EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
« Il y a trop de normes, on ne s'y retrouve plus et elles nous coutent trop cher ». Tel est le ressenti des élus locaux et des directeurs généraux des services des communautés de communes, exprimé lors d'une enquête de l'assemblée des communautés de France, réalisée en février 2011.
De fait, la quasi-totalité des domaines d'intervention des collectivités territoriales est aujourd'hui impactée par ce phénomène d'inflation législative et réglementaire. Si l'édiction de règles répond à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique et permet d'articuler l'action de l'ensemble des intervenants du domaine public, la surproduction normative engendre de réelles difficultés pour les collectivités territoriales chargées de mettre en oeuvre ces règles, sources de complexité et de coûts importants pour elles.
Les acteurs locaux sont unanimes... Ce foisonnement de normes entraine un renchérissement de l'action publique, même si son impact financier réel est difficile à estimer. Ce constat est d'autant plus préoccupant dans un contexte de réduction générale des dépenses et de contraintes budgétaires.
Ces normes sont l'illustration de la fracture profonde qui existe entre l'État central, prescripteur de dépenses et de contraintes nouvelles, et les collectivités territoriales qui doivent mettre en oeuvre ces dispositifs et les financer. Ainsi, l'assemblée des communautés de France estime-t-elle que « alors que les recettes sont aujourd'hui statiques, les collectivités sont confrontées à des dépenses croissantes du fait de l'inflation des normes et réglementations édictées par l'État : un constat choquant en temps de crise ».
En pratique, dans un contexte qui nécessite souplesse, réactivité et inventivité, ces règles surabondantes, qui ne sont pas toujours en adéquation avec les spécificités locales, peuvent représenter, pour les collectivités territoriales, un véritable frein à la réalisation de projets. Certains domaines semblent particulièrement touchés : la gestion de l'eau et de l'assainissement, la gestion des déchets, l'offre de transports, les services à la personne...
Cette frénésie normative est liée notamment à la mise en oeuvre de lois votées ces dernières années, parfois à l'unanimité car répondant à un besoin réel, qui nécessitent pour leur mise en oeuvre la production d'une réglementation importante. Par ailleurs, le pouvoir réglementaire n'hésite pas à aller au-delà des dispositions législatives, imposant des contraintes supplémentaires aux collectivités territoriales.
Ce constat est à l'origine de la proposition de loi déposée par notre collègue Éric Doligé, issue de sa mission confiée par le Président de la République.
En raison de la diversité des domaines abordés, votre commission des lois a décidé de déléguer aux commissions saisies pour avis, l'examen au fond des dispositions relevant de leur seule compétence. En conséquence :
- l'article 27 a été étudié par la commission de la culture ;
- les articles 28, 29, 30 et 31 par la commission de l'économie.
Ces deux commissions ont par ailleurs rendu un avis sur l'article 1 er pour la commission de la culture et sur les articles 19 à 26 pour la commission de l'économie.
I. L'INFLATION NORMATIVE : UN CONSTAT ANCIEN ET PARTAGÉ AUX RÉPONSES INÉGALES
Dénoncé depuis longtemps, ce phénomène perdure malgré les tentatives de régulation.
A. LE POIDS DES NORMES
« Dérèglement » de l'activité normative, il en résulte des conséquences financières lourdes pour les collectivités assujetties.
1. Une croissance ancienne et exponentielle des normes
La croissance exponentielle des normes, leur manque de lisibilité et de cohérence ainsi que leur décalage par rapport aux réalités locales sont dénoncés depuis plus de vingt ans.
Déjà en 1991, le Conseil d'État relevait la « surproduction normative » et ses conséquences néfastes en matière de sécurité juridique et d'accessibilité du droit. Il avait par ailleurs relevé que « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite ». Même si cette première analyse ne visait pas explicitement les normes assumées par les collectivités territoriales, elle pointait un « mal français » déjà bien développé.
En 2000, la mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales 1 ( * ) relevait que « les administrations de l'État [ont pris], en effet, l'habitude d'intervenir sous la forme de règlements qui, sans dessaisir, au moins en théorie, les autorités locales, ont contribué à limiter leurs pouvoirs de manière significative. Cette dépossession administrative s'est manifestée sous diverses formes : subventions, classification des investissements, concours des services techniques, règlements-type et normes techniques, classement qui permet à l'État d'imposer ses normes aux collectivités locales, cartes et schémas (carte scolaire, carte hospitalière, carte routière). » La mission estimait que les collectivités territoriales avaient perdu la maîtrise de leurs compétences en raison de cette inflation normative qui entravait, de facto , leur libre administration.
Cette conclusion a été confirmée, en décembre 2007, par le groupe de travail portant sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales 2 ( * ) , présidé par notre ancien collègue M. Alain Lambert. Ce dernier a souligné l'accroissement des charges pesant sur les collectivités, en raison, d'une part, de l'inflation des textes normatifs qu'elles doivent appliquer et, d'autre part, de la complexité des procédures qu'il leur faut mettre en oeuvre.
* 1 Rapport d'information n° 447 (1999-2000) fait au nom de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales, par M. Michel Mercier.
* 2 « Les relations entre l'État et les collectivités locales », rapport du groupe de travail présidé par M. Alain Lambert, décembre 2007.