B. UN SOUTIEN AU COMPROMIS OBTENU LORS DE LA RÉUNION DU COREPER DU 8 DÉCEMBRE 2010
1. Le compromis obtenu sous la présidence belge
a) Un champ d'application précisé et limité aux contrats de vente à distance et aux contrats hors établissement
Les débats sur cette proposition de directive ont fait l'objet d'une évolution inattendue. Le principal tournant est constitué par le changement, en 2010, de commissaire en charge de la proposition de directive. Le dossier, initialement piloté par Mme Kuneva, commissaire en charge de la consommation sous la commission Barroso I, a été confié à Mme Reding, vice-présidente et commissaire en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté.
Celle-ci, lors de son audition le 16 mars 2010 par la commission IMCO du Parlement européen, a infléchi la position de la Commission en plaidant pour l'abandon de l'harmonisation complète en tant que règle unique au profit d'une harmonisation totale mais ciblée à certains chapitres, voire certaines dispositions de la directive.
Au cours de cette même audition, M. Andreas Schwab, rapporteur du dossier pour la commission IMCO, présentant son projet de rapport, a lui aussi plaidé pour une harmonisation totale ciblée.
Au Conseil, les négociations menées sous la présidence belge ont ainsi abouti à la définition d'une nouvelle approche consistant notamment en la suppression des chapitres IV et V , relatives à la garantie légale de conformité et aux clauses abusives, à l'exception des articles 22 et 23 du chapitre IV.
Cette nouvelle mouture, plébiscitée par une majorité qualifiée lors de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) du 8 décembre 2010, a été adoptée en point A du Conseil Agriculture et pêche (AGRI) du 24 janvier 2011. Elle donne une nouvelle orientation générale à la proposition de directive.
Si les objectifs de la directive demeurent inchangés - garantir un niveau élevé de protection des consommateurs et faciliter la vente à distance afin de renforcer le commerce transnational de l'Union européenne - le recentrage de la proposition de directive sur les chapitres I et III, relatifs aux définitions et à la vente à distance et hors établissement , ainsi que la restriction de son champ lèvent une grande partie des difficultés rencontrées initialement par le texte.
Selon ce compromis, l'article 3 du nouveau texte prévoit que la directive s'appliquerait désormais uniquement aux contrats à distance et hors établissement conclus entre un professionnel et un consommateur, ainsi qu'aux contrats portant sur la fourniture d'eau, de gaz, d'électricité ou de chauffage à distance.
Seraient en revanche exclus du champ de la directive les contrats conclus dans des domaines tels que les biens immobiliers, la construction d'immeubles neufs, les services financiers, les services de transport de voyageurs, certains services sociaux, les soins de santé et les jeux de hasard.
Il est précisé à l'article 3 que la directive n'a pas « d'incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive ».
Par ailleurs, la nouvelle proposition de directive prévoit que les États membres peuvent décider de ne pas l'appliquer dans les cas où des biens ou des services de faible valeur sont vendus hors établissement. L'article 4 bis du nouveau texte prévoit ainsi que « les États membres peuvent décider de ne pas appliquer les dispositions de la présente directive aux contrats hors établissement pour lesquels la valeur du ou des contrats conclus en même temps n'excède pas 60 euros, ou de ne pas conserver ou introduire des dispositions nationales correspondantes. Ils peuvent prévoir une valeur inférieure dans leur législation nationale ».
b) Le choix d'une harmonisation maximale ciblée sur certaines dispositions, permettant de préserver une haute protection du consommateur
L'article 4 de ce nouveau texte traduit cette nouvelle approche pragmatique en posant le principe d'une harmonisation maximale ciblée , dont découle un dispositif à deux pans :
- le dispositif d'harmonisation maximale s'applique aux définitions, à la phase précontractuelle précédant l'engagement du contrat, à la durée de la période de rétractation, à l'exercice du droit de rétractation, aux obligations des parties durant cette période, comme l'indique le point 5 de l'introduction du nouveau texte : « une harmonisation complète des dispositions relatives à l'information des consommateurs et au droit de rétractation dans les contrats de vente à distance et hors établissement contribuera à un meilleur fonctionnement du marché intérieur sur le plan des relations entre entreprises et particuliers » ;
- trois clauses dites « minimales » sont identifiées pour trois domaines bien précis qui dérogent au principe d'harmonisation maximale.
Ces trois clauses - qui conservent donc une harmonisation minimale pour certaines dispositions - concernent des domaines qui permettent à la France de maintenir un haut niveau de protection des consommateurs :
- l'interdiction des paiements pendant la période de rétractation (article 12 paragraphe 4 15 ( * ) ), comme le prévoit l'article L. 121-26 du code de la consommation pour le démarchage ;
- la confirmation écrite de toute offre commerciale faite par téléphone à l'initiative du professionnel et l'engagement du consommateur en ces circonstances que par sa signature ou son consentement exprès (article 11 paragraphe 3 bis 16 ( * ) ), comme le prévoit l'article L. 121-27 du code de la consommation ;
- le renvoi aux règles nationales pour la sanction du retard de livraison lorsque cette date est essentielle.
(1) Une liste complète d'informations précontractuelles obligatoires
La nouvelle proposition de directive fixe, dans son article 9, les obligations d'information concernant les contrats à distance et les contrats hors établissement que le professionnel doit fournir au consommateur, de façon claire et compréhensible. Cette liste, très complète, comprend : les principales caractéristiques du bien ou du service, l'identité du professionnel, sa raison sociale, son adresse et les renseignements permettant au consommateur de le contacter, l'adresse du siège commercial du professionnel, les indications relatives au prix, le coût d'utilisation des techniques de communication à distance, les modalités de paiement et de livraison, les conditions du droit de rétractation lorsque celui-ci est applicable et la mention de sa non-applicabilité le cas échéant, la durée du contrat et des obligations incombant au consommateur, l'existence d'une garantie légale, d'une caution ou autres garanties financières à payer, d'une assistance après-vente, et enfin la possibilité d'une résolution extrajudiciaire des litiges le cas échéant.
Ces nombreuses mentions obligatoires font partie intégrante du contrat et vont dans le sens d'une plus grande protection du consommateur, afin qu'il puisse s'engager de façon suffisamment éclairée.
Concernant les obligations formelles , l'article 10 prévoit pour les contrats hors établissement que ces informations obligatoires doivent être fournies au consommateur sur un « support durable, de manière lisible et dans un langage clair et compréhensible ». L'article 11 en revanche prévoit que pour les contrats à distance, ces informations sont fournies sous une forme « adaptée à la technique de communication à distance utilisée ». En outre, tout paiement supplémentaire venant s'ajouter à la rémunération principale doit faire l'objet d'un consentement exprès du consommateur. Enfin, l'article 11 prévoit une clause minimale concernant la confirmation par écrit d'une offre faite par téléphone dans le cadre d'un démarchage par le professionnel, comme évoqué plus haut.
(2) Un droit de rétractation bénéfique pour le consommateur
La proposition de directive fixe également le principe et les modalités d'un droit de rétractation pour le consommateur dans le cadre des contrats de vente à distance et des contrats hors établissement 17 ( * ) , afin de permettre au consommateur de s'assurer du bon fonctionnement du bien dans le cas d'un contrat de vente à distance, et de pouvoir exercer son libre arbitre sans pression psychologique dans le cadre d'un contrat hors établissement.
Ce principe est fixé par l'article 12 du nouveau texte qui prévoit que « le consommateur a le droit de se rétracter d'un contrat à distance ou d'un contrat hors établissement sans avoir à motiver sa décision et sans autres coûts que ceux visés à l'article 17 ».
Le consommateur dispose de ce droit de rétractation durant un délai de 14 jours , ce qui constitue une avancée par rapport à notre droit interne, qui fixe ce délai à 7 jours 18 ( * ) . Le point de départ de ce délai diffère selon le type de contrat concerné :
- pour les contrats de service, le délai est de 14 jours à compter de la conclusion du contrat 19 ( * ) ;
- pour les contrats de vente, le délai est de 14 jours à compter du jour où le consommateur a pris livraison du bien 20 ( * ) .
Ces points de départ sont conformes à ceux prévus par l'article L. 121-20 du code de la consommation.
La clause minimale prévue au 4 de l'article 12 évoquée plus haut permet aux États membres d'interdire tout paiement durant le délai de rétractation.
Pour se rétracter, le consommateur peut utiliser le formulaire harmonisé type figurant à l'annexe I de la proposition de directive mais conserve, en vertu de l'article 14, la possibilité d'utiliser ses propres mots ou un autre support.
En cas de rétractation, le professionnel doit alors rembourser, dans un délai de 14 jours à compter de la réception de la notification de rétractation, tous les versements reçus de la part du consommateur, y compris ceux couvrant les dépenses engagées pour livrer le bien.
Le consommateur est alors tenu de renvoyer le bien dans un délai de 14 jours après notification au professionnel de sa décision de se rétracter et supporte les coûts directs engendrés par le renvoi des biens.
(3) Le maintien des articles 22 et 23 du chapitre IV de la proposition initiale
Le lieu et les modalités de livraison ainsi que les dispositions relatives à la détermination des conditions du transfert de propriété des biens et du moment auquel il a lieu ne sont pas concernés par la directive : ce sont les législations des États membres qui fixent les règles applicables en la matière.
L'article 22 de la nouvelle proposition de directive prévoit en revanche que le consommateur a le droit de résilier le contrat en cas de manquement du professionnel à l'obligation de livraison dans les délais prévus, après lui avoir accordé un délai supplémentaire adapté aux circonstances.
Toutefois, ce délai supplémentaire n'est pas automatiquement accordé : lorsque le professionnel a refusé de livrer les biens et, dans certaines circonstances, lorsque le délai de livraison constitue un élément essentiel du contrat, comme par exemple, pour une robe de mariée qu'il convient de livrer avant le mariage. Dans ces cas-là, le consommateur peut résilier le contrat immédiatement après l'expiration du délai de livraison initialement convenu.
L'article 23 prévoit que le consommateur est protégé contre tout risque de perte ou de dommage au cours du transfert du bien, c'est-à-dire avant qu'il n'en ait pris physiquement possession.
2. La proposition de résolution soutient ce compromis
La proposition de résolution européenne déposée par M. Jean Bizet et adoptée par la Commission des affaires européennes du Sénat le 19 janvier 2011 soutient le compromis issu de la réunion du Coreper du 8 décembre 2010 et validé par le Conseil AGRI du 24 janvier 2011.
Elle rappelle tout d'abord dans l'exposé des motifs les problèmes soulevés par le changement d'orientation que constitue la mise en oeuvre du principe d'harmonisation maximale en matière de droit de la consommation , mettant en avant qu'une glaciation de ce droit par nature évolutif et une régression du niveau de protection des consommateurs français risqueraient d'en découler. Elle remarque aussi l'insécurité juridique qui résultait de l'incertitude du champ de la proposition de directive initiale, susceptible de concerner l'ensemble des contrats de vente de biens.
Face aux évolutions récentes du texte et à l'accélération du calendrier, la proposition de résolution souligne qu'il est « important que le Sénat se prononce une nouvelle fois au vu du texte profondément renouvelé que le Coreper a élaboré » .
Ainsi, la proposition de résolution européenne souligne les points de satisfaction très importants obtenus dans le texte issu des travaux du Conseil.
Premièrement, le recentrage opéré par le nouveau texte sur les seuls contrats de vente à distance et contrats de vente hors établissement permet de se focaliser « sur les aspects présentant un réel intérêt pour le développement du marché intérieur ». La clarification du champ d'application de la directive permet d'éviter qu'elle ne déborde sur le droit général des contrats, d'autant que certains domaines spécifiques ont été exclus (services financiers, services de transport de voyageurs, immobilier et services sociaux). Elle renforce la sécurité juridique des consommateurs.
En deuxième lieu, la proposition de résolution se réjouit de l'introduction de clauses minimales permettant de déroger au principe d'harmonisation maximale dans trois domaines : les modalités de paiement en cas de démarchage à domicile, l'expression du consentement écrit en cas de démarchage par téléphone et les droits des consommateurs en cas de retard de livraison.
La combinaison de ces trois clauses minimales et d'un principe d'harmonisation maximale ciblée s'appliquant dans un cadre restreint et bien défini constitue une approche tout à fait acceptable par les autorités françaises, sans qu'un recul de la protection des consommateurs ne soit à craindre.
Enfin, la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes regrette la disparition de plusieurs points importants entraînée par la suppression totale des chapitres IV et V (à l'exception des articles 22 et 23 du chapitre IV), notamment en matière de clauses abusives, soulignant que si la résolution du Sénat du 29 juillet 2009 s'opposait à l'approche d'harmonisation maximale, un compromis sur une approche d'harmonisation minimale ciblée aurait pu rendre possible un accord bénéfique au consommateur européen.
En effet, la suppression pure et simple des chapitres IV et V de la directive revient à renoncer à une actualisation des directives 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et 99/44/CE sur la vente et les garanties des biens de consommation, qui mériteraient d'être adaptées aux évolutions récentes du marché et des pratiques de consommation. Comme le précise par exemple la proposition de résolution, « en matière de clauses abusives, il est certain qu'un nouveau texte serait utile, la directive actuelle remontant à 1993, mais à la condition de retenir une approche d'harmonisation minimale » .
Pour toutes ces raisons, la proposition de résolution européenne n° 250 adoptée par la commission des affaires européennes, à l'initiative de son président M. Jean Bizet « demande au Gouvernement de soutenir l'équilibre général de cet accord » .
* 15 Article 12 paragraphe 4 : « Les États membres s'abstiennent d'interdire aux parties d'exécuter leurs obligations contractuelles pendant le délai de rétractation. Toutefois, en ce qui concerne les contrats hors établissement, ils peuvent instaurer ou conserver dans leurs dispositions nationales une interdiction de paiement pendant ledit délai. Ils notifient ces dispositions à la Commission, qui rend ces informations publiques sous une forme facilement accessible ».
* 16 Article 11 paragraphe 3 bis : «Sans préjudice du paragraphe 3, lorsque le professionnel contacte par téléphone le consommateur en vue de conclure un contrat à distance, il décline dès le début de la conversation téléphonique son identité et, le cas échéant, l'identité de la personne au nom de laquelle il effectue cet appel téléphonique et précise la nature commerciale de l'appel. Les États membres peuvent introduire ou conserver des dispositions nationales prévoyant que le professionnel, lorsqu'il a pris l'initiative du contact, doit confirmer l'offre auprès du consommateur et que le consommateur n'est lié par l'offre qu'après l'avoir signée ou l'avoir acceptée par écrit. Ils notifient ces dispositions à la Commission, qui rend ces informations publiques sous une forme facilement accessible ».
* 17 Paragraphe (22) de l'introduction de la proposition de directive: « Étant donné qu'en cas de vente à distance le consommateur n'est pas en mesure de voir le bien qu'il achète avant de conclure le contrat, il doit disposer d'un droit de rétractation lui permettant de s'assurer de la nature et du bon fonctionnement du bien (...) En ce qui concerne les contrats hors établissement, le consommateur devrait avoir un droit de rétractation, compte tenu de la pression psychologique et/ou de l'élément de surprise éventuels. L'exercice du droit de rétractation devrait avoir pour effet d'éteindre les obligations qui incombent aux parties contractantes en matière d'exécution des contrats ».
* 18 L'article L. 121-20 du code de la consommation prévoit que « le consommateur dispose d'un délai de sept jours francs pour exercer son droit de rétractation sans avoir à justifier de motifs ni à payer de pénalités, à l'exception, le cas échéant, des frais de retour ».
* 19 Le décompte des 14 jours du délai débute donc le jour suivant le jour de la conclusion du contrat.
* 20 Le décompte des 14 jours du délai débute donc le jour suivant la réception du bien par le consommateur.