B. DES DISPOSITIONS QUI SOULÈVENT DES DIFFICULTÉS
En l'état, le texte de la proposition de loi soulève plusieurs difficultés.
En premier lieu, son champ d'application n'est pas clairement défini . La réhabilitation concernerait en effet les « fusillés pour l'exemple ». Seraient-ce les fusillés désignés au hasard, pour faire des exemples ? Ou ceux qui ont été abattus par un peloton devant la troupe ? Ou encore tous les fusillés, au motif que la peine qui leur a été infligée était disproportionnée par rapport aux faits qui l'ont motivée ?
L'exposé des motifs fait référence à « plus de 600 fusillés pour l'exemple ». Si l'on se réfère aux statistiques citées par le rapport Prost, ce chiffre correspondrait à l'ensemble des fusillés pour manquements à la discipline militaire , à l'exclusion des soldats exécutés pour des crimes de droit commun et des civils coupables d'espionnage. C'est donc cette interprétation que nous retiendrons.
Est-il dès lors légitime de considérer que tous ces fusillés « pour l'exemple » mériteraient d'être réhabilités ?
Comme l'a souligné M. Offenstadt lors de son audition par votre rapporteure, « le fait qu'il y ait eu une dimension exemplaire dans les peines prononcées n'implique pas que les soldats fusillés étaient innocents ». Leur condamnation est utilisée par le commandement, au service d'une stratégie disciplinaire.
De fait, les jugements des conseils de guerre, aussi durs qu'ils puissent paraître aujourd'hui, étaient pour la plupart conformes au code de justice militaire applicable à l'époque. On ne peut rétrospectivement mettre en cause le droit en vigueur et juger l'histoire .
Et si certains de ces jugements sont contestables, leur mise en cause ne pourrait intervenir qu'au cas par cas, au vu d'un examen individuel des dossiers, avec toutes les difficultés que cet exercice comporterait, que ce soit devant un juge ou devant une commission.
La Loi ne saurait, quant à elle, de manière globale et indifférenciée, annuler tous les jugements et déclarer innocents les fusillés qui ont été les victimes d'une justice excessive et ceux qui étaient objectivement coupables .
La notion de « pardon » que la Nation demanderait « aux familles et à la population du pays tout entier » ne paraît pas appropriée . L'Etat ne peut demander pardon, cent ans après, d'avoir appliqué le droit militaire qui était alors en vigueur et admettre rétrospectivement que l'impératif de défense de la Nation n'était pas légitime.
Enfin, l'attribution à chaque soldat fusillé de la mention « mort pour la France » qui découlerait de la réhabilitation pose problème sur le plan juridique.
En effet, la situation des fusillés ne correspond à aucun des cas de figure énoncés à l'article L. 488 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui définit les conditions d'attribution de cette mention et exige que le décès soit la conséquence directe d'un « fait de guerre » (cf. annexe 2).