B. CROISSANCE NUMÉRIQUE ET SOLIDARITÉ NUMÉRIQUE
Vos rapporteurs spéciaux estiment que la couverture intégrale du territoire en très haut débit est à juste titre érigée en priorité nationale .
De fait, les données, véritable richesse de l'économie numérique, représentent des volumes de plus en plus importants qui ont besoin d'infrastructures adaptées. Or l'enjeu de l'économie numérique n'est pas celui d'un secteur particulier , qui serait cantonné à quelques activités spécialisées et identifiables, mais bien celui d'une transformation générale de tous les secteurs de l'économie . Hier, Internet bouleversait les secteurs de l'édition, de la musique, des banques ou des agences de voyage. Aujourd'hui, c'est le modèle économique des taxis ou des pharmaciens qui est remis en cause. Demain, ce sont l'éducation, la santé ou encore les relations avec l'administration qui seront profondément transformées.
Or les analyses du rapport de Philippe Lemoine de novembre 2014 sur la transformation numérique de l'économie française 21 ( * ) permettent de mesurer tout le chemin qui reste à accomplir pour saisir toutes les opportunités qui sont apparues. Il apparaît notamment que les particuliers s'adaptent plus facilement aux nouvelles technologies que les entreprises : ainsi, 60 % des Français ont déjà acheté au moins une fois un article sur Internet, mais seuls 11 % des professionnels ont vendu au moins une fois un produit en ligne. Ce sont l'État et certaines grandes entreprises qui rencontrent le plus de difficultés pour s'adapter, alors que les PME font preuve d'une plus grande ouverture aux nouvelles technologies. Vos rapporteurs spéciaux estiment que la transition numérique des PME représente gisement majeur de croissance et d'emplois - pour peu que celles-ci reçoivent l'accompagnement juridique et technique nécessaire, comme le préconise le rapport Lemoine. À terme, il importe qu'acheter français ne soit plus incompatible avec acheter en ligne .
Au-delà de l'enjeu économique, la couverture intégrale du territoire en très haut débit est aussi une exigence d'équité , un instrument de lutte contre la désertification de certaines zones rurales et l'enclavement des zones urbaines sensibles. Comme les routes auparavant, Internet est l'instrument de l'unité territoriale , qui permet une distribution de la création de valeur et un renouvellement du service public sur le territoire.
À cet égard, vos rapporteurs spéciaux, qui approuvent pleinement les objectifs sur plan « France très haut débit », expriment toutefois deux réserves sur les conditions de sa mise en oeuvre. Premièrement, le délai de dix ans prévu pour la couverture du territoire semble bien au long au regard de la rapidité des transformations induites par la révolution numérique. Cela s'explique par le poids des investissements publics nécessaires (près de 17 milliards d'euros), puisque les opérateurs concentrent leur effort sur les zones « rentables ». Deuxièmement, les abonnés qui bénéficieront d'une couverture plus rapide au titre des zones denses ne contribuent pas directement , dans le dispositif actuel, à combler la « fracture numérique » qui existe avec les territoires moins densément peuplés.
Vos rapporteurs spéciaux appellent donc à réfléchir à la création d'un dispositif de « péréquation numérique » , qui pourrait par exemple prendre la forme d'une contribution prélevée sur les abonnements à Internet des particuliers et entreprises des bénéficiant de la couverture en « zone dense », et dont le produit serait affecté au financement des réseaux d'initiative publique dans les zones moins rentables. Ainsi ce dispositif permettrait-il d' accélérer la couverture du territoire en très haut débit par la mise en oeuvre de la solidarité nationale .
* 21 Philippe Lemoine, « La nouvelle grammaire du succès : la transformation numérique de l'économie française », rapport au Gouvernement, novembre 2014. Le rapport Lemoine formule 180 propositions pour une transformation numérique rapide, globale et durable de notre économie.