EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a été délibéré en conseil des ministres le 3 février 2016 et déposé le même jour à l'Assemblée nationale, le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée. La commission des lois a désigné comme rapporteurs nos collègues députés Pascal Popelin 1 ( * ) et Colette Capdevielle 2 ( * ) et établi son texte au cours de sa réunion du 17 février. Les députés ont débattu du projet de loi les 1 er , 2 et 3 mars et l'ont adopté, à une très large majorité, lors d'un vote solennel le 8 mars.

Au cours de ces débats parlementaires, le projet de loi a été substantiellement enrichi par la commission des lois et les députés en séance publique puisque le texte transmis au Sénat compte désormais 91 articles , contre 34 dans le projet initial.

Les dispositions soumises à l'appréciation de votre Haute assemblée constituent le produit de trois objectifs distincts qui ont convergé dans le même véhicule législatif :

- renforcement des dispositifs permettant de lutter contre le terrorisme : à la suite des attentats sanglants qui ont endeuillé notre pays en janvier et novembre 2015, il est apparu nécessaire de renforcer notre dispositif juridique de lutte antiterroriste, ainsi que le chef de l'État l'avait annoncé lors de la réunion du Congrès du 16 novembre 2015 ;

- achever la transposition de directives européennes en matière de procédure pénale et de lutte contre le blanchiment, dont les dates limites de transposition arrivent à échéance en 2016 ou en 2017 ;

- simplifier le déroulement des procédures pénales et alléger un certain nombre de formalités complexifiant le travail des enquêteurs , conformément aux annonces faites par le Premier ministre le 14 octobre 2015.

Outre ces trois objectifs initiaux, les députés ont complété le projet de loi par des articles additionnels tendant à y réintroduire les dispositions déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (dite loi « DADUE ») pour absence de lien avec l'objet de cette loi 3 ( * ) .

Ils n'ont, par ailleurs, pas souscrit au choix du Gouvernement de demander au Parlement une habilitation à transposer les directives par la voie d'ordonnances et décidé d'insérer dans le projet de loi le texte même de ces transpositions.

Votre rapporteur porte un jugement contrasté sur l'ensemble législatif qui est ainsi soumis à son analyse et sur les conditions de l'examen parlementaire de ce projet de loi.

I. UN RENFORCEMENT ATTENDU DES MESURES ANTITERRORISTES

Depuis les attentats du mois de novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré par le pouvoir exécutif dans les conditions prévues par la loi du 3 avril 1955 4 ( * ) . Ce choix a été massivement approuvé par les parlementaires avec la prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 26 février par la loi du 20 novembre 2015 5 ( * ) . Puis, considérant que l'état de la menace à laquelle notre pays demeure exposé était toujours caractéristique d'une situation de « péril imminent » 6 ( * ) , le Gouvernement a soumis au Parlement, qui l'a acceptée, une deuxième prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 26 mai 2016 7 ( * ) .

Comme votre rapporteur l'avait souligné dans son rapport sur le projet de loi de deuxième prorogation 8 ( * ) , s'il ne fait pas de doute que la France reste particulièrement exposée à un risque d'attentat terroriste, une telle situation, sans manifestation apparente de ce péril, ne saurait justifier à elle seule le maintien de l'état d'urgence, dont il convient au surplus de prouver l'efficacité sur le plan de la lutte antiterroriste.

Ainsi que l'avait souligné le Conseil d'État dans son avis sur ce même projet de loi, « lorsque, comme cela semble être le cas, le "péril imminent" ayant motivé la déclaration de l'état d'urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c'est à des instruments pérennes qu'il convient de recourir ».

À cet égard, votre rapporteur relève que le Sénat a parfaitement fait sienne cette analyse en inscrivant à son ordre du jour, le 2 février dernier, l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste qui avait été déposée dès le 17 décembre 2015 par les présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau, François Zocchetto et votre rapporteur. Ce texte, adopté par le Sénat le 2 février, avait ainsi pour but de renforcer les moyens judiciaires de la lutte antiterroriste, en abordant les trois grandes phases de la procédure que constituent les investigations (enquête et instruction), le jugement et l'application des peines. C'est du reste dans cette direction que le chef de l'État avait demandé au Gouvernement d'élaborer des propositions après les attentats du 13 novembre dernier 9 ( * ) .

Votre rapporteur relève avec satisfaction que de nombreuses dispositions votées par le Sénat ont été reprises dans le texte du Gouvernement, certaines d'entre elles ayant même été introduites par les députés par amendements.

L'objectif des mesures contenues dans le chapitre I er du titre I er du projet de loi est ainsi d'accroître les prérogatives des magistrats spécialisés dans la lutte antiterroriste. Le parquet se voit à cette occasion reconnaître, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, des prérogatives quasiment équivalentes aux magistrats instructeurs, aussi bien en enquête de flagrance qu'en enquête préliminaire.

Cette évolution ouvre au demeurant la voie à deux réflexions complémentaires :

- elle justifie d'autant plus, s'il en était besoin, l'inscription rapide dans notre droit de réelles garanties d'indépendance pour les membres du parquet, qui devraient se matérialiser par le fait de donner au Conseil supérieur de la magistrature un pouvoir d'avis conforme sur la nomination de ces magistrats, conformément au texte du projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat le 4 juillet 2013 10 ( * ) ;

- elle suppose de se pencher sereinement et de manière approfondie sur les équilibres entre, d'une part, l'instruction, qui ne représente plus qu'entre 3 et 4 % des procédures pénales, et, d'autre part, les enquêtes conduites par le parquet, et, au sein de ces dernières, sur le fonctionnement du tandem procureur de la République/juge des libertés et de la détention, ce qui pose la question du statut de ce magistrat du siège appelé à jouer un rôle de plus en plus important en matière de contrôle des enquêtes du parquet 11 ( * ) .

Les dispositions du projet de loi comportent par ailleurs des mesures tendant à améliorer les conditions de la lutte contre le financement du terrorisme ( chapitre IV du titre I er ), qui auraient dû être inscrites dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, actuellement en cours d'examen par le Conseil d'État, mais que le Gouvernement a souhaité anticiper.

Enfin, elles se sont également enrichies de différentes mesures de police administrative, contenues dans le chapitre V du titre I er , visant à renforcer les dispositifs de contrôle sur les personnes pour lesquelles existent des raisons sérieuses de penser que leur comportement est en lien avec des activités terroristes. Dans ce cadre et dans le droit fil d'une mesure également annoncée par le Président de la République lors de la réunion du Congrès, des dispositions du texte visent à sécuriser les conditions juridiques d'usage par les forces de l'ordre de leur arme à feu en cas d'attaque terroriste, dans le respect des principes de proportionnalité et de nécessité.

Votre rapporteur ne doute ni de l'utilité de l'ensemble de ces dispositions, ni de l'urgence de les transcrire au plus vite dans le droit positif. La gravité de la situation actuelle commande une réponse sans faiblesse de la part de l'État, justifiant l'édiction de nouvelles dispositions antiterroristes dans notre législation.

Il se déclare en revanche plus réservé sur le volet de ce texte consacré à la procédure pénale, moins pour des raisons de fond, quoique des dispositions introduites par les députés prêtent à l'évidence à discussion, que pour les délais dans lesquels le Sénat est appelé à se prononcer sur ces dispositions.


* 1 Rapporteur des articles 1 er à 11 et 17 à 21.

* 2 Rapporteur des articles 12 à 16 et 22 à 34.

* 3 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-719 DC du 13 août 2015, loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.

* 4 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, modifiée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

* 5 Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 6 Selon la terminologie de l'article 1 er de la loi du 3 avril 1955.

* 7 Loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 8 Rapport n° 368 (2015-2016) fait par M. Michel Mercier, sénateur, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 9 Voir les propos du chef de l'État lors de la réunion du Congrès du 16 novembre 2015 : « Puisque la menace va peser durablement et que la lutte contre Daech va nous mobiliser encore longtemps sur le front extérieur comme sur le terrain intérieur, j'ai également décidé de renforcer substantiellement les moyens dont disposent la justice et les forces de sécurité. D'abord, les services d'enquête et les magistrats antiterroristes doivent pouvoir recourir, dans le cadre de la procédure judiciaire, à tout l'éventail des techniques de renseignement qu'offrent les nouvelles technologies, et dont la nouvelle loi sur le renseignement a autorisé l'utilisation dans un cadre administratif. La procédure pénale doit également prendre en compte, de la manière la plus étroite possible, la spécificité de la menace terroriste . »

* 10 Voir la version adoptée par le Sénat du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

* 11 Question qui fait l'objet de propositions du Gouvernement dans les textes « justice du XXI ème siècle » et « indépendance des magistrats » examinés par le Sénat à l'automne dernier.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page