Rapport n° 438 (2011-2012) de M. Claude JEANNEROT , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 février 2012
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N° 438
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 février 2012 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relative à l' organisation du service et à l' information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports ,
Par M. Claude JEANNEROT,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , président ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Jean-Léonce Dupont, Mme Odette Duriez, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Claude Léonard, Jean-Claude Leroy, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, Michel Vergoz, André Villiers, Dominique Watrin. |
Voir le(s) numéro(s) :
Première lecture : 3991 , 4157 et T.A. 829
Nouvelle lecture : 4362 , 4388 et T.A. 864 |
Première lecture : 290 , 337 et 74 (2011-2012)
Commission mixte paritaire : 392
Nouvelle lecture : 428 (2011-2012) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La majorité sénatoriale a manifesté, dès la première lecture, son opposition la plus ferme à la proposition de loi du député Eric Diard relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports en y opposant la question préalable. Si la nécessité de développer le dialogue social dans ce secteur d'activité est très largement partagée sur tous les bancs de notre assemblée, les mesures proposées par ce texte ne constituent pas, en effet, une réponse adaptée aux difficultés rencontrées par les salariés ou les voyageurs.
Les restrictions qu'il apporte au droit constitutionnellement protégé de faire grève, au nom de la supposée atteinte à l'ordre public causée par les mouvements sociaux, ne sont pas acceptables car elles auraient avant tout pour conséquence d'amoindrir considérablement la capacité des salariés à défendre leurs légitimes revendications professionnelles.
Obliger tout salarié qui participe à la préparation ou la réalisation des vols à déclarer à son employeur son intention de faire grève quarante-huit heures à l'avance l'expose, surtout dans les entreprises intervenant dans la chaîne des services d'assistance au sol, au risque que des pressions soient exercées sur lui ou sur ceux de ses collègues dont le statut est le plus précaire.
Le second délai imposé aux salariés grévistes ou qui ont fait part de leur intention de faire grève aurait des effets plus néfastes encore. Les contraindre à informer leur employeur, vingt-quatre heures à l'avance, qu'ils renoncent à faire grève ou veulent reprendre le travail, sous peine de sanction disciplinaire, constitue une atteinte indéniable à leur capacité de libre détermination. C'est d'autant plus injustifié que cette contrainte serait inopérante dans le secteur aérien, dont les spécificités rendent irréalisable le rétablissement de l'activité dans un si court délai. Plus encore, en poussant la logique de ce mécanisme à son terme, il en résulterait la persistance d'un mouvement de grève de manière purement artificielle une journée de plus puisqu'un salarié qui renoncerait à faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin.
Réunie le 21 février 2012, la commission mixte paritaire chargée d'établir un texte commun aux deux assemblées n'est pas parvenue à un accord du fait des positions inconciliables exposées lors de l'examen de la proposition de loi dans chacune d'entre elles.
Adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, le texte a subi quelques modifications mineures qui, si elles semblent vouloir corriger certaines des difficultés mises en lumière par votre rapporteur lors de l'examen en première lecture par le Sénat, s'avèrent largement insuffisantes pour emporter notre adhésion.
Il est désormais prévu que le délai de dédit de vingt-quatre heures pour les salariés changeant d'avis et souhaitant poursuivre ou reprendre le travail ne s'appliquera pas « lorsque la grève n'a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ». Une telle formulation ne tient compte ni du déroulement réel des mouvements sociaux dans les entreprises, ni de la diversité des rapports de force au sein de celles-ci.
Dans le cadre d'une grève menée à l'instigation de plusieurs organisations syndicales, il est tout à fait possible qu'en fonction de l'évolution des négociations, l'une d'entre elles invite les salariés à reprendre le travail, tandis que les autres poursuivront la grève. Les salariés satisfaits du compromis et se reconnaissant dans la position du syndicat cessant le mouvement de grève seront néanmoins astreints à cette obligation d'information vingt-quatre heures à l'avance car, techniquement, cela n'aura pas marqué la fin de la grève dans l'entreprise. Il s'agit d'ailleurs d'une notion qu'il est difficile de fixer précisément car le droit de grève, s'il s'exerce dans un cadre collectif, est avant un droit individuel que les salariés peuvent exercer avec ou sans le soutien d'un syndicat. La seule « fin de la grève » qui puisse exister dépend avant tout de la décision de chaque salarié : ils ne sont pas liés par les éventuelles décisions syndicales.
De même, alors que c'est le principe même de ce dédit et de la sanction disciplinaire qui s'y attache qu'il conviendrait de supprimer, seule une faible atténuation a été proposée par l'Assemblée nationale en cas de manquement à cette obligation d'information, qui ne s'appliquerait que si le salarié refuse « de façon répétée » de s'y soumettre.
Les constats faits par votre rapporteur en première lecture restent donc valables, aussi bien sur le fond, sur la forme que sur la méthode employée pour faire adopter ce texte. La transposition au secteur aérien, quasiment telle quelle, de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social dans les transports terrestres n'est pas réalisable compte tenu des différences majeures qui existent entre ces secteurs. L'opposition systématique des salariés aux passagers est caricaturale et facteur de division alors que la grève est toujours le dernier recours de ceux qui n'ont pu se faire entendre par la négociation. Conscient des difficultés que rencontrent les voyageurs en cas de perturbation du trafic aérien consécutive à un mouvement social, votre rapporteur estime qu'il faut évidemment renforcer les obligations d'information des compagnies aériennes envers leurs passagers. Néanmoins, les dispositions de la présente proposition de loi n'apportent pas non plus une réponse adaptée à ces questions.
Il convient également de rappeler ici les conditions d'examen de ce texte, à moins d'une semaine de la clôture de la dernière session parlementaire d'un quinquennat caractérisé par une hyperactivité législative. Quelle urgence justifie donc son adoption dans la précipitation ? L'absence non d'audition mais de concertation préalable des partenaires sociaux est très regrettable, tout comme l'utilisation d'une proposition de loi pour faire adopter un texte aux profondes conséquences sociales, le Gouvernement se libérant ainsi des obligations qui sont les siennes (avis du Conseil d'Etat, étude d'impact) lorsqu'il dépose un projet de loi.
Il n'appartient pas au législateur de supplanter les partenaires sociaux : il lui revient de les inviter au dialogue, ce qui aurait pu être le cas s'ils avaient été préalablement consultés. Ceux-ci pourraient sans nul doute adopter, par la voie conventionnelle, des accords généralisant un mécanisme d'alerte sociale qui satisferaient les intérêts des salariés comme des voyageurs et dont l'efficacité serait certainement plus probante.
*
C'est pourquoi, par cohérence avec le vote du Sénat en première lecture et considérant que le texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale ne corrige en rien les défauts alors mis en lumière par votre rapporteur, votre commission des affaires sociales a adopté une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mardi 28 février 2012 , sous la présidence d' Annie David, présidente , la commission examine le rapport en nouvelle lecture de Claude Jeannerot sur la proposition de loi relative à l' organisation du service et à l' information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passager s et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
Annie David, présidente, en remplacement de Claude Jeannerot, rapporteur . - Je vous prie de bien vouloir excuser notre rapporteur Claude Jeannerot, retenu à l'étranger par ses obligations de président de conseil général. En première lecture, le 15 février, le Sénat a opposé la question préalable à cette proposition de loi. La commission mixte paritaire, réunie à l'Assemblée nationale la semaine dernière, s'est séparée sur un constat de désaccord. Il y a plusieurs principes sur lesquels la majorité sénatoriale ne peut transiger, au premier rang desquels figure la préservation des droits sociaux des salariés. Ce texte prétend concilier ceux-ci avec les droits des passagers, qui peuvent subir les effets d'une grève. C'est un exercice délicat, dont le résultat nous a paru déséquilibré, plus favorable aux entreprises de transport aérien de passagers qu'à leurs employés.
Deux points nous ont paru particulièrement inacceptables. Tout d'abord, on ne peut envisager de transposer au transport aérien, presque à l'identique, la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social dans les transports terrestres car il y a d'importantes différences entre ces deux secteurs. Imposer aux salariés de déclarer à leur employeur leur intention de faire grève quarante-huit heures à l'avance aura pour principal effet de rendre l'exercice du droit de grève plus malaisé. Or la situation souvent précaire des dizaines de milliers de salariés de l'assistance en escale les empêche d'obtenir par la négociation une amélioration de leurs conditions de travail ; leur voix risque de devenir inaudible si, du fait de pressions de leur employeur, ils ne peuvent plus défendre leurs droits par la grève.
Ensuite, obliger, sous peine de sanction disciplinaire, les salariés grévistes ou qui ont fait part de leur intention de faire grève à informer leur employeur, vingt-quatre heures à l'avance, qu'ils renoncent à faire grève ou veulent reprendre le travail, porte atteinte à leur capacité de libre détermination. Cette contrainte serait d'ailleurs inopérante dans le secteur aérien, puisqu'il serait impossible de rétablir l'activité dans un si court délai. Elle pourrait même conduire les salariés à poursuivre la grève un jour de plus, de manière purement artificielle : un salarié qui renoncerait à faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin. Est-ce vraiment l'intérêt des passagers ?
Les modifications apportées par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne suffisent pas à emporter notre adhésion. Il est désormais prévu que le délai de dédit de vingt-quatre heures ne s'appliquera pas « lorsque la grève n'a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ». Une telle formulation traduit une méconnaissance du déroulement réel des mouvements sociaux dans les entreprises. La « fin de la grève » relève avant tout de la décision de chaque salarié, qui ne dépend pas des décisions syndicales. Insuffisante, aussi, est l'atténuation par les députés de la sanction du manquement à l'obligation d'information en cas de dédit : elle ne s'appliquerait que si le salarié refuse « de façon répétée » de s'y soumettre.
Tous les constats faits par notre rapporteur en première lecture restent valables, sur le fond, la forme et la méthode. Il faut cesser d'opposer systématiquement les salariés aux passagers qui seraient des victimes collatérales d'un désaccord auquel ils sont étrangers. Est-il besoin de le rappeler, la grève n'est pas un choix fait à la légère, mais le dernier recours des salariés lorsque le fil du dialogue social est rompu et que l'employeur refuse de négocier. Je note au passage qu'un accord a finalement été trouvé entre Air France et ses pilotes, ce qui montre que le dialogue social peut aboutir. Cet accord ôte d'ailleurs tout son sens à cette proposition de loi puisqu'il prévoit que les pilotes non grévistes ne pourront pas remplacer les grévistes.
On dit que les pilotes sont des privilégiés. Mais ce texte concerne avant tout les dizaines de milliers d'employés de l'assistance en escale dont la situation contractuelle et salariale est des plus précaire.
Un dernier mot sur la procédure d'adoption à marche forcée de cette proposition de loi, à une semaine de la clôture de la dernière session parlementaire du quinquennat. Comme l'Assemblée nationale n'a pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux, il n'y a pas eu de concertation formelle avec eux, comme c'est l'usage dans notre commission, alors qu'il s'agit d'un texte qui encadre le droit de grève. Le Conseil d'Etat n'a pas eu à rendre d'avis à son propos, alors qu'il soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. Enfin, nous ne disposons d'aucune étude d'impact.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que réitérer fermement notre position de première lecture. Le texte transmis par l'Assemblée nationale ne corrige en rien les défauts que nous avions mis en lumière. Je vous propose donc d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable.
Isabelle Debré . - Le groupe UMP n'est absolument pas d'accord avec ces arguments et votera contre la motion.
La motion n° 1 tendant à opposer la question préalable est adoptée .