N° 430
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 mars 2013 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Christophe BÉCHU et plusieurs de ses collègues relative au versement des allocations familiales et de l' allocation de rentrée scolaire au service d' aide à l' enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge ,
Par Mme Catherine DEROCHE,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
640 (2011-2012) et 431 (2012-2013) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Cosignée par plusieurs membres du groupe Union pour un mouvement populaire (UMP), la présente proposition de loi soulève la question du bénéficiaire des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire , lorsqu'un enfant est confié au service d'aide sociale à l'enfance (ASE) sur décision du juge.
Elle reprend deux amendements votés à l'unanimité du Sénat lors de l'examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, ayant été supprimés par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture au motif qu'il s'agissait de cavaliers législatifs.
Directement concernés, les départements ont contribué à faire émerger ce sujet dans le débat public et alerté, d'une part, sur le dévoiement du principe contenu dans la loi s'agissant des allocations familiales, d'autre part, sur l'incohérence des dispositions régissant l'attribution de l'allocation de rentrée scolaire.
Lorsqu'un enfant est retiré de son milieu familial sur décision de l'autorité judiciaire et confié à l'ASE, il revient à ce service d'assumer l'ensemble des responsabilités et des frais liés à l'exercice de la parentalité. Cette mission confiée aux départements est reconnue par le code de la sécurité sociale qui pose, en son article L. 521-2, le principe selon lequel, lorsqu'un enfant est placé auprès du service d'aide sociale à l'enfance, la part des allocations familiales dues au titre de cet enfant est versée à ce service.
Toutefois, le même article prévoit que le juge peut décider, d'office ou sur saisine du président du conseil général, de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l'enfant ou en vue de faciliter le retour de celui-ci dans sa famille.
Force est cependant de constater que dans la pratique, l'exception est devenu la règle : dans la très grande majorité des cas, en effet, les parents dont l'enfant est confié à l'ASE continuent de percevoir l'intégralité des allocations familiales.
Cette situation n'est pas satisfaisante d'une part, parce que le législateur ne peut admettre que la pratique ignore l'esprit de la loi, d'autre part, parce qu'il est difficilement concevable que des familles n'assumant plus la charge effective et permanente d'un enfant continuent de percevoir l'intégralité des allocations familiales au même titre que les familles dont les enfants ne sont pas placés.
Dès lors, cette proposition de loi poursuit un double objectif :
- revenir à la volonté initiale du législateur, à savoir que les allocations familiales bénéficient à la personne (physique ou morale) qui assume la charge effective de l'enfant, en l'occurrence l'ASE lorsque celui-ci est placé ;
- laisser la possibilité au juge de maintenir la part d'allocations dues au titre de l'enfant placé à la famille, tout en l'autorisant à répartir cette part entre celle-ci et l'ASE.
Il vise, en outre, à étendre ces dispositions à l'allocation de rentrée scolaire, laquelle reste entièrement versée à la famille, alors que les départements supportent la totalité des dépenses liées à la scolarisation des enfants qui leur sont confiés.
Sur proposition de votre rapporteur, votre commission a modifié le texte initial sur trois principaux points :
- elle a rétabli la saisine d'office du juge en matière d'attribution des allocations familiales ;
- elle a précisé que le maintien des allocations à la famille ne peut être que partiel et que la part qui lui est attribuée ne peut excéder 35 % ;
- enfin, elle a supprimé les dispositions relatives à l'intervention du juge en matière d'attribution de l'allocation de rentrée scolaire.
I. LA PROTECTION DE L'ENFANCE, UNE COMPÉTENCE DÉPARTEMENTALE
Au sens le plus large, la protection de l'enfance désigne un ensemble de règles et d'institutions qui ont pour objet de prévenir les dangers auxquels un mineur peut être exposé . Dans un sens plus restreint, elle vise les politiques ou les mesures directement tournées vers les mineurs, tendant à prévenir ou à suppléer une défaillance familiale. Elle se caractérise par l'immixtion consentie ou imposée d'un tiers dans l'éducation des enfants, en soutien, voire en substitution partielle ou totale des parents.
La protection de l'enfance est définie à l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles :
« La protection de l'enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. »
C'est à cette conception que se réfère explicitement l'article 375 du code civil :
« Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative doivent être ordonnées par la justice. »
A. LE SYTÈME DE PROTECTION DE L'ENFANCE
En France, la protection de l'enfance repose sur un double système, administratif et judiciaire . La protection administrative est placée sous la responsabilité du président du conseil général, qui l'assure par la voie du service d'aide sociale à l'enfance (ASE) ; la protection judiciaire est mise en oeuvre par un juge spécialisé, le juge des enfants.
1. Une organisation complexe, fondée sur un double circuit de décision
a) Un système hérité de l'Histoire
L'assistance aux enfants a, pendant très longtemps, été laissée à l'initiative des oeuvres religieuses et limitée aux enfants abandonnés.
En 1811, la prise en charge des enfants abandonnés devient une mesure d'assistance obligatoire : hôpitaux et hospices sont tenus d'accueillir les enfants trouvés, abandonnés ou orphelins et bénéficient à cette fin de financements publics.
Le dernier quart du XIX e siècle voit s'affirmer la place de l'Etat dans le domaine social. La loi du 24 juillet 1889, en créant la possibilité de déchéance judiciaire de la puissance paternelle, fonde véritablement la protection judiciaire de l'enfance face au pouvoir discrétionnaire du père, qui prévalait jusqu'alors.
La protection administrative et la protection judiciaire de l'enfance en danger se sont ensuite développées de manière parallèle. C'est en 1958 qu'apparaît clairement la distinction entre les deux niveaux de protection . La protection judiciaire est régie par l'ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la protection de l'enfance et à l'adolescence en danger. Cette ordonnance regroupe au sein du code civil, sous le terme d'assistance éducative, la législation relative à la protection judiciaire des mineurs et confie cette dernière au juge des enfants, fonction créée par une autre ordonnance de 1945 relative à la justice pénale des mineurs.
La protection administrative est organisée par l'ordonnance n° 59-35 du 5 janvier 1959, qui confie cette mission à un directeur départemental sous l'autorité du préfet.
Avec la décentralisation opérée par la loi du 22 juillet 1983, le département se voit confier non seulement la protection administrative, sous le terme d'aide sociale à l'enfance, mais aussi la mise en oeuvre des mesures de protection judiciaire. Seules les mesures confiées au secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les mesures d'investigation et les mesures de protection des jeunes majeurs restent de la compétence de l'Etat.
Cette répartition des compétences a, de fait, créé une situation complexe . D'un côté, le département est responsable de la politique d'aide sociale à l'enfance , c'est-à-dire de la protection administrative des mineurs en danger, mais la majorité des décisions lui échappent et sont prises par les juges . D'un autre côté, s'agissant du volet judiciaire de la protection de l'enfance, le dispositif actuel ne repose pas sur un véritable transfert de compétences, mais plutôt sur un exercice partagé de celles-ci : les départements, collectivités territoriales autonomes, se trouvent au coeur de l'exécution de décisions de justice, lesquelles continuent de relever des missions régaliennes de l'Etat.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a réaffirmé le rôle pilote du département (cf. infra ).
Au final, dans le dispositif tel qu'il existe aujourd'hui, des mesures de protection de même nature peuvent être prises par l'autorité administrative et l'autorité judiciaire .