B. DES INVESTISSEMENTS IMPORTANTS DANS LES RÉSEAUX DE TRANSPORTS, QUI FONT ESPÉRER UN RATTRAPAGE... DANS LA DÉCENNIE 2020

1. Des réseaux franciliens saturés, qui accueillent toujours plus de voyageurs

L'Ile-de-France représente 2 % du territoire national, 20 % de la population, 30 % du PIB et 40 % des circulations ferroviaires : ces chiffres résument la densité de la région capitale ainsi que le rôle qu'y prennent les transports collectifs. Mais ils ne disent pas en eux-mêmes cette réalité vécue par les Franciliens : le réseau est de plus en plus saturé et il est bien souvent régulé par la contrainte, quand les retards et l'inconfort découragent les usagers.

Le constat est unanime : il faut agir d'urgence pour décongestionner les réseaux de transports collectifs franciliens . L'Assemblée nationale y a consacré l'an passé une commission d'enquête, et un rapport édifiant 7 ( * ) ; nos collègues y constatent les retards quotidiens, les défaillances de gestion, le nombre insuffisant de rames, les correspondances peu coordonnées, les défauts d'information des voyageurs, de propreté, de sécurité, aussi bien que les conséquences de ce RER « à bout de souffle » sur la vie quotidienne des Franciliens - le temps de transport qui s'accroît, le stress, ou encore des stratégies résidentielles contraintes. Fin 2010, la Cour des comptes avait établi des constats similaires et préconisé des réformes d'ensemble, en particulier sur le financement des infrastructures et du fonctionnement 8 ( * ) .

Ici encore, les chiffres montrent que la pression de la demande n'est pas prête à s'atténuer, mais qu'elle va plutôt continuer de s'accroitre dans les années à venir . On comptait 6 millions de déplacements quotidiens en transports publics en 1976, 6,2 en 1983, 6,7 en 1991, 6,8 en 2001 et 8,3 millions en 2010 : entre 2001 et 2010, la progression a donc été de 20 % 9 ( * ) , après une décennie 1990 de quasi-stagnation . L'Observatoire de la mobilité en Ile-de-France y voit « une rupture de tendance majeure », qui a concerné tous les modes de transports collectifs, et tout particulièrement les modes ferrés. Ce dynamisme de la croissance tient bien sûr au développement de l'offre, qui a été accéléré depuis la régionalisation de 2005. Cependant, comme l'atteste le tableau ci-après, l'offre a progressé moins vite, d'où l'effet accru de saturation 10 ( * ) .

OFFRE ET DEMANDE EN TRANSPORTS COLLECTIFS

(en millions)

Nombre de déplacements utilisant...

2001

2010

Évolution

Évolution 2001-2010 de l'offre

...le RER

2,2

2,4

9 %

8 %

...le train de banlieue

0,75

0,93

23 %

9 %

...le métro

3,3

4,1

25 %

14 %

...le tramway

N.S

0,32

N.S

242 %

...le bus Paris

0,91

0,98

7 %

4 %

...le bus banlieue RATP

1,5

1,7

16 %

8 %

...le bus banlieue Optile

0,67

0,85

27 %

36 %

Nota : un déplacement en transports collectifs peut utiliser plusieurs modes, le total est donc supérieur à 8,3 millions en 2010.

Source : Omnil

Ensuite, outre que les déplacements sont devenus massifs pour d'autres motifs que le travail et les études - en particulier les loisirs et les achats -, et que l'usage des transports collectifs a gagné beaucoup d'importance en dehors des heures de pointe en semaine 11 ( * ) , la pression de la demande a toutes chances de s'accentuer dans les années à venir . Le plan de déplacement urbain (PDU) régional table sur une nouvelle hausse de 20 % dans la décennie 2010 , mais il se pourrait bien que cette perspective ne tienne pas suffisamment compte de l'effet attractif de l'offre nouvelle, autant que des facteurs économiques et sociaux.

La régularité horaire des transports collectifs franciliens a « décroché » ces dernières années : sur le RER A, seuls 85,6 % des voyageurs arrivent à leur gare de destination à l'heure ou avec un retard de moins de 5 minutes, ce qui a valu un « malus » de plusieurs millions d'euros à la RATP, conformément au contrat signé avec le Stif où l'objectif est de 94 % pour ce niveau de ponctualité. Sur les RER C et D, qui ont gagné 22 % de voyageurs entre 2003 et 2011, cette ponctualité est pareillement insatisfaisante (84,2 % pour le D). Si la ponctualité s'améliore cependant sur certaines lignes (elle était par exemple de 78 % sur le RER B en 2009), ces moyennes recouvrent des disparités très fortes entre segments d'une même ligne et, surtout, entre les moments du service : il suffit d'un incident pour que des retards importants pénalisent des milliers de personnes et pour que l'emporte l'impression générale que « les transports sont toujours en retard », quoiqu'en dise la communication des opérateurs.

La difficulté d'obtenir des résultats probants malgré les efforts importants déployés par les opérateurs révèle, par elle-même, l'ampleur de la saturation du réseau.

2. Des investissements importants, pour un rattrapage dans une dizaine d'années

Le président de la RATP l'a reconnu devant les députés : malgré la relance des investissements, le retard accumulé est tel que « pendant les dix ans à venir, la situation restera tendue » 12 ( * ) .

La régionalisation de 2005 s'est traduite par une relance des investissement s. Ainsi, entre 2006 et 2011, la RATP a consacré 8 milliards d'euros d'investissements, la SNCF a doublé son rythme annuel d'investissements (le faisant passer de 300 à 600 millions d'euros) et RFF a initié des programmes de rénovation sans précédent. Le rythme s'est encore accéléré : le RATP a contractualisé avec le Stif pour 6,5 milliards d'euros d'investissements entre 2012 et 2015, soit 1,65 milliard par an, et la SNCF atteindra en 2015 un rythme de 1,2 milliard d'euros annuels.

Les étapes de cette mobilisation illustrent la convergence des acteurs publics sur les projets - « Grand Paris » porté par l'État et « Plan de mobilisation » porté par la région -, processus certes trop lent mais qui paraît désormais irréversible.

En 2007, l'État et la Région concluent un contrat de projets dont le volet « transports » comprend 3,6 milliards d'euros consacrés : pour 2,2 milliards, à poursuivre les opérations du précédent contrat de plan État-Région 13 ( * ) ; pour 500 millions, à moderniser le réseau existant, en particulier les RER ; pour 460 millions, à un programme de fret fluvial ou ferroviaire ; pour 400 millions à un programme de développement de nouveaux projets.

En 2008, le Plan Espoir Banlieues, pour désenclaver les « quartiers sensibles », abonde de 440 millions supplémentaires les travaux du T4, du tram-train-Massy-Evry (TTME), la Tangentielle Nord et le Barreau de Gonesse.

En 2009, la Région approuve le Plan de mobilisation des transports , document cadre qui priorise les projets et leurs financements pour mettre en oeuvre le Plan de déplacement urbain réalisé à l'échelle de la région. Ce plan vise un investissement global de 19 milliards d'euros avant 2020, dont près de 7 milliards pour la mise en accessibilité du réseau et le renouvellement du matériel roulant. A ces dépenses s'ajoutent 5,5 milliards pour le renouvellement et la rénovation du matériel roulant et 2 milliards d'investissements dans les transports en commun en site propre (TCSP) dans le cadre de contrats associant la région et les départements.

Le tableau suivant illustre bien l'ampleur des projets du Plan de mobilisation, l'implication des différents échelons territoriaux, mais également son caractère partiel par rapport aux priorités mêmes qui ont été identifiées par la région : le Plan de mobilisation ne couvre pas l'ensemble des actions inscrite au plan de déplacements urbains - en particulier pour la rénovation du matériel roulant et pour des raccordements aux réseau ferré.

LES ACTIONS DU PLAN DÉPLACEMENT URBAIN EN ÎLE-DE-FRANCE

Source : Stif

Fin 2010, les débats publics relatifs aux projets « Arc Express » et « Réseau du Grand Paris », conduits depuis l'automne sous l'égide de la commission nationale du débat public (CNDP), mettent l'accent sur la nécessité de conduire de front les deux projets qui avaient pu passer pour concurrents, voire alternatifs : les pouvoirs publics s'accordent sur la fusion des deux projets au sein du Grand Paris Express, « supermétro automatique régional » de 200 kilomètres réalisé conjointement par la Société du Grand Paris (SGP) et par le Stif, mais également sur l'amélioration urgente des infrastructures existantes, en particulier le réseau RER.

Début 2011, l'État et la région signent un protocole relatif aux transports publics en Île-de-France , qui consacre cette convergence de vues et qui tâche d'ordonner les projets d'investissements dans la région capitale.

D'un montant global de 22,7 milliards d'euros entre 2011 et 2025 , ce protocole constitue une « base large » où les deux signataires s'accordent sur le principe de liaisons nouvelles (un « Arc » pour chacune des directions cardinales) avec une quarantaine de gares nouvelles, constatent leur désaccord sur la desserte du plateau de Saclay 14 ( * ) et décident d'unir leurs efforts sur des projets dont la liste est annexée au protocole et dont le montant, de 32,4 milliards d'euros en quinze ans, dépasse même ce protocole. L'État et la région décident d'infléchir en conséquence leurs programmes respectifs d'investissements pour la période 2011-2013, correspondant à l'achèvement du contrat de projet en cours.

La perspective de l'endettement pour le Stif, indispensable pour financer l'amélioration de l'offre et de la qualité de service

Le Stif souligne l'importance que pourrait prendre l'endettement 15 ( * ) : alors qu'il n'est pas endetté aujourd'hui, sa dette pourrait atteindre 3 milliards d'euros en 2020, entraînant des annuités de 210 millions.

En effet, les investissements déjà programmés s'élèvent à 2,843 milliards d'euros d'ici 2020 et se répartissent selon l'échéancier suivant :

Source : Stif

D'autres dépenses viendront s'y ajouter, en particulier :

- l'acquisition de rames nouvelles RER, dont 71 rames liées au prolongement du RER E à l'ouest ;

- l'acquisition de nouvelles rames de métro pneu, conformément au Schéma Directeur des matériels de Métro Pneu, dont 35 rames à 8 voitures pour l'augmentation de capacité sur la ligne 14 ;

- l'acquisition des rames nécessaires à la mise en service de la Tangentielle nord.

Au total, le coût estimé pour le Stif des nouveaux projets de matériel roulant à venir l'élèverait à près de 2 milliards d'euros. Dans ces estimations, le Stif ne prend pas en compte les lignes nouvelles du Grand Paris, faute de savoir lesquelles seraient en service à l'horizon 2020.

Face à ces besoins d'investissement, le Stif estime qu'il pourra en autofinancer 1,357 milliard d'euros, ce qui l'obligerait à emprunter 3,447 milliards d'euros. En faisant l'hypothèse que le Stif emprunte à un taux de 4,5 % sur 30 ans (amortissement du capital constant), les charges seraient les suivantes :

Source : Stif

Ces différents éléments démontrent qu'un véritable tournant a bien eu lieu : les pouvoirs publics se mobilisent pour le réseau des transports collectifs en Ile-de-France, pour rattraper plusieurs décennies d'insuffisances et alors que le trafic augmente.

Cependant, devant la rareté des moyens, des difficultés d'arbitrage ne manquent pas de se produire entre les « grands projets » et les améliorations immédiates . La SNCF met en avant sa priorité pour « les trains du quotidien » et même son projet d'un « Grand Paris d'aujourd'hui », programme d'un montant de 600 millions d'euros pour améliorer le fonctionnement des trains de banlieue en douze mois. Cependant, les incertitudes sur le financement des projets ravivent les tensions entre le développement du réseau et l'amélioration de celui d'aujourd'hui, alors même que les deux sont nécessaires et se complètent en bien des points.

Quoiqu'il en soit, les opérateurs reconnaissent que l'amélioration effective du service , surtout quand elle est liée à des travaux d'envergure - comme le doublement du tunnel entre Châtelet et la Gare du Nord, estimé à plus d'un milliard d'euros et envisageable seulement à l'horizon 2018 à 2020 -, n'aura pas lieu avant la fin de la décennie . La concertation a du reste fait apparaître un débat entre les partisans d'une fermeture complète mais courte de certaines lignes, pour que la gêne ne dure pas longtemps, et ceux qui prônent des travaux plus longs mais sans fermeture, quitte à ce que la gêne dure quelques années...


* 7 Commission d'enquête de l'Assemblée nationale consacrée à la situation du RER. Rapport n° 4458 de MM. Daniel Goldberg et Pierre Morange : « Le défi du RER : placer les usagers au coeur du système », mars 2012.

* 8 Cour des comptes « Les transports ferroviaires régionaux en Ile-de-France. Rapport public thématique . », novembre 2010.

* 9 Voir les publications de l'Observatoire de la mobilité en Ile-de-France, www.omnil.fr

* 10 Voir l'enquête globale transport réalisée en 2010 par l'Observatoire de la mobilité en Île-de-France, http://www.omnil.fr/IMG/pdf/egt2010_tc_bd-2.pdf

* 11 La tranche horaire 9h30-16h30 gagne 33 % de fréquentation entre 2001 et 2010 et celle d'après 19h30 fait un bond de 75 %, le samedi gagne 68 % et le dimanche 84 %.

* 12 Compte rendu de la table ronde sur les transports en Ile-de-France, Commission du développement durable de l'Assemblée nationale, 30 janvier 2013, page 20.

* 13 Tramways T1, T7, T2, T5, Tangentielle Nord, prolongement de la ligne 8

* 14 Pour l'Etat, la desserte du plateau de Saclay par la réalisation d'un métro automatique dès 2020 demeure une priorité, conformément à la loi relative au Grand Paris et pour un raccordement en 30 minutes à Paris et 50 minutes à Roissy ; pour la région, la desserte de ce plateau par des bus à haut niveau de service est suffisante, avec possibilité d'évoluer vers un tramway, pour un raccordement au réseau métropolitain des pôles de Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines, Massy et Orly.

* 15 Source : Stif. Discussion d'orientation budgétaire 2013.

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