B. LA PLACE DES ASSURANCES COMPLÉMENTAIRES EN MATIÈRE DE SANTÉ

1. Existe-t-il une répartition optimale entre régimes financés par les cotisations sociales et assurances privées ?

Dans le domaine des relations entre régimes d'assurance publics et privés, il existe en Europe une grande variété de situations, dont l'un des pôles est le Royaume-Uni. La part des dépenses courantes de santé dans le PIB est de 10,9 % en France contre seulement 8,5 % au Royaume-Uni. Cette différence de 22 % est généralement attribuée pour une part essentielle à la différence des modes de financement. En effet, là où la France (comme les Pays-Bas ou l'Allemagne) prévoit des financements complémentaires pour les soins entre régimes obligatoires et assurances privées, le Royaume-Uni prévoit un financement alternatif. Le patient a le choix d'être pris en charge par le National Health Service pour ses soins de ville ou hospitaliers et de bénéficier d'une prise en charge complète mais sans possibilité de choix, ou de se tourner vers l'offre de soins privée. Il ne bénéficiera alors d'aucun remboursement public. Ce fort niveau de contrainte qui exclut quasiment les acteurs privés a été écarté par les créateurs de la sécurité sociale en 1945. Il est néanmoins intéressant de noter que la part des dépenses publiques de santé dans le PIB français est quasiment égale au montant total des dépenses de santé dans le PIB britannique. Ceci signifie que le système français ne se contente pas de dépenser une part supplémentaire de PIB au travers des assurances complémentaires, mais que le niveau de dépense publique y est aussi plus élevé, et ce alors même que les indicateurs de santé entre les deux pays sont très similaires.

La remise en cause de la place des assurances complémentaires au sein du système français est un des points sur lesquels le Pr Didier Tabuteau fonde depuis plusieurs années ses propositions de réforme de l'assurance maladie. Ses propos, recueillis par le journal La Croix du 6 octobre 2015 constituent un résumé de sa position : « L'assurance maladie va devoir affronter certains défis, notamment face au vieillissement de la population et au développement d'une médecine de plus en plus personnalisée et coûteuse. Les financements n'étant pas indéfiniment extensibles, il faudra faire un choix entre ce qui devra continuer à relever de la solidarité via la « Sécu » et ce qui devra relever de choix individuels, via les complémentaires-santé (mutuelles, assureurs privés, institutions de prévoyance...).

Aujourd'hui, les personnes en affection de longue durée (ALD) sont prises en charge à 100 % par l'assurance maladie. Cela devrait être la même chose pour tous les soins primaires ou courants, comme les consultations chez les généralistes ou les soins infirmiers.

Les complémentaires ne devraient plus financer ces soins indispensables à la protection de la santé de chaque citoyen. Elles devraient plutôt se concentrer sur des prestations qui ne sont pas complètement indispensables, comme par exemple certaines cures thermales.

Il est crucial de freiner le mouvement actuel qui voit les complémentaires prendre de plus en plus de place dans notre système de santé car elles sont plus chères et moins égalitaires que la « Sécu ». Il faudrait aussi que chaque personne puisse, si elle le souhaite, choisir l'assurance maladie comme complémentaire.

Dans ce cas, elle verserait à la « Sécu » une cotisation comme pour une mutuelle. A l'arrivée, les soins seraient pris en charge par un seul et unique financeur, ce qui permettrait aussi de faire des économies substantielles?: les frais de gestion complémentaires dépassent souvent 15 % des prestations versées aux patients contre 5 % pour la Sécu.

Au total, les frais de gestion des complémentaires s'élèvent à 6 milliards d'euros chaque année, soit le déficit de l'assurance maladie. »

2. Des critiques fortes adressées aux délégations de gestion

Même si certains le regrettent, l'époque ou la Cnam-ts n'était pas réellement le régime général mais « le régime spécial des travailleurs salariés » est révolue. Ce régime couvre 56 millions de personnes en 2015 soit 85 % de la population et sert de plus en plus de référence pour la gestion des autres régimes.

La délégation de gestion de l'assurance maladie aux mutuelles a été fortement contestée ces dernières années. Les travaux du groupe de travail sénatorial dédié à la sécurité sociale des étudiants en 2012 et conduit par Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon a permis de documenter les nombreux dysfonctionnement du régime étudiant, depuis confirmés par les études menées par l'UFC-Que choisir et la Cour des comptes. Ces travaux ont abouti à l'adoption par le Sénat d'une proposition de loi le 18 novembre 2014 afin de prévoir le maintien de l'affiliation des étudiants au régime de sécurité sociale des assurés sociaux dont ils étaient les ayants droits.

Ainsi que le relevait Catherine Procaccia, rapporteur de ce texte, la qualité du service rendu par les mutuelles étudiantes n'est pas à la hauteur des enjeux.

Les mutuelles étudiantes mettent fréquemment en avant le fait que le niveau des remises de gestion est très inférieur au coût moyen de gestion par assuré dans le régime général, qui est proche de 73 euros. Elles en concluent qu'elles doivent assurer les mêmes missions que le régime général mais avec moins de moyens et par conséquent en étant davantage productives. C'est oublier le fait que le coût moyen de gestion pour le régime général comprend un ensemble d'autres prestations (indemnités journalières notamment) qui ne sont pas à la charge des mutuelles étudiantes. Une fois ces différentes charges retranchées, le coût moyen de gestion dans le régime général est bien inférieur au niveau des remises de gestion allouées aux mutuelles étudiantes. Le directeur général de la Cnam, Nicolas Revel, a d'ailleurs déclaré lors d'une audition à l'Assemblée nationale que la reprise par la Cnam de la gestion des étudiants de la LMDE constituerait une économie de 10 à 14 millions d'euros.

Il convient d'insister sur le fait que les mutuelles étudiantes ne sont en aucun cas seules responsables des défaillances qui caractérisent le fonctionnement du régime. Celui-ci est atypique par nature et les mutuelles sont contraintes d'appliquer une réglementation tatillonne, parfois inadaptée. Or, quel que soit le professionnalisme dont elles savent faire preuve, elles n'ont aujourd'hui, ni la taille critique, ni les moyens informatiques suffisants pour remplir leurs missions en assurant un degré de qualité équivalent à celui du régime général.

En outre, la complexité du système remet aujourd'hui en cause les fondements mêmes de la loi de 1948 : la mission d'accompagnement des jeunes vers l'autonomie et l'apprentissage de la citoyenneté sociale, qui avait été confiée aux mutuelles étudiantes, n'est aujourd'hui plus exercée de façon satisfaisante.

S'agissant de la délégation aux mutuelles de fonctionnaires, la Cour des comptes, dans son rapport sur la loi de finance pour 2013, dressait un constat particulièrement sévère et formulait des préconisations qui rejoignent celles faites par le Sénat pour le seul régime étudiant. « La qualité de service des mutuelles demeure inégale et globalement à un niveau insuffisant, ce qui conduit la Cour à devoir chaque année, malgré certains progrès en matière de contrôle interne, reconduire une réserve de ce fait dans les opinions qu'elle exprime, dans le cadre de sa mission de certification des comptes du régime général, sur ceux de la CnamTS et de la branche maladie.

Leur rémunération, si elle a baissé, reste à un niveau élevé en fort décalage avec les coûts de gestion observés dans les caisses primaires d'assurance maladie, qui ont connu des gains de productivité qui se sont accélérés au cours des dernières années du fait des progrès rapides de la dématérialisation et de l'automatisation des procédures.

Dans un contexte où la diminution prévisible des effectifs des fonctionnaires et leur tendance à de moins en moins souscrire une couverture complémentaire auprès de la mutuelle qui assure la gestion de leurs prestations de base vont peser sur l'équilibre financier de ces dernières, ce modèle apparaît à bout de souffle du fait de l'ampleur de l'effort de productivité à soutenir dans la durée pour rejoindre puis rester en phase avec l'évolution constante à la baisse des coûts de la branche maladie.

Faute des évolutions dont elle avait alors souligné l'impérieuse nécessité, ce mode de gestion déléguée doit être reconsidéré comme la Cour l'avait recommandé en 2006 au bénéfice d'une reprise en gestion directe par le réseau de l'assurance maladie obligatoire de la population concernée.

A tout le moins, il convient d'ouvrir la liberté de choix aux fonctionnaires d'Etat, comme c'est le cas pour les fonctionnaires territoriaux et les ressortissants de la fonction publique hospitalière, entre se rattacher à la caisse primaire d'assurance maladie de leur domicile et demeurer gérés par la mutuelle dont dépend leur administration. Il faudrait aussi laisser la possibilité à celles des mutuelles de fonctionnaires d'Etat qui le souhaiteraient de se désengager de cette gestion déléguée, comme c'est le cas pour celles des territoriaux et des hospitaliers. »

3. Une centralisation qui ne dit pas son nom ?

L'adossement du régime agricole puis, par la loi de financement pour 2015, du régime social des indépendants au régime général, crée de fait une prépondérance de la Cnam en matière de gestion de l'assurance maladie. On comprend que dans ce contexte, la tentation du Gouvernement soit grande d'utiliser la caisse comme levier pour conduire les réformes qu'il entend opérer dans le système de santé. La Cnam se voit ainsi confier le dossier médical partagé et le tiers-payant généralisé par le projet de loi relatif à la santé. Cette dernière mesure était déjà rendue possible dans le cadre du dispositif prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 pour étendre le tiers-payant aux bénéficiaires de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé.

Un adossement progressif,
la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines

Le régime minier assure aujourd'hui les risques maladie-maternité, vieillesse-invalidité, accidents du travail-maladies professionnelles des mineurs. Il a développé une politique d'action sanitaire et médico-sociale envers ses affiliés.

Depuis 2005, l'assurance vieillesse et invalidité pour les anciens mineurs et leurs ayant droits est gérée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui assure également le recouvrement des cotisations. La retraite est calculée selon le nombre d'années de travail à la mine sans tenir compte du niveau hiérarchique du salarié.

Les autres risques sont gérés par la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM). S'agissant de la maladie, le régime se caractérise pour ses affiliés par la gratuité des soins et notamment de la consultation chez le médecin minier, lui-même salarié du régime.

L'offre de santé du régime minier a été fédérée en 2009 sous la marque « FILIERIS, la santé en action ». A compter de cette date, l'offre de soins du régime minier est ouverte à tous, exception faite des pharmacies, quel que soit le régime de sécurité sociale d'origine. Sans dépassement d'honoraires, les structures de santé Filieris pratiquent le tiers-payant.

La réforme du 30 août 2011 a fusionné l'ensemble des caisses régionales minières (Carmi, elles-mêmes issues de regroupements successifs des sociétés de secours minières et des unions régionales) et la CANSSM en une seule entité juridique et prévoit le transfert de l'action sanitaire et sociale à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM), qui a été réalisé au 1 er janvier 2012.

Suite au changement de majorité le Gouvernement a confié à l'automne 2012 une mission de concertation à M. Jean Bessière, à la suite de laquelle le Premier ministre a annoncé l'abrogation de l'article 80 du décret du 30 août 2011 qui prévoyait le transfert au régime général, le 31 décembre 2013 au plus tard, de la gestion des activités assurantielles et d'offre de soins du régime minier. Cette abrogation est effective depuis le décret du 28 mars 2013.

La GOG prévoit le transfert de la gestion des assurances sociales maladies et AT-MP à la Cnam à compter de 2015, ce qui revient en pratique à ce qui était prévu par la réforme de 2011.

Le rôle de régulateur du système de santé revendiqué par la mutualité, par certains assureurs privés mais aussi par les médecins généralistes a été confié de fait à la Cnam qui, outre sa compétence en matière de gestion du risque, consacrée par le projet de loi relatif à la santé après avoir été contesté par la loi HPST, devient officiellement le relai du Gouvernement dans les négociations conventionnelles. Le mécanisme du tiers-payant généralisé place la Cnam en position centrale entre les complémentaires et le professionnel de santé et accentue la pression pour que la sécurité sociale et les praticiens de santé deviennent des co-contractant. La sécurité sociale n'est plus le simple organisme de solvabilisation de la demande de soin qu'elle était en 1945.

Cette mutation accélérée au cours des deux dernières années exerce une pression particulièrement forte sur les régimes d'assurance obligatoire et sur les administrations centrales dont les compétences et les ressources sont particulièrement sollicitées pour mettre en place rapidement des réformes d'ampleur. Ceci d'autant plus que les conventions d'objectifs et de gestion des caisses prévoient une réduction du nombre de postes.

Alors même qu'il a, à juste titre, critiqué l'impréparation de réformes comme celles de l'interlocuteur social unique, il convient que le Gouvernement s'assure que les compétences et les moyens de la Cnam sont à la hauteur des objectifs qu'il lui assigne.

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