TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE M. BERNARD CAZENEUVE, MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DU BUDGET, SUR LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2014 (1ER OCTOBRE 2013)
Réunie le mardi 1 er octobre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du Budget, sur le projet de loi de finances pour 2014.
M. Philippe Marini , président . - Nous reprenons nos travaux, après l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, l'examen d'une proposition de loi relative à la dotation globale de fonctionnement et l'audition de M. Louis Gallois, que nous avons particulièrement questionné sur le deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA). Point d'orgue de cette journée, M. Cazeneuve nous présente le projet de loi de finances pour 2014.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué . - Je vous présente les excuses de Pierre Moscovici, empêché. Pour laisser place au débat, je vous dispenserai des quelque 87 pages du discours qui m'avait été préparé et j'irai à l'essentiel.
Le projet de loi de finances pour 2014 répond à trois objectifs, étroitement liés : inverser la courbe du chômage, faire revenir durablement la croissance, redresser nos comptes. La croissance ne reviendra pas si nous ne maintenons pas la trajectoire de redressement de nos comptes publics, et nous n'avons aucune chance de renverser la courbe du chômage sans croissance.
Le contexte a changé depuis l'an dernier. L'objectif du projet de loi de finances pour 2013, qui vous avait été présenté par Pierre Moscovici et mon prédécesseur, était de retrouver notre souveraineté en relevant un triple défi : redresser nos comptes pour gagner en crédibilité, rétablir notre compétitivité qui était dégradée, relancer l'investissement et la demande pour créer de la croissance.
Le redressement des comptes, engagé dès le projet de loi de finances rectificative pour 2012, s'est poursuivi dans le projet de loi de finances pour 2013, afin d'atteindre les objectifs d'ajustement structurel que nous avions pris devant l'Union européenne et les objectifs nominaux que nous nous étions fixés. En 2012, grâce aux gels décidés et aux mesures fiscales, le déficit s'est établi à 4,8 % au lieu de 5,3 %. Notre contribution budget de l'Union européenne nous a notamment empêchés d'atteindre les 4,5 % prévus.
Nous avons mis en oeuvre le pacte de compétitivité, avec le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) ; nous avons réformé le marché du travail grâce à l'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi ; nous avons encore réformé en profondeur le financement de notre économie en créant la Banque publique d'investissement (BPI). Le pacte de croissance négocié par le président de la République nous a conduits à mobiliser des fonds structurels européens, à augmenter le capital de la Banque européenne d'investissement (BEI) et à bénéficier ainsi d'une partie des 60 milliards d'euros de prêts proposés aux pays européens. Nous avons pris des mesures de soutien au pouvoir d'achat : coup de pouce au SMIC, revalorisation de l'allocation de rentrée scolaire.
Après un premier trimestre 2013 décevant, le deuxième a enregistré une croissance de 0,5 %. Nos prévisions de croissance sont de 0,1 % pour 2013 et de 0,9 % pour 2014. Le programme de stabilité prévoyait 1,2 % en 2014, et le consensus des économistes s'établissait en juin à 0,6 %. Notre prévision de 0,9 % se situe à mi-chemin. Le Haut Conseil des finances publiques considère cette hypothèse comme plausible. Nous l'estimons prudente, et avons construit notre budget sur cette base.
Celui-ci reflète notre volonté résolue de réduire les déficits. Le déficit nominal a été de 5,3 % en 2011 et de 4,8 % en 2012. Nous escomptons 4,1 % en 2013 et 3,6 % en 2014, et 1,2 % en 2017. Nous procédons, depuis le début du quinquennat, à un effort structurel important et continu : 1,3 % en 2012, 1,7 % en 2013, puis de 1 % pour 2014. Nous faisons en 2014 un effort exceptionnel d'économie en dépenses (9 milliards d'euros pour l'Etat, 6 milliards pour la sphère sociale). Ce dernier chiffre résulte d'abord d'un effort important de maîtrise des dépenses d'assurance-maladie. En 2012 nous avons été à un milliard d'euros en dessous de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) fixé par nos prédécesseurs. En 2013, ce devrait être 500 millions d'euros. L'Ondam croîtra de 2,4 % en 2014, et les économies sur l'assurance-maladie atteindront 3 milliards d'euros. Les mesures que nous avons prises sur le régime général des retraites dégageront 2 milliards d'euros d'économie. Ajoutez à cela un milliard en raison des négociations sur les régimes complémentaires AGIRC-ARCO, ainsi que de la renégociation des contrats d'objectifs et de gestion de certains organismes de sécurité sociale, rendue possible par l'usage des technologiques numériques, ou encore de la négociation entre les partenaires sociaux sur l'Unedic, et nous arrivons à 6 milliards d'euros !
Nous avons engagé avec les ministres la négociation sur le budget 2014 avec pour objectif, non de jouer du rabot pour atteindre arithmétiquement un objectif d'économies fixé, mais d'engager une réflexion très approfondie sur chaque budget et de susciter des réformes d'organisation et de structure, afin d'inscrire ce dialogue dans une perspective de long terme. La modernisation de l'action publique (MAP) nous a considérablement aidés. Par exemple, 50 % des préconisations relatives aux aides aux entreprises ont été intégrées au budget 2014. La réflexion engagée sur les opérateurs de l'État a abouti au plafonnement des taxes affectées aux organismes consulaires et nous a donné une évaluation plus précise de leur niveau de trésorerie, ce qui a dégagé plus de 300 millions d'économies. De même, un meilleur ciblage des exonérations dont bénéficiaient les entreprises situées outre-mer a dégagé 90 millions d'euros d'économies. Le prélèvement de 90 millions d'euros sur le Centre national du cinéma et de l'image animée résulte aussi de la MAP.
Les administrations centrales de l'État voient leurs dépenses de fonctionnement diminuer de 2 % en moyenne. Les mesures catégorielles dont bénéficient les fonctionnaires sont divisées par deux, et le point de la fonction publique reste gelé depuis plusieurs années - reconnaissons que les fonctionnaires fournissent un effort important. Les effectifs sont maîtrisés, même si nous avons procédé à 29 000 recrutements dans les secteurs prioritaires tels que l'éducation nationale, la justice et la police, qui ne sont pas pour autant exemptés de l'effort global d'économie. Nous avons en effet supprimé davantage de postes dans d'autres administrations. Ainsi, en 2014, nous créons 10 979 emplois, tout en en supprimant plus de 13 000 dans d'autres administrations, dont 7 000 au ministère de la défense, et plus de 2 500 au ministère de l'économie et des finances.
A titre d'exemple, trois administrations centrales ont accompli des efforts emblématiques. Le ministère de la justice a économisé 45 millions d'euros en réformant les frais de justice, notamment en modifiant les marchés relatifs aux recherches de traces et en mettant en place une plateforme d'entraide judiciaire. La direction générale des finances publiques dégage à elle seule 50 millions d'euros d'économies grâce à la dématérialisation - y compris dans la procédure budgétaire, où le volume de papier utilisé a été divisé par deux. Aux affaires étrangères, enfin, le regroupement de services culturels et consulaires dans des locaux redimensionnés, a dégagé des économies de fonctionnement d'environ 20 millions d'euros. Ces économies ne se font certes pas sans effort ni sans drame, mais elles ont un sens, une cohérence et s'inscrivent dans la durée.
Les ressources des opérateurs de l'État ont augmenté de 15 % ces dernières années et les dépenses de personnel, de 6 %. Le budget 2014 prévoit une diminution de 4 % de leurs ressources, notamment grâce à des regroupements : nous créons par exemple un opérateur unique de la jeunesse, et les opérateurs de la biodiversité seront regroupés au sein d'une même entité en 2015, afin d'en faire autant à moindre coût. Nous diminuons les budgets de certains opérateurs, qui avaient bénéficié de taxes affectées dont le dynamisme avait alimenté des fonds de roulement devenus fort dodus. Ainsi, le produit des taxes affectées à l'ADEME avait augmenté de près de 70 % en quelques années, et son fonds de roulement était passé de 60 à 300 millions d'euros entre 2003 et 2013. Sans porter atteinte à son action, nous avons pu effectuer un prélèvement. De même, les agences de l'eau subissent un prélèvement qui ne remet pas en cause leur fonctionnement compte tenu du niveau de leur fonds de roulement. Nous avons revu également nos politiques d'intervention et d'investissement, afin d'économiser 3 milliards d'euros.
Nous faisons beaucoup d'efforts pour alléger la fiscalité des entreprises. La mise en place du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) allège les charges nettes qui pèsent sur celles-ci de 10 milliards d'euros en 2014. Au titre du budget 2013, 4,5 milliards d'euros avaient été prélevés sur les entreprises qui ne le seront pas en 2014. Nous ne reconduisons pas la totalité des mesures prises l'an dernier. Outre la mesure de rendement de 2,5 milliards d'euros sur laquelle je reviendrai dans un moment, nous cherchons à trouver un milliard en luttant contre la fraude, notamment grâce à la mise en oeuvre des préconisations du rapport de l'Inspection générale des finances sur les prix de transfert. Le milliard d'euros de cotisations des entreprises destiné à financer la réforme des retraites sera intégralement compensé dans le budget 2014. Par rapport à l'année dernière, l'effort fiscal demandé aux entreprises sera moindre, et bien moindre si l'on tient compte des 10 milliards d'euros d'allègements de charges résultant du CICE. Nous faisons bien tout pour que nos entreprises retrouvent leur compétitivité.
Notre réforme de la fiscalité des entreprises s'inspire de la philosophie suivante : nous avons raisonné sur quatre impôts : l'impôt forfaitaire annuel (IFA) et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui pèsent sur la production, et l'impôt sur les sociétés (IS) ainsi que l'impôt sur les dividendes ; nous avons écarté une augmentation de la taxe sur les dividendes de 3 % créée l'an dernier, car cela enverrait un signal négatif à ceux qui contribuent au financement de l'économie française en investissant dans les entreprises ; nous avons supprimé l'IFA, parce que les impôts pesant sur la production taxent des entreprises dont le chiffre d'affaires peut être important mais le résultat, faible. Mieux vaut un impôt sur l'excédent brut d'exploitation, même si cette assiette prend en compte les amortissements, ce qui pourrait pénaliser l'investissement. La concertation engagée avec les entreprises se poursuivra à la faveur des assises de l'entrepreneuriat annoncées par le président de la République. Nous sommes ouverts à tous ajustements techniques pour faire en sorte que cet impôt nouveau ne pénalise pas l'investissement.
Nous mettrons en place un nouveau régime pour les plus-values mobilières ainsi qu'un nouveau dispositif concernant les jeunes entreprises innovantes. Le taux réduit de TVA pour la construction de logements sociaux et les petites réparations, le taux réduit de TVA sur la rénovation thermique, que nous introduirons par amendement, le taux réduit de TVA pour le logement intermédiaire réalisé par les institutionnels et le nouveau régime fiscal des plus-values immobilières sont autant de dispositifs servant nos objectifs. Enfin, la contribution énergie-climat financera le CICE.
Nous ne prenons pas de mesures à caractère général envers les ménages, à l'exception de la ré-indexation du barème de l'impôt sur le revenu et de la mise en place d'une décote. Il s'agit de corriger une injustice qui a contribué, avec la remise en cause de la demi-part des veuves, à l'entrée dans le barème de Français qui n'avaient pas vocation à y entrer. Toutefois, le nombre de Français entrant dans ce barème s'est élevé en 2011 à 2,6 millions, en 2012 à 2,9 millions, et à 2,6 millions en 2013. Ces chiffres proviennent de la direction générale des finances publiques, et je vous invite à venir les vérifier sur pièces et sur place. Nous vous communiquerons la totalité des tableaux.
Nous modifions le quotient familial pour combler le déficit de 2,5 milliards d'euros de la branche famille et financer certaines mesures du plan contre la pauvreté, la création de 270 000 places et solutions d'accueil pour les jeunes enfants, l'augmentation de l'allocation de soutien familial et du complément familial. Pour financer la réforme des retraites, nous augmentons la cotisation des salariés et nous fiscalisons la majoration de pension de 10 % pour les familles ayant élevé trois enfants. La mesure sur la fiscalité des complémentaires santé dans le cadre d'un contrat collectif d'entreprise est destinée à la généralisation des complémentaires-santé. Chacune de ces dispositions a pour objectif de sauver le modèle social français.
J'ai réservé les collectivités territoriales pour la fin, puisque nous sommes au Sénat. Nous diminuons les dotations qui leur sont allouées d'1,5 milliard d'euros, ce qui est considérable. Le pouvoir de taux des collectivités locales varie significativement aux termes des différentes lois de décentralisation : celui des communes ou des intercommunalités est fort, celui des régions, plus faible ; les départements, qui en ont encore un peu, font face à de très lourdes dépenses contraintes qui obèrent leur capacité d'action. Nous avons donc fait porter 56 % de l'effort à la strate communale et intercommunale, 32 % aux départements et 12 % aux régions.
Dans le même temps, nous avons décidé de signer un pacte de confiance et de responsabilité avec les collectivités territoriales, afin d'apurer la situation passée. La négociation a bénéficié d'un consensus relatif : avec les départements, nous avons trouvé un accord satisfaisant l'ensemble des participants à la négociation. Ceux-ci devaient faire face à des dépenses contraintes très dynamiques au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH), de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du RSA, alors que la crise avait fait baisser leurs recettes. Il a été décidé de leur transférer des frais de gestion dynamiques adossés à des impôts locaux, ainsi qu'un pouvoir de taux sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), faisant passer le plafond de 3,8 % à 4,5 %. Comme l'assiette de ceux-ci sera dynamisée du fait de la réforme des plus-values immobilières, les départements pourront mieux faire face à leurs dépenses.
Pour les régions, nous avons décidé de remplacer la dotation générale de décentralisation « formation professionnelle » par des frais de gestion dynamiques ainsi qu'une part de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE). Nous avons ainsi souhaité que les collectivités locales ne perdent ni leur autonomie ni leur capacité d'investissement, puisqu'elles représentent 65 % de l'investissement national .
M. François Marc , rapporteur général . - Il y a quelques semaines, M. Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires, a attiré notre attention sur les exigences qui seraient formulées à l'égard de tous les pays européens. Il y a trois jours, il a déclaré : « Je suis conscient des efforts importants consentis par la France pour restaurer ses finances publiques. Ce projet de loi de finances est marqué par la responsabilité et la prudence ». Le Gouvernement a en effet veillé à rester dans la trajectoire sur laquelle nous nous étions prononcés, en retenant des hypothèses macroéconomiques prudentes, que le Haut Conseil des finances publiques a jugées plausibles. Réduire un déficit très important quand nos concitoyens attendent des actions en faveur de la croissance et de l'emploi, et qu'il faut mettre en musique le dispositif sur la compétitivité et l'emploi, demande bien un sens de la responsabilité. Ce budget révèle une préoccupation de redressement des comptes publics en même temps qu'un souci de l'avenir, puisque le Gouvernement donne la priorité à la jeunesse, sans oublier la justice et la sécurité. Il y a aussi des mesures en faveur du pouvoir d'achat. Ce projet de budget reflète ainsi les vertus du Gouvernement.
Faisant partie des croyants, je m'en tiendrai à une question sur les ajustements de trajectoire annoncés récemment. Serez-vous capable d'atteindre l'objectif d'équilibre du solde structurel en 2017 et l'objectif d'un déficit de 3 % en 2015 ?
M. Philippe Marini , président . - La procédure du « Two-Pack » s'appliquant pour la première fois, la Commission européenne doit formuler un avis sur le projet de budget qui lui a été transmis. Comment cette procédure fonctionne-t-elle ? L'article 18 de la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 prévoit que les niches fiscales font l'objet d'une évaluation par cinquième chaque année. Quand disposerons-nous de ces évaluations ?
Autre innovation, l'avis du Haut Conseil des finances publiques. Celui-ci constate que l'écart du solde structurel à la programmation sera supérieur à 0,5 % du PIB. Le mécanisme de correction automatique devra être déclenché. Selon quelles modalités ? En outre, comment définissez-vous la pause fiscale : s'agit-il d'une stabilisation des prélèvements obligatoires, ou de l'absence de mesures nouvelles en prélèvements obligatoires ?
Le Haut Conseil, dont l'avis est très équilibré, estime que les prévisions concernant les chiffres de masse salariale sont optimistes, avec comme conséquences possibles une surestimation des recettes et une sous-estimation des dépenses de l'assurance-chômage. Qu'en pensez-vous ? De même, comment le coefficient d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB est-il calculé ? Enfin, le Haut Conseil estime que le CICE n'a pas des effets comparables à une baisse des charges, et que le chiffre escompté de créations de 90 000 emplois est par conséquent discutable. Quelle est votre analyse sur ce point ?
M. Bernard Cazeneuve . - Nous sommes en discussion constante avec la Commission européenne dans le cadre du semestre européen. Nous lui transmettons tous les documents nécessaires afin qu'elle puisse apprécier l'adéquation du budget à la trajectoire prévisionnelle.
Nos objectifs n'ont pas changé par rapport au programme de stabilité : nous visons toujours l'équilibre structurel en fin de période. Nous souhaitons atteindre cet objectif grâce à des efforts de maîtrise des dépenses publiques : cet effort s'élève à 15 milliards d'euros en 2014 et sera poursuivi en 2015. Il ne portera, à compter de 2015, que sur les économies en dépense. Quant au poids de la dépense publique, il baissera de trois points d'ici à 2017, l'inflexion étant sensible dès 2014. Enfin le déficit nominal s'établira à 1,2 parce que nous n'avons pas rattrapé le niveau de production d'avant la crise.
Pierre Moscovici s'est rendu à Bruxelles pour présenter le projet de budget. Le rapport économique, social et financier a été rendu public aujourd'hui et la Commission européenne dispose d'un délai de quinze jours pour y réagir. Si des problèmes majeurs se présentaient, nous pourrions prendre des mesures de correction.
En outre, nous avons mis en place des conférences fiscales qui ont aidé à supprimer des niches fiscales inefficaces. Nous nous livrons à un travail d'évaluation permanent. Les évaluations seront transmises à la commission et leurs résultats seront connus au plus tard à la fin de l'année. L'objectif de dépense fiscale est plus que respecté : 68,9 milliards en 2014, contre un objectif fixé à 70,8 milliards par l'article 14 de la loi de programmation des finances publiques 2012-2017.
M. Philippe Marini , président . - Et la pause fiscale ?
M. Bernard Cazeneuve . - Je ne voudrais surtout pas donner l'impression d'échapper à cette question délicieuse... L'effort fiscal s'apprécie par l'augmentation de la pression fiscale ou des prélèvements obligatoires. Nous avions prévu dans le programme de stabilité une hausse des prélèvements obligatoires de 0,3 %. Or la hausse ne sera que de 0,15 % en 2014, et même 0,05 % hors lutte contre la fraude fiscale. Alors que le montant des prélèvements obligatoires supplémentaires prélevés en 2011 s'est établi à 20 milliards d'euros, à 22 milliards en 2012, une vingtaine en 2013, il ne sera que d'un milliard en 2014, avant de devenir nul les années suivantes. Cela s'appelle la pause fiscale et elle sera effective dès 2014.
M. Philippe Marini , président . - Qu'en est-il de la procédure de correction automatique ?
M. Bernard Cazeneuve . - Si une telle procédure se révélait nécessaire, elle n'interviendrait que l'an prochain. Le Haut Conseil apprécie le décalage entre la loi de finances et la loi de programmation pluriannuelle de finances publiques. Toutefois, depuis, une négociation a été conduite avec l'Union européenne et le calendrier de nos engagements a été redéfini, ce qui nous a donné davantage de temps pour atteindre nos objectifs. Nous avons transmis ces éléments au Haut Conseil, qui se prononcera de nouveau en mai. Nous aurons dans le courant de l'année 2014 à regarder la manière dont, en liaison avec le Haut Conseil des finances publiques, nous mettons en adéquation la trajectoire avec notre budget.
M. Yannick Botrel . - Comme François Marc, j'appartiens au camp des croyants et je salue la clarté de votre présentation. Sur le gel du barème de l'impôt sur le revenu, vous avez donné quelques chiffres : hausse du nombre de contribuables de 2,9 millions en 2012 et de 2,6 millions en 2013. Quel sera l'effet de la ré-indexation du barème en 2014 ?
L'effort extrêmement important demandé aux administrations de l'Etat aux opérateurs ainsi qu'aux fonctionnaires est-il reproductible, voire amplifiable ? La dette publique devrait s'établir à 95,1 % du PIB en 2014, contre 93,4 % en 2013. Les taux d'intérêt sont actuellement faibles et la charge de la dette est par conséquent stabilisée. Je me demande toutefois quand le niveau de la dette sera stabilisé.
M. Vincent Delahaye . - Je vous remercie pour votre présentation très claire, même si je reste plutôt critique. Le déficit structurel baisse, mais le déficit conjoncturel augmente encore en 2014. Quand devrait-il commencer à se réduire ? Sur quelles hypothèses de taux fondez-vous l'économie de 500 millions d'euros prévue sur la charge de la dette ? J'aimerais être sûr qu'elles ne sont pas trop optimistes...
Les dépenses de fonctionnement des opérateurs diminueront de 4 %, soit 3 milliards d'euros. Pourtant les dépenses du budget général sont stabilisées, ce qui signifie que certains postes augmentent ! Lesquels ? De plus, comment la politique salariale des opérateurs est-elle surveillée ?
M. Francis Delattre . - Sur ce budget, je fais pour ma part partie des mécréants. Le ministre est-il rassuré que son budget soit jugé plausible ? S'agit-il de la reconnaissance d'une limite ou d'un encouragement ? Il annonce une inversion de la courbe du chômage. Nous demandons à voir ! La baisse récente correspond uniquement à des manipulations statistiques et les procédures en cours devant les tribunaux de commerce menacent 165 000 emplois dans le secteur marchand.
Je partage l'avis du ministre : la croissance, voilà la priorité. Nous verrons... Le redressement des comptes est présenté comme le deuxième axe de la politique du Gouvernement. Or l'endettement s'est accru et la dette a franchi le cap des 90 % du PIB. La prévision de déficit a été revue pour s'établir non à 3 % mais à 4,1 % du PIB. La sémantique s'emparant du débat budgétaire, les documents de l'administration emploient le conditionnel : l'effort de redressement « s'établirait » à 1,7 point de PIB en 2013. L'indicatif serait plus rassurant !
Le désenfumage autour du CICE est amorcé. Louis Gallois évoquait un choc de compétitivité de 30 milliards d'euros ; les ministres ont avancé un chiffre de 20 milliards d'euros, puis celui-ci apparaît maintenant à 10 milliards d'euros. De plus, ne convient-il pas de mieux cibler un dispositif qui concerne surtout les banques et la grande distribution ?
Vous souhaitez rétablir la compétitivité, mais la taxe sur l'excédent brut d'exploitation touchera les entreprises qui investissent le plus : les entreprises industrielles. Enfin le fameux engagement du président de la République lors de la campagne électorale de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG a-t-il été abandonné ?
Mme Fabienne Keller . - Nous sommes bien loin de la pause fiscale : au titre de l'impôt sur le revenu, nous atteindrons 71,9 milliards d'euros de recettes cette année contre 59,5 milliards l'an passé, soit 12 milliards de plus, c'est considérable, surtout quand vous prévoyez une nouvelle augmentation du produit de 3,4 milliards d'euros en 2014. La pause fiscale semble remise à plus tard. Il s'agit d'un mauvais signal adressé aux ménages, qui augmentent leur épargne. Je suis inquiète.
Le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche apparaît en forte hausse. Comment les investissements d'avenir sont-ils comptabilisés ? Ils augmentent le montant des missions sans jouer sur le déficit annuel.
Vous avez annoncé 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires dus à la fiscalité écologique, sans doute sur l'énergie. Or ces montants viennent en totalité compenser le CICE alors que le président de la République avait annoncé lors de la conférence environnementale que les recettes provenant de la fiscalité environnementale seraient, comme c'est leur raison d'être, fléchées vers des aides à l'isolation thermique, l'utilisation de véhicules propres, de l'aide aux entreprises vertueuses, etc. ? Là aussi, les promesses sont-elles remises à plus tard ?
Mme Marie-France Beaufils . - J'ai bien entendu l'exigence du TSCG : ce budget s'efforce de répondre à nos engagements européens. Regardons les pays qui pour s'y conformer ont fortement réduit leurs dépenses : le redressement n'y est pas à l'ordre du jour.
La chute des recettes de l'impôt sur les sociétés m'inquiète. Or son taux est très disparate : 8 % pour les grandes entreprises du CAC 40, mais 33 % pour les PME. Un rééquilibrage serait d'autant plus opportun que la part de la valeur ajoutée consacrée à la rémunération du capital a fortement augmenté.
Je voudrais vous interroger sur les mesures pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales et vous dire mon inquiétude concernant la diminution des moyens des services de l'État. Le recul de l'État implique une sollicitation accrue des collectivités territoriales... dont les dotations sont en baisse. Elles ne pourront répondre aux attentes de service public des populations fragilisées par la baisse de leur pouvoir d'achat, ce qui aggravera les inégalités économiques et territoriales. C'est contre-productif.
La non-indexation du barème de l'impôt sur le revenu les deux dernières années a accru le nombre des personnes contribuables. Même si le projet de loi instaure une décote, ces personnes seront toujours considérées comme contribuables, avec des conséquences diverses : pour l'octroi de l'allocation personnalisée d'autonomie, de l'aide au logement, de chèques-restaurant, les dégrèvements de taxe d'habitation, etc. Le projet procède à nouveau à l'indexation du barème de l'impôt, mais aucun rattrapage n'est prévu pour les personnes devenues contribuables ces deux dernières années.
M. Éric Doligé . - Comme je suis très influençable, monsieur le Ministre, votre présentation m'a presque convaincu. Le projet de budget ouvre aux départements la faculté temporaire de relever le taux des DMTO. L'Assemblée des départements de France (ADF) estime pourtant que le passage de 3,8 à 4,5 % pose des difficultés techniques. La solution pourrait consister à fixer en loi de finances un plafond par défaut à 4,5 %, les collectivités territoriales étant libres de délibérer ensuite pour ne pas relever leur taux. Cette mesure pourrait représenter pour les départements jusqu'à 1,17 milliard d'euros de recettes supplémentaires. Celles-ci seront-elles soumises à la péréquation ? On m'a dit que mon département pourrait dégager 10 millions d'euros de recettes supplémentaires et que s'il y renonçait, il se verrait retirer 5 millions d'euros au titre de la péréquation. Certes, les DMTO sont prélevés dans le secret des études de notaires. Montera-t-on à 6 % l'an prochain de manière à compenser par cette taxe invisible les 4 milliards d'euros des allocations individuelles de solidarité (AIS) conformément à l'engagement du président de la République ?
M. Philippe Marini . - Votre question est bien celle d'un sceptique !
M. Jean-Paul Emorine . - Le projet de budget s'appuie sur une hypothèse de croissance proche de 1 %. Hélas, la réalité n'a jamais été conforme aux prévisions.
La hausse des prélèvements obligatoires serait modérée... N'oublions pas que la France arrive juste derrière le Danemark parmi les pays de l'OCDE en ce qui concerne le taux de prélèvements obligatoires - 46-47 % contre 35 % en Allemagne, soit presque 200 milliards d'euros d'écart ! Le taux de dépenses publiques proche de 57 % du PIB est inquiétant. Bien que vous annonciez vouloir le diminuer, le niveau d'emploi de la fonction publique ne baisse pas. Comment retrouver de la compétitivité et de la croissance sans baisser les charges publiques de l'État, des collectivités territoriales, des entreprises publiques, de la fonction publique hospitalière ? Un pays sans croissance s'appauvrit. Vous comptez stabiliser les effectifs, mais nous sommes un des seuls pays où la proportion des actifs travaillant dans la fonction publique atteint 22 % !
M. Yvon Collin . - Le projet de loi réforme le plan d'épargne en actions en faveur des petites et moyennes entreprises. Vous indiquez que ce dispositif n'est pas chiffrable. Combien coûte le dispositif actuel ?
M. Aymeri de Montesquiou . - A défaut de réconcilier les Armagnacs et les Bourguignons, je voudrais ajouter un codicille aux propos du Bourguignon. Si nous connaissons toute la difficulté de votre tâche, les chiffres ne laissent pas d'inquiéter. Pour diminuer le chômage, il faut améliorer la compétitivité, or nous sommes au 23e rang. Comment les entreprises peuvent-elles investir avec le plus faible taux de marge en Europe ? Vous avez hérité d'une situation difficile, mais celle-ci s'est fortement dégradée. Nous sommes au 134e rang mondial pour la fiscalité et nous devons accomplir un effort gigantesque. Il est impératif de réaliser une forme d'union nationale pour trouver des solutions partagées. Celle que vous nous proposez est désespérément optimiste.
M. Bernard Cazeneuve . - Oui, la croissance et la compétitivité sont liées. C'est pourquoi nous avons créé le CICE afin de donner à notre appareil productif des chances d'affronter la concurrence internationale. La situation, certes difficile, n'est pas apparue en deux ans. Le problème est structurel. Sous le quinquennat précédent, le taux de croissance s'est établi autour de 0 % en moyenne. Le déficit commercial, révélateur de la compétitivité, a atteint 75 milliards d'euros en 2012, très loin des 150 milliards d'euros de l'excédent allemand.
Pour y faire face, nous prenons des mesures multiples. Le CICE, tout d'abord, sera pleinement opérationnel l'an prochain. Le préfinancement est en place dès cette année. Ce dispositif serait trop complexe, différent de la baisse des cotisations sociales envisagée, qu'aurait compensée une hausse de la TVA ? Mais les chiffres du préfinancement montrent une montée en puissance : nous atteignons nos objectifs ; les entreprises s'approprient le mécanisme. Leurs charges baisseront de 20 milliards d'euros, non financés en totalité par le consommateur, mais pour moitié par des économies de dépenses, et pour le reste par une hausse de 6 milliards d'euros de la TVA ainsi que par la montée en puissance de la fiscalité écologique. Pour parvenir au même niveau d'allègement de charges avec la TVA sociale, il aurait fallu augmenter les recettes de TVA de 33 milliards d'euros afin de compenser le fait que vous récupérez par l'impôt sur les sociétés une part des allègements de charges ! Je présenterai peut-être un graphique en séance...
M. Philippe Marini , président . - Depuis longtemps la commission des finances milite pour que l'hémicycle soit équipé d'un dispositif de vidéo-projection.
M. Bernard Cazeneuve . - Je transmettrai à la commission des finances un tableau précis sur l'évolution du nombre de contribuables. Chaque année celui-ci fluctue en raison de l'évolution des situations personnelles. Les chiffres de 2013 ne montrent aucune rupture : ainsi le nombre des nouveaux contribuables s'établit à 2,6 millions en 2013, contre 2,9 millions en 2012, 2,6 millions en 2011, 3,1 millions en 2010, ou 2,7 millions en 2009. Aucune explosion liée à une quelconque frénésie fiscale ! De plus, 92 % des nouveaux contribuables deviennent redevables à cause de la hausse de leurs revenus. La majoration exceptionnelle de la décote décidée l'an passé a profité à 7,2 millions de contribuables et 366 000 foyers fiscaux n'ont pas été imposés grâce à cette mesure.
Le gel du point des fonctionnaires ne pourra pas durer indéfiniment, même si l'effort de maîtrise de la masse salariale a vocation à se poursuivre. L'effort demandé obéit d'ailleurs à des considérations de justice : les fonctionnaires de catégorie C bénéficieront de mesures particulières. Le maintien du pouvoir d'achat des populations modestes est bien au coeur de nos préoccupations.
La dette atteint 93,4 % du PIB en 2013, et sera de 95,1 % en 2014 ; la courbe s'infléchira en 2015 avec un taux de 94,7 %. M. Delahaye, le déficit conjoncturel baissera quand la croissance sera supérieure à son potentiel, soit en 2016 ; le déficit, structurel et nominal, se réduit constamment depuis 2012. La charge de la dette, quant à elle, s'établira à 46,7 milliards d'euros en 2014 contre 45 milliards d'euros en 2013. Nos hypothèses sont prudentes : nous estimons que le taux d'intérêt à 10 ans sera à 3,5 % en moyenne en 2014, quand le consensus prévoit 3 %. L'économie de 0,5 milliard d'euros prévue sur la charge de la dette n'est pas liée à des hypothèses de taux imprudentes mais à une réduction du déficit de 17 milliards d'euros depuis 2012.
Le CICE montera en puissance progressivement : 10 milliards d'euros en 2014, 15 milliards d'euros en 2015 et 20 milliards d'euros en 2016. Sur le compte des entreprises, il s'agit 4 % de masse salariale en 2013 et 6 % à compter de 2014.
En outre, notre scénario d'emploi n'est pas biaisé : il repose, c'est bien le moins, sur l'hypothèse que les dispositifs que nous avons mis en place produiront leur effet : le CICE, qui créera 90 000 emplois, les emplois d'avenir, les contrats de génération, la réforme de la formation professionnelle ou encore le renforcement de l'efficacité de Pôle emploi.
Le rendement de la fiscalité écologique sera de 340 millions en 2014, 2,5 milliards en 2015, 4 milliards en 2016. Nous rétrocéderons un milliard aux ménages, les 3 milliards restant financeront le CICE. Dès 2014, nous financerons la TVA sur les travaux de rénovation thermique, différentes mesures d'aide à la rénovation thermique, et les tarifs sociaux de l'électricité : les rétrocessions aux ménages seront importantes dès 2014. Ni dissimulation ni tour de magie sur le PIA. Il n'a pas été pris en compte en 2010 dans le calcul du déficit en comptabilité nationale : nous faisons exactement la même chose. Les décaissements interviennent au fur et à mesure de l'avancement des projets. En 2014 et hors Défense, nous payons le PIA décidé sous le quinquennat précédent à hauteur de 3,5 milliards d'euros.
Marie-France Beaufils m'interroge sur l'impôt sur les sociétés. Outre le CICE, qui l'impacte mécaniquement de 9,4 milliards d'euros, les mesures votées en loi de finances initiale pour 2013 ont un contrecoup de 4,1 milliards d'euros. Nous examinerons lors du débat les autres éléments qui expliquent son évolution.
Eric Doligé s'inquiète des conditions d'augmentation des DMTO. Non, il n'y a pas d'obstacle technique : nous nous rapprocherons de l'ADF pour comprendre ses craintes. Cette augmentation est possible jusqu'en mars 2016. Je l'ai dit au Comité des finances locales, les modifications de la fiscalité immobilière enclencheront une dynamique qui vous conduira peut-être à ne pas augmenter les taux, compte tenu du choc d'offre. Comme il n'y a pas de péréquation sur les DMTO, je crois pouvoir vous assurer que le risque que vous évoquez est plus qu'hypothétique. Mes collaborateurs se rapprocheront de l'ADF.
M. Éric Doligé . - Les tableaux sont parlants !
M. Bernard Cazeneuve . - Nous verrons s'ils nous parlent et vous adresserons une réponse écrite.
M. Philippe Marini , président . - Je vous remercie, monsieur le Ministre délégué. Croyants ou non croyants, nous avons tous apprécié votre disponibilité et votre sens du dialogue.