B. LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PRISE D'ACTE
A côté des modalités de rupture du contrat de travail traditionnelles, prévues par des dispositions législatives ou en découlant directement, la Cour de cassation a bâti depuis une série d'arrêts fondateurs du 25 juin 2003 7 ( * ) un régime autonome de rupture à destination du salarié « en raison de faits qu'il reproche à son employeur » : la prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
Cette construction prétorienne intégrale reconnaît à tout salarié la possibilité, lorsqu'il estime que le comportement de l'employeur à son égard contrevient aux obligations qui sont les siennes en vertu du contrat de travail et de son pouvoir de direction, de mettre un terme définitif et immédiat à leur relation contractuelle . Ainsi, il n'est pas possible au salarié de se rétracter 8 ( * ) .
Il appartient au juge de qualifier les effets de cette rupture sui generis . S'il estime les griefs du demandeur fondés, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse : l'employeur est redevable de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit au minimum les salaires des six derniers mois) et, le cas échéant, de dommages et intérêts supplémentaires en cas de préjudice distinct. Si tel n'est pas le cas, la prise d'acte équivaut à une démission et l'ancien salarié peut être amené à verser l'indemnité compensatrice du préavis non effectué à son employeur.
Visant en théorie des situations dans lesquelles le salarié se sent contraint de quitter sans délai l'entreprise, la prise d'acte ne s'accompagne d'aucun formalisme . Contrairement à la lettre de licenciement, le document par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les limites du litige 9 ( * ) . Une formalisation par écrit n'est d'ailleurs pas obligatoire. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même s'ils ne figuraient pas dans le courrier initial. Ce dernier ne peut en revanche pas se prévaloir de manquements qu'il aurait découverts après la prise d'acte, quand bien même ils auraient été commis avant celle-ci 10 ( * ) . Par ailleurs, une prise d'acte peut être communiquée à l'employeur par l'avocat du salarié, au nom de celui-ci, sans que sa validité ne puisse être remise en cause 11 ( * ) . Enfin, le salarié n'a pas à exécuter de préavis, mais conserve la possibilité de le faire 12 ( * ) .
Il revient au conseil de prud'hommes, chargé de régler les différends qui s'élèvent lors de l'exécution d'un contrat de travail, ou le cas échéant à la cour d'appel voire à la Cour de cassation, d'évaluer si les griefs du salarié justifient la prise d'acte et si les faits reprochés à l'employeur sont « suffisamment graves » pour que la rupture du contrat de travail puisse lui être imputée. Dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation permettent de délimiter les contours des critères d'appréciation retenus, qui reposent sur l'examen de chaque cas d'espèce.
C'est lorsque le manquement « empêche la poursuite du contrat de travail » 13 ( * ) que la prise d'acte trouve à s'appliquer. Entrent dans cette catégorie :
- les modifications du contrat de travail imposées au salarié, comme la modification de la rémunération 14 ( * ) ;
- la violation des obligations nées du contrat de travail, comme le non-paiement du salaire 15 ( * ) , des primes ou des heures supplémentaires ;
- le non-respect des principes du droit du travail : discrimination, harcèlement, manquement à l'obligation de résultat en matière de sécurité à laquelle tout employeur est tenu envers ses salariés 16 ( * ) , atteinte à la liberté individuelle du salarié.
Au vu de la diversité des situations soumises au juge et du contrôle par la Cour de cassation de l'appréciation des juges du fond sur la justification de la prise d'acte, qui n'est pas universel mais intervient plutôt quand sont en jeu des principes fondamentaux du droit du travail, il est difficile d'apporter une définition unique ou d'établir une liste exhaustive des motifs pour lesquels la prise d'acte est reconnue légitime. Il semble néanmoins que tout manquement sérieux à l'obligation de sécurité de résultat, selon laquelle l'employeur « prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (article L. 4121-1 du code du travail), soit apprécié comme faisant obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise.
Il faut enfin rappeler que la prise d'acte est réservée au salarié : un employeur ne peut pas prendre acte de la rupture du contrat de travail qui le lie à un salarié, et ce pour quelque raison que ce soit. Selon cette règle de principe 17 ( * ) , posée en même temps que les arrêts qui ont fondé le régime actuel de la prise d'acte, tout employeur « qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail ou qui le considère comme rompu du fait du salarié doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement ». A défaut, toute rupture est considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Enfin, comme la prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail , l'employeur doit remettre à son ancien salarié dès qu'elle produit ses effets 18 ( * ) un certificat de travail ainsi que l'attestation Pôle emploi, qui permet d'établir ses droits à l'assurance chômage, quand bien même le salarié ne pourra pas en bénéficier tant que le juge n'aura pas qualifié les effets de la prise d'acte.
* 7 Cour de cassation, Soc. 25 juin 2003, n os 01-42.335 ; 01-42.679 ; 01-43.578.
* 8 Cour de cassation, Soc. 30 juin 2010, n° 09-41.456.
* 9 Cour de cassation, Soc. 29 juin 2005, n° 03-42.804.
* 10 Cour de cassation, Soc. 9 octobre 2013, n° 11-24.457.
* 11 Cour de cassation, Soc. 4 avril 2007, n° 05-42.847.
* 12 Cour de cassation, Soc. 2 juin 2010, n° 09-40.215.
* 13 Cour de cassation, Soc. 30 mars 2010, n° 08-44.236.
* 14 Cour de cassation, Soc. 5 mai 2010, n° 07-45.409.
* 15 Cour de cassation, Soc. 6 juillet 2004, n° 02-42.642.
* 16 Cour de cassation, Soc. 29 juin 2005, n° 03-44.412.
* 17 Cour de cassation, Soc. 25 juin 2003, n° 01-41.150.
* 18 Cour de cassation, Soc. 4 juin 2008, n° 06-45.757.