N° 759

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , de règlement du budget et d' approbation des comptes de l' année 2015 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,
Rapporteur général,
Sénateur.

Tome I : Exposé général et examen des articles

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3781 , 3895 et T.A. 785

Sénat :

756 (2015-2016)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

PREMIÈRE PARTIE - L'EXERCICE 2015 ET SON CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET FINANCIER

L'année 2015 a été marquée par un frémissement de la croissance économique , alors qu'elle demeurait atone depuis 2012. Essentiellement porté par la consommation des ménages, le produit intérieur brut (PIB) a progressé de 1,3 %, contribuant à la légère amélioration du déficit public observée l'an passé. Toutefois, l'inflation a stagné en 2015, produisant des effets ambigus sur la consolidation des finances publiques .

I. UN FRÉMISSEMENT DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE, MAIS UNE INFLATION TOUJOURS ATONE

Au cours de l'année 2015, le PIB a crû de 1,3 % , après avoir modérément augmenté, de 0,6 %, en 2013 et 2014. Cette évolution positive de l'activité a été favorisée par des facteurs extérieurs favorables, dont la baisse des prix du pétrole, celle des taux d'intérêt et l'amélioration du contexte économique européen. Du fait, notamment, du recul des prix de l'énergie, l'indice des prix à la consommation (IPC) a stagné l'an passé , après avoir augmenté de seulement 0,5 % en 2014, faisant apparaître une poursuite du ralentissement de l'inflation engagé en 2013.

A. UN CONTEXTE FAVORABLE À LA REPRISE ÉCONOMIQUE

1. Une croissance du PIB de 1,3 % en 2015...

Après une nette décélération de la croissance trimestrielle au début de l'année 2015 , en lien avec le déstockage des matériels de transport et des produits pétroliers, celle-ci s'est redressée au cours des troisième et quatrième trimestres . S'étant élevée à 0,4 % lors de chacun de ces trimestres, la croissance du PIB a été soutenue par la consommation des ménages qui a augmenté de 1,3 % en valeur sur l'ensemble de l'année 2015, expliquant plus de 60 % de la croissance constatée.

De même, l'investissement, qui a marqué une accélération au cours du dernier trimestre 2015, a légèrement contribué à la hausse du PIB l'année passée . Sur la totalité de l'exercice, celui-ci a progressé de 0,8 %. Il convient néanmoins de relever que cette évolution est imputable aux seules entreprises, dont l'investissement a augmenté de 2,6 % ; en effet, celui des ménages, correspondant aux dépenses d'achat et d'entretien de logement, de même que celui des administrations publiques ont, quant à eux, baissé de respectivement 0,6 et 5,1 % - les dépenses de formation brute de capital fixe (FBCF) des collectivités territoriales ayant, en particulier, diminué de 10 % (cf. infra ).

Graphique n° 1 : Évolution trimestrielle du PIB en 2015 et ses composantes

(variation trimestrielle en %, contributions en points)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

L'activité a également bénéficié de l'accroissement des stocks des entreprises , en particulier lors des deux derniers trimestres de l'année. La hausse des stocks concernerait essentiellement les matériels de transport, en raison, notamment, de l'accélération de la production du secteur aéronautique, et les produits pétroliers raffinés. Sur l'ensemble de la période, les stocks contribueraient positivement à la croissance du PIB à hauteur de 0,1 point .

Graphique n° 2 : Évolution du PIB en volume et ses composantes

(variation en %, contributions en points)

Source : commission des finances du Sénat (données de l'Insee)

Enfin, le commerce extérieur a, de nouveau, pesé sur la croissance du PIB . En effet, les importations ont progressé de 6,6 % en 2015, soit plus rapidement que les exportations, qui ont crû de 6,1 %. Pour autant, le solde des échanges extérieurs s'est amélioré de 12,5 milliards d'euros, « à la faveur du repli des prix des hydrocarbures » 1 ( * ) .

Au total, comme en 2014, la croissance du PIB a été principalement portée en 2015 par la consommation, en particulier des ménages , et dans une moindre mesure par l'investissement des entreprises. L'évolution de ces agrégats doit être mise en regard avec l'amélioration du contexte économique.

La révision de l'estimation du PIB au titre de l'année 2014

La publication des comptes de la Nation de l'année 2015 s'est accompagnée d'une actualisation des comptes pour les exercices 2013 et 2014. Ainsi, l'estimation de la croissance du PIB en volume pour 2013 a été abaissée de 0,1 point, à + 0,6 %, alors que celle pour 2014 a été rehaussée de 0,5 point - soit de 9,7 milliards d'euros -, à + 0,6 % .

Cette révision, qui intervient chaque année pour les comptes des deux exercices précédents, permet d'« affiner » la mesure de l'activité économique du fait de la remontée de données statistiques plus précises. Toutefois, la correction opérée au titre de l'année 2014 se singularise par son ampleur - les corrections étant de +/- 0,2 point en moyenne -, ce qui semble appeler quelques éléments explicatifs. Selon la note méthodologique publiée par l'Insee 2 ( * ) , celle-ci tient à « la révision de la valeur ajoutée des entreprises non financières, suite à la prise en compte de la donnée structurelle d'entreprise non disponible au compte provisoire, mais aussi à la modification de la méthode de calcul de la production d'assurance-vie ».

L'établissement d'un compte semi-définitif - soit, en 2015, celui relatif à l'année 2014 - repose, pour les entreprises non financières, sur la statistique d'entreprise Ésane qui permet une analyse plus fine au niveau sectoriel. Ceci a notamment conduit à augmenter l'estimation de la contribution des stocks des entreprises à la hausse du PIB à hauteur de 0,3 point . Celle de l'investissement a également été élevée de 0,2 point, du fait de la réévaluation à la hausse de la formation brute de capital fixe (FBCF) des ménages, des entreprises financières et des administrations publiques . En particulier, « l'évolution de la FBCF des entreprises financières [a été] révisée en forte hausse [...] suite à la prise en compte des informations de l'autorité des marchés financiers ». L'estimation de la contribution de la consommation des administrations publiques, elle, a été abaissée de 0,1 point .

2. ...favorisée par le recul de la facture énergétique...

En effet, la demande globale a fortement profité du recul des prix du pétrole . Après un rebond entre février et mai 2015, le prix du baril de Brent a engagé un nouveau recul à compter du mois de juin pour atteindre 34,6 euros en décembre, correspondant à une baisse de 16,8 % par rapport à son niveau de janvier et de 40,2 % relativement au point haut de l'année, atteint en mai.

Graphique n° 3 : Évolution du prix du baril de pétrole (Brent) en 2015

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat (données de l'Insee)

Dans ce contexte, selon les données publiées par les Douanes, la facture des produits pétroliers importés s'est élevée à 31,7 milliards d'euros en 2015, en baisse de près de 13 milliards d'euros par rapport à 2014 , soit de 29,4 %. La facture énergétique 3 ( * ) totale, qui tient également compte de la diminution du prix du gaz naturel et du charbon, a reculé, quant à elle, de 15 milliards d'euros pour s'établir à 39,8 milliards d'euros 4 ( * ) . Aussi, à court et moyen termes, cette diminution des prix de l'énergie vient accroître le pouvoir d'achat des ménages et réduire les coûts de production des entreprises . Ces évolutions ont contribué, en 2015, au dynamisme de la consommation des ménages ainsi qu'à l'investissement des entreprises, celles-ci voyant leur taux de marge accru.

À cet égard, selon la dernière Note de conjoncture de l'Insee, publiée en juin dernier, « entre 2013 et 2015, le taux de marge des sociétés non financières a augmenté de 1,5 point (de 29,9 % à 31,4 %), dont 0,6 point du fait de la variation des termes de l'échange, c'est-à-dire de l'écart entre prix de valeur ajoutée et prix de consommation finale, et dont la baisse du prix du pétrole constitue l'un des principaux facteurs » 5 ( * ) . L'institut de statistiques estime que l'allègement de la facture énergétique aurait été à l'origine d'un surcroît de croissance de l'ordre de 0,3 point en 2015 pour l'économie française .

3. ...la politique monétaire de la Banque centrale européenne...

La demande globale a également bénéficié de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE) - l'année écoulée ayant, notamment, été marquée par le déploiement du programme étendu d'achats d'actifs 6 ( * ) , consistant en des rachats mensuels cumulés de titres des secteurs public et privé à hauteur de 60 milliards d'euros -, qui a favorisé une forte diminution des taux d'intérêt, une accélération du crédit ainsi qu'une baisse du taux de change de l'euro. La baisse des taux directeurs opérée par la banque centrale ajoutée aux mesures non conventionnelles mises en oeuvre auraient apporté un surplus de croissance de l'ordre de 0,4 point en France, à en croire les estimations avancées par l'Insee, « dont 0,2 point attribuable à la baisse des taux d'intérêt et 0,2 point à la dépréciation de l'euro » 7 ( * ) .

4. ...et le rebond de l'activité économique en Europe

Enfin, l'économie française s'est inscrite dans un contexte porteur, marqué par l'accélération de l'activité en Europe . Ainsi, selon les données de l'institut de statistiques européen Eurostat, la croissance du PIB s'est élevée à 2 % dans l'Union européenne en 2015 et à 1,7 % dans la zone euro . Des pays comme l'Irlande ou encore l'Espagne ont même vu leur production progresser de respectivement 7,8 % et 3,2 %. Par ailleurs, le Royaume-Uni a affiché une croissance de 2,3 %, alors que celle-ci s'élevait à 2,5 % aux États-Unis. À l'inverse, les économies émergentes, en particulier celles appartenant aux « BRICS » à l'exception de l'Inde, ont montré des signes de ralentissement au cours de l'année 2015 , notamment en raison de la baisse du prix des matières premières 8 ( * ) .

5. Un « choc fiscal » qui a continué à peser sur la croissance

La croissance du PIB en France demeure donc en recul de celle observée dans les autres pays , notamment européens. Ce moindre dynamisme trouverait son explication dans des facteurs internes, qui ont joué négativement sur l'activité au cours de l'année 2015. Jusqu'à présent, la faible performance française était attribuée, à titre principal, au recul de l'investissement en construction 9 ( * ) . À cet égard, une étude publiée par la société Euler Hermes en octobre dernier estimait que le secteur de la construction connaîtrait de nouveau un recul de son activité de 1,6 % en 2015 , soit une baisse cumulée de 20,4 % depuis 2008 10 ( * ) . Cette évolution serait essentiellement imputable au recul des dépenses de construction résidentielle (- 2 milliards d'euros) et des dépenses de travaux (- 1,7 milliard d'euros) , non sans lien avec les conséquences induites par la réduction des dotations de l'État sur les dépenses locales de formation brute de capital fixe (FBCF) (cf. infra ).

Pour autant, le contrecoup du « choc fiscal » opéré ces dernières années semble avoir davantage pesé sur la croissance du PIB au cours de l'exercice écoulé . Comme l'a rappelé l'Insee, « les hausses d'impôts ont un effet moins récessif à court terme, car les ménages comme les entreprises lissent les fluctuations de leur revenu sur les dépenses, mais cet effet se diffuse dans le temps » 11 ( * ) ; aussi les hausses passées des prélèvements sont-elles venues minorer de 0,7 point la croissance en 2015 . Cet effet baissier n'a pu être intégralement compensé par le déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité, qui ont été à l'origine d'un surplus de croissance de 0,4 point. Comme cela est mis en évidence infra , la baisse des prélèvements obligatoires intervenue en 2015 n'a aucunement profité aux ménages pris dans leur ensemble .

6. Une politique économique dont les effets se font attendre

Par ailleurs, force est de constater que la politique économique du Gouvernement tarde à produire des effets . Certes, les mesures prises pour réduire le coût du travail et renforcer la compétitivité des entreprises - dont le déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité - ont eu des incidences positives sur l'activité (cf. supra ). Toutefois, comme l'ont souligné les services de la Commission européenne dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomique (PDM), « les mesures prises par les autorités pour réduire le coût du travail et stimuler la compétitivité ne devraient pas permettre de renforcer immédiatement la confiance des entreprises » 12 ( * ) , ne laissant entrevoir une véritable reprise de l'investissement de ces dernières qu'à partir de 2017. En particulier, le taux de marge des entreprises s'élevait à 31,4 % à la fin de l'année 2015 , en nette amélioration par rapport à 2014, où il était de 29,7 %, mais toujours inférieur à la moyenne observée avant la crise économique, soit 32,7 % entre 2000 et 2007. En outre, les services de la Commission ont relevé l'insuffisance des investissements en faveur de l'innovation , indiquant qu'« en dépit d'un soutien gouvernemental important, la capacité d'innovation du pays se situe au niveau moyen, la R&D dans le secteur privé demeure relativement faible par rapport à la situation observée dans les pays européens à la pointe de l'innovation » 13 ( * ) . Ainsi, en 2014, les dépenses de recherche et développement (R&D) ont représenté 2,3 % du PIB , contre 2,8 % en Allemagne et plus de 3 % en Autriche et dans les pays nordiques.

Aussi, selon les services de la Commission, la compétitivité française reste une « source d'inquiétude », d'autant que « la récente modération salariale, dans un contexte de faible inflation et de chômage élevé, demeure insuffisante pour permettre au pays de renouer avec la compétitivité compte tenu du ralentissement de la croissance de la productivité » ; pour cette raison, et dans la mesure où la réduction des charges pesant sur le travail engagée par le Gouvernement ne saurait être sans fin, votre rapporteur général avait souligné la nécessité d'identifier de nouveaux leviers permettant de préserver la compétitivité des entreprises françaises et avait envisagé, à ce titre, une évolution de la durée du travail 14 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, dans ce contexte d'amélioration modérée de la compétitivité de l'économie française, les services de la Commission européenne ont insisté sur le fait que « l'amélioration récente des performances du pays à l'exportation ne tradui[sait] pas une amélioration structurelle mais s'expliqu[ait] principalement par la dépréciation de l'euro » 15 ( * ) . Compte tenu de l'importance de la dette publique, du net ralentissement de la hausse de la productivité et du caractère dégradé de la compétitivité, la Commission a estimé, en avril 2016, que la France présentait des déséquilibres macroéconomiques excessifs , à l'instar de la Croatie, du Portugal, de la Bulgarie et de l'Italie.


* 1 Insee, « Les comptes de la Nation en 2015. Le PIB et le pouvoir d'achat des ménages accélèrent, l'investissement se redresse », Insee Première , n° 1597, mai 2016.

* 2 Insee, Principales révisions intervenues sur les comptes de la Nation en 2013, 2014 et 2015 , 30 mai 2016.

* 3 La facture énergétique correspond au solde des importations et des exportations des différentes énergies (combustibles minéraux solides, pétrole brut, produits pétroliers raffinés, gaz naturel et électricité).

* 4 Commissariat général au développement durable, « Conjoncture énergétique. Janvier 2016 », Chiffres et statistiques , n° 738, mars 2016.

* 5 Insee, Note de conjoncture , juin 2016, p. 21.

* 6 Rapport général n° 164 (2015-2016), tome I, sur le projet de loi de finances pour 2016 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, p. 11.

* 7 Insee, op. cit. , juin 2016, p. 21.

* 8 Rapport général n° 164 (2015-2016), op. cit. , p. 27-32.

* 9 Cf. Insee, « La demande reste bien orientée, l'activité progresse par à-coups », Point de conjoncture , octobre 2015.

* 10 Euler Hermes Research, « Secteur de la construction en France : quelle reprise ? », Industry Report , 13 octobre 2015.

* 11 Insee, op. cit. , juin 2016, p. 28.

* 12 Services de la Commission européenne, Rapport 2016 pour la France contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques , SWD(2016) 79 final, février 2016, p. 2.

* 13 Ibid. , p. 4.

* 14 Rapport d'information n° 292 (2015-2016) sur les enjeux du temps de travail pour la compétitivité, l'emploi et les finances publiques fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, janvier 2016.

* 15 Services de la Commission européenne, op. cit. , p. 2.

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