Rapport n° 509 (2014-2015) de M. Hugues PORTELLI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 juin 2015
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. LE PÉRIMÈTRE D'APPLICATION DES
ÉTUDES D'IMPACT
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II. LE CONTENU DES ÉTUDES D'IMPACT
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III. LE CONTRÔLE DES ÉTUDES
D'IMPACT
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IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION :
APPROUVER LA SIMPLIFICATION DU CONTENU DES ÉTUDES D'IMPACT ET
AMÉLIORER L'INFORMATION ET LE CONTRÔLE DU PARLEMENT LORS DU
PROCESSUS LEGISLATIF
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I. LE PÉRIMÈTRE D'APPLICATION DES
ÉTUDES D'IMPACT
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 509
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juin 2015 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi organique de M. Jacques MÉZARD et plusieurs de ses collègues visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l' application des articles 34-1 , 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1 er juillet 2014,
Par M. Hugues PORTELLI,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, Alain Richard, Jean-Patrick Courtois, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa, M. François Pillet , vice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, MM. François Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
776 (2013-2014) et 510 (2014-2015) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie le mercredi 10 juin 2015, sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné le rapport de M. Hugues Portelli, rapporteur , et établi son texte sur la proposition de loi organique n° 776 (2013-2014), présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l' article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1 er juillet 2014 . Tirant les conséquences de la jurisprudence en matière de contrôle des études d'impact accompagnant les projets de loi, la proposition de loi organique simplifie leur contenu pour ne retenir que les catégories d'informations les plus objectives. La commission des lois a approuvé cette mesure sous réserve qu'elle soit assortie d'une information plus effective du Parlement. Outre un amendement de coordination sur l'intitulé du texte, la commission des lois a ainsi adopté quatre amendements de son rapporteur visant à modifier la loi organique du 15 avril 2009. La commission des lois a souhaité faciliter le contrôle des obligations relatives aux conditions de présentation des projets de loi par la conférence des présidents, en accordant à cette dernière un délai de trente jours - et non de dix jours comme aujourd'hui - à compter du dépôt du texte pour constater leur absence de conformité aux prescriptions organiques. En outre, elle a étendu l'obligation d'étude d'impact aux amendements du Gouvernement qui apporteraient, au texte initial qu'il a déposé, une modification substantielle ou ajouteraient une disposition substantielle à ce texte. La commission saisie au fond du projet de loi s'assurerait du respect de cette obligation en invitant le Gouvernement à s'y conformer puis, le cas échéant, en opposant aux amendements concernés une irrecevabilité. Enfin, la commission des lois a imposé, concomitamment au dépôt de chaque projet de loi, celui de deux documents qui y seraient joints : - l'avis du Conseil d'État rendu sur le texte lorsque le Gouvernement déciderait de le rendre public, ce qui consacre le nouvel usage souhaité en janvier 2015 par le chef de l'État ; - un document motivant l'engagement de la procédure accélérée, sans remettre en cause cette prérogative gouvernementale. La commission des lois a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'introduction des « études d'impact » à l'occasion de la grande révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 s'inscrit dans le débat - déjà ancien puisque ses premières manifestations remontent à l'entre-deux-guerres - sur la perte de qualité de la loi et l'inflation législative et dont les rapports publics du Conseil d'État de 1991 et 1996, dénonçant la « logorrhée législative », ont été les ultimes manifestations. Le développement, dans les années 1970, des travaux sur les politiques publiques a conduit à mettre l'accent sur l'évaluation de celles-ci, qu'il s'agisse de l'évaluation a priori (prospective, en prolongement de la culture de la planification à la française) ou de l'évaluation a posteriori (étude des effets qualitatifs et quantitatifs d'une politique publique).
Ce que l'on appelle, dans le vocabulaire politico-constitutionnel actuel une « étude d'impact » relève de cette double dimension de l'évaluation puisque l'étude d'impact a pour ambition à la fois de relever les effets d'une législation en vigueur que l'on envisage de modifier et de prévoir les effets souhaités et vraisemblables des modifications que l'on propose d'opérer sur cette législation.
La révision constitutionnelle de 2008 qui a introduit cette nouvelle procédure dans la présentation des projets de loi a été précédée par une série de propositions et de mises en oeuvre partielles.
Dès mai 1994, le rapport Picq préconisait d'imposer que tout projet de loi fasse l'objet d'une évaluation préalable. En réponse, deux circulaires du Premier Ministre, le 21 novembre 1995 puis le 26 janvier 1998, prévoyaient qu'une étude devait accompagner les projets de loi, d'ordonnance et de décret en Conseil d'État. En pratique, les premières études d'impact furent rédigées de façon très formelle.
Deux autres circulaires, du 26 août 2003 et du 30 septembre 2003, prenant acte de l'échec relatif de la pratique de ces études d'impact, mettaient fin à leur caractère systématique et les réservaient à certains projets de lois choisis.
Le Conseil d'État, constatant que les circulaires successives étaient restées sans effet faute d'une procédure contraignante, préconisait dans son rapport public de 2006 qu'une loi organique subordonne le dépôt d'un projet de loi à une évaluation préalable de l'impact de la réforme proposée.
Comme le relevait M. Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration du Conseil d'État, lors de son audition par votre rapporteur, l'étude d'impact permet ainsi d'informer le Gouvernement puis le Parlement lors du processus législatif. Elle permet également de s'assurer de l'application de la législation actuelle avant d'envisager de la modifier. En outre, elle éclaire éventuellement le juge dans l'interprétation de la loi, cette étude d'impact formant une partie des travaux préparatoires. Enfin, elle facilite l'évaluation ex post en formant un document de référence pour juger des objectifs de la réforme et de ses effets.
Entretemps, la nouvelle loi organique sur les lois de finances du 1 er août 2001 et celles du 22 juillet 1996 et du 2 août 2005 sur les lois de financement de la sécurité sociale avaient introduit une évaluation prévisionnelle plus systématique, notamment à l'occasion du débat d'orientation budgétaire.
Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions présidé par M. Édouard Balladur reprenait en 2007 la proposition du Conseil d'État. Par sa proposition n° 25, le comité recommandait « en particulier, que l'existence de ces études d'impact soit une condition de la recevabilité d'un projet de loi au Parlement, à charge pour le Conseil constitutionnel de vérifier, juste après le dépôt du texte et à la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, que ce document satisfait aux exigences qu'une loi organique pourrait prévoir ».
Au terme de cette réflexion, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ouvert la voie à l'obligation pour le Gouvernement de présenter une étude d'impact lors du dépôt d'un projet de loi . Cette règle était pourtant absente du projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement. Elle a été introduite par l'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur Jean-Luc Warsmann. Le rapporteur de l'Assemblée nationale plaçait de grands espoirs dans ce dispositif puisque, présentant l'amendement le créant, il jugeait, en séance publique, cet amendement comme « un des amendements les plus importants [...] à examiner dans le cadre de cette révision ».
Lors de la révision constitutionnelle, le rapporteur du
Sénat, notre collègue Jean-Jacques Hyest, estimait que
«
cette disposition implique que, lors du dépôt, le
texte soit accompagné d'une analyse approfondie de ses effets attendus
- analyse qui ne saurait se réduire aux études d'impact,
souvent superficielles, dont les projets de loi ont été assortis,
par le passé, selon un usage plutôt
aléatoire
»
1
(
*
)
.
L'article 39 de la Constitution prévoit donc désormais que « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique ». Si l'étude d'impact n'est pas formellement citée au niveau constitutionnel, l'idée transparaît 2 ( * ) et a été consacrée définitivement par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
I. LE PÉRIMÈTRE D'APPLICATION DES ÉTUDES D'IMPACT
Le chapitre II de la loi organique du 15 avril 2009 régit la présentation des projets de loi, à commencer par l'étude d'impact qui doit accompagner tout dépôt de ces textes.
Cette règle n'est pas applicable aux propositions de loi . Sont également exclus de l'obligation d'étude d'impact certains projets de loi :
- les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, qui possèdent leurs propres règles d'évaluation : en application des articles 47 et 47-1 de la Constitution, la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances et le chapitre I er bis du livre I er du titre I er du code de la sécurité sociale prévoient ainsi respectivement les documents budgétaires assurant l'information du Parlement pour l'examen de ces textes ;
- les projets de révision constitutionnelle ;
- les projets de loi de programmation ;
- les projets de loi prorogeant des états de crise.
De même, deux catégories de projets de loi font l'objet d'un régime particulier d'étude d'impact dont le contenu est adapté :
- les projets autorisant la ratification d'accords ou traités internationaux 3 ( * ) en vertu de l'article 53 de la Constitution ;
- les projets d'habilitation pour le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions législatives dans le cadre de l'article 38 de la Constitution.
Le législateur organique avait souhaité en 2009 prévoir le dépôt d'une étude d'impact sur les ordonnances prises, lors du dépôt du projet de loi de ratification . Cependant, estimant que les articles 38 et 74-1 de la Constitution faisaient obstacle à cette obligation, le Conseil constitutionnel a censuré cette innovation 4 ( * ) .
De même, aucune règle équivalente n'existe en pratique pour les amendements. Pour les amendements du Gouvernement , le législateur organique avait souhaité en 2009 renvoyer aux règlements des assemblées le soin de fixer des exigences en termes d'évaluation pour ces derniers. Cependant, le Conseil constitutionnel a censuré une telle disposition pour incompétence négative. Il a admis le principe d'un encadrement de niveau organique de cette possibilité qui serait alors précisée par la voie des règlements des assemblées. Selon sa décision, plutôt que renvoyer le contenu des évaluations des amendements gouvernementaux à la voie réglementaire, la loi organique devait selon le Conseil prévoir « le contenu de celles-ci [et] les conséquences d'un manquement à cette obligation » 5 ( * ) .
En revanche, une possibilité existe pour les amendements d'origine parlementaire . L'article 15 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit que « les règlements des assemblées peuvent déterminer les conditions dans lesquelles des amendements des membres du Parlement, à la demande de leur auteur, ou des amendements de la commission saisie au fond peuvent faire l'objet d'une évaluation préalable communiquée à l'assemblée avant leur discussion en séance ». Si le Sénat n'a pas souhaité user de cette faculté, l'Assemblée nationale a prévu une procédure de renvoi au Comité d'évaluation et de contrôle 6 ( * ) . Toutefois, l'absence de réalisation ou de publication ne peut pas faire obstacle à la discussion de l'amendement. En tout état de cause, cette procédure n'a jamais été mise en oeuvre.
II. LE CONTENU DES ÉTUDES D'IMPACT
L'examen parlementaire de la loi organique du 15 avril 2009 a considérablement enrichi le contenu de l'étude d'impact. La version actuelle de l'article 8 de cette loi organique résulte de la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.
Les études d'impact « exposent avec précision » :
- l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur l'ordre juridique interne ;
- l'état d'application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;
- les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ;
- les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ;
- l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;
- l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ;
- les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'État ;
- les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental ;
- la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires.
Formulant une réserve d'interprétation sur cette disposition organique, le Conseil constitutionnel a relativisé les exigences formelles du Parlement puisque « l'élaboration d'études particulières répondant à chacune des prescriptions de ces alinéas ne saurait être exigée que pour autant que ces prescriptions ou l'une ou l'autre d'entre elles trouvent effectivement à s'appliquer compte tenu de l'objet des dispositions du projet de loi en cause » 7 ( * ) . Le législateur organique a pris en compte cette réserve du juge constitutionnel : lorsqu'il a complété, en 2010, la liste des informations contenues au sein de l'étude d'impact avec les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental, il a veillé à ne les exiger que « s'il y a lieu ».
III. LE CONTRÔLE DES ÉTUDES D'IMPACT
Sur le modèle de l'article 41 de la Constitution, le contrôle du respect des règles de présentation des projets de loi, au rang desquelles figurent celles de l'étude d'impact, incombe d'abord à un organe parlementaire avec un recours « d'appel » devant le Conseil constitutionnel .
A. LE CONSTAT PAR LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS DE LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE SAISIE
Ce contrôle n'appartient qu'à la première assemblée saisie devant laquelle l'étude d'impact est déposée avec le projet de loi. Sous réserve de la priorité accordée au Sénat par l'article 39 de la Constitution pour les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, le Gouvernement dispose ainsi du choix de l'assemblée appelée à contrôler le respect de ces obligations.
La conférence des présidents - ainsi constitutionnalisée à l'occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 - est compétente pour statuer sur ce point. Si elle décide que l'étude d'impact n'est pas conforme aux prescriptions organiques et qu'ainsi les règles de présentation des projets de loi sont méconnues, elle fait obstacle à l'inscription à l'ordre du jour du texte.
Des demandes en ce sens ont pu être formulées au sein des conférences des présidents des deux assemblées. Au moins quatre demandes ont été formulées en conférence des présidents de l'Assemblée nationale depuis 2010, sans succès à ce jour. Une seule demande a abouti, en juin 2014, au constat par une conférence des présidents de la non-conformité du projet de loi aux règles de présentation, en raison de l'insuffisance de l'étude d'impact.
La conférence des présidents ne dispose cependant que de dix jours à compter du dépôt pour se prononcer, ce délai se calculant hors jour du dépôt du texte. À défaut d'opposition au cours de ce délai, le projet de loi est considéré comme respectant les règles de présentation : le silence de la conférence des présidents vaut approbation tacite.
En effet, si un projet de loi est immédiatement envoyé à une commission permanente ou spéciale en application de l'article 43 de la Constitution, il peut n'être examiné et donné lieu à nomination d'un rapporteur que plusieurs mois après, ce qui ne favorise pas le contrôle. Pour répondre à cette difficulté, le groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat a préconisé, dans son relevé de conclusions du 3 mars 2015, de « prévoir la désignation d'un rapporteur dès le dépôt au Sénat d'un projet de loi aux fins d'étudier la qualité de l'étude d'impact dans le délai de dix jours imparti par la loi organique du 15 avril 2009 pour constater, le cas échéant, que l'étude méconnaît les règles fixées par ladite loi organique ».
Ce délai reste particulièrement court, d'autant que la méconnaissance des prescriptions organiques par l'étude d'impact ne peut être constatée que par la conférence des présidents. S'il est d'usage à l'Assemblée nationale que la conférence des présidents se réunisse chaque semaine, le rythme de ses réunions est moins élevé au Sénat. Au cours des quatre sessions ordinaires de 2007 à 2010, la conférence des présidents sénatoriale s'est ainsi réunie moins de 17 fois en moyenne par session.
Lors de l'examen du rapport du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale consacré aux critères de contrôle des études d'impact accompagnant les projets de loi 8 ( * ) , M. Bernard Accoyer, alors président de l'Assemblée nationale, relevait lui-même que « le délai organique de dix jours est particulièrement contraignant ».
B. LE CONTRÔLE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
1. Le contrôle dans le cadre de l'article 39 de la Constitution
Le Conseil constitutionnel peut alors être saisi par le Premier ministre ou par le président de l'assemblée concernée. Ce dernier cas, introduit par parallélisme, reste hypothétique car le président d'une assemblée parlementaire manifesterait, par cette saisine, son opposition à la décision de la majorité de la conférence des présidents de l'assemblée qu'il préside.
Saisi, le Conseil constitutionnel dispose d'un délai de huit jours pour statuer. Dans le cadre de contrôle, le Conseil constitutionnel « ne peut statuer que sur la seule question de savoir si ladite présentation du projet de loi a respecté les conditions fixées par la loi organique du 15 avril 2009 » 9 ( * ) : il n'est donc pas juge de la constitutionnalité du projet de loi qu'accompagne l'étude d'impact.
Son unique décision 10 ( * ) sur le sujet du 1 er juillet 2014 conduit à penser qu'il assure un contrôle de l'ensemble de l'étude d'impact, sans être tenu par les éventuels griefs soulevés.
Le premier constat de non-conformité d'une
étude d'impact
Après délibération en conseil des ministres le 18 juin 2014, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral fut déposé sur le bureau du Sénat le même jour. Le 18 juin, la conférence des présidents décida, à la demande du groupe RDSE et après un vote, de s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée en application de l'article 45 de la Constitution. Le refus manifesté, le 19 juin, par la conférence des présidents de l'Assemblée nationale de s'opposer également à la mise en oeuvre de cette procédure accélérée n'a pas permis de faire obstacle à l'engagement de cette procédure. Le 28 juin, la présidence du Sénat reçut trois courriers émanant respectivement des groupes CRC, UMP et RDSE, contestant l'étude d'impact et demandant la réunion de la conférence des présidents. Réunie par le président du Sénat, la conférence des présidents approuva, par un vote, la demande des trois groupes tendant à constater la méconnaissance par l'étude d'impact des règles fixées par la loi organique. En conséquence, l'examen du projet en loi en séance publique 11 ( * ) à compter du 1 er juillet 2014 fut retiré de l'ordre du jour. Annoncée en séance publique, cette décision fut portée à la connaissance du Premier ministre. En désaccord avec la conférence des présidents du Sénat, le Premier ministre saisit le Conseil constitutionnel le jour même, conformément au quatrième alinéa de l'article 39 de la Constitution. Les présidents des groupes UMP et RDSE du Sénat formulèrent auprès du Conseil constitutionnel des observations. Le Conseil constitutionnel rendit sa décision le 1 er juillet 2014 : il estima que le projet de loi avait été présenté dans des conditions conformes à la loi organique du 15 avril 2009, notamment son article 8 sur le contenu de l'étude d'impact. Lors de la réunion du même jour de la conférence des présidents, le Gouvernement demandait l'inscription du projet de loi à partir du 2 juillet après-midi. |
Le contrôle du Conseil constitutionnel s'est cependant révélé restreint. Évoquant une « jurisprudence minimaliste » 12 ( * ) , le professeur Jean-Marie Pontier relève, à propos de cette décision, que « la solution du Conseil constitutionnel paraît mesurée, voire inconsistante, parce que l'occasion était donnée au Conseil d'opérer un contrôle de l'exigence d'études d'impact, et qu'il ne l'a pas saisie ». Et de regretter les « approximations » factuelles de l'étude d'impact et l'absence d'étude historique sérieuse au point que « l'étude d'impact donne l'impression d'avoir été faite "à la va-vite", sans véritable travail de réflexion ».
Le Conseil constitutionnel a rejeté en particulier le grief fondé sur le fait que cette étude d'impact ne comportait aucun développement sur l'évolution du nombre des emplois publics, comme l'impose le neuvième alinéa de l'article 8 de la loi du 15 avril 2009. Il a estimé qu'un tel développement n'était pas nécessaire « dès lors que le Gouvernement ne mentionne pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi », ce qui fait dépendre le contenu de l'étude d'impact des seuls objectifs indiqués par le Gouvernement et non des effets induits par la réforme proposée.
De même, s'agissant des consultations à indiquer au sein de l'étude d'impact en vertu du dixième alinéa de l'article 8, le Conseil constitutionnel a jugé, de manière lapidaire, « qu'il n'est [...] pas établi [que le texte] a été soumis à des consultations dans des conditions qui auraient dû être exposées dans l'étude d'impact ».
Enfin, alors que la réforme de la délimitation des régions impliquait des transformations administratives, économiques et sociales profondes, le Conseil constitutionnel n'a pas relevé de méconnaissance du huitième alinéa de l'article 8 qui impose de faire figurer au sein de l'étude d'impact « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ». Pour toute réponse, le Conseil constitutionnel a constaté que l'étude d'impact « expose les raisons des choix opérés par le Gouvernement et en présente les conséquences prévisibles [et] que, d'autre part, le contenu de cette étude d'impact répond à celles des autres prescriptions de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 qui trouvent effectivement à s'appliquer compte tenu de l'objet des dispositions du projet de loi en cause ».
Le contrôle du Conseil constitutionnel est donc essentiellement formel, ce dernier vérifiant que les rubriques pertinentes sont répertoriées mais sans s'assurer de leur contenu, selon l'exigence prévue à l'article 8, « avec précision ». Ce contrôle réduit contraste avec celui du Conseil d'État qui, comme l'indiquait à votre rapporteur M. Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration, l'a conduit au moins à trente-six reprises à inviter le Gouvernement à compléter son étude d'impact voire à disjoindre, une fois, des dispositions n'étant pas accompagnées d'une étude d'impact suffisante. Si des compléments ont pu intervenir entre le passage en section et celui en assemblée générale, le Gouvernement n'a pas systématiquement déféré à cette demande avant le dépôt du projet de loi.
De surcroît, le Conseil constitutionnel a estimé que « si, par suite des circonstances, tout ou partie d'un document constituant l'étude d'impact d'un projet de loi venait à être mis à la disposition de la première assemblée saisie de ce projet après la date de dépôt de ce dernier, le Conseil constitutionnel apprécierait, le cas échéant, le respect des dispositions précitées de l'article 8 de la loi organique au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation ».
2. Le contrôle dans le cadre de l'article 61 de la Constitution
Parallèlement, le Conseil constitutionnel admet être saisi, dans le cadre de son contrôle de la constitutionnalité des lois au titre de l'article 61 de la Constitution 13 ( * ) , d'un moyen tiré de l'insuffisance des études d'impact. Cette interprétation est en contradiction avec les travaux parlementaires, notamment les positions exprimées par les deux rapporteurs de la loi organique du 15 avril 2009. Notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur du Sénat, indiquait ainsi dans son rapport que « l'étude d'impact ne pourra[it] plus faire l'objet de contestation après l'inscription du texte à l'ordre du jour de la première assemblée saisie et ne devrait, a fortiori , connaître aucune mise en cause valable après l'adoption définitive du projet de loi » 14 ( * ) .
Même lorsque la conférence des présidents d'une assemblée a écarté une demande visant à constater l'insuffisance de l'étude d'impact, le Conseil constitutionnel admet ce moyen comme recevable au stade du contrôle a priori de constitutionnalité 15 ( * ) . Soulevé une dizaine de fois, ce moyen n'a néanmoins jamais prospéré. La réponse opposée par le Conseil constitutionnel est le plus souvent laconique, le Conseil se bornant à écarter le moyen « au regard du contenu de l'étude d'impact ».
IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : APPROUVER LA SIMPLIFICATION DU CONTENU DES ÉTUDES D'IMPACT ET AMÉLIORER L'INFORMATION ET LE CONTRÔLE DU PARLEMENT LORS DU PROCESSUS LEGISLATIF
Le contrôle réduit aux acquêts du Conseil constitutionnel - que traduit significativement l'absence de commentaires sur son site pour les recours effectués sur la base de l'article 39 de la Constitution - n'a rien de nouveau : déjà, le contrôle effectué par le Conseil sur la sincérité des lois de finances et notamment le sérieux des prévisions de croissance sur lesquelles repose le calcul des recettes fiscales envisagées n'a jamais fait l'objet d'un véritable examen.
On peut conclure de ce bilan d'étape après sept ans d'application de ce dispositif d'évaluation que ses effets sont loin d'être concluants. D'une part, il n'a nullement remédié à la crise de la production législative, tant sur le plan de la qualité des textes qui continue à se dégrader, que sur celui de leur inflation, celle-ci étant due principalement au jeu des alternances et au développement des lois de simple réaction aux évènements et aux mouvements d'opinion sans se préoccuper de l'état du droit en vigueur. D'autre part, la désinvolture fréquente avec laquelle les études d'impact de nombreux projets de loi sont élaborées et leur contrôle par le Conseil constitutionnel effectué rend perplexe sur la nécessité de maintenir en l'état ce dispositif. Faut-il le ramener à des dimensions plus réduites pour tirer les conclusions de cet échec partiel ou au contraire durcir les obligations imposées au Gouvernement pour le rendre enfin effectif ?
Tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 1 er juillet 2014, la proposition de loi organique déposée le 23 juillet 2014 par plusieurs sénateurs du groupe RDSE propose, en son article unique, de supprimer une partie des obligations liées au contenu de l'étude d'impact au motif que le Conseil constitutionnel n'en contrôle pas l'effectivité.
Si le constat des auteurs de la proposition de loi organique n'est guère contestable et conduit votre rapporteur à le partager, il a cependant pour conséquence, en réduisant encore davantage les obligations imposées au Gouvernement, de lui donner raison sans renforcer pour autant le pouvoir de contrôle des assemblées, qui était le but visé à l'origine par la révision constitutionnelle de 2008. Votre commission s'est donc attachée à compléter le texte examiné en adoptant quatre amendements de son rapporteur afin de modifier la loi organique du 15 avril 2009 et un amendement de coordination COM-5 sur l'intitulé de la proposition de loi organique.
A. SIMPLIFIER LE CONTENU DES ÉTUDES D'IMPACT
Au regard de la faiblesse du contrôle, il est proposé de supprimer les huitième à dixième alinéas de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Rappelant la lente évolution vers la consécration organique des études d'impact et les réserves formulées par le Conseil constitutionnel, les auteurs de la proposition de loi organique contestent le raisonnement « tautologique » du Conseil constitutionnel qui a validé la loi organique accompagnant le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Votre commission a approuvé cette mesure ( article 1 er ) visant à recentrer l'étude d'impact sur des éléments objectifs, renvoyant la mesure de l'impact économique, social, financier ainsi qu'en termes d'emploi public aux débats parlementaires eux-mêmes.
B. COMPLÉTER LES DOCUMENTS JOINTS AUX PROJETS DE LOI PRÉSENTÉS
Sur le fondement de l'article 39 de la Constitution, le chapitre II de la loi organique du 15 avril 2009 régit la présentation des projets de loi. Sont ainsi consacrés l'exposé des motifs qui précède le texte et l'étude d'impact qui accompagne le dépôt de ce texte.
Adoptant deux amendements de son rapporteur, votre commission a complété ce dispositif en prévoyant que le Gouvernement annexe au projet de loi un document motivant, le cas échéant, l'engagement de la procédure accélérée ( article 1 er A ) ainsi que l'avis du Conseil d'État rendu sur ce projet de loi si le Gouvernement décide de le rendre public ( article 1 er B ). Ces nouvelles obligations se rattachent ainsi aux conditions de présentation des projets de loi que l'article 39 de la Constitution permet à une loi organique de fixer.
1. L'obligation de motiver l'engagement de la procédure accélérée
Selon l' amendement COM-1 du rapporteur adopté par votre commission, le dépôt du premier document permettrait d'exposer les raisons conduisant à recourir à cette procédure qui a un double effet sur la discussion parlementaire ( article 1 er A ) : la discussion du projet de loi en première lecture au sein de chaque assemblée est possible sans délai et la commission mixte paritaire peut être convoquée par le Premier ministre au terme d'une seule lecture dans chaque assemblée.
Ce document serait particulièrement utile aux conférences des présidents lorsque, en vertu de l'article 45 de la Constitution, elles sont appelées à se prononcer sur une demande d'opposition à l'engagement de cette procédure. En outre, cette simple information n'ôterait aucune liberté au Gouvernement d'engager la procédure accélérée, l'obligation de motiver une décision pouvant parfaitement porter sur une décision prise dans le cadre d'une compétence discrétionnaire.
Seraient exclus de cette obligation les projets de loi auxquels la procédure accélérée ne peut s'appliquer - à l'instar des projets de révision constitutionnelle -, ou pour lesquels la procédure accélérée est de droit en vertu d'autres dispositions organiques, ou enfin lorsque l'urgence qui s'attache à l'examen du projet de loi ressort de l'objet même du texte, comme pour ceux prorogeant des états de crise.
Cette obligation étant imposée au titre des conditions de présentation des projets de loi au sens de l'article 39 de la Constitution, elle ne pourrait pas s'appliquer aux cas où le Gouvernement engagerait, après le dépôt du texte, la procédure accélérée. De même, elle ne trouverait pas à s'appliquer dans l'hypothèse où le Gouvernement engagerait cette procédure sur une proposition de loi.
2. La transmission de l'avis du Conseil d'État
Lors de son traditionnel discours aux corps constitués, le 20 janvier 2015, le Président de la République a indiqué vouloir « rompre avec une tradition séculaire des secrets qui entourent les avis du Conseil d'État ». Le I de l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 interdit la communication des avis du Conseil d'État.
Pour le chef de l'État, « le Conseil d'État, par ses avis, informera donc les citoyens, mais il éclairera aussi les débats parlementaires ». Aussi le Gouvernement rend-il désormais public ces avis qui sont ainsi publiés sur le site internet Legifrance mais aussi, désormais, annexés au projet de loi mis en distribution au Sénat lorsque le Gouvernement a choisi de déposer le texte sur son bureau 16 ( * ) .
Adoptant un amendement COM-4 de son rapporteur, votre commission a souhaité consacrer ce nouvel usage en obligeant à joindre l'avis rendu par le Conseil d'État sur chaque projet de loi au texte déposé ( article 1 er B ). L'avis du Conseil d'État est devenu un élément du débat parlementaire, invoqué à l'occasion par le Gouvernement et les parlementaires lorsqu'ils en ont eu connaissance.
Lors de son audition, M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, a soulevé un risque d'inconstitutionnalité, considérant que le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution faisait du Conseil d'État le « conseiller du Gouvernement » pour les projets de loi. Cet avis lui est donc uniquement destiné et il découlerait de ces dispositions constitutionnelles qu'il est seul maître de son usage. Pour prendre en compte cette objection, votre commission a prévu la transmission de l'avis du Conseil d'État « lorsque le Gouvernement a décidé de le rendre public ». La prérogative gouvernementale est donc préservée quant au choix de la publicité à donner à l'avis rendu par le Conseil d'État.
C. AMÉLIORER LE CONTRÔLE DU RESPECT DES OBLIGATIONS À LA CHARGE DU GOUVERNEMENT
L'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009 n'accorde à la conférence des présidents de la première assemblée saisie du projet de loi qu'un délai de dix jours pour constater éventuellement la non-conformité par l'étude d'impact des prescriptions organiques. Ce délai apparaît dans la pratique insuffisant pour examiner l'étude d'impact, soulever la question devant la conférence des présidents et statuer en conférence des présidents. Au demeurant, un délai de plusieurs mois peut, comme évoqué précédemment, s'écouler entre le dépôt et l'examen du texte en commission.
De fait, la contestation d'une étude d'impact est réservée à des cas emblématiques, le délai de dix jours ne permettant pas un examen systématique de ces études. C'est pourquoi votre commission a adopté un amendement COM-2 de son rapporteur permettant d'allonger ce délai à trente jours ( article 2 ). Comme il est actuellement prévu, ce même délai serait suspendu entre les sessions.
D. ETENDRE L'OBLIGATION D'ÉTUDE D'IMPACT AUX AMENDEMENTS SUBSTANTIELS DU GOUVERNEMENT
La loi organique du 15 avril 2009 avait décidé de soumettre les amendements du Gouvernement à une étude d'impact, renvoyant aux règlements des assemblées le soin de déterminer les modalités de cette étude d'impact communiquée à l'assemblée avant toute discussion en séance. Le Conseil constitutionnel a censuré cette procédure pour incompétence négative. Le juge constitutionnel a considéré qu'il appartenait, en vertu de l'article 44 de la Constitution, à la loi organique de fixer le contenu de cette nouvelle obligation et les conséquences d'un manquement à cette obligation, assurant ainsi des règles identiques au sein des deux assemblées.
Votre commission a donc pris en compte les exigences constitutionnelles en adoptant un amendement COM-3 de son rapporteur étendant l'obligation d'étude d'impact pour les amendements substantiels déposés par le Gouvernement ( article 3 ). Suivant cette logique, les études d'impact sur ces amendements seraient soumises au même régime que les études d'impact accompagnant les projets de loi avec les mêmes exceptions et adaptations que celles prévues à l'article 11 de la loi organique.
Pour être réaliste, cette obligation ne s'appliquerait qu'aux amendements apportant une modification substantielle ou introduisant une disposition substantielle par rapport au texte initial, à l'exclusion donc des amendements de coordination, de précision ou modifiant légèrement des dispositions existantes au sein du texte. Cette précision aurait plusieurs effets. Le Gouvernement serait soumis à cette obligation uniquement pour les dispositions qui sont introduites de son fait et non pour celles qui interviennent en réaction aux dispositions introduites par voie d'amendement parlementaire. En revanche, cette obligation s'appliquerait à tous les stades de la procédure législative, en commission comme en séance publique. Le caractère substantiel de l'amendement serait apprécié par rapport au texte déposé et qui a donc fait l'objet d'une étude d'impact.
La méconnaissance de cette obligation serait constatée, éventuellement à la demande de tout sénateur, par la commission saisie au fond qui inviterait, le cas échéant, le Gouvernement à produire ou compléter l'étude d'impact. A défaut, la commission saisie au fond opposerait l'irrecevabilité, à l'instar d'autres irrecevabilités procédurales (défaut de lien avec le texte, méconnaissance de la règle dite de l'entonnoir, etc.).
Par cohérence, pour permettre à la commission d'apprécier les amendements substantiels qui lui sont soumis en séance publique, ces amendements devraient être déposés avant le début de l'examen du texte en séance. Après ce terme, les amendements qui appellent une étude d'impact pour leur dépôt cesseraient d'être recevables. Ils seraient donc désormais distingués au sein de l'article 13 de la loi organique du 15 avril 2009, les amendements « substantiels » se différenciant des autres qui resteraient les seuls déposables à tout moment en séance publique.
*
* *
Votre commission a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée .
EXAMEN EN COMMISSION
M. Hugues Portelli , rapporteur . - C'est par une décision assez laconique datée du 1 er juillet 2014 que le Conseil constitutionnel a validé l'étude d'impact sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, alors que la conférence des présidents du Sénat l'avait jugée trop peu fournie pour que le texte soit inscrit à l'ordre du jour. Réduite à sa plus simple expression, cette prétendue étude ne disait rien de l'impact qu'une modification de la carte des régions pourrait avoir sur les collectivités territoriales ou sur l'emploi public. Le Conseil constitutionnel a pourtant estimé devoir la juger suffisante au regard des seuls objectifs poursuivis par le Gouvernement, qui ne jugeait pas devoir considérer les effets sur l'emploi public, par exemple.
Cette proposition de loi organique présentée par des sénateurs du groupe RDSE est l'occasion de revisiter la définition des études d'impact, prévues dans la loi organique de 2009 relative à l'application de l'article 39 de la Constitution. Si ces documents se cantonnent aux aspects juridiques, droit européen ou législation française en vigueur, le Gouvernement estimant ne pas avoir à mentionner les effets économiques, sociaux, environnementaux, alors révisons en ce sens la loi organique ! Tel est l'objet de cette proposition de loi organique.
Elle pointe le rôle essentiel du Conseil constitutionnel, qui ne s'est prononcé qu'une seule fois et de manière extrêmement laconique sur la base de l'article 39, et qui a donné tort à la conférence des présidents. Lors des auditions, le Secrétaire général du Gouvernement - qui était encore Secrétaire général du Conseil constitutionnel il y a quelques semaines ! - a reconnu que cette instance ne s'appesantissait guère sur l'examen des études d'impact, faute de temps. M. Bernard Pêcheur, président de sections au Conseil d'État, institution à l'origine du rapport de 1996, a également admis que le Gouvernement n'exerçait pas forcément ses obligations de manière très précise, malgré les demandes du Conseil d'État. Compte tenu de ces pratiques, la proposition de loi organique semble bienvenue.
M. Sueur était brillamment intervenu lors de l'examen de la loi organique de 2009, pour dire que les effets sociaux et financiers d'un texte sont au coeur du débat parlementaire et qu'il ne revient pas au Gouvernement de les énoncer a priori .
Je vous proposerai de compléter la proposition de loi organique. Ainsi que l'a reconnu le président de la République lui-même, il serait ainsi utile que les avis du Conseil d'État soient rendus publics : prévoyons qu'ils seront annexés aux textes présentés. Et portons à un mois le délai de dix jours accordé à la conférence des présidents pour se prononcer sur les études d'impact. Les amendements que le Gouvernement dépose en cours de procédure législative et qui modifient profondément le texte en discussion devraient, eux aussi, faire l'objet d'une étude d'impact afin que les assemblées bénéficient de la réflexion complète du Gouvernement. Enfin, la procédure accélérée gagnerait à être justifiée dans les détails lorsqu'elle est engagée au dépôt du texte.
M. Jean-Pierre Sueur . - À titre personnel, je continue de défendre la même position qu'il y a quelques années ; je suis contre les études d'impact. L'impact de la loi fait partie intégrante de la discussion politique, un discours d'experts ne saurait venir surplomber le débat et s'imposer comme la vérité. Lors de la discussion d'un projet de loi sur les OGM, il y a fort à parier que le premier intervenant dénoncera l'étude d'impact comme fallacieuse, tandis que le suivant la réhabilitera, etc. Il est important que le Parlement dispose de moyens d'expertise au même titre que le Gouvernement. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst) en est un. En lisant les études d'impact, je souffre parfois pour les fonctionnaires qui ont dû rédiger cette prose assommante. Comme artefact , toute étude d'impact est nécessairement insuffisante. La bien-pensance veut qu'on reconnaisse leur utilité. M. Renaud Denoix de Saint Marc nous a même conviés au Conseil d'État pour célébrer les études d'impact, cette grande nouveauté qui allait résoudre tous les problèmes. Personnellement, j'aurais volontiers souscrit à une proposition de loi constitutionnelle pour les supprimer.
Ce que nous propose M. Mézard, c'est de maintenir les études d'impact en les vidant de leur substance. Habile, M. Portelli fait d'intéressantes suggestions qui modifient l'objet du texte. Ce sont de très bonnes mesures que d'annexer les avis du Conseil d'État ou d'obliger le Gouvernement à motiver la procédure accélérée, mais je souhaite beaucoup de courage à notre rapporteur pour les faire prospérer. Une étude d'impact à chaque fois que le Gouvernement déposera un amendement : comment pourrait-on fonctionner ainsi ? Cela provoquera la paralysie et pour de mauvaises raisons. Ce qui compte, c'est le débat parlementaire.
M. Pierre-Yves Collombat . - Je félicite le rapporteur pour cet exposé synthétique. M. Sueur réussit le tour de force d'être contre la proposition de loi organique tout en se prononçant pour la suppression des études d'impact. Nous connaissons son habileté. Un certain nombre d'angelots viennent surcharger l'église constitutionnelle. S'ils ne servent à rien, mieux vaut les supprimer. Les études d'impact qu'on nous présente n'ont aucune espèce d'intérêt. La dernière en date, qui est l'origine de la proposition de loi organique, était scandaleusement vide. La plupart d'entre elles se résument à justifier les réformes et à décrire leurs conséquences. Rien d'autre. On nous explique la réforme territoriale sans nous montrer en quoi elle contribuera à produire les 20 milliards d'économies annoncées initialement - et qui ont disparu depuis... Enfin, concernant les avis du Conseil d'Etat ou la motivation de la procédure accélérée, je crois qu'il faut effectivement mettre à profit ce texte pour porter de telles demandes.
M. François Grosdidier . - Nous regrettons tous l'excessif enrichissement législatif. Nous ne mesurons pas toujours l'impact des dispositions législatives que nous adoptons. Le Parlement gagnerait à être davantage éclairé sur les conséquences de ses décisions, dans tous les domaines qui en sont affectés par ricochet. C'était la grande idée du président Chirac que d'introduire des études d'impact avant toute nouvelle loi. La logique dans laquelle s'inscrit cette proposition de loi organique est pour le moins surprenante : elle supprime l'obligation au prétexte que le Gouvernement ne la respecte pas et que le Conseil constitutionnel rechigne à le rappeler à l'ordre ! Ne devrait-on pas plutôt renforcer cette obligation ?
Toute expertise est sujette à caution. Néanmoins, c'est grâce à elle que l'on recueille les données objectives qui éclaireront le débat idéologique. Depuis vingt ans que je siège au Parlement, je constate l'inégalité qui règne entre l'exécutif et les assemblées en matière d'expertise. Il nous faudrait des moyens colossaux pour combler notre retard. D'où l'importance d'exiger que l'exécutif nous fournisse des études d'impact approfondies dans les domaines économique, sanitaire ou social. Je voterai pour la proposition de loi organique si elle est complétée par les amendements du rapporteur.
M. Yves Détraigne . - Il n'y a pas lieu de s'étonner que les études d'impact ne soient pas ce qu'on attend d'elles. Elles sont au service du projet de loi que le Gouvernement veut faire passer. Il y a peu de chance pour qu'elles mettent en avant les arguments adverses...
M. Jean-Pierre Sueur . - Elles sont forcément partisanes.
M. Yves Détraigne . - Avons-nous, parlementaires, la capacité de réaliser des études d'impact suffisamment approfondies pour être parfaitement informés ? Je n'en suis pas certain. Même imparfaites, celles de l'exécutif contribuent néanmoins à nous informer.
M. Philippe Kaltenbach . - Le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi organique, réponse absurde à une décision jugée absurde du Conseil constitutionnel. Le rapporteur saisit l'occasion pour reprendre des demandes légitimes, notamment sur les avis rendus par le Conseil d'État. C'est positif. Les amendements gouvernementaux visés par son amendement renvoient sans doute à ceux déposés sur le Grand Paris. Il est néanmoins difficile de demander une étude d'impact pour chaque amendement déposé ! Depuis quatre ans que je suis parlementaire, j'ai pu constater que, tout orientées soient-elles, les études d'impact étaient une mine d'informations. Elles offrent en creux des arguments pour contester ceux des gouvernements. Je suis favorable à leur maintien, avec l'obligation de les rendre les plus complètes possible. Nous pourrions souhaiter que le Parlement dispose de moyens d'expertise indépendants, à l'exemple de ce qui se fait au Congrès américain : on ne fonctionne pas ainsi en France. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.
M. Pierre-Yves Collombat . - Pour être utile, l'étude d'impact doit avoir un contenu. Il ne serait pas plus mal qu'elle soit objective, mais nous savons faire la part du feu. Ce n'est manifestement pas le cas, le summum ayant été atteint avec la réforme territoriale. Or qui peut peser sur le Gouvernement, hormis le Conseil constitutionnel ? Si le juge constitutionnel accepte l'inacceptable, nous sommes voués aux faux-semblants.
M. Hugues Portelli , rapporteur . - La proposition de loi organique ne supprime qu'une partie de l'étude d'impact. Elle conserve l'évaluation du projet de loi au regard du droit européen et de la législation en vigueur, ainsi que les modalités d'application dans le temps et pour l'outre-mer. L'avis du Conseil d'Etat évalue les projets de loi. De plus, on conserve la rubrique sur les suites données à l'avis du Conseil économique, social et environnemental.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Articles additionnels avant l'article unique
Les amendements n os COM-1 et COM-4 sont adoptés.
Articles additionnels après l'article unique
L'amendement n o COM-2 est adopté.
M. Hugues Portelli , rapporteur . - L'amendement n° COM-3 prévoit que les amendements du Gouvernement apportant une modification substantielle au texte sont déposés avant l'ouverture du débat en séance publique et font l'objet d'une étude d'impact préalable.
M. Jean-Pierre Sueur . - J'émets le voeu que M. Portelli devienne membre du Gouvernement dans un avenir proche. J'examinerai avec intérêt depuis les bancs du Sénat la manière dont il appliquera son propre amendement.
M. François Grosdidier . - Je préfèrerais qu'il soit au Conseil constitutionnel pour faire respecter les lois.
L'amendement n° COM-3 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi organique
L'amendement n° COM-5 est adopté.
La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Articles additionnels avant l'article
unique
|
|||
M. PORTELLI, rapporteur |
1 |
Motivation par le Gouvernement de l'engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi |
Adopté |
M. PORTELLI, rapporteur |
4 |
Transmission de l'avis du Conseil d'État
|
Adopté |
Articles additionnels après l'article
unique
|
|||
M. PORTELLI, rapporteur |
2 |
Allongement du délai laissé à la conférence des présidents pour contester la conformité des conditions de présentation du projet de loi |
Adopté |
M. PORTELLI, rapporteur |
3 |
Obligation de dépôt d'une étude
d'impact
|
Adopté |
Intitulé de la proposition de loi
organique
|
|||
M. PORTELLI, rapporteur |
5 |
Coordination |
Adopté |
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
M. Jacques Mézard , sénateur, auteur de la proposition de loi organique
Secrétariat général du Gouvernement
M. Marc Guillaume , secrétaire général
M. Sébastien Jeannard , chef du département de la qualité du droit
Conseil d'État
M. Bernard Pêcheur , président de la section de l'administration
* 1 Rapport n° 387 (2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois, 11 juin 2008.
* 2 Le rapporteur de l'Assemblée nationale indiquait que par la modification proposée à l'article 39 de la Constitution, « il s'agit notamment de fonder un ancrage constitutionnel en vue de rendre obligatoire une étude d'impact avant le dépôt de tout projet de loi ».
* 3 Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a estimé que cette information parlementaire, limitée aux réserves émises par le pouvoir exécutif avant le dépôt du projet de loi, ne portait pas atteinte à la liberté que le pouvoir exécutif tient de l'article 52 de la Constitution « , à l'occasion de la ratification d'un traité ou d'un accord, de déposer des réserves, de renoncer à des réserves qu'il avait envisagé de déposer et dont il avait informé le Parlement ou, après la ratification, de lever des réserves qu'il aurait auparavant formulées ».
* 4 Conseil constitutionnel, 9 avril 2009, n° 2009-579 DC.
* 5 Conseil constitutionnel, 9 avril 2009, n° 2009-579 DC.
* 6 Articles 98-1 et 146-6 du règlement de l'Assemblée nationale.
* 7 Conseil constitutionnel, 9 avril 2009, n° 2009-579 DC.
* 8 Rapport d'information n° 2094 (XIII ème législature) de MM. Claude Goasguen et Jean Mallot, au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, 19 novembre 2009.
* 9 Conseil constitutionnel, 1 er juillet 2014, n° 2014-12 FNR
* 10 Conseil constitutionnel, 1 er juillet 2014, n° 2014-12 FNR
* 11 Réunie le 26 juin, la commission spéciale chargée d'examiner le texte avait, après avoir adopté l'ensemble des articles, rejeté le texte ainsi élaboré.
* 12 Jean-Marie Pontier, Études d'impact : l'interprétation en retrait de leur exigence par le Conseil constitutionnel - L'exemple de la délimitation des régions, La semaine juridique n° 48, 1 er décembre 2014.
* 13 La méconnaissance des règles de présentation des projets de loi n'est pas un droit ou une liberté garantis par la Constitution au sens de son article 61-1, interdisant de l'invoquer dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.
* 14 Rapport n° 196 (2008-2009) de M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois, 4 février 2009.
* 15 Conseil constitutionnel, 16 janvier 2014, n ° 2013-683 DC
* 16 Cette mesure a ainsi été mise en oeuvre sur le projet de loi organique relatif à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté déposé le 8 avril 2015 sur le bureau du Sénat.