EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 15 novembre 2011, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport spécial de M. Jean-Claude Frécon , rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'Etat », le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat » et les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux et « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics ».
M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial . - Ayant à rapporter sur une mission et trois comptes spéciaux, j'irai à l'essentiel. Commençons par la mission « Engagements financiers de l'Etat ». Ses crédits progressent de 6 % entre 2011 et 2012, de 46,9 à 49,9 milliards d'euros. Cette évolution traduit la progression de la charge d'intérêts que doit supporter l'Etat sous l'effet de l'encours croissant de sa dette.
Je rappelle que cette année, la charge de la dette est attendue à 46,8 milliards d'euros, soit 1,4 milliard d'euros de plus que prévu en LFI. Cette augmentation est due au ressaut d'inflation et à son impact sur la charge de la dette indexée. En 2012, la charge de la dette devrait s'établir à 48,8 milliards d'euros, soit 47,9 milliards d'euros au titre de la dette négociable et non négociable et 0,9 milliard d'euros au titre des charges de trésorerie. La charge de la dette négociable devrait essentiellement progresser sous l'effet de l'augmentation de l'encours (+ 2,7 milliards d'euros). Il faut garder à l'esprit que l'écart de financement - le fameux « spread » - des titres français à dix ans avec les titres allemands de même maturité atteint un niveau élevé en cette fin d'année (170 points de base) et témoigne de la détérioration relative de la confiance des marchés à l'égard de notre signature. A titre d'illustration, si la France, notée triple A, se finançait aux taux de la Belgique (notée AA+), un surcoût sur la charge d'intérêts de l'ordre de 2,5 milliards d'euros par an serait constaté la première année, et de 14 milliards d'euros en charge annuelle au bout de sept ans.
La mission « Engagements financiers de l'Etat » retrace également les dépenses liées à l'appel en garantie de l'Etat, soit 189 millions d'euros en 2012. Je vous rappelle que ces garanties sont comptabilisées en engagements hors bilan de l'Etat et que l'information du Parlement sur ces engagements est lacunaire. Leur juste appréciation est pourtant cruciale, dans un contexte de crise où l'Etat garant est sollicité comme jamais. C'est pourquoi, je vous propose, en 2012, de confier à la Cour des comptes une enquête sur ce sujet, en application de l'article 58-2° de la LOLF. J'en termine sur cette mission en relevant la forte baisse des crédits du programme « Epargne », qui voit sa dotation passer de 1,12 à 0,35 milliard d'euros. Ce phénomène traduit le reflux important des primes d'épargne-logement. Nous veillerons à ce que cette baisse de crédits n'aboutisse pas à reconstituer la dette contractée par l'Etat à l'égard du Crédit foncier de France, qui a été résorbée en 2011. Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'Etat ».
J'en viens au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat », qui retrace les opérations financières de l'Etat actionnaire, telles que des augmentations de capital, ou, à l'inverse, des privatisations ou des cessions. Les documents budgétaires n'apportent que des informations limitées. En effet, du côté des recettes, le Gouvernement inscrit, comme chaque année, 5 milliards d'euros. Or, compte tenu de la situation économique incertaine, il est douteux que l'Etat réalise, en 2012, des cessions d'actifs. A titre d'illustration, au 5 septembre 2011, l'Etat actionnaire n'avait engrangé que 181 millions d'euros de recettes. En réalité, le montant des recettes n'est même pas évaluatif : il est inscrit « pour ordre ». Du coté des dépenses, nous avons un peu plus de visibilité puisque nous savons que l'Etat devra encore libérer 467 millions d'euros au titre de l'augmentation de capital de La Poste et qu'il achètera des titres Areva, auprès du Commissariat à l'énergie atomique, pour un montant d'au moins 200 millions d'euros ; soit des dépenses de près de 700 millions d'euros déjà certaines.
En conséquence, le déséquilibre du CAS ne pourra que s'accentuer courant 2012. J'ajoute que, pour la cinquième année consécutive, aucun versement ne devrait intervenir depuis le compte pour réduire la dette héritée du Crédit Lyonnais, qui s'élève à plus de 4,3 milliards d'euros et doit être remboursée en 2014. Nous ne pouvons que constater que le Gouvernement laisse « pourrir » ce dossier ! Au-delà de ses aspects budgétaires, la politique de l'Etat actionnaire appelle quelques observations de ma part. Depuis septembre 2010, et la nomination de M. Comolli en tant que commissaire aux participations de l'Etat, l'Etat actionnaire s'est engagé dans une nouvelle stratégie résolument tournée vers le développement industriel. En réalité, nous ne disposons d'aucun élément tangible pour juger de la mise en oeuvre opérationnelle de ces nouvelles orientations. Si je constate que les administrateurs de l'Etat participent activement aux organes de gouvernance, je n'en vois pas la traduction concrète dans la gestion des entreprises : le taux de féminisation est à peine supérieur, les rémunérations guère plus modérées et les résultats pas meilleurs que dans les entreprises dont le capital est entièrement privé. Ces éléments d'appréciation me conduisent à préconiser le rejet des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat ».
Les autres comptes spéciaux n'appellent pas de longues observations. Sur le compte « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics », 12,6 millions d'euros d'avances sont consenties en faveur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) afin de financer les projets d'investissements dans les établissements scolaires français à l'étranger. Cette inscription de crédits est la conséquence directe de l'adoption par le Parlement, d'une interdiction faite aux organismes divers d'administration centrale (ODAC) de recourir à l'emprunt bancaire à plus d'un an. Par ailleurs, je rappelle que la quasi-totalité des crédits de la mission, soit 7,5 milliards d'euros, pourvoient au préfinancement par l'Etat des aides de la politique agricoles communes. Je vous propose un avis de sagesse sur les crédits du compte « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics ».
Enfin, le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux » est dédié à la coopération monétaire avec la zone franc. Il n'est, comme les années précédentes, pas doté et ne fait l'objet d'aucun bleu budgétaire. Je vous en propose le rejet.
M. Philippe Marini, président . - Merci au rapporteur spécial qui a dû se familiariser très rapidement avec son nouveau domaine de compétences. Y a-t-il des remarques ou des questions ?
M. François Patriat . - J'ai été rapporteur pour avis du compte spécial « Participations financières de l'Etat » lorsque j'étais membre de la commission de l'économie. Il est vrai que le bleu budgétaire ne nous apprend pas grand-chose. Mais peut-il en être autrement, compte tenu du fait que l'Etat ne peut dévoiler ses intentions sur d'éventuelles cessions ou acquisitions sans donner des signaux qui auraient un impact sur les marchés. Avez-vous entendu le Commissaire aux participations de l'Etat et vous a-t-il donné des informations sur la stratégie d'Areva ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Tout ce qui concerne la dette est extrêmement sensible. Keynes disait qu'en économie, lorsque l'on sort son parapluie, il pleut !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - Ce sont les prophéties auto-réalisatrices !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je suis ravie que vous nous recommandiez d'approuver les crédits de la charge de la dette. Je suis plus ennuyée sur votre proposition de rejet du compte spécial « Participations financières de l'Etat ». Je ne comprends pas ce qui justifie vos différentes positions sur ces deux sujets.
M. Philippe Marini, président . - Cette question s'adresse au rapporteur spécial, mais pourrait concerner bien d'autres personnes !
M. Jean-Paul Emorine . - Sur les participations financières de l'Etat, je partage le point de vue du rapporteur spécial, selon lequel l'Etat n'est pas un meilleur actionnaire que les autres et que sa participation n'améliore pas les résultats des entreprises. Je pense que l'Etat doit être actionnaire dans des entreprises stratégiques. Je ne parle pas de privatisations. Quand on voit que l'Etat est très majoritairement actionnaire d'Areva et qu'il va encore acheter des actions ! Je n'y souscris pas. On devait garder 70 % d'EDF, on est à 84 %. Il en va de même de DCNS pour 70 %, d'Aéroports de Paris, des ports dont on est actionnaire à 100 %. Dans une période difficile comme celle que nous traversons, je sais qu'il faut prendre en compte la valeur des participations. Néanmoins, le Gouvernement Jospin avait ouvert le capital d'entreprises publiques, ce que j'approuve. Je fais confiance à M. Comolli, mais l'Agence des participations de l'Etat décide de tout, et nous ne nous penchons sur cela qu'au moment du budget. Je suggère que nous y consacrions un groupe de travail car le pouvoir politique n'a plus de prise dans ce domaine.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - Il y a un ministre, quand même !
M. Jean-Paul Emorine . - Comme dans tous les secteurs, mais cela ne nous dispense pas d'y voir plus clair. Dans des situations comme celles de la Grèce, en dernier ressort, on propose de privatiser. Je ne vous le propose pas, mais je crois opportun d'ouvrir le capital dans certains cas.
M. Edmond Hervé . - Notre collègue Jean-Paul Emorine a une approche strictement financière. Ce qui compte, c'est que l'Etat ait une vraie politique industrielle, ce que je mets en parallèle avec ce qui a existé entre 1981 et 1986.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - Vu son importance, la dette est un sujet capital et les intérêts atteignent des sommes qui obèrent nos marges de manoeuvre. Sa gestion est liée à deux paramètres. Le premier est la politique monétaire de la BCE, qui maintient des taux bas, ce qui limite pour l'instant la charge d'intérêts. Mais nous devons voir plus loin que 2012. A partir de 2013, une remontée est probable et cela aura un impact sur notre stratégie budgétaire à long terme. En second lieu, je m'interroge sur le crédit de la France. Le spread avec l'Allemagne a atteint 170 points de base avant de redescendre quelque peu. Nos titres sont-ils encore des valeurs refuge ? Il faut se méfier des déclarations inconsidérées, mais des nuages sombres s'amoncellent à l'horizon. L'attitude des investisseurs témoigne d'une défiance sur les titres souverains : les banques vendent ! S'il faut les recapitaliser, le cas échéant avec l'aide de l'Etat, il faudra exercer un contrôle. Notre crédit ne va pas s'améliorer. Le Gouvernement fait une hypothèse de croissance de 1 %, que la Commission européenne corrige à 0,6 %. 2012 sera une année d'incertitudes, en raison des échéances électorales. Nous devons donc faire un effort de consolidation.
J'en termine en évoquant les dépôts des correspondants, qui sont importants, notamment parce que les collectivités locales demeurent prudentes dans un climat d'incertitude. Quel est le montant de leurs dépôts ?
En somme, l'heure est grave, et stabiliser - sinon réduire - la dette sur la période 2012-2017 est un impératif. Je ne le dis pas pour faire plaisir aux marchés, mais parce que l'Etat n'a plus de marges de manoeuvres pour conduire ses politiques publiques.
M. Philippe Marini , président . - Je souscris, pour une bonne part, à ce que vous venez de dire sur l'enjeu que représente la dette publique, sur nos engagements à cet égard et sur le caractère très sensible du sujet et donc sur la réserve qu'il convient de respecter dans nos commentaires.
Je souhaiterais revenir sur les pages 16 et 17 de la note de présentation du rapporteur spécial où il est dit que la remontée des taux favorise la détention de la dette par les investisseurs résidents. Le tableau que vous présentez montre en effet un léger recul depuis deux ans de la part respective de la dette détenue par les investisseurs non-résidents au profit des résidents. Mais je note également que les deux-tiers de notre dette sont entre les mains de non-résidents alors que cette proportion était encore, en 2003, de moins de la moitié. Naturellement, ceci illustre notre vulnérabilité et notre sensibilité accrues aux phénomènes de marché et aux enchaînements à la fois techniques et psychologiques qu'ils sont susceptibles de connaître.
Vous apportez en contrepoint la réponse - habituelle - de l'Agence France Trésor qui considère qu'un niveau de détention élevé par les non-résidents ne doit pas être considéré de manière négative. Une telle explication m'a toujours un peu laissé sur ma faim.
Je me demande si dans les objectifs de gestion de la dette publique, on ne devrait pas aussi faire entrer en considération la détention des titres souverains français par les investisseurs résidents. Je serais heureux que, dans vos travaux, vous puissiez approfondir ce point avec l'Agence France Trésor.
Enfin, et reprenant l'observation sur les correspondants que formulait Nicole Bricq, j'en viens à la page 24 où nous disposons d'un tableau rappelant les principales entités, hors collectivités territoriales, déposant leurs ressources sur le compte unique du Trésor. Nous y trouvons, par exemple, la Société du Grand Paris pour 294 millions d'euros - ce qui montre probablement qu'elle est un peu surfinancée à l'heure actuelle -, le Centre national du cinéma et de l'image animée pour 757 millions d'euros - ce qui est plutôt significatif - et l'Agence nationale de la rénovation urbaine pour 733 millions d'euros.
Ma suggestion serait simplement que l'on utilise mieux la connaissance des encours de trésorerie déposés au Trésor pour s'interroger sur l'adéquation des ressources aux dépenses de ces différents organismes, sans oublier d'ailleurs les universités.
M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial . - A mon collègue François Patriat, je signale que, dans les délais qui m'ont été impartis pour la préparation du rapport, je n'ai pas eu le temps de rencontrer le commissaire aux participations de l'Etat. Bien évidemment, je vais remédier à cette lacune dans les mois qui viennent. S'agissant de la stratégie d'Areva, nous disposons de la doctrine « officielle » du Gouvernement telle qu'elle figure dans le « jaune budgétaire » relatif à l'Etat actionnaire.
En réaction aux observations de Marie-Hélène des Esgaulx, je relève simplement que les enjeux de la mission « Engagements financiers de l'Etat » et du compte spécial « Participations financières de l'Etat » ne sont pas du tout de même nature. Rejeter les crédits des intérêts de la dette constituerait un signal autrement plus fort que le rejet des crédits de l'Etat actionnaire. Je rappelle d'ailleurs que ces montants sont purement conventionnels. L'Etat ne renierait pas ses engagements mais nous voulons manifester notre désapprobation vis-à-vis de la politique qu'il mène en tant qu'actionnaire.
Comme notre collègue Jean-Paul Emorine, je regrette une certaine opacité dans la gestion des participations publiques, ce qui a motivé ma position de rejet. De surcroît l'Etat, bien souvent actionnaire minoritaire, n'a pas toujours la possibilité d'imposer sa vision aux organes de gouvernance.
S'agissant des questions du Président et de la Rapporteure générale relatives à la dette, les dépôts des collectivités territoriales s'élèvent à 30 milliards d'euros et ils permettent en effet de limiter l'appel aux marchés. L'Etat a également mis en oeuvre une politique de rationalisation de sa trésorerie, ce qui a permis, depuis deux ans, de rapatrier 10 milliards d'euros. Il a fait des efforts mais nous devons aussi avoir conscience que, grâce aux 30 milliards d'euros apportés par les collectivités territoriales, il peut se permettre d'emprunter moins ! Voilà une réalité que, ces derniers temps, il serait bon que le Gouvernement n'oublie pas !
Je précise que, fin août, la trésorerie du CNC était de 789 millions d'euros. Nous n'avons pas eu le loisir d'expertiser l'ensemble des données relatives aux trésoreries déposées au Trésor.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - C'est un chiffre intéressant parce que le débat budgétaire risque d'être à nouveau chahuté par la limitation des recettes fiscales des opérateurs...
M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial . - Sur la question de la détention de la dette par les investisseurs résidents ou non-résidents, nous nous rapprocherons de l'Agence France Trésor pour étudier la possibilité de la fixation d'objectifs en la matière. J'avais prévu de rencontrer l'AFT, mais j'ai dû y renoncer, contraint par un empêchement de dernière minute... C'est un rendez-vous que j'ai reporté et je compte bien évoquer le point que vous avez soulevé.
A l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat :
- l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'Etat » et des crédits du compte de concours financiers « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics » ;
- puis le rejet des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat » et des crédits du compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux ».
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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2011, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat :
- l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'Etat » et des crédits du compte de concours financiers « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics » ;
- le rejet des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat » et des crédits du compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux » .