CHAPITRE V - RENFORCEMENT DES MOYENS D'ACTION DES DOUANES
Article 6 (art. L. 335-2, L. 335-4, L. 513-4, L. 613-3, L. 623-4 et L. 722-1 du code de la propriété intellectuelle) - Clarification du régime des utilisations interdites des droits de propriété intellectuelle à défaut de consentement de leur titulaire
L'article 6 de la proposition de loi vise à clarifier dans le code de la propriété intellectuelle les utilisations interdites des droits de propriété intellectuelle sans le consentement de leur titulaire et à les harmoniser pour toutes les catégories de droits, en particulier pour les obtentions végétales et les indications géographiques, pour lesquelles ces utilisations interdites ne sont pas précisées. Est ainsi intégré parmi ces utilisations interdites, outre la production, l'offre, la vente, la mise sur le marché, l'importation ou encore l'exportation de biens utilisant ces droits, le transbordement. Par conséquent, tous les droits de propriété intellectuelle bénéficieraient d'un régime complet de protection identique.
Cet article reprend avec un ajustement rédactionnel limité l'article 31 du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Votre rapporteur indique que le rapport d'information précité de notre collègue Richard Yung et de notre ancien collègue Laurent Béteille comportait une recommandation demandant de clarifier la réglementation douanière communautaire pour prévoir explicitement la possibilité pour les douanes d'intervenir pour les produits en transbordement, c'est-à-dire de provenance et de destination extracommunautaires transitant en Europe.
Or, depuis ce rapport d'information et depuis l'adoption du texte de 2011 par votre commission, est intervenu un arrêt dit Nokia 10 ( * ) de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le 1 er décembre 2011, sous l'empire du règlement (CE) n° 1383/2003 du 22 juillet 2003 concernant l'intervention des autorités douanières à l'égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle.
La question préjudicielle posée portait sur la possibilité de contrôler les marchandises placées en régime douanier suspensif et soupçonnées de constituer des contrefaçons. Parmi les régimes suspensifs figure le transit externe, appelé transbordement en droit français, qui permet la circulation sur le territoire douanier de l'Union européenne de marchandises provenant d'un pays tiers et destinées à un pays tiers. Il s'agissait, selon l'arrêt, de savoir « si des marchandises provenant d'un État tiers et constituant une imitation d'un produit protégé dans l'Union (...) peuvent être qualifiées de « marchandises de contrefaçon » (...) au sens du règlement n° 1383/2003 (...) du seul fait qu'elles sont introduites sur le territoire douanier de l'Union », et donc à ce titre faire l'objet d'un contrôle douanier. À cette question, la CJUE a répondu par la négative. Étaient discutés « le risque d'un détournement frauduleux vers les consommateurs dans l'Union de marchandises déclarées sous un régime suspensif » et le fait que, en l'absence d'un tel risque, il n'était pas possible de donner aux droits de propriété intellectuelle protégés par le droit de l'Union européenne une portée territoriale à l'extérieur de l'Union.
La CJUE a indiqué dans son arrêt que « les marchandises placées sous un régime douanier suspensif ne sauraient, du seul fait de ce placement, porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle applicables dans l'Union », ce qui ne serait pas le cas dans l'hypothèse où « des marchandises provenant d'États tiers font l'objet d'un acte commercial dirigé vers les consommateurs dans l'Union », ce qui peut justifier leur contrôle au regard du droit communautaire.
L'arrêt de la CJUE précise ensuite que « l'autorité douanière ayant constaté la présence en entrepôt ou en transit de marchandises imitant ou copiant un produit protégé, dans l'Union, par un droit de propriété intellectuelle peut valablement intervenir lorsqu'elle dispose d'indices selon lesquels l'un ou plusieurs des opérateurs impliqués dans la fabrication, l'expédition ou la distribution des marchandises, tout en n'ayant pas encore commencé à diriger ces marchandises vers les consommateurs dans l'Union, est sur le point de le faire ou dissimule ses intentions commerciales ».
Les indices dont doit disposer l'autorité douanière sont caractérisés comme « des éléments de nature à faire naître un soupçon », qui découlent des circonstances de l'espèce. L'arrêt précise que « peuvent notamment constituer de tels éléments le fait que la destination des marchandises n'est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l'absence d'informations précises ou fiables sur l'identité ou l'adresse du fabricant ou de l'expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d'une correspondance à propos des marchandises en cause suggérant qu'un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l'Union est susceptible de se produire ».
Ainsi, les bases juridiques permettant aux douanes de contrôler des marchandises de contrefaçon en transbordement sont assez larges, puisque même un manque de coopération avec les douanes peut le justifier.
Pour conclure, l'arrêt de la CJUE indique notamment que « des marchandises provenant d'un État tiers et constituant une imitation d'un produit protégé dans l'Union (...) ne sauraient être qualifiées de « marchandises de contrefaçon » (...) en raison du seul fait qu'elles sont introduites sur le territoire douanier de l'Union sous un régime suspensif », mais que « ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit (...) lorsqu'il est prouvé qu'elles sont destinées à une mise en vente dans l'Union, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu'il s'avère que lesdites marchandises ont fait l'objet d'une vente à un client dans l'Union ou d'une offre à la vente ou d'une publicité adressée à des consommateurs dans l'Union, ou lorsqu'il ressort de documents ou d'une correspondance concernant ces marchandises qu'un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l'Union est envisagé ».
Selon les indications fournies par les douanes, l'arrêt a tout de même eu pour effet de sérieusement restreindre leurs capacités d'action, dans la mesure où le tiers de leurs résultats en matière de contrefaçon provenaient jusque-là de marchandises en transit sur le territoire européen. Les douanes françaises respectent donc l'interprétation donnée par l'arrêt Nokia.
Depuis, le règlement (CE) n° 1383/2003 a été revu et remplacé par le règlement (UE) n° 608/2013 du 12 juin 2013 concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle, entrant en vigueur le 1 er janvier 2014, sans pour autant que le transbordement soit pris en compte. Le droit n'est pas modifié sur ce point.
Or, l'article 6 de la proposition de loi a pour effet de soumettre les marchandises en transbordement au contrôle douanier, en contradiction avec l'arrêt Nokia. Votre commission ne peut que constater, en l'état du droit communautaire et de son interprétation par la CJUE, qu'il n'est pas possible de soumettre au contrôle l'ensemble des marchandises en transbordement.
Pour autant, le Gouvernement oeuvre depuis plusieurs mois pour faire modifier le droit communautaire afin de surmonter la jurisprudence de l'arrêt Nokia, en vue de faire reconnaître la possibilité de contrôler toutes les marchandises en transit sur le territoire de l'Union européenne au titre des droits de propriété intellectuelle, à l'occasion notamment de la renégociation en cours de la directive sur les marques.
En conséquence, votre commission n'a pas souhaité modifié le texte de la proposition de loi sur ce point.
Par ailleurs, votre commission a adopté un amendement présenté par le Gouvernement de coordination rédactionnelle.
Votre commission a adopté l'article 6 ainsi modifié .
Article 7 (art. L. 335-10, L. 335-11 à L. 335-15 [nouveaux], L. 521-14, L. 521-15, L. 522-1, L. 614-32 à L. 614-37 [nouveaux], L. 623-36 à L. 623-41 [nouveaux], L. 716-8, L. 716-8-1 et L. 722-9 à L. 722-14 [nouveaux] du code de la propriété intellectuelle) - Extension et harmonisation avec le droit communautaire de la procédure de la retenue douanière de marchandises en cas de contrefaçon
L'article 7 de la proposition de loi vise à harmoniser la procédure de retenue douanière de marchandises 11 ( * ) avec le droit communautaire, s'agissant en particulier de la retenue en matière de propriété littéraire et artistique, ainsi qu'à l'étendre aux droits de propriété intellectuelle pour lesquels elle n'existe pas, c'est-à-dire les brevets d'invention, les obtentions végétales et les indications géographiques.
Cet article reprend sans modification les articles 32 à 37 du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
La procédure de retenue douanière existe uniquement, à ce jour, en matière de droit d'auteur ou de droit voisin, de dessins et modèles et de marques. Cette procédure consiste, pour l'administration des douanes, sur demande justifiée du titulaire d'un droit de propriété intellectuelle ou de sa propre initiative dans le cadre de ses contrôles, à retenir des marchandises susceptibles de constituer des contrefaçons. La retenue douanière est notifiée au titulaire du droit, qui dispose d'un délai de dix jours ouvrables 12 ( * ) pour justifier auprès des douanes du fait qu'il a obtenu de la part du juge des mesures conservatoires ou bien qu'il a engagé une action civile ou pénale en contrefaçon 13 ( * ) , faute de quoi la retenue est levée de plein droit. Les douanes peuvent dans ce cadre communiquer diverses informations utiles concernant les biens retenus pour que le titulaire du droit puisse engager une action. La retenue fait aussi l'objet d'une information du procureur de la République.
À côté de la procédure de saisie-contrefaçon, la retenue douanière constitue un instrument juridique efficace pour lutter contre la contrefaçon.
Votre commission a adopté l'article 7 sans modification .
Article 8 (art. 38 du code des douanes) - Clarification de la liste des marchandises prohibées provenant d'un autre État-membre de l'Union européenne
L'article 8 de la proposition de loi précise la liste des marchandises prohibées et en clarifie la rédaction, à l'article 38 du code des douanes. De ce fait, il clarifie et étend le champ de contrôle des douanes à l'ensemble des marchandises contrefaisantes et pas aux seuls marques et dessins et modèles.
Cet article reprend avec quelques modifications l'article 38 du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
L'article 38 du code des douanes fixe, dans son 1, le principe selon lequel « sont considérées comme prohibées toutes marchandises dont l'importation ou l'exportation est interdite à quelque titre que ce soit, ou soumise à des restrictions, à des règles de qualité ou de conditionnement ou à des formalités particulières ». Ce principe est détaillé dans les 2 et 3 du même article.
Le 4 du même article 38 du code des douanes énumère différentes catégories de marchandises prohibées, par dérogation au principe de libre circulation des marchandises sur le territoire de l'Union européenne 14 ( * ) . Sont notamment visés les produits liés à la défense, certains produits chimiques, les stupéfiants, divers produits liés à la santé publique ou au corps humain, les déchets, les objets à caractère pédopornographique et les « marchandises présentées sous une marque contrefaisante ou incorporant un dessin ou modèle tel que mentionné à l'article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle et tel que visé par l'article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires ». En d'autres termes, les douanes ont la compétence de contrôler ces marchandises prohibées, quand bien même elles viendraient d'un autre État-membre de l'Union européenne.
Le présent article clarifie la rédaction de la longue liste de produits et marchandises énumérés par le code, la rendant ainsi plus lisible, et la complète par les biens culturels et trésors nationaux et, en remplacement des marchandises présentée sous une marque contrefaisante ou incorporant un dessin ou modèle de façon illicite, par les marchandises contrefaisantes dans leur ensemble. Ainsi, toute marchandise contrefaisante, quel que soit le droit de propriété intellectuelle concerné, sera considérée comme une marchandise prohibée et pourra faire l'objet de contrôles par les douanes.
Votre commission a adopté l'article 8 sans modification .
Article 9 (art. 67 bis du code des douanes) - Extension des opérations d'infiltration conduites par les douanes à l'ensemble des marchandises contrefaisantes
L'article 9 de la proposition de loi vise à autoriser plus largement les douanes à réaliser des opérations d'infiltration, afin de rechercher également des délits de contrefaçon. Il modifie à cet effet l'article 67 bis du code des douanes, qui autorise et encadre les opérations d'infiltration.
Cet article reprend avec une modification limitée l'article 38 bis du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Légalement autorisées par l'article 67 bis du code des douanes pour les agents des douanes 15 ( * ) depuis 1991, les opérations d'infiltration consistent, pour des agents des douanes spécialement habilités à cet effet, à « surveiller des personnes suspectées de commettre un délit douanier en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou intéressés à la fraude », en utilisant une identité d'emprunt 16 ( * ) et commettant des actes qui constituent des infractions, sans être pénalement responsables de ces infractions. Les opérations d'infiltration sont réalisées avec l'autorisation et sous le contrôle du procureur de la République.
En l'état du droit, les opérations d'infiltration sont autorisées pour constater les infractions douanières suivantes : importation, exportation ou détention de stupéfiants, contrebande de tabac manufacturé, d'alcool et spiritueux, opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds provenant d'un délit douanier ou d'une infraction à la législation sur les stupéfiants. Ces opérations ont pour but d'identifier les auteurs et les complices de ces infractions et d'effectuer les saisies.
Sont également visées l'importation et l'exportation de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle : marque, dessin ou modèle, droit d'auteur et droits voisins, brevet.
La rédaction proposée par la présente proposition de loi s'avère plus lisible, tout en étendant utilement la possibilité pour les douanes d'organiser des opérations d'infiltration pour constater des atteintes à tous les droits de propriété intellectuelle et artistique et de propriété industrielle, en particulier les obtentions végétales et les indications géographiques, jusque-là écartées. Toutes les marchandises contrefaisantes seraient désormais couvertes, quel que soit le droit de propriété intellectuelle en cause.
Cette disposition pourrait par exemple avoir une conséquence sur le trafic de certaines marchandises de contrefaçon, dès lors qu'une indication géographique pourrait être accordée à des produits non alimentaires, comme le prévoit le projet de loi relatif à la consommation actuellement en navette 17 ( * ) .
Votre commission a adopté l'article 9 sans modification .
Article 10 (art. 67 bis-1 du code des douanes) - Extension des compétences des douanes en matière de « coup d'achat » à l'ensemble des marchandises contrefaisantes
L'article 10 de la proposition de loi vise à faciliter la constatation du délit de contrefaçon, par la reconnaissance de la pratique appelée du « coup d'achat », qui permet de solliciter un vendeur de produits de contrefaçon afin de constituer le délit de commercialisation de produits contrefaisants.
Cet article reprend avec des ajustements rédactionnels l'article 38 ter du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Autorisée depuis la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la pratique du « coup d'achat » consiste, pour des agents des douanes habilités à cet effet, avec l'autorisation et sous le contrôle du procureur de la République, à acquérir des produits illicites ou à aider des personnes se livrant au trafic de tels produits, tout en bénéficiant d'une exonération de responsabilité pénale, à l'instar des opérations d'infiltration. Lorsque ces produits sont vendus par le biais d'un moyen de communication électronique, il peut être fait usage d'une identité d'emprunt 18 ( * ) . Ces opérations ont pour finalité de constater des infractions et d'identifier leurs auteurs, comme les opérations d'infiltration.
En l'état du droit, ce dispositif s'applique aux produits stupéfiants, ainsi qu'à certaines marchandises de contrefaçon. Sont seules concernées les marchandises portant atteinte à certains droit de propriété intellectuelle : marque, dessin ou modèle, droit d'auteur et droits voisins, brevet.
Comme pour les opérations d'infiltration à l'article à de la présente proposition de loi, il s'agit de prendre en compte toutes les marchandises contrefaisantes sans exception, étendant donc le dispositif aux obtentions végétales et aux indications géographiques.
En outre, le présent article 10 étend la finalité de ces opérations à l'identification, outre des auteurs et des complices des infractions concernées en matière de stupéfiants et de contrefaçon, des personnes qui y ont participé comme étant intéressées à l'infraction 19 ( * ) , par analogie avec ce que prévoit le code pour les opérations d'infiltration.
Votre commission a adopté l'article 10 sans modification .
Article 11 (art. L. 343-2, L. 521-6, L. 521-14, L. 615-3, L. 623-27, L. 716-6, L. 716-8 et L. 722-3 du code de la propriété intellectuelle) - Simplification de l'action pénale en matière de contrefaçon
L'article 11 de la proposition de loi vise à simplifier l'engagement de l'action pénale pour la partie lésée par une contrefaçon, étant entendu qu'en l'absence d'action civile ou pénale dans un délai fixé par voie réglementaire, les diverses mesures temporaires destinées à prouver la contrefaçon doivent être levées (retenue douanière, saisie-contrefaçon et mesures conservatoires ordonnées par un juge) 20 ( * ) .
Cet article reprend sans modification l'article 38 quater du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
En l'état du droit, il n'est pas possible d'engager une action pénale en matière de contrefaçon par simple dépôt de plainte auprès du procureur de la République, mais il faut soit une citation directe soit un dépôt de plainte avec constitution de partie civile, ce qui soit est peu adapté soit plus contraignant en termes de délais.
Votre rapporteur relève que les personnes lésées par une contrefaçon utilisent généralement par préférence l'action civile, plus simple à engager, se limitant à demander des dommages et intérêts tout en pouvant utiliser les procédures de retenue douanière ou saisie-contrefaçon. Peut-être le présent article permettra-t-il qu'un nombre plus important d'actions pénales soient engagées en matière de contrefaçon.
Votre commission a adopté l'article 11 sans modification .
Article 12 (art. 66 du code des douanes et art. L. 6-1 du code des postes et des communications électroniques) - Actualisation des modalités d'accès des agents des douanes aux locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express
L'article 12 de la proposition de loi modernise les modalités du droit d'accès des agents des douanes aux locaux de la Poste, en l'étendant à tous les prestataires de services postaux 21 ( * ) ainsi qu'aux entreprises de fret express, dans un objectif d'amélioration du contrôle sur le contenu des colis. Il réécrit à cette fin l'article 66 du code des douanes.
À cet égard, votre rapporteur a constaté lors de ses auditions que, du fait vraisemblablement de l'article 66 du code des douanes, la Poste avait une habitude de plus grande collaboration avec les douanes que les entreprises de fret express, autrement appelées expressistes.
Cet article ne figurait pas dans le texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
L'article 66 du code des douanes n'avait pas été modifié depuis la refonte du code des douanes en 1948, entrée en vigueur le 1 er janvier 1949, et sa rédaction actuelle apparaît quelque peu obsolète. Ce dispositif en l'état ne prévoit pas l'information ou l'intervention du procureur de la République. Il dispose ainsi que « les fonctionnaires des douanes ont accès dans les bureaux de poste sédentaires ou ambulants, y compris les salles de tri, en correspondance directe avec l'extérieur, pour y rechercher, en présence des agents des postes, les envois, clos ou non, d'origine intérieure ou extérieure, à l'exception des envois en transit, renfermant ou paraissant renfermer des objets de la nature de ceux visés au présent article ». Il ajoute, selon une formulation obsolète et ambiguë, que la Poste est « autorisée à soumettre au contrôle douanier » les envois frappés de prohibition à l'importation ou à l'exportation, passibles de droits ou taxes douaniers ou soumis à des restrictions ou formalités à l'entrée ou à la sortie. Il s'agit en réalité de permettre le contrôle douanier de tous les envois. L'article 66 du code des douanes rappelle toutefois qu'« il ne peut, en aucun cas, être porté atteinte au secret des correspondances ».
À cet égard, votre rapporteur tient à rappeler que le secret des correspondances est un principe de valeur constitutionnelle, reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-492 du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Le Conseil constitutionnel énonce dans cette décision « qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l'autorité judiciaire » 22 ( * ) .
Pour autant, il semble à votre rapporteur que l'ouverture d'un colis postal ne constitue pas en soi une violation du secret des correspondances, dans la mesure où un colis comporte en principe des biens et marchandises. Au surplus, l'objectif poursuivi par le présent texte est bien la recherche des auteurs d'infractions, en l'espèce en matière douanière.
En outre, le contenu de l'article 66 du code des douanes est rappelé par l'article L. 6-1 du code des postes et des communications électroniques.
La présente proposition de loi prévoit que les agents des douanes ont accès aux locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express aux fins de recherche et de constatation des infractions à la législation douanière, lorsque sont susceptibles d'y être détenus des envois renfermant ou paraissant renfermer des marchandises, sommes, titres ou valeurs en rapport avec ces infractions. Ce droit d'accès ne s'étend pas aux éventuelles parties de ces locaux à usage d'habitation. Sur ce dernier point, l'article 15 de la présente proposition de loi modifie le droit en vigueur 23 ( * ) .
S'agissant des heures d'accès, le présent dispositif reprend celui qui existe déjà au deuxième alinéa de l'article 63 ter du code des douanes relatif au droit d'accès des douanes aux locaux et lieux à usage professionnel, c'est-à-dire « entre 8 heures et 20 heures ou, en dehors de ces heures, lorsque l'accès au public est autorisé, ou lorsque sont en cours des activités de production, de fabrication, de conditionnement, de transport, de manutention ou d'entreposage ».
L'article 12 du présent texte précise en outre que le contrôle a lieu en présence de l'opérateur contrôlé ou de son représentant et fait l'objet d'un procès-verbal. Il maintient la disposition selon laquelle il ne peut pas être porté atteinte au secret des correspondances à l'occasion de ces contrôles. Il simplifie enfin la rédaction de l'article L. 6-1 du code des postes et des communications électroniques, en procédant à un simple renvoi à l'article 66 du code des douanes, ce qui paraît plus satisfaisant du point de vue de la coordination entre les codes dès lors que l'on veut conserver une mention de ce dispositif dans le code des postes et des communications électroniques.
Le dispositif ainsi modernisé de l'article 66 du code des douanes correspond, selon votre rapporteur, aux exigences actuelles et aux garanties requises pour un droit d'accès de l'administration à des locaux à caractère professionnel aux fins de contrôle, qui n'entre pas dans le cadre de visites domiciliaires ou de perquisitions 24 ( * ) , lesquelles se déroulent sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
Votre commission a adopté l'article 12 sans modification .
Article 13 (art. 67 sexies [nouveau] du code des douanes) - Accès des douanes aux données des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express à des fins de contrôle
L'article 13 de la proposition de loi crée au sein du code des douanes un nouvel article 67 sexies pour organiser la transmission aux douanes, par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, des « données dont ils disposent et pour autant qu'elles soient nécessaires à l'identification des marchandises, biens et objets acheminés, de leurs moyens de transport ainsi que des personnes concernées par leur acheminement », afin de soumettre ces données à des traitements automatisés destinés à faciliter la constatation des infractions douanières.
Cet article ne figurait pas dans le texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Seraient cependant exclues de cette transmission, conformément au I de l'article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les « données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». Votre rapporteur s'interroge sur les conditions dans lesquelles cette restriction pourrait être, en pratique, respectée.
Lors de ses auditions, votre rapporteur a constaté que cette nouvelle disposition était vivement contestée par les entreprises de fret express, mais nettement moins par la Poste, sans doute davantage habituée à collaborer avec les douanes. Selon les expressistes, cette dispositions représenterait un coût important et pourrait créer des distorsions de concurrence avec les pays étrangers. Votre rapporteur a demandé au Gouvernement de poursuivre le dialogue avec ces opérateurs, afin de parvenir si possible à une entente. Les expressistes ont exprimé leur préférence pour une formule plus souple de conventions de coopération avec les douanes, formule qui ne permettrait pas la collecte et le traitement de données personnelles.
Les opérateurs sont déjà soumis à diverses obligations déclaratives auprès des douanes pour les colis de provenance extracommunautaire, en application du code des douanes communautaire 25 ( * ) . Ici, tous les colis seraient visés, y compris d'ailleurs ceux en simple transit sur le territoire français.
Ce dispositif ne concerne pas que la contrefaçon, mais l'ensemble des délits douaniers de première et deuxième classes, visés aux articles 414 et 415 du code des douanes, ainsi que les infractions à la législation relative aux relations financières avec l'étranger, visées à l'article 459 du même code.
Sont ainsi visées les infractions suivantes :
- tout fait de contrebande 26 ( * ) ainsi que tout fait d'importation ou d'exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées (article 414) ;
- toute opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds provenant, directement ou indirectement, d'un délit douanier ou d'une infraction à la législation sur les stupéfiants (article 415) ;
- toute infraction à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger, soit en ne respectant pas les obligations de déclaration ou de rapatriement, soit en n'observant pas les procédures prescrites ou les formalités exigées, soit en ne se munissant pas des autorisations requises ou en ne satisfaisant pas aux conditions dont ces autorisations sont assorties (article 459).
Auraient seuls accès aux données collectées des agents des douanes « individuellement désignés et spécialement habilités par le ministre chargé des douanes ». L'information des personnes concernées par cette collecte, en particulier les expéditeurs et destinataires, afin de leur permettre d'exercer leur droit d'accès et de rectification, serait réalisée par les opérateurs. Les modalités de mise en oeuvre du dispositif, s'agissant notamment de la durée de conservation des données, seraient déterminées par un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ainsi, ce dispositif est encadré avec les garanties habituelles en matière de traitement automatisé de données à caractère personnel : fixation de la finalité du traitement, limitation des personnes autorisées à le consulter, information des personnes concernées, données exclues...
L'objectif recherché par les douanes est de pouvoir appliquer des de critères de risque connus aux données transmises, à l'aide de traitements automatisés, afin de mieux cibler les contrôles et de les rendre plus efficaces (nature des marchandises, pays d'origine, expéditeur, destinataire...).
En effet, selon les représentants des douanes entendus en audition, attachés à ce nouveau dispositif, alors que les délits douaniers se constatent traditionnellement dans des entrepôts de stockage de marchandises, le développement du commerce électronique, à partir de l'étranger notamment, conduit à ce que des marchandises illicites peuvent se déplacer de façon isolée et beaucoup plus discrète par le biais des colis transportés par la Poste et les expressistes.
Ce dispositif soulève la question de l'atteinte à la vie privée et aux données personnelles et de la proportionnalité de cette atteinte avec l'objectif de contrôle poursuivi, dans un contexte particulier qui est celui, déjà évoqué, du secret des correspondances. Cette question est d'ordre constitutionnel. Votre rapporteur rappelle à cet égard que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité, a censuré le fichier d'identité biométrique.
Dans l'attente de la poursuite des discussions, votre rapporteur a toutefois proposé d'adopter le présent article en l'état, à titre conservatoire, sans préjudice de la position et des éventuels amendements qu'il pourra soumettre à votre commission en vue de la séance publique.
Votre commission a adopté l'article 13 sans modification .
Article 14 (art. L. 233-1 et L. 251-2 du code de la sécurité intérieure) - Correction d'erreurs de référence au code des douanes dans le code de la sécurité intérieure
L'article 14 de la proposition de loi procède à la correction de deux erreurs de référence à l'article 414 du code des douanes au sein des articles L. 233-1 et L. 251-2 du code de la sécurité intérieure, visant la commission de délits douaniers en bande organisée.
Cet article ne figurait pas dans le texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Il n'appelle pas d'observations de la part de votre rapporteur.
Votre commission a adopté l'article 14 sans modification .
Article 15 (art. 63 ter du code des douanes) - Accès des douanes aux locaux d'habitation attenant à des locaux professionnels à des fins de contrôle
L'article 15 de la proposition de loi vise à simplifier la procédure d'accès des douanes aux parties de locaux affectées à un usage d'habitation au sein de locaux à usage professionnel, avec l'assentiment de la personne concernée ou de son représentant. En effet, les douanes disposent d'un droit d'accès, sous réserve d'information préalable du procureur de la République qui peut s'y opposer, aux locaux et lieux à usage professionnel.
Cet article ne figurait pas dans le texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
En application de l'article 63 ter du code des douanes, les douanes disposent d'un droit d'accès aux locaux professionnels, « entre 8 heures et 20 heures ou, en dehors de ces heures, lorsque l'accès au public est autorisé, ou lorsque sont en cours des activités de production, de fabrication, de conditionnement, de transport, de manutention, d'entreposage ou de commercialisation ». En revanche, ce droit d'accès ne peut pas s'appliquer lorsqu'une partie de ces locaux sont à usage de domicile privé, une chambre ou un appartement attenant à un magasin par exemple, ou encore sont à usage privatif, des vestiaires par exemple. En pareille hypothèse, hors cas de flagrant délit, il faut une autorisation judiciaire, délivrée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, en application de l'article 64 du code des douanes.
Or, cette procédure d'autorisation judiciaire préalable peut sembler inutilement lourde lorsque la personne contrôlée, de bonne foi, ne s'oppose pas à ce que les douanes accèdent à ces parties de locaux à usage privé. Aussi l'article 15 de la proposition de loi prévoit-il, à titre dérogatoire, que les agents des douanes peuvent accéder à ces parties de locaux dès lors que la personne concernée ou son représentant a donné son assentiment, lequel serait annexé au procès-verbal établi par les agents à l'issue de leur visite.
Cette disposition constitue donc un assouplissement et une facilité d'action pour les douanes, lorsque la personne contrôlée est de bonne foi, dès lors qu'elle lui conserve la faculté de refuser. En pareille hypothèse, une autorisation judiciaire serait évidemment toujours nécessaire.
Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement de clarification rédactionnelle visant à éviter toute ambiguïté dans l'interprétation de cet article, s'agissant notamment de la détermination de la partie des locaux et lieux à usage professionnel qui est affectée à usage d'habitation, tout en élargissant cette faculté à l'ensemble des parties à usage privatif et pas seulement à usage d'habitation.
Votre commission a adopté l'article 15 ainsi modifié .
* 10 Arrêts C-446/09 Philips Electronics et C-495/09 Nokia de la CJUE du 1 er décembre 2011.
* 11 Cette procédure ne doit pas être confondue avec la retenue douanière de personnes, comparable à la garde à vue et qui a donné lieu à ce titre à la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010.
* 12 Trois jours ouvrables en cas de denrées périssables.
* 13 Lorsque la retenue est mise en oeuvre à l'initiative des douanes, un délai est prévu pour permettre au titulaire du droit d'adresser en régularisation une demande de retenue.
* 14 L'article 2 bis du code des douanes dispose en effet que le code des douanes ne s'applique pas à l'entrée sur le territoire douanier français de marchandises communautaires ainsi qu'à la sortie de ce territoire de marchandises communautaires à destination d'autres États-membres.
* 15 La loi n° 91-1264 du 19 décembre 1991 relative au renforcement de la lutte contre le trafic des stupéfiants a clarifié et posé les fondements des opérations d'infiltration susceptibles d'être menées par les officiers et agents de police judiciaire et par les agents des douanes, dans le domaine du trafic de stupéfiants pour commencer.
* 16 La révélation de l'identité d'emprunt peut faire encourir, selon les cas, de cinq à dix ans de prison et de 75 000 à 150 000 euros d'amende.
* 17 Exemple des couteaux dits de Laguiole.
* 18 La révélation de l'identité d'emprunt est punie des mêmes peines qu'en cas d'infiltration.
* 19 L'article 399 du code des douanes définit la notion de personne intéressée à une infraction, qui est passible des mêmes peines que l'auteur de l'infraction.
* 20 Dix jours ouvrables pour la retenue douanière, ramenés à trois jours pour des denrées périssables, et vingt jours ouvrables ou trente-et-un jours civils pour la saisie-contrefaçon.
* 21 À ce jour, seule la Poste a la qualité de prestataire de services postaux en France.
* 22 Considérant 4. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a admis que l'autorisation judiciaire puisse autoriser l'interception et l'enregistrement des correspondances électroniques pour rechercher les auteurs de crimes ou délits en bande organisée.
* 23 Voir infra .
* 24 Sur les perquisitions douanières, voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-150 QPC du 13 juillet 2011.
* 25 Ces obligations résultent du règlement (CE) n° 648/2005 du 13 avril 2005, qui a modifié le règlement (CEE) n° 2913/92 établissant le code des douanes communautaire, et du règlement n° 1875/2006 du 18 décembre 2006, qui a modifié le règlement (CEE) n° 2454/93 d'application du code des douanes communautaire.
* 26 La contrebande est définie par les articles 417 à 422 du code des douanes.