III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Comme lors de l'examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Catherine Troendlé, votre rapporteur s'est à nouveau efforcé, dans son analyse, de parvenir au juste équilibre entre protection des mineurs et respect des exigences constitutionnelles, au nombre desquelles le respect de la présomption d'innocence et la garantie des droits de la défense. Les amendements adoptés, à son initiative, par votre commission constituent ainsi le reflet de cette exigence d'équilibre.
Votre commission a tout d'abord inséré au sein du projet de loi, dans un article 1 er A (nouveau), le dispositif de l'article 1 er de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 20 octobre 2015 afin que la peine complémentaire d'interdiction d'exercice d'une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs pour les personnes condamnées pour infraction sexuelle contre mineur ait un caractère automatique, la juridiction de jugement ne pouvant y déroger que par une décision spécialement motivée prise au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur.
S'agissant de l' article 1 er , votre commission a décidé d' accepter le principe , qu'elle n'avait pas retenu lors du vote de la proposition de loi n° 437, d'un régime général de communication portant non seulement sur les condamnations pénales mais aussi sur des procédures en cours (décisions de renvoi devant une juridiction de jugement et de mise en examen), dès lors que la mise en oeuvre d'un tel régime serait laissée à la libre appréciation du ministère public et qu'elle serait assortie de véritables garanties pour la personne mise en cause. Cet infléchissement de sa position trouve également sa justification dans les analyses développées par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi qui a estimé possibles de telles transmissions avant condamnation dès lors qu'elles sont justifiées « par des impératifs protégeant d'autres droits ou intérêts de même valeur avec lesquels les droits ou intérêts légitimes de la personne concernée doivent se concilier ». Un tel dispositif apparaît, aux yeux du Conseil d'État, conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles dès lors que cette condition serait respectée et que la communication de ces informations par le ministère public est encadrée par diverses garanties.
Dans le prolongement de ce raisonnement, votre commission a par conséquent adopté plusieurs amendements modifiant les conditions d'application du régime général d'information de l'article 11-2 qui ont pour objet de :
- permettre à la personne mise en cause de présenter ses observations ;
- créer une voie de recours afin d'assurer la transmission effective par le ministère public de l'information concernant l'issue de la procédure ;
- renforcer la protection du caractère confidentiel de cette information.
Concernant le régime de transmission renforcé de l'article 706-47-4, votre commission, outre des amendements d'amélioration rédactionnelle et de simplification, a décidé de :
- supprimer la faculté pour le ministère public de transmettre l'information dès le stade de la garde à vue ou de l'audition libre, dispositif dont elle a jugé qu'il portait, au surplus hors de tout cadre procédural respectueux des droits de la défense, une atteinte excessive à la présomption d'innocence ;
- d'exclure certaines infractions de ce régime de transmission obligatoire (exhibition sexuelle, violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail), qui demeureraient néanmoins dans le champ du régime de transmission de l'article 11-2 laissé à la libre appréciation des parquets.
Si votre commission a accepté le principe d'un régime général de transmission d'informations sous certaines garanties, il demeure que l'efficacité de ce futur dispositif se heurte nécessairement à l'état de fonctionnement des parquets et au contexte de charges d'activité qui est le leur. Le rapport de M. Jean-Louis Nadal de novembre 2013 21 ( * ) rappelle la lourde charge de travail des magistrats des parquets et des greffes, « qui ne peuvent plus répondre à l'ensemble de leurs missions », ces missions n'ayant par ailleurs cessé d'augmenté en matière civile comme en matière pénale.
À cette inadaptation des effectifs à l'importance et à la multiplicité des missions du ministère public, s'ajoute l'inadaptation de leurs moyens informatiques, soulevée à de nombreuses reprises par votre commission. À ce jour, l'application de suivi de la chaîne pénale Cassiopée ne permet toujours pas une consultation fiable et les parquets ne disposent pas d'outils informatiques d'alerte leur permettant de remplir une telle mission qui exige un suivi tout au long d'une procédure. Comme le souligne la conférence nationale des procureurs de la République 22 ( * ) sollicitée par votre rapporteur, « les juridictions ne disposent à ce jour d'aucun outil informatisé d'alerte permettant de remplir les nouvelles missions imposées par le texte, notamment en cours de procédure ou bien lorsqu'on se trouve au stade de l'exécution des décisions correctionnelles. Et ce, moins encore s'il s'agit de mettre en oeuvre les nouvelles dispositions législatives alors que des milliers de procédures concernées sont actuellement en cours. Il convient de rappeler que les parquets du premier degré connaissent une crise de moyens particulièrement aiguë : absence de concours de greffe et outils informatiques largement déficients ».
Il est d'ailleurs frappant de constater l'incapacité du Gouvernement à évaluer dans l'étude d'impact de ce projet de loi les conséquences du dispositif du cadre général ou celles du régime renforcé, à l'exception des condamnations. Pourtant, les dispositifs proposés concernent principalement des informations présentencielles et non la seule transmission des condamnations pour infractions sexuelles ou violentes, qui s'élèvent toutefois à au moins 14 000 condamnations par an . Au-delà de la mise en oeuvre de ces dispositions pour les affaires nouvelles, se pose la question de la récupération des données pour les affaires déjà en cours.
Votre commission a ensuite complété l'article 1 er pour :
- prévoir que la nouvelle mesure de contrôle judiciaire (interdiction d'exercice d'une activité au contact habituel de mineur) fasse l'objet d'une inscription au fichier des personnes recherchées ;
- clarifier la rédaction de l'article 706-47 qui définit la liste des infractions à caractère sexuel ou infractions violentes faisant l'objet d'un régime procédural particulier (notamment inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, délais de prescription allongés, impossibilité de déroger à l'inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, etc.) ;
- reprendre une disposition votée par le Sénat dans la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé prévoyant que le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention est tenu d'ordonner, sauf décision contraire spécialement motivée, le placement sous contrôle judiciaire assorti de la nouvelle interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs pour toute personne mise en examen pour une ou plusieurs infractions entrant dans le cadre du régime de transmission d'informations de l'article 706-47-4, sauf si cette personne est, bien évidemment, placée en détention provisoire.
À l' article 3 , votre commission a inséré une disposition, votée par le Sénat dans la proposition de loi n° 437, tendant à clarifier les conditions dans lesquelles est renouvelé l'agrément des assistants familiaux.
Enfin, votre commission a adopté les articles 2, 4 et 5 sans modification.
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Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.
* 21 « Refonder le ministère public », rapport de M. Jean-Louis Nadal, remis au garde des sceaux, ministre de la justice, en novembre 2013.
* 22 Contribution écrite de la conférence nationale des procureurs de la République.