EXAMEN EN COMMISSION
_______
M. François Zocchetto , rapporteur . - La commission mixte paritaire réunie il y a un peu plus de trois mois sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne s'est traduite par un échec. Nous nous étions opposés à la méthode retenue par les députés qui avaient profité de la transposition pour inscrire de nombreux articles additionnels relatifs à la procédure pénale. Nous avions aussi émis des réserves de fond sur plusieurs dispositions, puis adopté en nouvelle lecture une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Le 13 août dernier, le Conseil constitutionnel a censuré 27 articles de cette loi, quasiment tous ajoutés par l'Assemblée nationale. Je me réjouis de cette décision, qui montre que le Sénat ne peut pas être privé de son droit de discussion.
Sur le fond, je vous avais cependant indiqué que j'étais favorable à ce que nous examinions rapidement, sous la forme de textes spécifiques, certaines évolutions de notre législation en matière pénale. C'est le cas de la proposition de loi déposée par M. Jean-Pierre Sueur sur le financement illicite des partis politiques, pour laquelle notre commission a nommé un rapporteur. C'est également le cas de la proposition de Mme Catherine Troendlé que nous examinons aujourd'hui. Je salue son initiative ainsi que la qualité de son travail sur ce texte déposé à la suite des affaires médiatisées de pédophilie survenues au printemps dernier, à Villefontaine et Orgères. Dans ces deux dossiers, il est apparu que deux personnes soupçonnées d'actes pédophiles graves avaient continué à exercer leurs activités professionnelles auprès de mineurs alors même qu'elles avaient été condamnées pour détention d'images pédopornographiques plusieurs années auparavant.
À la suite de ces affaires, les ministères de la justice et de l'éducation nationale ont mené une inspection conjointe. Le rapport définitif des inspections générales n'a été rendu public qu'à l'issue du vote de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (DADUE). Le Gouvernement - et au premier chef le ministère de l'Éducation nationale - a confondu vitesse et précipitation.
Dans ces affaires délicates, le législateur doit suivre une ligne de crête particulièrement étroite. D'un côté, nous devons assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs contre les auteurs d'agressions sexuelles ; de l'autre, nous sommes tenus au respect absolu de notre ordre constitutionnel, en particulier de la présomption d'innocence, qui suppose le respect du secret de l'instruction et de l'enquête. Aussi, l'approche défendue par Catherine Troendlé est-elle plus intéressante que celle qui nous avait été proposée en ce qu'elle est centrée sur les personnes condamnées.
Il existe dans notre droit pénal des peines principales et des peines complémentaires, dont l'interdiction, temporaire ou définitive, d'exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec les mineurs. Les statistiques montrent que ces peines sont insuffisamment prononcées : en 2013, à 86 reprises sur les 2 978 condamnations pour agressions sexuelles contre mineurs et 74 fois pour les 1 600 condamnations pour mise en péril de mineurs.
Je vous invite à suivre la proposition de Mme Troendlé, moyennant quelques ajustements juridiques et rédactionnels. Nous veillerons évidemment au respect de la Constitution. Les articles 1 er et 2 prévoient en effet de rendre systématique l'interdiction d'exercer auprès de mineurs à titre définitif. Cette rédaction entrerait en contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'individualisation des peines. Je vous propose de laisser au juge la latitude de décider du caractère temporaire ou définitif de l'interdiction.
Je vous suggère de tirer profit des débats que nous avons eus cet été sur l'information des employeurs en cas de condamnation ou de procédure pénale en cours pour pédophilie, objet de l'article 3 de la proposition de loi. Nous reprendrons l'essentiel de l'article 30 de la loi DADUE en rétablissant un équilibre entre protection des mineurs et présomption d'innocence. Je vous proposerai de n'intégrer dans le champ d'obligation d'information que les activités placées sous le contrôle direct ou indirect de l'autorité administrative.
J'estime également souhaitable de nous limiter à une obligation d'information de l'administration de tutelle portant sur les condamnations pour sexuelle contre mineur. Les affaires encore au stade de l'enquête restent soumises au secret. Il n'est pas possible de déroger à ce principe, au risque de porter atteinte à la présomption d'innocence.
J'ai été surpris du dépôt d'amendements de suppression systématique de tous les articles. Autant je connais l'aversion de certains aux peines-plancher, autant d'autres demandent la suppression d'articles votés par l'Assemblée nationale à la demande pressante du Gouvernement.
Mme Catherine Troendlé . - Ma proposition de loi, que de nombreux collègues ont cosignée, a été suscitée par l'absence de réaction de la chancellerie comme de l'Éducation nationale aux événements extrêmement graves du mois de mars. J'ai pris l'attache de la Garde des Sceaux pour souligner l'urgence de solutions pour les enfants pris en charge. La ministre de l'Éducation nationale a voulu, dans la précipitation, inscrire des amendements dans la loi DADUE. Leur rédaction n'était pas aboutie. Le rapporteur a cherché à la rendre perfectible, mais cela restait un cavalier législatif, comme l'a confirmé le Conseil constitutionnel. Il était important qu'un débat ait lieu sur la base de ma proposition de loi. J'ai compris, lors de l'audition avec le rapporteur, que des éléments juridiques étaient perfectibles. Je le remercie d'avoir amélioré ma proposition de loi.
M. Jacques Bigot . - Je sais gré à M. le rapporteur de reconnaître la difficulté de ce sujet. Quelle que soit l'émotion, trouver une réponse à la situation de l'Isère et de l'Ille-et-Vilaine n'est pas simple pour le législateur, puisqu'elle n'est sans doute pas du ressort de la loi. On constate dans les deux cas la difficulté de transmission de l'information entre la justice et l'Éducation nationale - ce pourrait aussi être le cas pour les services sociaux du département ou un établissement accueillant des mineurs. Le professionnel ou le bénévole condamné pour des actes de déviance sexuelle doit être éloigné des mineurs. La proposition de loi de Mme Troendlé ne le permet pas.
Faut-il que le juge prononce une interdiction ? Le problème est la transmission des informations. Les ministres ont décidé de désigner des référents. Toute décision de justice est publique. Rien n'interdisait au procureur de transmettre l'information, ni à l'administration de prendre des mesures disciplinaires. Tout était dans la loi.
Mes collègues et moi souhaitons soutenir le respect de l'individualisation des peines. Dire que l'interdiction est de plein droit sauf décision spécialement motivée ne change rien. Si une sensibilisation de parquets est sans doute nécessaire, elle n'a pas besoin d'être affirmée dans la loi.
Nous serons prochainement saisis par le Gouvernement d'un texte sur la question de la communication. L'intention est qu'elle se fasse dès la garde à vue. Il est paradoxal que tout le monde l'apprenne par voie de presse, sans que l'administration soit informée. Nous sommes tous attachés au respect du secret de l'instruction. Une solution consisterait à ne plus privilégier la citation directe, alors que le juge d'instruction peut prononcer un contrôle judiciaire. Soyons modestes. Malheureusement, la loi sera en difficulté pour régler les choses : malgré sa rédaction, la proposition de loi reste insuffisante.
M. François Grosdidier . - Si la loi est peut-être insuffisante, elle est nécessaire, car on ne saurait se satisfaire de la situation actuelle. La faculté d'informer doit devenir une obligation : elle existe théoriquement en cas de condamnation, mais n'est pas toujours respectée - comment sanctionner les procureurs qui ne respectent pas cette obligation ?
Ce n'est pas parce que le secret de l'instruction est constamment violé qu'il est permis de prévenir d'un danger potentiel. La loi doit le prévoir, sinon les avocats de délinquants potentiels pourraient se plaindre que ceux-ci aient été dénoncés à tort.
M. François Zocchetto , rapporteur . - Je remercie Mme Troendlé d'avoir accepté l'idée que sa proposition de loi était amendable. Monsieur Bigot, notre proposition de loi recouvrira totalement le projet de loi envisagé par le Gouvernement. Puisqu'il y a urgence à légiférer, je propose d'utiliser le véhicule législatif le plus avancé, c'est-à-dire celui-ci, qui peut être transmis à l'Assemblée nationale dès notre vote, dans une semaine. Je comprendrais mal que le Gouvernement ne souscrive pas à notre démarche, d'autant que les fondements juridiques de la circulaire conjointe de la ministre de l'éducation nationale et de la Garde des Sceaux du 16 septembre dernier sont très incertains.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement COM-5 reprend les articles 1 er et 2 de la proposition de Mme Troendlé en maintenant la capacité d'appréciation du juge quant à la durée de l'interdiction d'exercice, pour les rendre conformes aux principes constitutionnels.
M. Jacques Bigot . - Sauf en matière de conduite, je connais peu de cas où la peine complémentaire s'impose. Certains pourraient souhaiter une semblable automaticité dans beaucoup de domaines.
M. François Zocchetto , rapporteur . - En effet, il n'y a pas beaucoup de domaines où la peine complémentaire est systématique, mais le juge peut toujours l'écarter.
M. Jean-Pierre Sueur . - Nous avons une position de principe contre les peines automatiques. Le Gouvernement a élaboré une première version qui était un cavalier législatif posant de très lourds problèmes. Nous l'avons souligné en commission mixte paritaire, où tous les sénateurs ont voté contre. La rédaction de Dominique Raimbourg en nouvelle lecture a été amendée, sur la garde à vue, par la ministre de l'éducation nationale. Nous en reparlerons le cas échéant, car la deuxième version présentait moins de problèmes.
M. Philippe Bas , président . - La voie est étroite. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le caractère de cavalier législatif mais pas sur le fond du texte. Passons au vote.
L'amendement COM-5 est adopté.
En conséquence, l'amendement COM-1 devient sans objet.
M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement de coordination COM-6 supprime l'article 2 qui a été intégré dans l'article 1 er .
Les amendements identiques COM-6 et COM-2 sont adoptés.
M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement COM-7 rectifié réécrit l'article 3 sur la transmission des informations afin d'ajuster les dispositions sur le contrôle judiciaire, d'inscrire les personnes condamnées pour la consultation de sites pédopornographiques au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) et de prévoir la communication en cas de condamnation, mais aussi en cas de décision de contrôle judiciaire assortie de l'interdiction d'exercer une activité auprès de mineurs.
L'amendement COM-7 rectifié est adopté.
M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement COM-8 reprend l'article 33 de la loi DADUE, dont l'objet était d'améliorer le régime d'interdiction d'exploiter ou de diriger l'un des établissements, services ou lieux de vie et d'accueil régis par le code de l'action sociale et des familles (CASF).
L'amendement COM-8 est adopté ; en conséquence l'amendement COM-3 devient sans objet.
M. François Zocchetto , rapporteur . - La position de la commission est d'encourager à l'application des peines inscrites dans le code pénal avant de les aggraver. Il n'y a rien de pire que des victimes qui voient les coupables condamnés à 1 000 euros d'amende quand elles s'attendaient à ce qu'ils soient condamnés à 30 000 euros, d'où l'amendement de suppression COM-9.
Mme Catherine Troendlé . - J'appelle aux sanctions les plus élevées.
M. Jacques Bigot . - Je suis d'accord avec le rapporteur. Madame Troendlé, il faut faire très attention. L'application d'une peine est très complexe. Il faut d'abord imposer à la personne qui s'est rendue sur des sites pédopornographiques de travailler à se défaire de sa perversité.
Mme Catherine Troendlé . - Ce ne sont pas des peines d'emprisonnement sèches qui réussiront à régler ces cas. Les prédateurs ne sont pas des délinquants comme les autres : ils ont besoin de traitements.
Les amendements COM-9 et COM-4 sont adoptés.
Articles additionnels après l'article 5
M. François Zocchetto , rapporteur . - Reprenant l'article 31 de la loi DADUE, l'amendement COM-10 élargit le dispositif de sanctions pénales prévu à l'article L. 212-10 du code du sport aux personnes exerçant une activité physique ou sportive auprès de mineurs à titre bénévole.
L'amendement COM-10 est adopté.
M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement COM-11 reprend l'article 32 de la loi DADUE qui portait sur le régime disciplinaire des chefs d'établissement du premier degré. Ne soyez pas étonnés de ces reprises : la loi DADUE avait été accompagnée d'une concertation. Nous étions d'accord sur certains articles, mais pas sur le véhicule législatif.
L'amendement COM-11 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement COM-12 donne un intitulé plus clair à la proposition de loi devenant « proposition de loi relative à la protection des mineurs contre les auteurs d'agressions sexuelles ».
L'amendement COM-12 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur . - Je demande une suspension de séance de 5 minutes.
La réunion est suspendue de 11 h 20 à 11 h 30.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1
er
|
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
5 |
Permettre à la juridiction de prononcer une interdiction temporaire d'exercice |
Adopté |
M. BIGOT |
1 |
Suppression de l'article |
Tombé |
Article 2
|
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
6 |
Suppression de l'article |
Adopté |
M. BIGOT |
2 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article 3
|
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
7 |
Compléter les mesures de contrôle judiciaire,
obliger le parquet à transmettre à l'autorité
administrative les informations relatives aux condamnations des agents publics,
rendre obligatoire, sauf décision contraire motivée,
|
Adopté |
Article 4
|
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
8 |
Insertion de l'article 33 de la loi du 17 août 2015 (DADUE), déclaré contraire à la Constitution en raison de son absence de lien avec ce texte |
Adopté |
M. BIGOT |
3 |
Suppression de l'article |
Tombé |
Article 5
|
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
9 |
Suppression de l'article |
Adopté |
M. BIGOT |
4 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article additionnel après l'article 5 |
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
10 |
Insertion de l'article 31 de la loi du 17 août 2015 (DADUE), déclaré contraire à la Constitution en raison de son absence de lien avec ce texte |
Adopté |
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
11 |
Insertion de l'article 32 de la loi du 17 août 2015 (DADUE), déclaré contraire à la Constitution en raison de son absence de lien avec ce texte |
Adopté |
Intitulé de la proposition de loi
|
|||
M. ZOCCHETTO, rapporteur |
12 |
Modifier l'intitulé de la proposition de loi |
Adopté |