III. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le mercredi 3 juillet 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de loi n° 1083 (AN - XIV ème législature) de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012 .
M. Philippe Marini, président . - François Marc nous présente son rapport sur le projet de loi de règlement pour 2012.
M. François Marc, rapporteur général . - Je n'évoquerai pas la dimension comptable de la loi de règlement, que nous avons déjà largement étudiée avec l'audition du Premier président de la Cour des comptes et l'audition des magistrats ayant réalisé à notre demande une enquête sur les engagements hors bilan de l'Etat.
En 2012, la croissance a été nulle : elle est retombée de manière imprévue et nous sommes passés d'une phase de relance, qui a permis le retour à la croissance en 2010 et 2011, à une phase de désendettement. Ce phénomène n'est pas propre à la France : le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro a crû de 1,4 % en 2011, mais diminué de 0,6 % en 2012. Nous avons donc mieux résisté que la plupart de nos voisins. C'est une caractéristique de notre économie qui, en raison de ses amortisseurs, profite également moins de la reprise. Tout le monde a été surpris par l'ampleur du retournement au cours du second semestre 2011 : à la mi-mai, la Commission européenne prévoyait encore, pour la zone euro, une croissance de 1,6 % en 2011 et de 1,8 % en 2012.
Alors que la loi de finances initiale tablait sur une croissance de 1,75 %, l'estimation a été révisée à 1 % dès la fin octobre. Entre ces deux dates, l'agence Moody's avait dégradé la note de la France et le spread de taux avec l'Allemagne s'était creusé de manière vertigineuse pour dépasser 200 points de base à la mi-novembre. L'hypothèse de croissance a ensuite été abaissée à 0,5 % dans la loi de finances rectificative de mars puis à 0,3 % dans celle de l'été, avant d'être constatée à zéro à l'issue de l'exercice.
Le climat des affaires, c'est-à-dire de la confiance des entrepreneurs, s'est dégradé de manière quasi-continue entre l'été 2011 et l'automne 2012. Son évolution reflète comme en miroir celle du marché du travail, en baisse à compter du second semestre 2011. En 2012, 51 000 emplois ont été détruits, augmentant le taux de chômage de 0,8 point sur l'année.
La croissance nulle s'explique en outre par la baisse de la consommation, celle des investissements et la diminution des stocks. Seul le commerce extérieur a contrebalancé ces évolutions, la contraction de la demande intérieure limitant les importations.
Les tentatives manquées de retour à l'équilibre de nos finances publiques sont nombreuses. Les dernières programmations tendent toutes vers l'équilibre à l'horizon 2017, mais nous avons en 2012 remonté la pente un peu moins vite qu'en 2011, et moins vite que prévu : pour la première fois depuis 2010, nous nous sommes écartés de la programmation de 0,3 point. Cela s'explique par des éléments exceptionnels comme la recapitalisation de Dexia.
Soulignons l'importance du creux de 2009-2010 : la crise nous a précipités dans une crevasse plus longue et plus profonde que la précédente de 2003. Le retour de la croissance qui doit favoriser le retour à l'équilibre de nos comptes publics se fait attendre : d'abord, car le contexte international est globalement déprimé ; ensuite, car nous ne pouvons plus engager une relance budgétaire comme en 2009 ; enfin car cette crise a sans doute détruit des capacités de production, avec la baisse des investissements et du capital humain. On connaît le niveau élevé du chômage, en particulier des jeunes.
Le déficit public, qui devait être de 4,5 % du PIB, s'est donc finalement établi à 4,8 %, contre 5,3 % en 2011. Cette amélioration résulte d'un ajustement structurel important, dont les effets ont été limités par l'impact négatif de la conjoncture économique et par des éléments exceptionnels.
Notre capacité à atteindre l'objectif à moyen terme (OMT) n'est toutefois pas compromise.
M. Jean Arthuis . - Ah bon ?
M. François Marc, rapporteur général . - Le solde structurel s'est établi à 3,9 % en 2012, soit un écart de 0,3 % par rapport à la loi de programmation, correspondant à la révision de la hausse du solde de 2011, « reporté » sur 2012. On peut déplorer le niveau élevé du déficit structurel, mais le Gouvernement rappelle que, depuis 2002, il s'est élevé en moyenne à 4,5 %. L'ajustement structurel accompli en 2012 est en outre très important puisqu'il s'élève à 1,1 point de PIB. C'est moins qu'attendu, mais tout de même conséquent.
La dette publique, sans surprise, a augmenté et passé en 2012 le cap de 90 %, en atteignant 90,2 % du PIB. La semaine dernière, l'Insee a indiqué qu'elle se situait à 91,7 % à la fin du premier trimestre 2013. Son poids devrait diminuer à partir de 2015.
S'agissant de l'Etat, le déficit budgétaire s'améliore - modestement - de 4 %, soit 3,5 milliards d'euros, pour s'établir à 87,15 milliards d'euros en 2012, grâce à la maîtrise des dépenses de l'Etat, dont la baisse est historique, et la progression des recettes fiscales, dont la faible croissance spontanée est compensée par le produit des mesures votées à l'été 2012.
Le taux de couverture des dépenses du budget général par les recettes est passé de 69,1 % à 70,6 %. Mais nous sommes loin de retrouver les niveaux d'avant 2007, proches de 85 %.
Les recettes fiscales nettes ont progressé de 13,4 milliards d'euros en 2012. Cette augmentation résulte en totalité des mesures nouvelles, car l'évolution spontanée a été négative, ce qui veut dire qu'à législation constante, les recettes n'auraient pas rapporté autant en 2012 qu'en 2011. Le manque à gagner s'élève à environ 10 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, principalement au titre de l'impôt sur les sociétés et de la TVA, dont la chute des recettes en fin d'année demeure pour partie inexpliquée. Le rendement de la TVA reste difficilement compréhensible en 2013 également, comme le montrent les chiffres d'avril ou de mai.
Les dépenses de l'Etat, mieux maîtrisées, ont été réduites par rapport à 2011. Les deux normes, « zéro volume » et « zéro valeur », ont été durcies au cours des dernières années et renforcées par l'inclusion de certaines dépenses jusqu'ici non prises en compte. Elles ont été plus que respectées en 2012 puisque les dépenses ont baissé sur les deux périmètres. Cette performance historique s'explique d'abord par une stricte maîtrise de l'exécution, grâce notamment à la mise en réserve supplémentaire de 1,5 milliard d'euros de crédits à l'été pour gager le dérapage de certaines dépenses ; ensuite, pour la norme zéro volume, par une charge de la dette inférieure de 2,5 milliards d'euros aux prévisions, grâce à des taux eux-mêmes plus faibles qu'escompté.
Enfin, pour l'ensemble des administrations publiques, la dépense n'a augmenté que de 0,7 % en volume, hors éléments exceptionnels, contre 0,9 % en 2011 et 1,7 % en moyenne sur les cinq années précédentes.
La charge de la dette de l'Etat a été pratiquement stable entre 2011 et 2012, à 46,3 milliards d'euros. Il y a eu compensation entre un effet volume, entraînant un alourdissement de la charge, et un effet taux, favorable - sur les émissions à moins d'un an, 0,08 % en moyenne, sur les titres moyen et long terme, 1,86 %, contre 2,8 % en 2011.
Cette marge offerte risque cependant de se réduire progressivement, ce qui rendrait à l'avenir le pilotage de l'exécution plus exigeant.
M. Philippe Marini, président . - Merci pour cet exposé d'une grande clarté.
M. Francis Delattre . - Notre rapporteur général a sélectionné, parmi les observations de la Cour des comptes, celles qui servent son propos, en ignorant l'essentiel.
M. Philippe Marini, président . - Nous vous faisons confiance pour le rétablir !
M. Francis Delattre . - De gros efforts ont été faits sur les dépenses publiques, dites-vous : la Cour des comptes révèle pourtant que les dépenses publiques ont progressé de 2 % dans toute l'Europe, mais de 4 % chez nous. Les mesures nouvelles introduites dans la loi de finances rectificative ont rapporté treize et quelque milliards d'euros, dites-vous encore : c'est justement le produit attendu de la TVA sociale que vous avez abrogée... On ne peut soutenir qu'alourdir de 22 milliards d'euros les prélèvements sur les entreprises n'a pas d'effets sur la TVA. De fait, c'est la principale touchée.
Je regrette en outre que notre rapporteur général passe sous silence les dossiers emblématiques de l'année passée. Le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui ambitionne de diminuer les charges des entreprises de 6 %, reste, cela va sans dire, l'alpha et l'oméga du retour à la compétitivité. En 2013, ses effets seront nuls. Quant à 2014 et 2015, la Cour des comptes estime son impact non pas à 10, ni 20, ni même 30 milliards d'euros, mais seulement 7 ! En réalité, derrière les grands discours sur la compétitivité, les charges des entreprises ne seront amoindries que de 2 %.
Autre dossier brûlant : la Banque publique d'investissement (BPI). Celle-ci regroupe trois entités, dont Oséo qui fonctionnait pourtant bien jusqu'à ce jour. Les modalités et délais fixés pour sa création ne lui permettent toujours pas d'être opérationnelle. Les 20 à 40 milliards d'euros prévus pour relancer l'investissement des petites et moyennes entreprises sont à rapporter aux 1 000 milliards d'euros d'investissement que les banques françaises financent chaque année... Ne perdons pas de vue ces ordres de grandeur.
Nous pensons que la loi de finances rectificative a eu des effets négatifs. On invoque souvent la macroéconomie, et l'on oublie de se préoccuper de l'impact des multiples petites décisions sur les entreprises : sans revenir sur les déclarations incroyables relatives à la taxation à 75 % des entrepreneurs, notez l'incohérence qu'il y a à créer une BPI et simultanément à rendre les intérêts d'emprunt des entreprises non déductibles. Après les pigeons, vous avez les dindons : les personnes d'un certain âge qui souhaitent transmettre leur entreprise familiale - dont on dit que ce sont les plus solides - se verront, tous prélèvements pris en compte, ponctionnées à près de 60 %.
M. Philippe Marini, président . - Et nous sommes les dindons de la farce ! Vous nous annoncez donc un vote négatif sur ce projet de loi de règlement ?
M. Francis Delattre . - Négatif de chez négatif !
M. Jean-Paul Emorine . - Nous n'avons que les mots de croissance, croissance nulle ou décroissance à la bouche. Changeons nos éléments de langage : il serait plus clair vis-à-vis de l'opinion publique de parler de l'évolution de notre produit intérieur brut, qui peut être inférieur ou supérieur à celui de l'année précédente.
Évoquant les recettes fiscales supplémentaires, vous faites références aux mesures introduites dans la loi de finances rectificative de l'été 2012. Espérons qu'elles soient pérennes.
S'agissant de la maîtrise des dépenses et de la norme « zéro volume », lorsque vous prenez en compte les pensions et la charge de la dette, il ne s'agit que d'une économie de 100 millions d'euros.
Nous venons d'entendre un représentant de l'OCDE. Je souhaite qu'au-delà des comparaisons avec les années précédentes, l'on puisse comparer nos niveaux de dépenses publiques, d'endettement, de prélèvements obligatoires, avec ceux de nos partenaires de l'OCDE. De tels tableaux nous seraient utiles pour nous situer.
M. Yannick Botrel . - La charge de la dette s'est stabilisée à 46,3 milliards d'euros en 2012, et les mesures d'économie prises par l'Etat continueront de porter leurs fruits. Néanmoins, l'exécution budgétaire se traduit par une progression de la dette : pourriez-vous préciser les parts respectives de l'Etat, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale dans cette évolution ?
M. Jean Arthuis . - Pourquoi n'avoir pas, en vertu de la convention signée en décembre 2012 avec EDF, constaté la dette de l'Etat envers l'opérateur ? Le ministre du budget nous a dit être attaché aux droits constatés : je cherche vainement les 4,9 milliards d'euros correspondants. Il ne s'agit certes pas de tout faire porter sur l'exercice 2012, mais de donner une idée de la dégradation du patrimoine de l'Etat. D'aucuns ont suggéré de créer une taxe pour rembourser cette dette au fil du temps, mais cela n'apparaît guère conforme à l'exigence de sincérité des comptes publics. Peut-être le rapporteur général peut-il nous éclairer sur ce point.
M. François Marc, rapporteur général . - L'année 2012 a été de transition. Le taux de croissance escompté initialement était de 1,75 % : il a été de zéro. Personne, ni à droite ni à gauche, ne l'avait anticipé. Le Gouvernement a donc élaboré un collectif destiné à trouver les recettes nécessaires. Mon analyse est aussi neutre que possible.
Le CICE et la BPI sont absents du budget pour 2012 : je n'ai pas conséquent rien à répondre. Nous verrons comment les choses s'engagent en 2013 et surtout en 2014. Les entreprises bénéficieront pleinement du CICE en 2014. Cette année, nous sommes dans la phase de préfinancement de la part de la BPI ou, rappelons-le, des banques.
M. Francis Delattre . - La conditionnalité est stricte, si bien que les banques n'accordent guère de financements.
M. François Marc, rapporteur général . - Les dossiers sont certes complexes à monter car ils requièrent une attestation fiscale. Mais d'après les banques elles-mêmes, les entreprises qui n'ont pas recours au dispositif sont celles qui ont suffisamment de trésorerie.
La BPI fonctionne bien. La mise en place des comités dans les régions a fait l'objet d'un intérêt marqué de la part de tous les acteurs locaux.
M. Francis Delattre . - Trois sièges seulement pour les régions...
M. Jean Arthuis . - La gouvernance est un peu compliquée.
M. François Marc, rapporteur général . - Monsieur Emorine, nous tâcherons de rassembler des éléments de comparaisons internationales que vous demandez.
La dette publique a bondi en 2012 de 85 % à 90 % du PIB. Cette évolution vient principalement de l'Etat : sa part est passée de 66,7 % à 70,9 %, celle des administrations locales de 8,3 % à 8,5 % et celle des administrations de sécurité sociale de 10,2 % à 10,3 %.
Enfin, monsieur Arthuis, vous n'avez pu obtenir la réponse du ministre lui-même à votre question - récurrente - et je crains de ne pouvoir être plus explicite...
M. Jean Arthuis . - Mais au fond de vous-même, quel est votre sentiment ?
M. François Marc, rapporteur général . - Je ne suis pas insensible à votre analyse.
M. Jean Arthuis . - La création de la BPI entraîne des coûts imprévus - je ne parle pas des honoraires dont on connaîtra sans doute un jour le montant global. Pour rassembler les actions de CDC Entreprise, la BPI a dû racheter des actions gratuites distribuées à certains de ses cadres. Le rapporteur général le sait aussi, qui siège comme moi à la commission de surveillance de l'institution. Or cette dépense de 7 millions d'euros n'était pas prévue.
M. Philippe Marini, président . - Le président Arthuis souligne les ambiguïtés de cette construction : la BPI a été annoncée comme le Messie par certains, elle a suscité le scepticisme chez d'autres. Nous la jugerons sur ses réalisations.
M. Jean Arthuis . - Il faudra d'abord se demander comment des actions gratuites ont pu être distribuées à des cadres de la Caisse des dépôts et consignations pour des missions qui relèvent largement de l'intérêt général. Seconde question, le montant : comment expliquer que certains d'entre eux gagnent de telles sommes en si peu de temps ?
M. Philippe Marini, président . - Votre acuité d'esprit, en tant que membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, est salutaire. J'ignore comment cette commission fonctionne aujourd'hui. J'y ai siégé pendant huit ans et j'ai parfois éprouvé le sentiment d'être enseveli sous une avalanche de papier efficacement conçue pour dissimuler les vrais sujets stratégiques.
M. François Marc, rapporteur général . - Vous vous sous-estimez !
A nous désormais de corriger les dysfonctionnements relevés par Jean Arthuis, qui a raison de souligner qu'il y a urgence à revoir certains éléments du fonctionnement et du secteur public, comme du secteur privé. L'autorégulation ne se suffit jamais à elle seule.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption du projet de loi n° 710 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, de règlement du budget et d'approbation des comptes pour l'année 2012 .