N° 78
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 octobre 2010 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 ,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, Philippe Dominati, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : |
2823 , 2840 et T.A. 549 |
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Sénat : |
66 , 69 et 79 (2010-2011) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'année 2010 pourrait bien être celle au cours de laquelle, en matière de finances publiques, la transformation du double langage en langage de vérité a été engagée.
1. Un fort besoin de réformes institutionnelles, au niveau européen comme national
L'impact de la crise financière sur la soutenabilité des finances publiques a engendré des inquiétudes, dont il est apparu qu'elles ne pourraient être dissipées si les mesures d'ajustement annoncées ne s'accompagnaient pas de réformes institutionnelles. Depuis la révision constitutionnelle allemande, engager de telles réformes est devenu un critère de vertu et de crédibilité budgétaires.
Après la crise grecque et la mise en évidence les lacunes de la gouvernance de la zone euro, les exercices nationaux doivent désormais prendre aussi en compte les réflexions conduites au niveau de l'Union européenne et qui ont à ce jour débouché sur la définition d'un nouveau calendrier pour l'examen des programmes de stabilité (le « semestre européen »), des propositions de règlements et de directive de la Commission européenne et des recommandations du groupe de travail présidé par le Président du Conseil européen.
Le présent projet de loi de programmation des finances publiques, adopté par le Conseil des ministres du 29 septembre 2010, est examiné au Parlement à l'issue de neuf mois d'une gestation débutée le 28 janvier avec la conférence sur le déficit réunie par le Président de la République, qui a alors annoncé son souhait que notre pays se dote d'une règle d'équilibre des finances publiques. Le 4 mars a été installé un groupe de travail, animé par M. Michel Camdessus, chargé d'étudier la définition d'une telle règle. L'objectif d'une révision constitutionnelle, qui « permettrait de soumettre au vote du Parlement les engagements du pays en matière de finances publiques vis-à-vis de ses partenaires européens », a été confirmé lors de la deuxième conférence sur le déficit tenue le 20 mai. Le « rapport Camdessus » a été remis le 25 juin au Premier ministre, qui a annoncé qu'il engagerait « prochainement les consultations avec les forces politiques, pour déterminer plus précisément les contours d'une réforme consensuelle, au service d'une croissance durable ». Dans les deux assemblées, la déclaration du Gouvernement à l'occasion du débat d'orientation des finances publiques du début du mois de juillet, à l'occasion de laquelle il a présenté les orientations de sa programmation pluriannuelle, a fait l'objet d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Votre commission des finances est intervenue dans le débat sur la définition des règles de gouvernance des finances publiques. Dès le 9 février, une dizaine de jours après la première conférence sur le déficit, elle estimait, dans son rapport sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2010, qu'une règle d'équilibre est « justifiée seulement si elle s'entend au sens d'un solde que l'on détermine » et « doit être non manipulable ». Elle formulait une proposition de règle en termes « d'effort structurel ». Le 17 mai, le président et le rapporteur général de votre commission des finances adressaient une contribution aux travaux du groupe de travail « Camdessus », dont les principales préconisations, d'ailleurs largement convergentes avec celles du rapport final de cette commission, résultaient d'une analyse qui peut être reprise pour l'examen du présent projet de loi. Le rapport en vue du débat d'orientation des finances publiques dressait un bilan des règles actuelles.
2. Les critères de la réforme institutionnelle : approbation de la programmation pluriannuelle par la représentation nationale, crédibilité de la trajectoire, effectivité de sa mise en oeuvre
La consolidation budgétaire est aujourd'hui une nécessité qui, pour être réussie, implique la mise en oeuvre de mesures d'une ampleur telle qu'elles nécessitent l'adhésion de l'opinion, après que les enjeux aient été explicitement présentés.
En conséquence, si les programmations ambitieuses établies chaque année ont désormais vocation à être vraiment appliquées, le document dans lequel elles figurent - le programme de stabilité - doit désormais être approuvé par la représentation nationale avant d'être décliné dans les lois financières annuelles.
Pour être appliqués, ces programmes doivent être réalistes. Pour garantir l'effectivité du respect par les lois financières de la trajectoire pluriannuelle, il importe d'inventer des mécanismes contraignants. C'est tout l'enjeu du débat sur les règles.
Sur la base de cette analyse, le président et le rapporteur général de votre commission des finances estiment, dans leur contribution aux travaux du groupe « Camdessus », que la clarification des enjeux passe par une amélioration des règles de procédure d'examen des dispositions à caractère financier, telles que le rapprochement de la discussion des parties recettes des deux lois financières ou le monopole de ces lois financières sur les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires.
Surtout, ils considèrent que la crédibilité de la démarche de consolidation budgétaire était conditionnée à l'adoption de deux règles contraignantes :
- une « règle de sincérité » en application de laquelle les hypothèses économiques retenues pour élaborer les scénarios de finances publiques doivent nécessairement être prudentes, de façon à écarter toute tentation d'affichage ;
- une « règle de responsabilité » selon laquelle le Gouvernement doit être rendu responsable, sous le contrôle du juge constitutionnel, du respect de la mise en oeuvre des mesures relevant de son pouvoir de décision (niveau des dépenses, montant des mesures nouvelles en recettes) permettant le respect de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques. Le contenu de la « loi-cadre des finances publiques » envisagée par le rapport Camdessus relève de la même logique.
3. Une loi de programmation mais aussi une loi de préfiguration
Dans ces conditions, le présent projet de loi ne peut pas être considéré comme un simple élément de programmation ou comme un instrument comme un autre dans la boîte à outils budgétaire, comme l'était la première loi de programmation 2009-2012. Il doit être analysé au regard de ce que les lois de programmation des finances publiques sont susceptibles de devenir.
? A cet égard, le processus engagé depuis le début de l'année et dans lequel s'inscrit le présent projet de loi conduit déjà à une amélioration de la gouvernance de nos finances publiques.
On peut se réjouir de ce que la période couverte par la programmation coïncide avec celle du prochain programme de stabilité qui sera transmis à la Commission européenne, selon le nouveau calendrier, avant la fin du mois d'avril.
Il faut également se féliciter que, dans l'attente d'une révision constitutionnelle qui les rendrait contraignants, les principes de la « règle de responsabilité » inspirent le projet de loi , qui présente des plafonds de dépenses pour l'Etat et les administrations sociales ainsi qu'un plancher de mesures nouvelles en recettes. Votre commission des finances a adopté des amendements tendant à rendre plus opérationnels les articles inspirés de ces principes.
Dans le domaine des dépenses de l'Etat, le choix d'une « double norme » constitue une avancée sans doute décisive . Si le plafonnement en volume des dépenses reste la norme, les dépenses hors pensions et hors charge de la dette seront plafonnées en valeur. Il ne sera donc plus possible de « recycler » d'éventuelles économies sur la charge de la dette et les pensions en majorations d'autres dépenses. Les possibles dérapages sur la charge de la dette et les pensions devront être financés par des baisses en valeur des autres dépenses.
Dans le domaine des prélèvements obligatoires, le fait d'appréhender sous un plafond commun, à l'article 9, les recettes de l'Etat et de la sécurité sociale permet de conforter l'approche consolidée des finances publiques , retenue au niveau européen et qui justifie l'organisation au Sénat, en facteur commun à la discussion annuelle des lois financières, d'un débat sur les prélèvements obligatoires sur la base d'un rapport remis par le Gouvernement en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances, lui même issu d'un amendement adopté par le Sénat.
Il faut également saluer le fait que ce projet de loi intervient quelques mois après la publication d'une circulaire du Premier ministre en date du 4 juin 2010 qui demande aux ministres, anticipant la révision constitutionnelle, « de ne plus insérer de dispositions fiscales ou qui affectent les recettes de la sécurité sociale dans les projets de lois ordinaires préparés par votre département ». Les lois adoptées en 2010 relatives à la modernisation agricole, à l'entreprise individuelle à responsabilité limitée, aux jeux d'argent et de hasard, à la régulation du transport ferroviaire, à l'engagement national pour l'environnement, au Grand Paris et à la nouvelle organisation du marché de l'électricité devraient donc être les dernières lois « non financières » à contenir des mesures fiscales ou affectant les recettes des administrations sociales.
? Des améliorations peuvent encore être apportées, dans le cadre de l'examen de ce texte et au-delà.
Dans sa rédaction issue de l'Assemblée nationale, le présent projet de loi se situait en deçà de ce que l'on aurait pu attendre s'agissant de l'exigence de sincérité des hypothèses sur lesquelles repose la trajectoire des finances publiques. L'une des premières décisions du nouveau gouvernement britannique a été de renoncer au pouvoir de fixer les hypothèses économiques retenues pour la construction du budget. Si l'on peut comprendre que les gouvernements français souhaitent s'engager sur des hypothèses, la crédibilité de leurs annonces serait servie par l'adoption d'une culture de prudence, qui par surcroît présente l'avantage politique de réduire les risques de mauvaises surprises. Les modifications apportées par votre commission des finances à l'article 3 intègrent dans le texte les conséquences d'un scénario fondé sur des hypothèses de croissance inférieures à celles retenues par le Gouvernement. La sincérité du projet de loi s'en trouve accrue.
Le texte transmis au Sénat ne traitait pas non plus la question essentielle de la cohérence entre les calendriers européen et national . Or l'examen par le Parlement des programmes de stabilité préalablement à leur transmission à la Commission européenne constitue un impératif démocratique.
Au-delà du présent projet de loi, les prochaines discussions du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances seront l'occasion de montrer une nouvelle fois, mais de manière exacerbée par le schéma retenu par le Gouvernement pour financer la réforme des retraites et celle de la caisse d'amortissement de la dette sociale, les complexités qui résultent de l'intrication entre les finances de l'Etat et de la sécurité sociale .
D'un simple point de vue procédural, et sans attendre une réforme plus ambitieuse telle que celle évoquée dans le rapport de la « commission Camdessus », une simple juxtaposition, décidée par la conférence des présidents, de la discussion des parties de ces deux textes relatives aux recettes présenterait l'avantage d'aborder les différents sujets de manière globale, en évitant les risques de contradiction ou d'incohérence qui pourraient résulter de l'examen décalé tel qu'il est aujourd'hui pratiqué.
4. Un processus qui conduira à la rénovation de la LOLF, dix ans après son entrée en vigueur
La première année d'application de la programmation, 2011, marquera le dixième anniversaire de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001, la LOLF. Pendant ces dix années, la reconquête par le Parlement d'une partie de son pouvoir financier, étendue à la sphère sociale avec l'adoption d'une loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, s'est accompagnée à la fois de l'apparition de nouvelles contraintes, d'un déplacement des centres de décision et de profondes modifications tant de la répartition des prélèvements obligatoires que de la structure des dépenses des différentes catégories d'administrations publiques.
Le processus engagé au début de l'année 2010, conçu pour aboutir à une révision constitutionnelle et l'adoption de lois organiques pour préciser ses modalités d'application, permettra de procéder aux adaptations du cadre organique actuel, dont le besoin sera mis en évidence par les bilans qui seront en seront dressés au cours des mois qui viennent.
Les auteurs de la LOLF avaient eu l'intuition de certaines des évolutions que nous connaissons aujourd'hui, en invitant à l'article 52 à l'examen consolidé des prélèvements obligatoires « en vue de l'examen et du vote du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année suivante par le Parlement », en prévoyant à l'article 50 l'annexion au projet de loi de finances d'une programmation pluriannuelle qui « présente et explicite les perspectives d'évolution, pour au moins les quatre années suivant celle du dépôt du projet de loi de finances, des recettes, des dépenses et du solde de l'ensemble des administrations publiques détaillées par sous-secteurs et exprimées selon les conventions de la comptabilité nationale, au regard des engagements européens de la France, ainsi que, le cas échéant, des recommandations adressées à elle sur le fondement du traité instituant la Communauté européenne » et en demandant à l'article 48 « une description des grandes orientations de sa politique économique et budgétaire au regard des engagements européens de la France ».
La situation des finances publiques et le contexte européen nous commandent aujourd'hui de franchir un cap supplémentaire. Le présent projet de loi, tel que modifié par votre commission des finances, constitue un premier test de notre capacité à y parvenir.