2. Des dépenses de médicaments d'un niveau structurellement élevé
a) Malgré une décélération de la consommation de médicaments, la France continue de dépenser plus que ses voisins
La France a consacré 1,84 % de son PIB aux dépenses de médicaments en 2008, soit 15 % de plus que l'Allemagne et 78 % de plus que le Royaume-Uni 6 ( * ) . Sur huit pays étudiés par la Cnam, la France est en première position en termes de dépenses par habitant et deuxième, ex aequo avec l'Espagne, pour les volumes consommés 7 ( * ) . En 2010, la consommation moyenne par habitant a été de quarante-huit boîtes de médicaments, soit quasiment une boîte par semaine 8 ( * ) .
Ces chiffres traduisent une situation connue, liée en particulier à une tradition de prescription par les professionnels et à une demande des patients .
Dépenses en produits pharmaceutiques
par
habitant en dollar et en parité de pouvoir d'achat en 2009
Source : OCDE
Toutefois, si la consommation de médicaments a été multipliée par 2,5 entre 1989 et 2009, elle a connu une moindre progression sur les dix dernières années.
Les données fournies par le comité économique des produits de santé (Ceps) dans son rapport d'activité pour l'année 2010 concernant les médicaments remboursables sont, à ce titre, révélatrices. Les ventes de médicaments pris en charge par l'assurance maladie ont représenté 25,5 milliards d'euros en 2010, en hausse de 1,3 % par rapport à l'année 2009. L'augmentation moyenne sur les cinq années précédentes avait été d'environ 3 %.
Taux de croissance des ventes de médicaments remboursables 2000-2010 :
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
7,7 % |
7,7 % |
5,7 % |
6,5 % |
6,9 % |
5,0 % |
1,8 % |
3,9 % |
2,8 % |
2,8 % |
1,3 % |
Source : comité économique des produits de santé, rapport d'activité 2010, juillet 2010
Ce ralentissement n'est pas propre à la France et elle continue de dépenser plus que ses voisins européens. Le rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2011 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale apporte une explication sur ce point. Les mesures ponctuelles, notamment de déremboursement, appliquées depuis plusieurs années, seraient insuffisantes pour assurer une maîtrise réelle des dépenses de médicaments. La seule politique véritablement structurelle, qui est celle menée en faveur des génériques, ne produirait pas les résultats attendus, parce qu'elle se fonde avant tout sur le pouvoir de substitution des pharmaciens et non sur un engagement concret des prescripteurs.
b) La nécessité de repenser de façon globale le fonctionnement de la chaîne du médicament
Trois axes liés au renforcement du fonctionnement de la chaîne du médicament peuvent guider la réflexion.
En premier lieu, le lien entre service médical rendu, prix du médicament et prise en charge par l'assurance maladie devrait être amélioré de façon à permettre un chaînage vertueux bénéfique pour la santé des patients et soutenable pour l'assurance maladie. Ceci implique de renforcer la portée des avis fournis par la commission de la transparence de la HAS sur le service médical rendu (SMR) et l'amélioration du service médical rendu (ASMR), qui n'ont jusqu'à présent aucune force contraignante. En effet, des médicaments ayant un SMR insuffisant continuent aujourd'hui d'être admis au remboursement et le prix fixé par le Ceps, lorsqu'il négocie avec les laboratoires, n'est pas toujours cohérent avec l'avis donné sur le SMR ou l'ASMR. Selon une étude de l'Irdes, en mars 2011, sur les 486 présentations dont le SMR est jugé insuffisant et qui sont toujours commercialisées, moins de 76 % ont été effectivement déremboursées et 24 % restent donc remboursées, le plus souvent au taux de 15 % 9 ( * ) .
Les procédures d'autorisation, de remboursement
et de fixation
des prix des médicaments
Source : Cour des comptes, La sécurité sociale, septembre 2011
La politique du générique mériterait également d'être renforcée . Les génériques représentent une part des prescriptions moins élevée en France que chez ses voisins européens et sont souvent nettement plus chers : le prix moyen par unité des médicaments génériques s'établit en effet à quinze centimes d'euros en France, contre douze en Allemagne, sept au Royaume-Uni et même cinq aux Pays-Bas 10 ( * ) .
Le développement de médicaments dits « contre-génériques », présentant des caractéristiques très proches de celles des molécules d'origine mais dont les prix tendent à être plus élevés que ceux des génériques, conduit à limiter la diffusion de ces derniers tandis que le nombre de médicaments sous tarifs forfaitaires de responsabilité 11 ( * ) (TFR) demeure limité. Remédier à cette situation implique une meilleure régulation de la part du Ceps pour faire converger les prix des médicaments d'une même classe thérapeutique et une action déterminée pour que les médicaments d'un même groupe générique se voient appliquer un tarif de remboursement commun.
En outre, dans plusieurs pays européens, la consommation de médicaments, génériques ou non, est concentrée sur un nombre plus faible de références, ce qui permet des économies d'échelle importantes sans diminuer l'impact thérapeutique pour les patients . Ainsi, une seule molécule de statine 12 ( * ) occupe 81 % du marché en Allemagne et 63 % au Royaume-Uni, alors qu'en France, le marché est fragmenté, la principale ne tenant que 40 % du marché. De ce fait, la simvastatine est vendue 14 centimes d'euros en Allemagne par unité, et même 4 centimes au Royaume-Uni, contre 44 centimes en France.
Enfin, la situation particulière des dépenses de médicaments à l'hôpital doit être prise en compte, d'autant que les prescriptions qui y sont réalisées exercent un effet d'entraînement avéré sur celles effectuées en ville. Les médicaments facturés en sus des groupes homogènes de séjour (GHS) suscitent une dépense de 2,4 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes et de 1,4 milliard pour les médicaments rétrocédés dans les pharmacies hospitalières. Hors médicaments inclus dans les GHS, la progression des dépenses de médicaments à l'hôpital est bien supérieure à l'évolution globale puisqu'elle s'établissait à près de 5 % pour l'année 2010. Ces dépenses sont concentrées sur un nombre limité de classes, en particulier sur les anticancéreux. Comparant la situation de la France avec celle d'autres pays européens, la Cnam note que les pays où s'applique le principe de libre fixation des prix à l'hôpital ont fait le choix de maîtriser les volumes de façon à contenir la dépense globale 13 ( * ) . Cela n'a pas été le cas en France, afin d'éviter de limiter l'accès à l'innovation. L'enjeu semble aujourd'hui de parvenir à concilier les deux exigences que sont la maîtrise de l'évolution des dépenses et le soutien à l'innovation thérapeutique , notamment par un suivi plus actif des médicaments inscrits sur la liste en sus.
Surtout, la nécessaire réflexion sur le fonctionnement de la chaîne du médicament ne peut s'extraire du contexte récent, particulièrement du scandale du Mediator qui implique de revoir la place des médicaments dans les stratégies thérapeutiques au regard de leur efficacité intrinsèque et des risques que peut faire peser sur les patients la multiplication des prescriptions .
Alors que la plupart des besoins thérapeutiques sont désormais couverts par des médicaments existants, l'amélioration de la situation des patients dépend désormais moins de l'augmentation du nombre de médicaments sur le marché que du progrès réel qu'apporte chaque spécialité par rapport aux médicaments existants.
L'évolution des décisions rendues par la commission de la transparence de la HAS illustre ce changement de paradigme : l'évaluation du SMR se fonde désormais davantage sur son effet thérapeutique propre que sur la gravité de la maladie que le médicament est censé soigner. Cette position a conduit la commission de la transparence à attribuer récemment un SMR insuffisant à un médicament destiné à soigner le cancer du pancréas métastatique au regard de l'impact qu'avait le médicament sur le pronostic vital des patients et de ses effets indésirables. Son avis ayant conduit à porter au contentieux la décision d'inscription au remboursement du médicament, le Conseil d'Etat a confirmé l'analyse de la commission de la transparence 14 ( * ) .
* 6 Cour des comptes, rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2011.
* 7 Cnam, Propositions de l'assurance maladie sur les charges et les produits pour l'année 2012, conseil Cnam du 7 juillet 2011.
* 8 Afssaps, Rapport d'expertise : ventes de médicaments aux officines et aux hôpitaux en France : chiffres clés 2010, septembre 2011.
* 9 Institut de recherche et documentation en économie de la santé, Questions d'économie de la santé, n° 167, juillet-août 2011 : « Le déremboursement des médicaments en France entre 2002 et 2011 : éléments d'évaluation ».
* 10 Selon une étude de la Cnam portant sur les soixante-quatorze principales molécules génériquées représentant près de 85 % des montants remboursés de médicaments génériques.
* 11 Tarif de référence pour le remboursement de certains médicaments de marque qui est fixé en fonction du prix du médicament générique correspondant.
* 12 Hypolipidémiant, utilisation dans le traitement du cholestérol.
* 13 Rapport précité, Propositions de l'assurance maladie sur les charges et les produits pour l'année 2012, p. 32.
* 14 CE, 12 mai 2010, Société Roche.