III. UN DÉFICIT TOUJOURS IMPORTANT QUI NOURRIT L'ACCROISSEMENT DE LA DETTE DE L'ÉTAT
A. UNE AMÉLIORATION TÉNUE DU DÉFICIT
1. Retraité des éléments exceptionnels, le déficit ne s'améliore que de 300 millions d'euros
Le déficit de l'État en comptabilité budgétaire s'élève finalement à 70,5 milliards d'euros en 2015 , contre une prévision initiale de 74,4 milliards d'euros et un déficit budgétaire constaté de 85,6 milliards d'euros en 2014.
Le Gouvernement se targue d'une amélioration du solde budgétaire de 15,0 milliards d'euros entre 2014 et 2015, ramenée à 3 milliards d'euros après retraitement de l'impact exceptionnel du programme d'investissement d'avenir (PIA) de 2014.
Cependant, comme le souligne la Cour des comptes, le déficit constaté en 2014 et 2015 doit être retraité des éléments exceptionnels .
Il ne suffit pas de retrancher le montant du deuxième programme d'investissements d'avenir (11 milliards d'euros) du déficit 2014, comme le Gouvernement le fait : doit également être neutralisée la contribution française au mécanisme européen de solidarité (MES) versée en 2014, pour 3,3 milliards d'euros. Le solde 2015 doit, quant à lui, inclure les décaissements des organismes dans le cadre du PIA.
Le déficit 2014 s'élève alors à 74,3 milliards d'euros et le solde budgétaire 2015 à 74,0 milliards d'euros : l'amélioration réelle n'est donc que de 300 millions d'euros .
Graphique n°
37
:
Évolution du solde budgétaire effectif et
retraité
depuis 2011
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes
Le Gouvernement conteste cette analyse au motif que le critère permettant de distinguer les dépenses considérées comme « exceptionnelles » des dépenses « normales » n'est pas défini de façon précise. Ainsi, dans leur réponse commune au rapport sur le budget de l'État 2015 de la Cour des comptes, le ministre des finances et des comptes publics et le secrétaire d'État chargé du budget indiquent que « la détermination du caractère exceptionnel d'un événement budgétaire est malaisée et subjective ».
Votre rapporteur général souscrit pleinement à ces propos.
Ce flou explique d'ailleurs que le Gouvernement ait pu se servir de la notion de ressources « exceptionnelles » pour diminuer artificiellement - et en vain - la norme de dépenses , comme cela a été le cas avec les recettes du CAS « Hertzien », ou encore pour affirmer que le programme d'investissement d'avenir constituait une dépense « exceptionnelle » tout en utilisant ses fonds pour financer des dépenses auparavant prises en charge par le budget général : les débudgétisations liées au PIA s'élèvent à 2,5 milliards d'euros , soit 20 % des fonds du deuxième programme d'investissement d'avenir.
Il serait donc souhaitable, comme votre rapporteur général en a déjà formulé la demande et comme le ministre des finances et des comptes publics, ainsi que le secrétaire d'État chargé du budget, semblent en partager le souhait, que le Gouvernement précise au Parlement les critères le conduisant à considérer une dépense ou une recette comme « exceptionnelle ».
Dans l'attente de ces explications, force est de constater que les dépenses « exceptionnelles » retraitées du solde de 2014 le sont en raison du traitement budgétaire que le Gouvernement leur avait, à l'époque, réservé . En effet, le Gouvernement lui-même indiquait, dans le projet de loi de règlement pour l'année 2014, que les dépenses du budget général incluaient « des éléments exceptionnels : le versement en avril de la 5 e tranche de la dotation en capital de 3,3 milliards d'euros au Mécanisme européen de stabilité (MES) et les programmes d'investissement d'avenir (PIA) à hauteur de 11,0 milliards d'euros ».
Au total, après retraitement des dépenses exceptionnelles, l'amélioration réelle du déficit est donc ténue et ne s'élève qu'à 300 millions d'euros.
2. Des facteurs d'amélioration exogènes à la politique budgétaire du Gouvernement
a) 3,6 milliards d'euros d'économies de pure constatation
En outre, la plupart des facteurs d'amélioration du solde ne dépendent pas de la gestion budgétaire du Gouvernement : la diminution de la charge de la dette, l'évolution du solde des comptes spéciaux et du montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne obéissent à des facteurs largement extrinsèques aux arbitrages du Gouvernement.
Graphique n° 38 : Décomposition de l'évolution du déficit entre loi de finances initiale et exécution 2015
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
La seule amélioration du solde budgétaire qui n'est pas de pure constatation provient donc de la hausse des recettes fiscales et non fiscales perçues en 2015 : l'ajustement budgétaire continue de reposer essentiellement sur les recettes .
b) Une contribution importante du solde des comptes spéciaux à l'amélioration apparente du déficit budgétaire
Le solde des comptes spéciaux contribue à améliorer le déficit de 1,8 milliard d'euros par rapport aux prévisions initiales pour 2015.
85 % (1,5 milliard d'euros) de l'amélioration du solde des comptes spéciaux est portée par quatre comptes : le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » voit son solde exécuté supérieur de 690 millions d'euros aux prévisions initiales, le compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » de 433 millions d'euros, le compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » de 289 millions d'euros et le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » de 132 millions d'euros.
La hausse du solde du compte « Prêts à des États étrangers » résulte principalement de la diminution des dépenses : en effet, si 1 482 millions d'euros ont été inscrits en dépenses en loi de finances initiale, ce montant devrait finalement s'élever en exécution à 692 millions d'euros. Cette baisse s'explique notamment par le décalage du traitement 67 ( * ) pour le Soudan à 2017, pour un montant en dépenses de 501 millions d'euros, et par l'absence des traitements pour Djibouti, le Pakistan et le Zimbabwe, pour un montant total en dépenses de 21 millions d'euros. Le traitement du Zimbabwe est désormais prévu en 2016.
La hausse du solde du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » s'explique par le report des versements prévus en 2015. Le mécanisme de rétrocession des intérêts à la Grèce a en effet été suspendu à partir du 30 juin 2015 en raison de l'arrêt du deuxième programme d'assistance financière à ce pays.
L'amélioration du solde du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » provient de moindres décaissements au titre du programme des investissements d'avenir (PIA) : ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2015, la prévision de décaissements pris en compte dans le calcul du déficit en comptabilité nationale, ou décaissements « maastrichtiens » pour les PIA 1 et 2 était de 2,8 milliards d'euros, et de décaissement total de 3,9 milliards d'euros. En exécution, les PIA 1 et 2 ont été décaissés à hauteur de 2,6 milliards d'euros en décaissements « maastrichtiens » (- 0,2 milliard d'euros par rapport aux prévisions) et de 3,5 milliards d'euros au total (-0,4 milliard d'euros).
En effet, les différents outils de financement qu'inclut le PIA n'ont pas tous le même impact sur la dette de l'État, le déficit budgétaire et le déficit en comptabilité nationale.
Tableau n°
39
: Impact des
différents types de financement
du programme d'investissements
d'avenir
Type de financement |
Prise en compte dans le calcul de la dette |
Prise en compte dans le calcul du déficit budgétaire |
Prise en compte dans le calcul du déficit maastrichtien (comptabilité nationale) |
Dotations non consommables |
Intérêts annuels |
100 % l'année de la loi de finance |
Intérêts annuels |
Prêts/Prises de participations |
Impact lors du décaissement |
100 % l'année de la loi de finance |
0 % au décaissement, impact si réévaluation ultérieure |
Subventions |
Impact lors du décaissement |
100 % l'année de la loi de finance |
100 % au décaissement |
Avances remboursables |
Impact lors du décaissement |
100 % l'année de la loi de finance |
100 % au décaissement (impact positif les années de remboursement) |
Source : commissariat général à l'investissement
3. Les programmes d'investissements d'avenir, une variable d'ajustement comme une autre ?
L'existence de deux programmes d'investissements d'avenir, distincts du budget général, se justifie par la nécessité de préserver la capacité de l'État à investir dans l'excellence et l'innovation malgré un contexte budgétaire particulièrement contraint.
Les programmes d'investissement d'avenir sont donc censés échapper aux mesures de régulation budgétaires appliquées aux dépenses du budget général de l'État.
Cependant, le Gouvernement a indiqué, dans le cadre du programme de stabilité, que le coût en 2016 du plan d'urgence pour l'emploi serait gagé à hauteur de 400 millions d'euros par des économies sur les décaissements du PIA . Interrogé par votre rapporteur général, le Gouvernement a confirmé l'économie prévue en 2016 mais n'a pas donné davantage de précisions sur la façon dont de moindres décaissements PIA peuvent être pilotés afin de financer des dépenses nouvelles.
Une telle manipulation des décaissements du PIA relativise les justifications avancées à l'occasion du lancement du troisième programme d'investissement d'avenir : si ces enveloppes de crédits n'échappent pas aux mesures de régulation, leur caractère extrabudgétaire, qui limite fortement le pouvoir de contrôle du Parlement à leur égard, ne trouve plus de fondement.
Elle conduit aussi à nourrir des doutes sur les causes de la sous-exécution des décaissements constatée en 2015 , qui pourraient consister en un simple ralentissement imprévu des projets, ou en un pilotage serré des crédits afin de garantir le respect des cibles d'exécution définies par le Gouvernement.
* 67 Le terme « traitement » recouvre l'ensemble des opérations pouvant affecter les caractéristiques d'un prêt accordé à un État étranger (allongement de la durée de remboursement, baisse du taux d'intérêt...).