C. LE PRINCIPAL ENJEU POUR LA ZONE EURO : ÉVITER LA CONTAGION
On a vu que le principal enjeu est d'éviter que la crise de la dette cesse d'être cantonnée à trois petits Etats « périphériques », et ne mette en péril l'ensemble de la zone euro. Concrètement, il s'agit de faire en sorte que l'Espagne et l'Italie ne soient pas à leur tour victimes d'une « crise autoréalisatrice » qui dépasserait la capacité de prêt de n'importe quel fonds.
1. Les solutions de court terme
a) Les actuels achats de titres sur le marché secondaire par la BCE
La solution de court terme actuellement retenue consiste en l'achat de titres espagnols et italiens sur le marché secondaire par la BCE. Jusqu'alors le Security Market Programme de la BCE s'était limité aux trois Etats actuellement sous programme.
Cette décision de la BCE résulte de la pression des marchés, mais aussi de celle de la France et de l'Allemagne, qui l'y ont incitée dans un communiqué publié le 7 août 2011, auquel le président du conseil des gouverneurs de la BCE a répondu dans un communiqué du même jour. Bien entendu, aucun des deux documents - reproduits en annexe au présent rapport - ne mentionne explicitement les deux Etats concernés.
Dans son communiqué précité, le président du conseil des gouverneurs de la BCE souligne la nécessité que le FESF intervienne effectivement sur le marché secondaire, comme cela a été annoncé le 21 juillet 2011. Cela suggère que la BCE ne conçoit pas l'extension de son Security Market Programme comme un mécanisme massif et destiné à durer.
b) La nécessité d'un changement d'échelle des dispositifs actuels
On a vu que malgré l'augmentation de ses compétences décidée le 21 juillet 2011, le FESF a vu ses moyens maintenus inchangés, avec une capacité de prêt de seulement 440 milliards d'euros.
• Cette somme pourrait s'avérer insuffisante pour éviter une contagion.
Ainsi, la banque Citigroup 59 ( * ) évoque un montant de 2 000 milliards d'euros, financés en tout ou partie par des achats de dette souveraine par la BCE, afin d'aider, le cas échéant, « l'Italie, la Belgique et la France ».
On rappelle qu'il ne s'agirait pas d'acquérir des titres d'Etat non solvables, mais simplement d'éviter l'enclenchement du mécanisme autoréalisateur précédemment décrit, qui suscite une augmentation incontrôlable des taux d'intérêt.
• La question est de savoir jusqu'où la BCE peut aller en matière d'acquisition de titres publics sur le marché secondaire. En juillet 2011, elle en détenait 74 milliards d'euros 60 ( * ) . Le 26 août 2011, soit après le début des achats de titres espagnols et italiens, ce montant atteignait 116 milliards .
On rappelle que la Réserve fédérale des Etats-Unis - qui, contrairement à la BCE, peut intervenir non seulement sur le marché secondaire, mais aussi sur le marché primaire 61 ( * ) - a réalisé des acquisitions massives de titres du Trésor, dans le cadre de ses deux programmes d'« assouplissement quantitatif ». Ainsi, son stock de bons du Trésor, de moins de 500 milliards de dollars avant la crise de 2008-2009, atteint désormais plus de 1 500 milliards de dollars.
Si la politique d'assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale avait pour objet d'injecter des liquidités dans l'économie - objectif qui n'a pas été atteint, les banques ayant préféré déposer la base monétaire supplémentaire auprès de la banque centrale, plutôt que de l'injecter dans l'économie -, tel ne serait pas le cas d'un soutien des titres de dette publique par la BCE. Outre le fait que les banques de la zone euro auraient vraisemblablement un comportement analogue à celui des banques américaines, rien n'empêcherait la BCE de « stériliser » la monnaie ainsi créée, c'est-à-dire de réduire par ailleurs le supplément de liquidités. Cette « stérilisation » risque toutefois d'être difficile si les montants deviennent très importants.
En cas de pertes, une banque centrale doit normalement être recapitalisée. Dans le cas de la BCE, des pertes sur des titres de dette publique auraient donc un coût pour les Etats de la zone euro. Cette obligation doit cependant être relativisée. Selon l'économiste Patrick Artus, d'un strict point de vue économique, « si une banque centrale fait une perte en capital, elle pourrait la compenser par une provision à son actif sans que rien d'autre ne se produise » 62 ( * ) .
Le principal enjeu semble être la « taille » du bilan de la banque centrale. On conçoit que la BCE ne peut pas accroître indéfiniment son bilan. Cependant, on pourrait considérer qu'une marge de manoeuvre existe et, par parallèle avec le précédent de la Réserve fédérale, l'évaluer à au moins mille milliards d'euros .
Il ne faut toutefois pas surestimer la « puissance de feu » de la BCE. La dette publique des trois Etats actuellement sous programme est environ trois fois inférieure à celle de l'Espagne et de l'Italie. Par ailleurs, même dans le premier cas, la BCE n'a pas pu empêcher les taux d'atteindre un niveau insoutenable. Ainsi, le taux d'intérêt à 10 ans de la dette publique italienne vient de retrouver son niveau antérieur aux interventions de la BCE.
* 59 Willem Buiter, Ebrahim Rahbari, Jürgen Michels, Giada Giani, « The Debt of Nations », Citigroup, 7 janvier 2011.
* 60 On rappelle que l'actif total de la BCE est de l'ordre de 2 000 milliards d'euros. Le capital souscrit par les Etats a été porté fin 2010 de 5,76 milliards d'euros à 10,76 milliards d'euros.
* 61 L'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) interdit à la BCE de prêter aux Etats membres de la zone euro.
* 62 Natixis, Flash marchés du 27 juillet 2011.