dotations aux collectivités territoriales et la charge de la dette, deux ensembles dont la réduction est totalement indolore pour l'État 61 ( * ) .
L'absence de maîtrise des dépenses et des effectifs se traduit par l'abandon des objectifs inscrits en loi de programmation des finances publiques .
* 59 Bien que les crédits ouverts au titre de la rebudgétisation du CAS « Hertzien » se soient élevés à 2,1 milliards d'euros, 590 millions d'euros ont été reportés sur 2016 et gelés. L'impact net du rattachement au budget général des ressources exceptionnelles prévues au CAS « Hertzien » est donc de 1,5 milliard d'euros.
* 60 Exposé général des motifs du présent projet de loi.
* 61 Cf. supra , A et B du présent I.