B. LES INSTITUTS UNIVERSITAIRES DE FORMATION DES MAÎTRES : UN BILAN CONTRASTÉ
1. Les objectifs poursuivis par les instituts universitaires de formation des maîtres...
a) Unifier l'ensemble de la formation des enseignants de l'enseignement primaire et secondaire, général et technique
Créés en 1990 par la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, dite « loi Jospin », les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) entendaient décloisonner la formation professionnelle des différents corps d'enseignants des premier et second degrés , en se substituant aux écoles normales d'instituteurs, aux centres pédagogiques régionaux qui formaient les futurs professeurs des lycées et collèges et aux écoles normales nationales d'apprentissage qui accueillaient les futurs professeurs des lycées professionnels.
Les IUFM visaient, au début des années 1990, à unifier le niveau de recrutement des enseignants à la licence , l'obtention d'une maîtrise demeurant toutefois nécessaire pour le concours de l'agrégation.
Constitués d'abord en dehors du système universitaire, ces instituts disposaient, initialement, du statut d'établissement public à caractère administratif entretenant des partenariats avec une ou plusieurs universités et avec les services académiques.
b) « Universitariser »5 ( * ) la formation des enseignants
En application de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dite « loi Fillon », les IUFM ont été progressivement intégrés à leur établissement public d'enseignement supérieur de rattachement, avec le statut d'école interne à l'université sur le modèle des instituts universitaires de technologie. La transformation des IUFM en composantes des universités, amorcée début 2007 et réalisée pour l'essentiel au cours de l'année 2008, visait à rapprocher la formation des enseignants des parcours de l'enseignement supérieur , en renforçant en particulier le lien avec la recherche.
Consécutivement à la « mastérisation » qui conditionne le passage des concours de l'enseignement à la détention d'un master, les IUFM offrent désormais aux étudiants intéressés par les métiers de l'enseignement et de l'éducation des formations diplômantes de grade de master .
Les IUFM, au nombre de 32, sont désormais régis par les dispositions de l'article L. 713-9 du code de l'éducation, applicables aux écoles faisant partie des universités, et sont, à ce titre, administrés par un conseil élu dont le président est choisi parmi ceux de ses membres qui ont la qualité de personnalité extérieure.
Les IUFM disposent de l' autonomie financière et sont dirigés par un directeur nommé par le seul ministre chargé de l'enseignement supérieur. Le conseil de l'IUFM soumet au conseil d'administration de son université de rattachement la répartition de ses emplois et est consulté sur les recrutements. Aucune affectation au sein de l'IUFM ne peut être prononcée, du reste, si le directeur de l'institut, qui a autorité sur l'ensemble des personnels, émet un avis défavorable motivé.
Il convient d'ajouter que la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a créé un Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS HEA), ayant le statut d'établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle des ministres de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale 6 ( * ) .
2. ... n'ont pas été pleinement atteints
Les réformes successives n'ont pas permis de surmonter la bipartition d'un système de formation des enseignants marqué, de longue date, par une hiérarchisation de l'enseignement entre le premier degré et le second degré , largement entretenue par le « moule hyper-disciplinaire » qui caractérise les concours de recrutement des enseignants du lycée et de l'université. Si, comme le souligne M. Gilles Baillat, « plus de la moitié des enseignants en exercice ont été formés dans les IUFM » 7 ( * ) , il convient de rappeler qu'une partie significative des étudiants qui envisagent de se présenter aux concours du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) ou de l'agrégation privilégie encore les unités de formation et de recherche (UFR) disciplinaires ou la voie des écoles normales supérieures , considérée comme plus prestigieuse.
Les trois écoles normales supérieures (Ulm, Cachan, Lyon) constituent une catégorie particulière d'établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), dont les statuts sont fixés par décrets en Conseil d'État. Elles ont précisément pour mission de former des élèves se destinant à la recherche scientifique fondamentale ou appliquée, ou à l'enseignement universitaire, dans les classes préparatoires aux grandes écoles ou à l'enseignement secondaire .
Les IUFM ont également pâti de la concurrence des UFR disciplinaires investies de longue date dans la préparation des concours de recrutement pour les enseignants du second degré, en particulier dans les filières littéraires et les sciences humaines et sociales. Comme le souligne Emmanuel Fraisse, « malgré les progrès indiscutables que les IUFM ont entraînés en matière de professionnalisation de la formation aux métiers des enseignants du second degré, la partie théorique du concours, restée très largement fondée sur les approches et les savoirs académiques, apparaît aujourd'hui encore comme l'essentiel aux yeux des usagers » 8 ( * ) .
Poids relatif des activités de formation
initiale du 1
er
et du 2
nd
degrés
dans
l'ensemble des activités des IUFM
Source : Évolution et état des lieux des moyens mis en oeuvre pour la formation des enseignants, rapport IGEN-IGAENR n° 2013-005, janvier 2013.
3. L'échec de la mastérisation
La réforme du régime de formation et de recrutement des enseignants, communément désignée sous le terme de « mastérisation » 9 ( * ) a profondément bouleversé l'organisation de la formation initiale des étudiants se destinant au métier d'enseignant et le statut des publics accueillis par les IUFM. Alors qu'ils étaient principalement centrés sur la préparation des concours de recrutement, les IUFM doivent désormais accompagner les étudiants dans l'obtention d'un diplôme de master incluant des périodes de professionnalisation et des temps de préparation aux concours. Comme le souligne un rapport des inspections générales de janvier 2013, « dans le cadre ainsi redéfini, la formation professionnelle initiale des futurs enseignants relève pleinement des compétences de l'université et de ses composantes alors que l'adaptation à l'emploi sous le statut de professeur stagiaire relève désormais de la maîtrise d'ouvrage de l'employeur » 10 ( * ) .
Dans ces conditions, les IUFM ont accueilli majoritairement les étudiants inscrits dans les masters relatifs au professorat des écoles (enseignants du premier degré) et aux métiers de l'éducation (conseillers principaux d'éducation), ainsi que dans les masters orientés vers les spécialités technologiques et professionnelles. En revanche, les UFR disciplinaires ont continué à assurer la formation de la majorité des étudiants inscrits dans les masters correspondant aux disciplinaires scolaires (enseignants du second degré).
Les IUFM ne participent plus que ponctuellement à la formation des professeurs stagiaires consécutivement à la réforme de la mastérisation, puisqu'elle est désormais conduite principalement par des formateurs académiques (professeurs des écoles maîtres formateurs - PEMF - dans le premier degré, et professeurs formateurs dans le second degré), sous la responsabilité du recteur. Dès lors, la mise en place des IUFM n'a pas permis que l'acquisition des compétences didactiques et pédagogiques soit assurée selon des référentiels communs pour l'ensemble des enseignants, appliqués de façon uniforme par toutes les filières de préparation des concours de recrutement des enseignants.
Face à cette situation, le Haut Conseil de l'éducation avait souligné, dès 2006, que le professeur « doit être un professionnel de l'enseignement de sa ou de ses disciplines à des groupes d'élèves », rappelant qu' « enseigner est un métier ; de bonnes connaissances disciplinaires ne suffisent pas à faire un bon enseignant » 11 ( * ) .
Pour autant, peu d'universités ont pris la pleine mesure de l'importance de la formation des enseignants parmi leurs missions de formation professionnelle.
Le processus d' « universitarisation » des IUFM a été particulièrement lent. Il est considéré, par nombre d'observateurs, comme loin d'être achevé. Jusqu'en 2007, avant la pleine entrée en vigueur des modifications apportées par la loi du 23 avril 2005 précitée, les IUFM étaient encore administrés par des conseils présidés par le recteur d'académie. Ils n'étaient, en outre, pas habilités à délivrer de diplômes, la qualification professionnelle des étudiants continuant de relever du ministère de l'éducation nationale.
Par ailleurs, une certaine méfiance manifestée par la communauté universitaire à l'égard des IUFM a conduit à une présence très minoritaire des enseignants-chercheurs parmi les formateurs affectés aux instituts.
Ancien président de la Conférence des directeurs d'IUFM de 2009 à 2011, M. Gilles Baillat recense trois principaux types de critiques formulées sur l'organisation et le contenu de la formation dispensée par les IUFM 12 ( * ) :
- les IUFM ne sont pas parvenus à conjuguer efficacement formation théorique et formation professionnelle. Les insuffisances des formations proposées en termes d'apprentissage des enjeux de la pédagogie et des méthodes de transmission des savoirs (les « gestes professionnels ») expliquent, en partie, le sentiment d'impréparation ressenti par un certain nombre de jeunes enseignants lors de leur première affectation ;
- les IUFM n'ont pas su et n'ont pas eu les moyens d'adapter leurs ressources humaines aux nouvelles missions qui leur étaient confiées. Selon M. Gilles Baillat, « depuis 1991, les formateurs sont restés pour l'essentiel dans la lignée de ce qu'ils étaient dans les anciennes écoles normales et dans les anciens centres pédagogiques régionaux ». Le vivier des formateurs intervenant dans les IUFM n'a pas fait l'objet d'une diversification et d'un renforcement de leurs compétences, pourtant indispensables afin de garantir la réussite de l'intégration des instituts aux universités puis de la mise en oeuvre de la mastérisation de la formation des enseignants. Des transformations dans la formation et le recrutement des formateurs s'imposaient afin d'assurer une prise en compte effective, dans leurs enseignements, des critères applicables aux formations universitaires professionnelles. L'insuffisance des moyens accordés aux IUFM pour renouveler leur vivier de formateurs explique, en partie, l'absence de telles évolutions ;
- les IUFM n'ont pas suffisamment articulé les processus et les résultats de la recherche, notamment dans les sciences de l'éducation, avec les formations dispensées. Dans ces conditions, le contenu de certaines formations a pu paraître en décalage avec l'évaluation qui en avait été faite par la recherche ou avec les méthodes pédagogiques innovantes qu'elle avait identifiées.
* 5 Fraisse, Emmanuel, « Regards sur la formation des maîtres en France », in Revue internationale d'éducation - Sèvres , n° 55, décembre 2010.
* 6 Décret n° 2005-1754 du 30 décembre 2005 relatif à l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés.
* 7 Baillat, Gilles, « Formation initiale : bilan contrasté, avenir incertain », in Les cahiers pédagogiques du Cercle de recherche et d'action pédagogiques, actualité éducative du n° 471, mars 2009. Gilles Baillat est président de l'université de Reims Champagne-Ardenne et a été président de la Conférence des directeurs d'IUFM de 2009 à 2011.
* 8 Fraisse, Emmanuel, ibidem .
* 9 Réforme lancée au printemps 2008 (déclaration du Président de la République du 2 juin 2008), construite au cours de l'année 2009-2010 (circulaire du 23 décembre 2009 relative à la mise en place des diplômes nationaux de master ouverts aux étudiants se destinant aux métiers de l'enseignement) et mise en oeuvre à partir de la rentrée scolaire de 2010.
* 10 Inspection générale de l'éducation nationale et inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, Évolution et état des lieux des moyens mis en oeuvre pour la formation des enseignants , rapport n° 2013-005, janvier 2013.
* 11 « Recommandations pour la formation des maîtres », 31 octobre 2006.
* 12 Baillat, Gilles, « Formation initiale : bilan contrasté, avenir incertain », in Les cahiers pédagogiques du Cercle de recherche et d'action pédagogiques, actualité éducative du n° 471, mars 2009.