EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Alors rapporteur de votre commission en 1999 du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, notre ancien collègue Paul Girod, relevant que le mode de scrutin « est un procédé technique pour résoudre le problème qui se pose à toute société démocratique complexe : traduire les aspirations des différentes parties de la population - des différents citoyens qui constituent le " peuple "- pour en faire une expression organisée au niveau national », en concluait qu'« on ne peut donc dissocier le choix du mode de scrutin de la fonction attribuée à l'organe représentatif » 1 ( * ) .
Attachée au principe du bicamérisme, votre commission a toujours plaidé pour une représentation différenciée au sein des deux assemblées parlementaires , gage de leur complémentarité et de leur utilité respective 2 ( * ) .
En application de l'article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », fonction qu'il exerçait de facto , en raison de son mode d'élection, sous les deux Républiques précédentes. Même si la répartition des sièges et la composition du collège électoral doivent respecter le principe d'égalité du suffrage énoncé par l'article 3 de la Constitution, cette exigence constitutionnelle doit se concilier avec la fonction de représentant des collectivités territoriales que la Constitution assigne à la Haute Assemblée. Cette contrainte fonde la différence du mode de scrutin avec l'élection des députés.
Conçu dès l'origine comme une représentation « différenciée » de la Nation par rapport à l'Assemblée nationale, le Sénat, assemblée permanente, se compose de membres élus, en vertu de la Constitution, au scrutin indirect et par renouvellement partiel. Ces caractéristiques d'ordre constitutionnel n'ont pas empêché notre assemblée d'évoluer, à son initiative dans la suite des travaux du groupe de travail pluraliste dirigé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel, alors vice-président du Sénat, et qui ont abouti à la loi organique n° 2003-696 et la loi n° 2003-697 du 30 juillet 2003. Cette réforme, dont l'entrée en vigueur progressive s'est poursuivie jusqu'au renouvellement sénatorial de septembre 2011, a notamment conduit à réduire la durée du mandat sénatorial de 9 à 6 ans et à introduire un renouvellement par moitié et non plus par tiers.
La réforme proposée par le Gouvernement ne remet pas en cause ces évolutions, ne prévoyant aucune modification sur les dispositions organiques relatives au Sénat . Reprenant certaines des préconisations du rapport la commission de rénovation et de déontologie de la vie politique (CRDVP), le projet de loi déposé sur le Bureau du Sénat le 20 février 2013 se borne à modifier le mode de scrutin des sénateurs qui relève de la loi ordinaire. Loin de bouleverser les règles de l'élection des sénateurs, il apporte deux modifications relatives respectivement à la composition du collège électoral des sénateurs élus dans le cadre des départements et à la détermination du mode de scrutin - majoritaire uninominal à deux tours ou à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne par liste à un tour - applicable pour cette élection.
La question de l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France fait actuellement l'objet d'une réforme au sein d'un projet de loi distinct en cours d'examen au sein du Parlement. Selon le texte adopté en première lecture par notre assemblée, le 19 mars 2013, le collège électoral de ces sénateurs ne serait plus formé des seuls membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger et des députés élus par les Français établis hors de France, mais, outre ces derniers, de conseillers consulaires et de délégués consulaires élus au suffrage universel direct, répondant ainsi à une préconisation formulée par la commission présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin.
I. L'ÉLECTION DES SÉNATEURS : UN MODE DE SCRUTIN RELATIVEMENT PÉRENNE DEPUIS LA IIIÈME RÉPUBLIQUE
Depuis l'instauration, sous la III ème République, d'un Sénat élu au suffrage universel, les règles électorales pour l'élection de ses membres sont demeurées inchangées, pour l'essentiel d'entre elles, à travers les Républiques successives jusqu'à nos jours.
A. L'ÉLECTION DES SÉNATEURS SOUS LA IIIÈME RÉPUBLIQUE
Sous la III ème République, le Sénat est un organe central au sein des pouvoirs publics . En témoigne le fait que les règles d'organisation et de composition sont fixées par la loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat 3 ( * ) qui est la première des lois constitutionnelles adoptées en 1875. Ces règles seront, pour partie d'entre elles, ramenées au niveau législatif par l'article 3 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884.
Assemblée permanente, le Sénat exerce les mêmes prérogatives que l'autre chambre. A l'abri de toute dissolution, il peut alors renverser le Gouvernement ; son accord étant, en outre, indispensable au Président de la République pour dissoudre la chambre des députés.
Composé de 300 membres, le Sénat comporte, à l'origine, 225 sénateurs élus au scrutin indirect dans le cadre des départements et des colonies ainsi que 75 sénateurs à vie, élus d'abord par l'Assemblée nationale 4 ( * ) puis par le Sénat. A la suite de la loi du 9 décembre 1884, d'inspiration républicaine, il est mis fin à la désignation de sénateurs à vie 5 ( * ) , ceux en fonction conservant leur mandat jusqu'à leur décès. La Haute Assemblée est donc progressivement intégralement élue 6 ( * ) et non plus cooptée pour partie. Dès 1875, les sénateurs des départements et des colonies sont élus pour neuf ans et renouvelables par tiers, tous les trois ans.
1. Un mode de scrutin dual pour l'élection des sénateurs
Le mode de scrutin est déjà double puisque l'article 4 de la loi du 24 février 1875 prévoit que « les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la majorité absolue, et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie », les sénateurs à vie étant également élus par un scrutin de liste.
Initialement, l'élection a lieu dans le cadre du département ou de la colonie. S'agissant de la répartition des sièges, chaque circonscription d'élection compte entre 1 et 5 sénateurs puis, à compter de la loi du 14 août 1884, entre 1 et 10 sénateurs.
2. Un collège électoral essentiellement composé de délégués des conseils municipaux
Dès la III ème République, les principales caractéristiques qui sous-tendent la composition du collège électoral sénatorial sont posées, en faisant alors, selon la formule de Gambetta, le « grand conseil des communes de France ».
Le collège électoral, formé au niveau de chaque département ou colonie, est composé des députés, des conseillers généraux, des conseillers d'arrondissement et des délégués des conseils municipaux. Pour ces derniers, un choix égalitaire est fait en 1875 pour leur désignation puisque chaque commune élit un délégué parmi les électeurs de la commune.
La loi du 14 août 1884 introduit une part de progressivité démographique en faisant varier le nombre de délégués par commune de 2 à 30 en fonction du nombre de conseillers municipaux. En revanche, ces délégués peuvent toujours être désignés parmi les électeurs de la commune et non obligatoirement au sein du conseil municipal.
Pour l'élection de ces délégués, la loi organique du 2 août 1875 prévoit qu'elle a lieu au scrutin majoritaire pour l'ensemble des communes.
* 1 Rapport n° 427 (1998-1999) de M. Paul Girod, au nom de la commission des lois - juin 1999 - p. 1
* 2 En 1999, notre ancien collègue Paul Girod rappelait, lors de l'examen d'une précédente réforme du scrutin sénatorial, que « le Sénat a considéré que la transformation de la Haute Assemblée en " Assemblée nationale bis " [...] remettrait ni plus ni moins en cause l'intérêt du bicamérisme lui-même » (rapport n° 427, précité).
* 3 L'adoption de cette loi a permis l'adoption de la loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des autres pouvoirs publics (présidence de la République, ministres, chambre des députés, Assemblée nationale).
* 4 L'Assemblée nationale était alors la réunion des deux chambres.
* 5 Sur les 116 sénateurs inamovibles, le dernier survivant, Emile de Marcère, siégea jusqu'à sa mort en 1918.
* 6 Au fur et à mesure des vacances de siège de sénateurs à vie, un tirage au sort permet d'attribuer le siège à un département qui peut y prétendre.