B. UNE HARMONISATION INEXISTANTE DES DOCTRINES ET DES JURISPRUDENCES FISCALES AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE
L'ACCIS repose sur un système de guichet unique : l'autorité fiscale principale, celle du pays d'implantation de la société-mère (« contribuable principale ») ayant optée pour l'ACCIS, sera chargée d'enregistrer et de contrôler la déclaration fiscale pour tous les Etats membres. Cet évident facteur de simplification pose néanmoins une réelle difficulté d'harmonisation de vingt-sept doctrines administratives et d'autant de jurisprudences .
A ce jour, les administrations fiscales des Etats membres n'ont pas forgé de doctrine commune en matière d'imposition des bénéfices . Il s'agit donc d'un chantier majeur à ouvrir durant la phase de mise en oeuvre de la directive.
Autrement dit, « dès lors que les modalités de recours et de contestations de la détermination de l'assiette imposable seront de la compétence exclusive de l'Etat concerné, de nombreuses difficultés ne manqueront pas d'apparaître compte tenu des appréciations nécessairement différenciées par les autorités fiscales et les juridictions des différents Etats membres » 30 ( * ) .
Le risque de divergence administrative mais aussi juridictionnelle est important et pourrait logiquement conduire à des comportements d'optimisation . Il n'est pas certain que l'administration fiscale dispose de tous les moyens nécessaires pour assurer un suivi effectif de l'ensemble des décisions qui pourraient être prises par des autorités étrangères, notamment en matière de rescrit 31 ( * ) .
A ce titre, la coexistence de l'ACCIS avec un régime d'imposition national est, en soi, un facteur de difficulté de gestion pour les administrations fiscales et crée un biais tendant à répliquer la doctrine applicable à l'impôt national sur l'ACCIS.
Pour les autres impôts ayant fait l'objet d'une harmonisation européenne, le programme Fiscalis 2013 32 ( * ) organise d'ores et déjà la coopération des administrations fiscales. La Commission européenne envisage de s'appuyer sur cet outil pour aider les Etats membres à gérer le nouveau régime.
Il convient également de souligner que la Cour de justice de l'Union européenne aura à jouer un rôle d'harmonisation des jurisprudences nationales, comme elle a pu le faire auparavant pour la TVA ou les accises.
C. UNE PROPOSITION QUI LAISSE SUBSISTER DE NOMBREUSES POSSIBILITÉS DE CONCURRENCE FISCALE
1. La recherche d'une concurrence saine et transparente fondée sur les taux d'imposition
La proposition de directive se limite strictement à une harmonisation de l'assiette. Comme le souligne la Commission européenne, « l'ACCIS ne porte pas sur les taux d'imposition et la Commission n'a pas pour projet d'harmoniser les taux fixés par les Etats membres en matière d'impôt sur les sociétés. Les Etats membres continueront à décider de leurs propres taux d'imposition ».
Plus encore, elle considère que, « lorsqu'elle n'entraîne pas de distorsions, l'existence de taux d'imposition différents permet le maintien d'un certain degré de concurrence fiscale dans le marché intérieur ».
Il s'agit même d'un but poursuivi et assumé par la Commission qui indique qu'en créant « une assiette uniforme, l'ACCIS améliorera la transparence et, partant, garantira une concurrence s'exerçant sur le taux d'imposition effectif plutôt que sur d'éventuels éléments dissimulés dans les différentes assiettes . Il devrait en résulter une concurrence fiscale plus ouverte et plus équitable ».
De fait, le taux facial de l'impôt sur les sociétés apparaît souvent comme un déterminant majeur du choix de localisation des entreprises, alors même que les différences existant entre les assiettes peuvent conduire à ce que les montants d'imposition effectifs ne soient que faiblement en lien avec les taux faciaux.
Dès lors, l'ACCIS devrait permettre que la comparaison des taux d'imposition pratiqués par les Etats membres se fasse sur des bases identiques .
2. Une concurrence fiscale vraiment plus lisible ?
Le cadre conceptuel de la Commission apparaît cependant assez fragile et semble faire fi du fait que l'imagination conduit à un développement de la concurrence fiscale sur des bases toujours renouvelées .
Il convient tout d'abord de souligner que le caractère optionnel de l'ACCIS contribue à contredire l'objectif que se fixe la Commission. Il y aura désormais vingt-huit régimes d'imposition des bénéfices , l'ACCIS devenant une nouvelle variable de comparaison.
Or il est possible pour un Etat membre d'appliquer un taux d'imposition différent selon que l'entreprise a opté ou non pour l'ACCIS . Par exemple, l'assiette fiscale française sous ACCIS serait de 5 % à 10 % plus large. Il serait donc nécessaire d'adopter un taux sensiblement plus bas que 33,1/3 % pour maintenir un taux effectif d'imposition à peu près égal entre toutes les entreprises établies en France.
Ainsi, notre pays et de nombreux autres Etats membres seraient amenés à afficher deux taux d'IS - soit potentiellement 54 taux au sein de l'Union européenne -, ce qui ne semble pas de nature à renforcer la lisibilité des différents systèmes fiscaux .
En outre, il est toujours possible de diminuer l'impôt dû par le biais de réductions ou de crédits d'impôt . Ces dispositifs dérogatoires ne relèvent ni des règles d'assiette, ni du taux. A ce titre, le crédit d'impôt-recherche serait compatible avec l'option à l'ACCIS .
Des niches fiscales aujourd'hui ciblées sur l'assiette pourraient donc se transformer en crédits d'impôt. Toutefois, comme le relève un commentateur, « les crédits d'impôt restant imputables au niveau de chaque entité sur la part nationale de l'impôt après répartition de l'assiette, il appartiendra à chaque Etat membre d'apprécier s'ils sont compatibles avec les règles de concurrence (aide d'Etat) » 33 ( * ) .
Enfin, la concurrence fiscale continuera de porter sur l'ensemble du système fiscal et social : charges sociales, impôt sur le revenu pour les sociétés de personnes, imposition des plus-values, etc .
Ainsi, il convient de ne pas surestimer la contribution de l'ACCIS dans le sens d'une clarification des conditions de concurrence entre les Etats membres.
* 30 Anne Colmet-Daâge, article précité.
* 31 En cas de désaccord, l'autorité fiscale d'un Etat membre devra porter le litige devant un tribunal de l'autorité fiscale principale.
* 32 Décision n° 1482/2007/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 établissant un programme communautaire pour améliorer le fonctionnement des systèmes fiscaux sur le marché intérieur (Fiscalis 2013).
* 33 Michel Aujean, article précité.