Rapport n° 330 (2015-2016) de M. Hugues PORTELLI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 janvier 2016
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. LA COMPATIBILITÉ EXCEPTIONNELLE D'UN
MANDAT PARLEMENTAIRE ET D'UNE FONCTION ADMINISTRATIVE
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A. UN ANTÉCÉDENT PRESTIGIEUX : LA
DEUXIÈME RÉPUBLIQUE
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B. UNE VOLONTÉ INITIALE : MIEUX
ASSOCIER LES PARLEMENTAIRES AU TRAVAIL GOUVERNEMENTAL
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C. UNE DÉROGATION LIMITÉE À
L'INCOMPATIBILITÉ PARLEMENTAIRE AVEC UNE FONCTION PUBLIQUE NON
ÉLECTIVE
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A. UN ANTÉCÉDENT PRESTIGIEUX : LA
DEUXIÈME RÉPUBLIQUE
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II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : METTRE
FIN AU SYSTÈME DES PARLEMENTAIRES EN MISSION
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I. LA COMPATIBILITÉ EXCEPTIONNELLE D'UN
MANDAT PARLEMENTAIRE ET D'UNE FONCTION ADMINISTRATIVE
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EXAMEN EN COMMISSION
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PERSONNE ENTENDUE
N° 330
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 janvier 2016 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi M. Jacques MÉZARD et plusieurs de ses collègues organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires ,
Par M. Hugues PORTELLI,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
3 et 331 (2015-2016) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie le mercredi 27 janvier 2016, sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné le rapport de M. Hugues Portelli sur les propositions de loi organique n° 3 (2015-2016) visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires et n° 4 (2015-2016) visant à supprimer le remplacement des parlementaires en cas de prolongation d'une mission temporaire , présentées par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues et a établi son texte sur la proposition de loi organique n° 3. Après avoir rappelé l'origine et la pratique des missions temporaires confiées aux parlementaires, le rapporteur a indiqué que le Gouvernement peut confier une mission temporaire à un parlementaire pendant six mois. Pendant ce délai, le parlementaire continue d'exercer normalement son mandat en parallèle de la mission confiée. En cas de prolongation de cette mission, le parlementaire cesse alors son mandat, son remplacement étant assuré par son remplaçant ou son suivant de liste. Le choix du parlementaire, de sa mission temporaire et de son éventuelle prolongation est à la discrétion du Gouvernement. Cette mission consiste généralement en la rédaction d'un rapport mais a pu s'étendre à l'exercice de fonctions administratives (préfet, président d'un comité, etc.). Suivant son rapporteur, la commission a estimé que ce procédé constituait une atteinte à la séparation des pouvoirs, le parlementaire devant se consacrer parallèlement à sa mission législative, en particulier à sa fonction de contrôle et d'évaluation au sein du Parlement comme l'a d'ailleurs souligné la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En outre, la règle dérogatoire lors du remplacement du parlementaire dont la mission est prolongée au-delà de six mois n'est pas apparue justifiée. La commission a donc approuvé la suppression du dispositif relatif aux missions temporaires confiées à un parlementaire, sous réserve de l'adoption de trois amendements de coordination présentés par son rapporteur . Elle a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner, à l'initiative du groupe du rassemblement démocratique et social européen (RDSE), deux propositions de loi organique, déposées le 1 er octobre 2015 par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, relatives aux missions temporaires confiées à des parlementaires.
La proposition de loi organique n° 3 (2015-2016) propose de supprimer la possibilité pour le Gouvernement de nommer des parlementaires en mission et l'incompatibilité avec le mandat parlementaire en cas de prolongation au-delà de six mois de cette mission ainsi que, par voie de conséquence, les modalités de remplacement du parlementaire concerné.
Sans modifier l'incompatibilité, la proposition de loi organique n° 4 (2015-2016) se borne à mettre à fin aux modalités actuelles de remplacement, à savoir le remplacement, suivant le cas, par le remplaçant des députés ou des sénateurs élus au scrutin majoritaire ou par le suivant de liste pour les autres sénateurs. Dans ce cas, il serait pourvu au remplacement par une élection partielle.
I. LA COMPATIBILITÉ EXCEPTIONNELLE D'UN MANDAT PARLEMENTAIRE ET D'UNE FONCTION ADMINISTRATIVE
A. UN ANTÉCÉDENT PRESTIGIEUX : LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE
C'est sous la II e République qu'apparaît l' institution singulière du parlementaire en mission , c'est-à-dire d'un parlementaire qui exerce parallèlement à son mandat une fonction publique non élective. La loi électorale du 15 mars 1849 limite à six mois cette dérogation au principe de l'incompatibilité du mandat avec une fonction publique et l'un des plus proches amis d'Alexis de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, Francisque de Corcelle, se retrouve à la fois député et envoyé officiel du gouvernement français en Italie avec rang de ministre plénipotentiaire. Cette mission qui dura de juin à novembre 1849 est d'autant plus singulière que la Constitution du 4 novembre 1848 organise un régime de stricte séparation des pouvoirs entre un exécutif dirigé par un président de la République élu du Peuple et une Assemblée nationale qui ne peut ni renverser le ministère ni être dissoute.
B. UNE VOLONTÉ INITIALE : MIEUX ASSOCIER LES PARLEMENTAIRES AU TRAVAIL GOUVERNEMENTAL
La Constitution du 4 octobre 1958 a été marquée dès l'origine par la volonté de recourir à ce genre de pratique.
Dès octobre 1958, la possibilité pour le Gouvernement de confier, pour un délai maximal de six mois, une mission temporaire à un parlementaire est instituée 1 ( * ) . Cette règle est complétée en 1959 par celle prévoyant qu'en cas de prolongation au-delà de six mois de cette mission temporaire, le remplacement du parlementaire échoit à son remplaçant ou son suivant de liste.
Le recours aux parlementaires en mission a connu un réel engouement à partir des années 1970 . Il a même été justifié en octobre 1972 par M. Pierre Messmer, alors Premier ministre. Faisant part de sa « volonté de mieux associer les parlementaires à l'action du Gouvernement » lors de son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale le 3 octobre 1972, il indiquait : « J'ai décidé, en accord avec le Président de la République, de confier à un certain nombre de députés et de sénateurs des missions temporaires auprès des principaux ministres. Ils conserveront, conformément à la Constitution, leur mandat dans les assemblées et leur place dans les commissions. Les ministres auprès desquels ils seront placés mettront à leur disposition les moyens nécessaires. Ces parlementaires en mission pourront avoir accès aux dossiers, participer aux réunions de travail présidées par les ministres ainsi qu'aux comités interministériels spécialisés. »
Les modalités d'une mission temporaire confiée à un parlementaire n'ont pas fondamentalement évolué depuis. Un parlementaire en mission est ainsi un membre du Parlement désigné par le Gouvernement qui lui confie une mission temporaire en complément de son mandat parlementaire . Selon les circonstances, l'objectif poursuivi diffère : le Gouvernement peut solliciter un parlementaire pour préparer une réforme législative tandis qu'à l'inverse, il peut le solliciter pour dresser le bilan d'une réforme menée.
Une mission temporaire se conclut généralement par la remise d'un rapport , même si l'objet de la mission n'est pas nécessairement la rédaction d'un rapport. Ainsi, M. Christian Nucci, député, a été désigné parlementaire en mission en 1981 et 1982 pour exercer les fonctions de Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie 2 ( * ) .
Cependant, toute association d'un parlementaire au travail gouvernemental ne prend pas nécessairement la forme d'une mission temporaire confiée à un parlementaire. En 1989, notre ancien collègue Guy Allouche rappelait ainsi les deux possibilités qui s'offrent au Gouvernement pour associer un parlementaire à une mission gouvernementale : « Il existe en fait deux types de missions susceptibles d'être confiées à un parlementaire :
- les missions visées à l'article L.O. 144 du code électoral, donnant lieu à décret publié au Journal officiel. [...]
- des missions plus informelles, confiées par exemple par un ministre, et qui bien sûr ne tombent pas en droit sous le coup d'une incompatibilité, n'étant pas formellement prévues par le code électoral. » 3 ( * )
Ces « missions » informelles peuvent consister dans l'association à la préparation de projets de loi, dans l'association à la transposition de directives européennes, dans le suivi de la mise en oeuvre d'une loi en vigueur. En ce cas, la « mission » est très proche des missions des commissions parlementaires, c'est le Gouvernement, et non le Parlement, qui en prend l'initiative.
C. UNE DÉROGATION LIMITÉE À L'INCOMPATIBILITÉ PARLEMENTAIRE AVEC UNE FONCTION PUBLIQUE NON ÉLECTIVE
Ce dispositif est intervenu, au début de la V ème République, parallèlement à une innovation figurant à l'article 23 de la Constitution qui fixait pour la première fois une incompatibilité entre les fonctions gouvernementales et le mandat parlementaire.
Reprenant l'article 13 de l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires, l'article L.O. 144 du code électoral pose le principe suivant : « Les personnes chargées par le Gouvernement d'une mission temporaire peuvent cumuler l'exercice de cette mission avec leur mandat de député pendant une durée n'excédant pas six mois. » Cette disposition est rendue applicable aux sénateurs par l'article L.O. 297 du code électoral.
L'ensemble de ces dispositions, introduit par des ordonnances prises sur le fondement de l'article 92 de la Constitution, a été codifié au sein du code électoral par le décret n° 64-1086 du 27 octobre 1964 portant révision du code électoral. Aussi le Conseil constitutionnel n'a-t-il jamais été appelé à examiner la constitutionnalité de ces dispositions organiques.
Sur le plan juridique, cette disposition fixe donc une incompatibilité parlementaire conformément à l'habilitation que le législateur organique tient du premier alinéa de l'article 25 de la Constitution pour fixer le régime d'incompatibilités des membres du Parlement. Ce faisant, la loi organique a prévu une exception à l'incompatibilité prévue à l'article L.O. 142 du code électoral entre le mandat parlementaire et « l'exercice des fonctions publiques non électives » .
La rédaction de cette disposition sous forme positive (« ... peuvent cumuler ... ») reste inhabituelle pour une incompatibilité parlementaire en ce qu'elle fixe une incompatibilité en creux : l'exercice du mandat parlementaire est rendu incompatible avec une mission temporaire si cette dernière dure au-delà de six mois consécutifs.
1. Le statut hybride du parlementaire en mission
La désignation d'un parlementaire en mission est « un acte qui relevait à la fois de la sphère administrative et de la sphère parlementaire » 4 ( * ) . Si la mission temporaire n'a aucun effet sur l'exercice mandat parlementaire, elle ne se confond toutefois pas avec lui.
a) La poursuite sans restriction du mandat parlementaire
Le parlementaire en mission est choisi en considération du mandat de député ou de sénateur qu'il exerce. D'ailleurs, son statut de parlementaire en mission cesserait de plein droit si son mandat prenait fin au cours de sa mission temporaire, même s'il pourrait poursuivre la mission qui lui a été confiée. À titre d'exemple, notre ancien collègue Christian Demuynck a été désigné le 5 septembre 2011 parlementaire en mission 5 ( * ) alors que son mandat a pris fin le 30 septembre suivant, ce sénateur ne s'étant pas représenté. De même, la mission temporaire de notre ancien collègue Gilbert Baumet a pris fin avec sa nomination au Gouvernement le 2 octobre 1992.
La mission que le parlementaire se voit confier par le Gouvernement n'a aucune incidence sur la détention de son mandat national. Comme le Conseil constitutionnel l'a relevé en 1989, « le parlementaire appelé à effectuer une mission temporaire à la demande et pour le compte du Gouvernement continue d'appartenir au Parlement » 6 ( * ) .
De surcroît, le législateur organique n'a accompagné cette désignation d' aucune règle restrictive pour l'exercice du mandat détenu pendant le temps de la mission temporaire . Ainsi, le parlementaire dispose de l'ensemble de ses prérogatives constitutionnelles dans le cadre des travaux parlementaires (initiative législative, droit d'amendement, dépôt d'une question écrite ou orale, etc.) et bénéficie, en retour, des immunités pénales prévues à l'article 26 de la Constitution 7 ( * ) . Son statut matériel et financier demeure également inchangé.
À titre de comparaison, cette situation diffère de celle du parlementaire nommé membre du Gouvernement durant la période d'un mois au cours de laquelle il peut opter entre ses fonctions gouvernementales et le mandat parlementaire rendues incompatibles par l'article 23 de la Constitution. En effet, en application de l'article 1 er de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution, « pendant ce délai, le parlementaire membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire » , sachant qu'il est d'usage ancien et constant qu'il s'abstienne, de manière plus générale, de participer aux travaux de son assemblée d'origine.
La loi organique a ménagé une seule facilité au bénéfice des parlementaires en mission : la possibilité de déléguer exceptionnellement leur droit de vote à un de leurs collègues dans le cadre de l'article 27 de la Constitution. Cette faculté peut être utilisée à tout moment durant la mission temporaire, sous réserve du respect des formes de la délégation prévue par l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.
Son usage a pu récemment porter à contestation en séance publique à l'Assemblée nationale lors d'un scrutin public sur l'ensemble d'une proposition de loi inscrite à l'ordre du jour sur l'espace réservé d'un groupe minoritaire : face à des députés s'étonnant du nombre de suffrages ayant fait basculer le sens du vote par rapport aux précédents scrutins sans que de nouveaux députés aient rejoint l'hémicycle, le président de séance indiquait : « Il y a une information dont vous ne disposiez pas, moi non plus d'ailleurs, un certain nombre de collègues en mission ou en maladie ont donné délégation pour ce vote, en l'occurrence quatre. » 8 ( * )
b) L'exercice simultané d'une fonction administrative distincte du mandat parlementaire
Selon le Conseil d'État, la mission temporaire confiée par le Gouvernement s'analyse en une « mission administrative dont un parlementaire se trouve temporairement investi » car « le Premier ministre charge un parlementaire d'une mission que celui-ci doit accomplir auprès d'une administration ou en son sein » 9 ( * ) . Ces considérations ont conduit le Conseil d'État, contrairement aux conclusions de sa commissaire du gouvernement, à refuser de voir dans la nomination d'un parlementaire en mission un acte de Gouvernement qui se rattacherait aux relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Cette solution était suggérée dès 1989 par le Conseil constitutionnel pour qui « la mission qu'exerce un député ou un sénateur à la demande du Gouvernement ne s'inscrit pas dans l'exercice de sa fonction de parlementaire » 10 ( * ) .
À ce titre, il ne bénéficie pas des immunités pénales que lui garantit l'article 26 de la Constitution pour ses travaux parlementaires, de même qu'il ne peut faire usage de ses prérogatives parlementaires pour l'accomplissement de sa mission temporaire 11 ( * ) . Le parlementaire en mission exerce donc sa mission « en dehors de son mandat ». D'un point de vue matériel, le parlementaire est généralement assisté de fonctionnaires mis à disposition par un ministère ou un corps d'inspection.
Lorsqu'un rapport est remis, il est adressé au Gouvernement qui décide souverainement de sa publication partielle ou totale. Sa publication par le Gouvernement ne postule pas que ce dernier s'approprie ou approuve le contenu du rapport. C'est pourquoi le Conseil d'État refuse de connaître des moyens portant sur le contenu d'un rapport remis par un parlementaire en mission à l'occasion d'une requête dirigée contre la décision de publication du Premier ministre 12 ( * ) .
En revanche, la responsabilité civile et pénale de l'auteur du rapport peut être engagée dans les conditions de droit commun, ce dernier ne bénéficiant pas des immunités pénales attachées à l'exercice de son seul mandat parlementaire. De surcroît, le Conseil constitutionnel a censuré pour rupture du principe d'égalité devant la loi une disposition législative ayant pour effet d'exonérer de sa responsabilité pénale un parlementaire au titre du rapport remis dans le cadre d'une mission temporaire 13 ( * ) .
Traditionnellement, l'accomplissement de cette mission temporaire n'ouvre droit à aucune rémunération pour le parlementaire . Cet usage a été consacré à l'article L.O. 144 du code électoral par l'article 2 de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : « L'exercice de cette mission ne peut donner lieu au versement d'aucune rémunération, gratification ou indemnité. » Introduite par le Sénat à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur, cette règle traduisait la recommandation n° 37 du rapport d'information de la commission des lois sur la prévention des conflits d'intérêts des parlementaires 14 ( * ) . Pour la justifier, notre collègue Jean-Pierre Sueur relevait dans son rapport que « dès lors qu'existe une indemnité parlementaire et qu'un élu est désigné dans un organisme du fait de son mandat parlementaire, il n'y a pas lieu de lui attribuer une rémunération supplémentaire particulière, à la seule exception des frais susceptibles d'être exposés et pris en charge » 15 ( * ) .
2. Un choix discrétionnaire du Gouvernement pour le choix du parlementaire et de la mission temporaire et de son éventuelle prolongation
a) La désignation et le choix de l'objet de la mission temporaire
Le nom du parlementaire, la date de sa désignation, la durée de la mission temporaire ainsi que le sujet confié au parlementaire relèvent du pouvoir discrétionnaire du Gouvernement . Le Conseil d'État s'en tient à un contrôle prudent de cette décision administrative 16 ( * ) .
Depuis le 1 er octobre 1974, la désignation revêt systématiquement la forme d'un décret, toujours individuel, signé par le Premier ministre et pris au visa de la Constitution ainsi que de l'article L.O. 144 du code électoral pour les députés ou de l'article L.O. 297 du même code pour les sénateurs. Le dispositif se borne à indiquer le nom du parlementaire et le ou les membres du Gouvernement auprès duquel il est rattaché pour sa mission temporaire. En revanche, l'objet de sa mission n'est pas forcément indiqué et sa lettre de mission n'est pas obligatoirement connue. De même, le décret reste silencieux sur la durée exacte de sa mission. La durée maximale de six mois s'impose donc par défaut, son dépassement devant être autorisé par un nouveau décret pris dans les mêmes formes. Le parlementaire reste néanmoins libre de renoncer avant la fin de ce délai à la mission, comme notre ancienne collègue Dinah Derycke le 13 avril 2001, moins de deux mois après sa nomination.
Dans les enceintes parlementaires, cette désignation ne fait l'objet que d'une information de l'assemblée à laquelle le parlementaire appartient par une lecture en séance publique. Quant à la publication de cette désignation au Journal Officiel , elle n'est pas systématique.
Le Gouvernement peut ainsi procéder à des désignations selon les modalités de son choix. C'est ainsi qu'il a pu procéder à des nominations par salve : en décembre 1974, il confie ainsi plusieurs missions temporaires à seize députés et deux sénateurs.
Le Gouvernement est libre également de désigner un ou plusieurs parlementaires sur un même sujet comme lorsqu'en février 2010, il a désigné trois députés et trois sénateurs 17 ( * ) sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. Plutôt que nommer plusieurs parlementaires sur un même sujet, il peut préférer nommer deux parlementaires, le même jour, sur des sujets connexes, comme lorsqu'il confia, le 25 janvier 2011, une mission temporaire au député Jean-Luc Warsmann sur la simplification législative et au sénateur Éric Doligé sur les mesures de simplification pour les collectivités territoriales.
Le choix du sujet de la mission et du parlementaire auquel la confier exprime un choix politique. Si le Gouvernement choisit prioritairement un parlementaire dans les rangs de sa majorité, notamment à l'Assemblée nationale, il a progressivement pris l'habitude de recourir plus ponctuellement à des parlementaires de l'opposition, soit en binôme avec un parlementaire soutenant la majorité, soit seul. Il peut parfois combiner ce choix pluraliste avec une désignation paritaire entre les deux assemblées parlementaires : le 7 octobre 2013, le Gouvernement confia ainsi l'évaluation de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale au député Hugues Fourage et au sénateur François Pillet.
Nombre de missions temporaires confiées selon le
groupe d'appartenance
|
2007-2012 |
2012-2015 |
UMP |
26 |
5 |
Socialiste |
1 |
13 |
Union centriste et républicaine |
4 |
1 |
Communiste républicain et citoyen |
0 |
0 |
Rassemblement démocratique et social européen |
2 |
1 |
Écologiste |
- |
4 |
Non inscrit |
3 |
0 |
Total |
36 |
24 |
Source : commission des lois du Sénat
La dimension politique de la mission temporaire a ainsi pu conduire des sénateurs à se démettre de leur mission temporaire en cas d'alternance politique conduisant à la nomination d'un gouvernement d'un bord politique contraire au leur. Ainsi, nos anciens collègues Jacques Chaumont, Marcel Luchotte et Marcel Rudloff ont démissionné le 20 mai 1981 des missions temporaires respectives qui leur avaient été confiées le 21 janvier précédent. À l'inverse, l'acceptation d'une mission temporaire en lien avec l'emploi confiée en 1978 à M. Robert Fabre par le gouvernement de Raymond Barre avait conduit à son exclusion du mouvement des radicaux de gauche qu'il avait fondé.
b) La prolongation de la mission temporaire
(1) La décision de prolongation
La prolongation s'effectue selon les mêmes formes que la désignation , le Gouvernement disposant également d'une compétence aussi étendue pour en choisir les modalités. Un décret est ainsi pris pour prolonger la mission du parlementaire et la cessation du mandat parlementaire est constatée lorsque la durée maximale de six mois est dépassée, provoquant son remplacement 18 ( * ) . En revanche, à défaut de prolongation, il n'est pas pris acte par un décret de la fin de la mission.
La prolongation doit normalement porter sur une mission déjà confiée au parlementaire concerné. La prolongation suppose également un exercice sans interruption de la mission temporaire entre la désignation et la prolongation. Cependant, des exemples contraires existent. Il a ainsi été pris acte de la cessation du mandat parlementaire du député Christian Nucci le 15 juin 1982, alors qu'il s'était vu confié une mission par décret du 8 décembre 1981 qui avait pris fin comme l'indiquait une lettre du Premier ministre du 2 juin 1982, mais une nouvelle mission lui avait été confiée par décret du 8 juin 1982 19 ( * ) . Ce cas est relativement inédit car un délai entre deux missions temporaires confiées à un parlementaire a pour effet d'interrompre la mission et donc le délai de six mois au terme duquel l'incompatibilité avec le mandat parlementaire s'applique. À titre d'illustration, M. Yves Blein, député, a été désigné parlementaire en mission du 29 avril au 28 octobre 2013, puis du 23 mai au 22 novembre 2014 avant d'être désigné à nouveau, le 26 novembre 2015, sur des sujets relatifs à la vie associative.
La règle des six mois souffre cependant des entorses dont a bénéficié le sénateur Edgar Faure, nommé à la présidence de la mission de commémoration du bicentenaire de la Révolution française en mars 1987 et prolongé au-delà. Saisi d'un recours formé par un électeur, le Conseil constitutionnel l'a rejeté, estimant le bureau du Sénat de l'Assemblée seul compétent pour se prononcer et saisir le Conseil en cas de doute ou de contestation 20 ( * ) .
(2) L'effet de la prolongation
La prolongation de la mission temporaire au-delà de six mois a pour effet de faire cesser de plein droit le mandat du parlementaire puisque, contrairement à d'autres incompatibilités, le parlementaire ne bénéfice pas, à compter de la prolongation, d'un délai d'option pour mettre fin à l'incompatibilité en optant pour son mandat parlementaire ou la mission temporaire.
Le siège parlementaire devenant vacant, il est alors procédé au remplacement du parlementaire. Le remplacement du parlementaire en mission se démarque par son originalité puisque le siège est attribué au remplaçant ou au suivant de liste du parlementaire. Il s'agit d'une règle dérogatoire au droit commun qui semble n'avoir été utilisée, à ce jour, que pour le remplacement de députés.
En effet, si le remplacement des sénateurs élus à la représentation proportionnelle - soit dans des départements comptant au moins trois sièges - est assuré par le candidat suivant le dernier candidat élu, sauf en cas d'annulation des opérations électorales, le remplacement des autres sénateurs et des députés conduit, par principe, à organiser une élection partielle. Il n'existe aucune raison avancée pour justifier cette solution particulière qui est réservée au remplacement à la suite du décès du titulaire ou de sa nomination au Gouvernement, au Conseil constitutionnel ou comme Défenseur des droits.
c) Le contrôle du juge
Le contrôle du juge est un contrôle restreint. C'est le cas pour la nomination et même la prolongation, que ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d'État n'ont voulu examiner au fond, laissant le Gouvernement et les assemblées parlementaires souveraines.
S'agissant de la réalité de la mission 21 ( * ) , le Conseil d'État a considéré qu'elle se vérifie par la remise d'un rapport.
II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : METTRE FIN AU SYSTÈME DES PARLEMENTAIRES EN MISSION
L'incompatibilité instituée par l'article L.O. 144 du code électoral soulève plusieurs interrogations sur le plan constitutionnel au regard du principe de séparation des pouvoirs. En l'absence de restriction particulière sur la nature de la mission confiée, cette disposition peut conduire à exercer des missions de représentation du Gouvernement ou des fonctions administratives indissociables du pouvoir exécutif, ce qui constitue une entorse au principe de séparation des pouvoirs ainsi qu'au principe de séparation des fonctions qui a pour but de protéger le parlementaire dans l'exercice de son mandat.
Cette incompatibilité est également difficilement compréhensible dans son principe. En effet, pourquoi une fonction qui serait compatible avec le mandat parlementaire pendant le délai de six mois deviendrait en soi incompatible avec ce mandat au terme de ce délai ?
Elle présente également un paradoxe :
- soit la mission temporaire peut se concilier avec un mandat parlementaire en termes de disponibilité du parlementaire et, dans ce cas, la nécessité d'une disposition organique dérogeant au principe de l'incompatibilité parlementaire avec les fonctions publiques non électives ne se justifie pas car la mission ne constitue pas une activité propre et suffisante pour être regardée comme une fonction publique non élective ;
- soit la mission suppose une pleine disponibilité du parlementaire au détriment de l'exercice de son mandat parlementaire et, dans ce cas, son existence se justifie difficilement compte tenu du renforcement croissant des incompatibilités électorales et professionnelles applicables aux parlementaires. À cet égard, la seule possibilité de déléguer son vote est insuffisante car le mandat parlementaire ne peut pas se réduire à l'exercice du droit de vote dans le cadre de la fonction législative et de contrôle du Parlement, particulièrement après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Cette incompatibilité prête d'autant plus le flanc à la critique que l'attribution de missions temporaires aux parlementaires s'est tendanciellement accrue. D'un choix ponctuel pour associer des parlementaires à l'action gouvernementale, ces désignations sont devenues un procédé commun. Ainsi, depuis 2007 et à la seule exception de l'année 2012 en raison de l'échéance électorale, entre six et neuf sénateurs ont été nommés chaque année pour une mission temporaire. Par comparaison entre 1973 et 2002, le nombre maximal de sénateurs nommés chaque année ne dépassait pas six, avec onze années sans nomination.
Nombre de missions
|
XI
ème
législature
|
XII
ème
législature
|
XIII
ème
législature
|
XIV
ème
législature
|
un député |
71 |
76 |
77 |
76 |
un sénateur |
5 |
32 |
36 |
24 |
Source : commission des lois du Sénat
Ainsi, le Gouvernement puise dans le vivier parlementaire des ressources à son seul bénéfice puisqu'il est maître de la mission et du résultat de la mission. Cette survivance est à l'opposé de la volonté du constituant qui, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a souhaité renforcer l'activité de contrôle et d'évaluation au sein du Parlement, avec l'assistance éventuellement de la Cour des comptes.
La solution proposée par la désignation d'un parlementaire en mission n'est donc pas satisfaisante car elle place le Parlement au service du Gouvernement .
Enfin, les modalités particulières - et avantageuses pour le titulaire - de remplacement conduisent à des désignations qui ne présentent qu'une finalité électorale . Comme le souligne l'auteur de la proposition de loi organique, « la nomination d'un parlementaire en mission permet donc une sortie honorable de l'hémicycle, tout en protégeant la majorité d'une élection partielle souvent très incertaine . »
Le Gouvernement s'était défendu de telles intentions en 2013 lorsque le Sénat, à l'initiative de notre collègue Jacques Mézard et de plusieurs de ses collègues, avait obligé à pourvoir au remplacement d'un parlementaire dont la mission temporaire était prolongée par une élection, en ce qui concerne les députés et les sénateurs élus au scrutin majoritaire. M. Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, avait proposé en séance publique la suppression de cette modification en jugeant que « proposer de procéder à une élection partielle au lieu de remplacer le parlementaire concerné par son suppléant, comme le fait la commission des lois du Sénat, repose sur l'idée selon laquelle le Gouvernement provoquerait volontairement le départ d'un parlementaire à l'issue du délai de six mois à seule fin de le faire remplacer par son suppléant », ce qu'il réfutait au nom du Gouvernement.
Pourtant, deux exemples récents offrent un démenti. M. François Brottes, député, a ainsi vu sa mission temporaire prolongée, le 17 août 2015, avant qu'il ne soit nommé le 1 er septembre à la présidence du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE). M. Pierre Moscovici, également député, avait également été nommé comme parlementaire en mission le 5 mai 2014, mais la prise d'effet de sa nomination comme commissaire européen le 1 er novembre 2014 a mis fin à son mandat sans permettre l'écoulement du délai de six mois autorisant à prolonger la durée de la mission temporaire et donc son remplacement sans organiser d'élection.
Il faut relever par ailleurs que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a transformé le remplaçant du parlementaire devenu ministre en « remplaçant temporaire » qui rend son mandat au ministre lorsque celui-ci quitte le Gouvernement, fait du ministre le titulaire d'une fonction précaire mais avec garantie du retour dans son assemblée d'origine sans élection partielle qui le rapproche du parlementaire en mission dans la pratique actuelle des institutions. Pour votre rapporteur, le remaniement gouvernemental permanent, qui se traduit par une inflation du personnel gouvernemental, a ainsi son parallèle avec l'accroissement continu du nombre de parlementaires en mission.
Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a approuvé la suppression de la possibilité pour le Gouvernement de confier une mission temporaire à un parlementaire. Toutefois, cette disparition n'empêcherait pas le Gouvernement d'associer les parlementaires au travail gouvernemental mais selon des modalités qui ne portent pas atteinte à l'indépendance du parlementaire et ne le détournent pas de l'exercice de son mandat parlementaire.
Sur proposition de son rapporteur, elle a ainsi adopté, à la proposition de loi organique n° 3, un amendement rédactionnel COM-1 à l'article 1 er ainsi qu'un amendement COM-3 supprimant l'article 2, devenu inutile en raison des modifications opérées à l'article 1 er . Seraient ainsi abrogés l'article L.O. 144 du code électoral qui prévoit la possibilité de confier une mission de temporaire à un parlementaire pendant six mois ainsi que les références à une telle mission au sein du même code. Enfin, votre commission a adopté, par cohérence, un amendement COM-2 de son rapporteur prévoyant d'abroger le 2° de l'article 1 er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 et donc la possibilité pour un parlementaire en mission de déléguer exceptionnellement son vote à un collègue appartenant à la même assemblée parlementaire.
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* *
Votre commission a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée.
EXAMEN EN COMMISSION
M. Hugues Portelli , rapporteur . - Le parlementaire en mission est apparu sous la seconde République. Alexis de Tocqueville avait un ami proche, Francisque de Corcelle. En mars 1849, Tocqueville est ministre des affaires étrangères, Corcelle est député : il sera désigné comme envoyé officiel en Italie, avec rang de ministre plénipotentiaire - tout en restant député ! Première entorse au principe strict de séparation des pouvoirs. La loi du 15 mars 1849 a créé les parlementaires en mission - avec une limitation à six mois. Sous la V ème République, le législateur organique fixe des règles d'incompatibilité assez strictes entre le mandat parlementaire et les activités non électives, seuls les professeurs d'université et les ministres des cultes d'Alsace-Moselle bénéficiant d'une dérogation.
Or, dès octobre 1958, apparaît la pratique des parlementaires en mission - avec une limite de six mois, comme en 1849. Il s'agit d'une fonction publique non élective ; le parlementaire reste pleinement parlementaire pendant cette mission ; celle-ci ne donne lieu à aucune indemnité. Le contrôle de la nomination par le juge administratif est pour le moins léger, de même que pour la prolongation. Le Conseil constitutionnel a été saisi une fois, en l'occurrence, de la prolongation d'Edgar Faure, parlementaire en mission chargé des célébrations du bicentenaire de 1989. Cette mission ayant duré plus de six mois, un électeur du Doubs a saisi le Conseil constitutionnel - qui a décliné de se prononcer faute pour le bureau de l'assemblée d'origine du parlementaire d'avoir été préalablement saisi.
Le Conseil d'État a une jurisprudence aussi prudente. Dans l'arrêt Mégret de 1998, il estime qu'une mission temporaire est effective si elle s'est achevée par la remise d'un rapport. Or, ce n'est pas toujours le cas...
Certains cas sont plus surprenants : pour Christian Nucci, nommé Haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie pendant six mois, puis, après une interruption, à nouveau nommé pour une seconde mission identique, l'Assemblée nationale a considéré qu'il s'agissait d'une seule et même mission...
Le nombre de parlementaires en mission s'accroît. Certains exercent de facto une mission sans être nommés officiellement - pour préparer une proposition de loi, assurer le suivi d'une loi en vigueur, préparer une transposition de directive. Deuxième cas de figure : un décret est pris et publié au Journal officiel , sans forcément indiquer la lettre de mission...
M. Mézard estime que ces pratiques sont contraires à l'esprit de la Constitution, puisqu'elles conduisent le parlementaire à exercer à la fois une mission parlementaire et une mission administrative, chacune à plein temps. Pour son mandat parlementaire, il peut déléguer son vote à l'Assemblée nationale. Récemment, on a ainsi vu apparaître in extremis quatre délégations de vote de parlementaires en mission - qui ont fait basculer le résultat du vote !
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, un député nommé ministre revient au Parlement quand il quitte le Gouvernement : exit les remaniements ministériels, place au turn over continu, on l'a vu encore ce matin. De même, nous avons des parlementaires en mission continue, qui tournent... La proposition de loi organique de M. Mézard me paraît parfaitement justifiée.
M. Pierre-Yves Collombat . - Bravo.
M. Hugues Portelli , rapporteur . - La première proposition de loi organique supprime le parlementaire en mission. La seconde est une solution a minima , qui prévoit une élection législative ou sénatoriale partielle plutôt que la nomination du suppléant ou du suivant de liste. J'y suis également favorable.
M. Jacques Mézard . - M. Portelli a parfaitement résumé la situation. Nous avons eu très récemment l'illustration de certaines dérives. Il est temps de remettre les pendules à l'heure, ce sera un progrès dans la transparence.
M. Alain Richard . - Notre rapporteur a méconnu une composante de la genèse de la Constitution de 1958 : la grande admiration de Michel Debré pour le système britannique, où des secrétaires parlementaires jouent le rôle d'adjoint du ministre, tout en restant parlementaires. L'Allemagne fait de même.
Exercer à plein temps plusieurs missions, c'est vrai pour beaucoup de parlementaires, dans leur département ou leur ville... Gardons-nous par conséquent d'aller trop loin dans ce raisonnement. L'important est que nommer un parlementaire en mission ne perturbe pas la vie parlementaire.
C'est une exagération théorique que de voir dans cette situation une aberration. Beaucoup de parlementaires sont intéressés par ces missions. Je reconnais toutefois qu'il faudrait supprimer la possibilité de prolonger les missions, et d'installer, par ce biais, le suppléant. Mais supprimer le parlementaire en mission serait un appauvrissement de la vie institutionnelle.
Le second texte, en revanche, ne me pose pas de problème.
M. Alain Vasselle . - Quelles seraient les conséquences de l'adoption de cette proposition de loi organique ? Le rapporteur invoque, comme principal argument, le cumul des missions. Est-ce considérer que le mandat de parlementaire ne peut être cumulé avec quelque activité que ce soit ? C'est apporter de l'eau au moulin des partisans du non-cumul, voire de ceux qui prônent l'interdiction de toute activité professionnelle. Pour ma part, je suis encore agriculteur en activité. Appuyons-nous plutôt sur la distinction entre pouvoir exécutif et législatif, puisque le parlementaire a aussi pour mission de contrôler le Gouvernement et l'application des lois !
M. Pierre-Yves Collombat . - La Constitution de 1958-1962 n'est pas celle d'aujourd'hui, où tous les pouvoirs, y compris législatifs, sont à l'Élysée ! Les parlementaires en mission sont un des outils du pouvoir exécutif, qui ne fait plus appel au référendum - sinon pour s'asseoir dessus. La première proposition de loi organique me convient.
M. René Vandierendonck . - M. Bignon et moi-même allons être désignés parlementaires en mission pour effectuer, dans un délai précis, un travail qui s'ajoutera au travail parlementaire, et qui ne donnera lieu à aucune indemnisation. Cela dit, j'estime, m'exprimant à titre personnel, qu'il est temps de mettre fin à une situation choquante, paradoxale sur les modalités de remplacement des parlementaires en mission. On pourrait citer des exemples de cooptation... Je voterai le deuxième texte et m'abstiens sur le premier.
M. Hugues Portelli , rapporteur . - Au Royaume-Uni, tout membre du Gouvernement doit être parlementaire. Les secrétaires parlementaires sont les assistants du ministre. La situation n'est en rien comparable à la nôtre.
Difficile d'être à la fois du côté du Parlement, qui vote les lois, et du Gouvernement, qui les applique. La situation est schizophrénique ! On sait, quand on est rapporteur, les pressions du Gouvernement, du président du Conseil constitutionnel, pour faire retirer tel ou tel amendement. Entorses scandaleuses au principe de séparation des pouvoirs ! Aujourd'hui, le ministre est un parlementaire en mission : son suppléant lui rend son siège dès qu'il quitte le Gouvernement... Pour mettre un point d'arrêt à cette dérive, il faut voter la proposition de loi organique.
M. Jean-Pierre Sueur . - Je demande une brève suspension de séance.
La réunion, suspendue à 10 heures, reprend à 10 h 05
M. Philippe Bas , président . - Il y a 3 amendements, rédactionnel, de cohérence et de coordination, présentés par le rapporteur. Nous lui faisons confiance.
Article 1 er
Les amendements COM-1 et COM-3 sont adoptés.
Article 2
L'amendement COM-2 de suppression est adopté.
La proposition de loi organique n° 3 est adoptée dans la rédaction issue de ses travaux.
M. Philippe Bas , président . - Compte tenu du vote intervenu sur le premier texte, le second texte perdrait son objet en séance.
M. Jacques Mézard . - Je retirerai le second texte.
M. Jean-Pierre Sueur . - Si le premier texte n'était pas voté en séance publique, il serait utile d'adopter le second.
M. Philippe Bas , président . - M. Mézard devrait le retirer.
M. Jean-Pierre Sueur . - Notre groupe aurait voté le deuxième texte, s'il avait été mis au vote.
M. Philippe Bas , président . - Il vous en est donné acte.
Mme Jacqueline Gourault . - J'aurais voulu reprendre ce deuxième texte, que j'aurais voulu voter.
M. Philippe Bas , président . - Pour la séance publique, vous pouvez toujours rédiger un amendement au premier texte qui vient d'être adopté pour arriver au résultat du second texte.
Le sort des amendements examinés par la commission pour la proposition de loi organique n° 3 est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1 er |
|||
M. PORTELLI, rapporteur |
1 |
Rédactionnel |
Adopté |
M. PORTELLI, rapporteur |
2 |
Coordination |
Adopté |
Article 2 |
|||
M. PORTELLI, rapporteur |
3 |
Coordination |
Adopté |
PERSONNE ENTENDUE
M. Jacques Mézard , sénateur du Cantal, auteur des propositions de loi organique
* 1 Ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires.
* 2 Décret du 18 décembre 1981 par lequel M. Nucci Christian, parlementaire chargé d'une mission temporaire par le Gouvernement, est nommé en cette qualité Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et dépendances.
* 3 Rapport n° 431 (1988-1989) de M. Guy Allouche, au nom de la commission des lois, 28 juin 1989.
* 4 Fabien Raynaud et Pascale Fombeur, Régime des actes parlementaires et notion d'acte de gouvernement - AJDA 1999 - p. 409.
* 5 Décret du 5 septembre 2011 chargeant un sénateur d'une mission temporaire (NOR : PRMX1124381D).
* 6 Conseil constitutionnel, 7 novembre 1989, décision n° 89-262 DC.
* 7 L'article 26 de la Constitution garantit aux parlementaires trois immunités en lien avec son mandat : l'irresponsabilité pénale pour les votes et opinions émis dans le cadre de son mandat, l'inviolabilité sans autorisation du Bureau de son assemblée et la suspension des poursuites pénales sur décision de son assemblée.
* 8 Compte-rendu intégral de la troisième séance du jeudi 14 janvier 2016 (XIV e législature - session ordinaire de 2015-2016).
* 9 Conseil d'État, Megret, 25 septembre 1998, n° 195499.
* 10 Conseil constitutionnel, 7 novembre 1989, n° 89-262 DC.
* 11 Un parlementaire en mission ne peut ainsi exercer les pouvoirs de contrôle d'un rapporteur de mission d'information ou de commission d'enquête.
* 12 Conseil d'État, 21 octobre 1988, n os 68638 et 69439.
* 13 Conseil constitutionnel, 7 novembre 1989, n° 89-262 DC.
* 14 Rapport d'information n° 518 (2010-2011) de MM. Jean-Jacques Hyest, Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean-Pierre Vial, Prévenir effectivement les conflits d'intérêts pour les parlementaires , 12 mai 2011.
* 15 Rapport n° 722 (2012-2013) de M. Jean-Pierre Sueur, au nom de la commission des lois, 3 juillet 2013.
* 16 Analysant la décision du 25 septembre 1998, M. Fabien Raynaud et Mme Pascale Fombeur relevaient que « la section du contentieux s'est contentée de ce que l'un des mobiles qui avaient inspiré l'auteur de l'acte correspondait à la fin en vue de laquelle le pouvoir de nomination lui avait été conféré, sans rechercher si le motif entaché de détournement de pouvoir n'avait pas eu un caractère déterminant, comme le Conseil d'État l'avait fait dans d'autres litiges » (Régime des actes parlementaires et notion d'acte de gouvernement - AJDA 1999, p. 409).
* 17 Il s'agissait de MM. François-Noël Buffet, Charles Guené et Alain Chatillon, sénateurs, et de MM. Marc Laffineur, Olivier Carré et Michel Diefenbacher, députés.
* 18 Si aucun acte de prolongation n'a jamais fait l'objet d'un recours en excès de pouvoir, il paraît logique de considérer que ce décret relève du même régime juridique que le décret de nomination.
* 19 Journal officiel du 16 juin 1982, p. 1909.
* 20 Conseil constitutionnel, 24 novembre 1987, n° 87-6 I.
* 21 Conseil d'État, 25 septembre 1998, n° 195 493.
* 22 Un même parlementaire peut, au cours d'une législature, se voir confier plusieurs missions successivement.