2. Les principales pathologies d'origine professionnelle

Trois grands types d'affections concentrent l'essentiel des cas de maladies professionnelles reconnues :

les affections périarticulaires : causées par certains gestes ou postures de travail, elles représentent 78,7 % des maladies professionnelles entraînant un arrêt de travail reconnues en 2010, et leur part croît d'année en année ;

les affections dues à l'inhalation de poussières d'amiante constituent 9,4 % des maladies professionnelles avec arrêt reconnues en 2010 ;

les affections chroniques du rachis lombaire , enfin, occupent toujours une part importante, mais décroissante, des maladies professionnelles (5 % en 2009).

Les autres pathologies les plus fréquentes sont les surdités, les allergies, les affections respiratoires...

La répartition est un peu différente si l'on considère les maladies professionnelles qui occasionnent une incapacité permanente . En effet certaines pathologies, en raison de leur gravité, s'accompagnent plus fréquemment que d'autres d'une incapacité permanente. C'est notamment le cas des maladies de l'amiante : l'an passé, 91 % des maladies de l'amiante ayant donné lieu à un arrêt de travail se sont accompagnées de la reconnaissance d'une incapacité permanente, contre 50 % en moyenne pour l'ensemble des maladies professionnelles, de sorte que les seules maladies dues à l'amiante représentent 17,3 % des maladies avec incapacité permanente. A contrario , les maladies périarticulaires , généralement moins graves, représentent 66 % du total des maladies professionnelles avec incapacité permanente.

3. Une imputation toujours aussi difficile des pathologies du travail

Certains accidents et maladies professionnelles ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de la Cnam parce qu'ils n'ont pas été déclarés ou reconnus comme tels. Les dépenses qu'ils occasionnent sont alors prises en charge par la branche maladie. Depuis 1997, la branche AT-MP effectue chaque année un reversement à la branche maladie pour compenser ces sommes indûment mises à sa charge . Une commission, présidée actuellement par Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes, se réunit régulièrement pour évaluer les montants financiers en jeu. Elle a remis son dernier rapport en juin 2011.

a) Le phénomène de sous-déclaration

Plusieurs facteurs concourent à une sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Les accidents du travail doivent être déclarés par l'employeur à la caisse de sécurité sociale compétente tandis que les maladies professionnelles doivent être déclarées par la victime.

La réticence de certains employeurs à déclarer les accidents du travail peut s'expliquer par leur souci d'éviter une hausse de leurs cotisations AT-MP. Le taux de cotisations est en effet plus élevé lorsque le nombre de sinistres constatés dans l'entreprise s'accroît. Plus généralement, la volonté de certaines entreprises d'apparaître exemplaires aux yeux de leurs salariés ou de leurs clients pourrait conduire à la dissimulation d'accidents mineurs.

Le rapport Diricq note des comportements de dissimulation qui s'expliquent par la réticence à afficher des taux de sinistralité élevés ou en hausse :

- non-déclaration d'accidents ;

- pressions sur les salariés ;

- accompagnement du salarié chez le médecin par une personne de l'entreprise et prise en charge des soins par cette dernière ;

- pressions sur les médecins de ville pour qu'ils n'accordent pas d'arrêt de travail au motif que le salarié va se voir proposer un poste aménagé.

Quant à la sous-déclaration des maladies professionnelles, elle résulte pour une large part du manque d'information des victimes, qui ne connaissent pas toujours la nocivité des produits qu'elles manipulent ni leurs droits au regard de la sécurité sociale. Un salarié peut également s'abstenir de déclarer une maladie professionnelle par crainte de perdre son emploi. La complexité des démarches de reconnaissance et le caractère forfaitaire de la réparation offerte par la branche AT-MP peuvent enfin conduire certaines victimes à estimer qu'il est préférable, sur le plan financier, d'emprunter une autre voie d'indemnisation.

Par ailleurs, les médecins de ville comme les praticiens hospitaliers ont rarement le réflexe de s'interroger sur l'éventuelle origine professionnelle d'une pathologie, surtout si celle-ci est multifactorielle, c'est-à-dire susceptible de résulter à la fois de facteurs professionnels et personnels. Le rapport insiste sur l'insuffisance de la formation et de l'information des médecins, le manque d'effectifs des médecins du travail. Il souligne également, comme la Cour des comptes, les difficultés liées à l'enregistrement des soins et prestations en AT-MP par les professionnels de santé et la non-imputation des dépenses AT-MP par les établissements de santé.

b) La sous-reconnaissance des maladies professionnelles

Une maladie est reconnue d'origine professionnelle :

- si elle figure dans un tableau, fixé par décret en Conseil d'Etat, qui recense les maladies présumées être d'origine professionnelle ;

- ou si le salarié est reconnu atteint d'une maladie professionnelle par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dont l'avis s'impose à la caisse de sécurité sociale.

Nombre de maladies professionnelles reconnues par dérogation aux critères
des tableaux (alinéa 3) et en dehors des tableaux (alinéa 4)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Affections rhumatologiques

2 767

3 036

3 150

3 634

4 429

4 926

Affections amiante

475

509

524

458

462

466

Surdité

295

285

245

272

248

233

Affections respiratoires

86

151

84

166

113

146

Affections de la peau

32

28

16

26

79

29

Autres pathologies

151

38

162

119

132

113

Nombre de pathologies reconnues au titre de l'alinéa 3

3 806

4 169

4 181

4 675

5 463

5 913

Nombre de pathologies reconnues au titre de l'alinéa 4

129

150

176

186

227

235

Source : Cnam

Cette procédure peut ne pas être exempte de défaillances. Des pathologies émergentes ou mal connues peuvent ne pas figurer sur les tableaux de maladies professionnelles.

Un autre problème, de nature scientifique cette fois, tient à la difficulté à déterminer la cause exacte d'une affection. La ligne de partage entre les maladies professionnelles et les autres peut être délicate à tracer, ce qui explique que les taux de reconnaissance puissent différer de façon significative d'une CPAM à une autre.

c) Evaluation du phénomène et de ses conséquences

Si la sous-déclaration des accidents du travail avait été jugée relativement faible en 2008, la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des maladies professionnelles seraient de plus grande ampleur. Il convient cependant d'être prudent en la matière, puisqu'elles sont appréciées à l'aide d'études épidémiologiques relatives au nombre de sinistres d'origine professionnelle, qui ne sont pas exhaustives et reposent sur des méthodologies et des hypothèses complexes.

Pour évaluer le coût de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance, la commission Diricq a d'abord estimé le nombre de sinistres non pris en compte dans les statistiques de la Cnam et l'a rapporté au coût moyen attaché à ces accidents et maladies. Compte tenu des incertitudes qui viennent d'être indiquées, elle a abouti à une fourchette assez large, comprise entre 587 millions et 1,1 milliard d'euros .

Pathologies professionnelles

Nombre de cas sous-déclarés

Coût moyen annuel
année 2010
(millions d'euros)

Coût total

de sous-déclaration (millions d'euros)

Principaux syndromes
du tableau 57 : affections périarticulaires

Canal carpien

6 182

3 883

24,0

Epaule enraidie/douloureuse

6 721

9 316

62,6

Tendinite du coude

2 913

4 394

12,8

Tendinite de la main et des doigts

1 423

3 223

4,6

Cancers professionnels (cancers liés à l'amiante)

3 % à 6 %

251,3 - 657,0

Affections du rachis lombaire (tableaux 97 et 98)

-

-

-

Surdité (tableau 42)

12 751

279

3,6

Dermatoses allergiques et irritatives

14 306 - 29 306

2 511

35,9 - 73,6

Asthme

21 807 - 46 812

2 032

44,3 - 95,1

Bronchopneumopathie chronique obstructive

26 954 - 42 435

1 830

49,3 - 77,7

Accidents du travail

Avec arrêt

40 000

2 184

87,3

Sans arrêt

55 000

213

11,7

TOTAL

587 - 1 110

Note de lecture : pour les cancers, la fourchette correspond à l'origine professionnelle des cancers. En appliquant cette fourchette au coût total des cancers estimé selon l'INCa, réduit au champ du régime général, et en retranchant le coût des cancers déjà indemnisés par la branche AT-MP en 2006 (12,9 millions d'euros), le coût de la sous-déclaration des cancers est obtenu.

Source : rapport de la commission Diricq, juin 2011

Le précédent exercice d'évaluation, réalisé en 2008, avait conclu à une fourchette comprise entre 564 millions et 1,01 milliard. L'estimation a crû à chaque rapport de la commission et s'établit en 2011 à 230 millions d'euros de plus qu'en 2005. Ainsi, même si l'essentiel des préconisations de la commission réunie en 2008 ont connu des mesures d'application 17 ( * ) , l'ampleur du phénomène de sous-déclaration paraît s'être amplifiée . Elle est d'ailleurs une tendance structurelle et ancienne : en 1968, au moment même où le Gouvernement lançait une campagne de lutte contre le bruit au travail, seuls sept dossiers relatifs à des cas de surdité avaient été soumis à la branche AT-MP pour être reconnus comme d'origine professionnelle ; un seul l'avait été...

A la suite du rapport de la commission Diricq, le Gouvernement a décidé de porter le montant du versement à la Cnam à 790 millions d'euros en 2012 contre 710 millions les trois années précédentes.


Récapitulatif des principales propositions et recommandations
émises en juin 2011 par la commission instituée par l'article L. 176-2
du code de la sécurité sociale, présidée par Noël Diricq

1. Concernant les médecins :

- amélioration de leur formation et information, notamment à travers des enseignements obligatoires relatifs aux maladies professionnelles au cours de leur cursus universitaire, la sensibilisation des présidents d'université à cette thématique et l'élaboration d'outils d'information par les sociétés médicales savantes ;

- examen de la possibilité de confier aux infirmières des entreprises et aux agents chargés de la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité (Acmo) la déclaration de maladie professionnelle compte tenu de la pénurie de médecins du travail ;

- clarification des formulaires de demande d'avis motivé au médecin du travail afin qu'il ressorte clairement si cet avis est demandé dans le cadre de la déclaration de maladie professionnelle de droit commun ou dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance ;

- communication en direction des victimes, des médecins du travail et des assistantes sociales sur les possibilités de cumuls entre rente AT-MP et pension d'invalidité.

2. Concernant les victimes :

- élaboration par la Cnam d'un guide à destination des victimes d'AT-MP relatif aux droits et démarches à accomplir et mise en place d'une aide à la déclaration par les assistantes sociales des organismes de sécurités sociale.

3. Concernant les entreprises :

- poursuite des efforts de contrôle des entreprises par les corps d'inspection et accompagnement de la mise en oeuvre de la réglementation en matière d'AT-MP notamment par l'élaboration de conventions d'objectifs avec les organisations professionnelles concernées.

4. Concernant la prise en charge des soins et actes relevant de la branche AT-MP :

- meilleure information des professionnels de santé sur les modalités d'enregistrement des soins et prescriptions en AT-MP pour éviter qu'ils ne soient imputés à tort à la branche maladie et mise en oeuvre des recommandations antérieures de la commission visant à améliorer le signalement par les établissements de santé des AT-MP lors de la facturation à destination des caisses.

5. Concernant l'actualisation des tableaux de maladies professionnelles :

- poursuite et actualisation des tableaux de maladies professionnelles pour tenir compte des connaissances épidémiologiques et scientifiques nouvelles.

6. Concernant l'harmonisation des taux de reconnaissance et des taux d'incapacité permanente attribués par les médecins-conseil :

- poursuite des actions d'harmonisation des conditions de reconnaissance, par les caisses des maladies professionnelles ; actuellement ciblées sur les accidents de trajet et les pathologies répertoriées dans le tableau n° 57 (membres supérieurs), ces actions doivent être étendues par la Cnam à d'autres pathologies ;

- poursuite par la Cnam de son effort de définition de critères communs pour la fixation de taux d'incapacité permanente homogènes entre caisses par les médecins-conseil.

7. Concernant l'amélioration de la collecte d'information :

- généralisation par la Cnam du programme engagé à destination des entreprises et visant à repérer les atypismes des arrêts maladie, afin d'obtenir une cartographie des arrêts maladie par bassin d'emploi, ouvrant ainsi des perspectives nouvelles en matière de prévention.


* 17 Rapport de la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, juin 2011.

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