C. UN DISPOSITIF FRAGILE

Lors de sa création en août 2005, le dispositif « Défense deuxième chance » s'est vu fixer des objectifs extrêmement ambitieux : 10.000 volontaires devaient être accueillis à la fin de l'année 2006, 20.000 à la fin de l'année 2007. Ces directives ont été confirmées par le président de la République, M. Jacques Chirac, au cours d'une intervention télévisée en décembre 2005. D'après une évaluation réalisée par le Conseil économique et social en juin 2006, la réalisation d'un tel objectif aurait rendu nécessaire l'attribution à l'EPIDe d'un budget de 500 millions d'euros par an, hors remise à niveau des infrastructures 21 ( * ) .

En réalité, l'EPIDe n'a jamais bénéficié de tels moyens. En 2011, son budget, en diminution depuis plusieurs années, était de 82,4 millions d'euros (dont 57% provenant du ministère de l'emploi) 22 ( * ) .

Par ailleurs, l'EPIDe a fait l'objet d'un contrôle de la part de la Cour des comptes en février 2008, complété par un bilan du dispositif dans son rapport public annuel pour 2011 23 ( * ) .

Dans ce dernier, la Cour constate qu'« avec l'EPIDe, l'Etat a créé un établissement public de façon précipitée, sans étude préalable , et lui a affecté un patrimoine immobilier disparate et lourd à gérer, sans se préoccuper jusqu'à il y a peu de l'équilibre du dispositif mis en place à cet effet. La gestion de l'établissement a connu de nombreuses faiblesses qui ne sont pas encore toutes corrigées. La tutelle s'est exercée de manière déséquilibrée. Les années perdues avant qu'un contrat d'objectifs et de moyens soit opérationnel traduisent ces difficultés auxquelles l'administration a seulement commencé à remédier ».

En effet, la Cour relève qu'il a fallu plusieurs années aux autorités de tutelle pour mettre au point et conclure, en février 2009, un contrat d'objectifs et de moyens fixant à l'établissement sa feuille de route pour les années 2009-2011 : « ces délais traduisent l'hésitation des pouvoirs publics sur les orientations à retenir, et le manque de pilotage clair de l'établissement, dont aucun ministère ne s'estime véritablement responsable depuis la mise en retrait de fait du ministère de la défense ».

Constatant que le coût annuel d'une place occupée atteignait encore près de 40 000 euros en 2009, la Cour attire l'attention sur la nécessité de mieux évaluer l'efficacité du dispositif en termes d'insertion.

En outre, elle relève que « les centres d'accueil, dont le nombre s'est stabilisé à vingt, sont souvent situés en zone rurale, alors que la proximité des jeunes à accueillir et des emplois à leur procurer aurait dû conduire à les implanter en zone urbaine. La moitié d'entre eux a une capacité inférieure à 120 places d'accueil de jeunes, alors que, selon l'EPIDe, ce seuil est souhaitable en termes d'économies d'échelle et de pédagogie ».

Au total, elle dresse un constat mesuré des progrès accomplis : certes, il a été progressivement tenu compte des critiques et recommandations qu'elle avait formulées en 2008. Néanmoins, elle estime que des questions de fond n'ont pas été résolues :

« Ainsi, l'Etat ne s'est pas mis en situation de réussir l'objectif d'insertion sociale et professionnelle de jeunes en déshérence qu'il s'était fixé , et qui s'est finalement réduit à un très petit nombre de bénéficiaires pour un coût très élevé.

« L'EPIDe représente peut-être la « dernière chance » pour ces jeunes, mais il ne peut se justifier qu'à deux conditions : qu'il accueille réellement les jeunes les plus en difficulté et qu'il contribue efficacement à leur insertion, en particulier en les faisant déboucher sur un emploi.

« Or, à ce jour, les pouvoirs publics ne disposent pas des éléments permettant d'apprécier si l'EPIDe satisfait à ces deux conditions, puisque la démarche d'évaluation, prévue par le contrat d'objectifs et de moyens, a pris deux ans de retard ».

La Cour conclut ainsi son propos : « il est prudent de geler les dispositions du contrat d'objectifs et de moyens en cours - et en particulier toutes celles qui ont un caractère budgétaire et financier - et de le proroger en l'état jusqu'à ce que les ministères de tutelle disposent des résultats de cette évaluation, de façon à pouvoir alors décider en connaissance de cause du devenir de l'EPIDe ».

Lors de son déplacement au centre de Doullens, votre rapporteur a pu prendre conscience du malaise ressenti par une partie des personnels de l'EPIDe, en partie nourri par le sentiment d'un décalage entre, d'une part, les objectifs ambitieux assignés à l'établissement, et, d'autre part, le manque d'attention accordée par ses administrations de tutelle ainsi que la fragilité des crédits alloués comme des affectations d'ETP pour lesquels une stabilisation - à tout le moins - est devenue indispensable.


* 21 Rapport du Conseil économique et social précité.

* 22 Pour des détails concernant la période 2005-2008, voir le rapport d'information n°290 (2007-2008) de notre collègue François Trucy consacré au service militaire adapté et au dispositif « Défense deuxième chance », fait au nom de la commission des finances du Sénat, avril 2008, pages 45 et suivantes. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2007/r07-290-notice.html .

* 23 Cour des comptes, rapport public annuel pour 2011, février 2011, pages 367 et suivantes.

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