II. EXAMEN DU RAPPORT
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission procède à l' examen du rapport de Alain Vasselle sur le projet de loi organique n° 672 (2099-2010) relatif à la gestion de la dette sociale.
Alain Vasselle , rapporteur général . - Présenter ce rapport dans la foulée des auditions de ce matin n'est pas une situation très confortable, d'autant que j'ai reçu seulement hier les informations, nécessaires à une correcte appréciation de ce texte, que j'avais demandées au ministre François Baroin le 13 juillet dernier. Encore une fois, la presse - entre autres journaux Le Figaro et Les Echos - en sait davantage que nous sur des sujets dont nous devrions être prioritairement tenus informés.
Cela étant, venons-en au contexte de ce projet de loi organique. Avec la crise, les déficits cumulés du régime général et du fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ont atteint la somme record de 23,5 milliards en 2009 et devraient avoisiner 30 milliards en 2010 et en 2011. Pour l'heure, l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss, porte ces déficits. Rappelons que, dans la dernière loi de financement, nous l'avons autorisée à recourir à des ressources financières au niveau totalement inédit de 65 milliards d'euros, malgré nous, si j'ose dire, puisque il nous semblait préférable d'organiser dès 2010 une reprise partielle des déficits accumulés par la caisse d'amortissement de la dette sociale, la Cades, en augmentant légèrement la contribution au remboursement de la dette sociale, la CRDS. Le Gouvernement ne nous avait pas suivis, mais s'était engagé à lancer une réflexion sur le traitement des déficits sociaux. Il a fallu attendre fin mai pour que cela soit chose faite via la réunion de la commission de la dette sociale, regroupant sept députés et sept sénateurs, dont votre serviteur, sous la présidence de M. Baroin. Le Gouvernement nous a présenté, au cours de la troisième et dernière réunion de la commission le 30 juin, la solution retenue, dans les grandes lignes du moins. Celle-ci sera l'objet de dispositions contenues dans pas moins de quatre textes figurant à l'ordre du jour des prochaines semaines : ce projet de loi organique, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de loi de finances et le projet de loi de réforme des retraites. Or, les derniers arbitrages n'ayant pas été rendus sur les deux grandes lois financières, nous disposons seulement de deux textes sur quatre. Dans cette situation, difficile d'y voir clair sur ce texte comme sur la réforme des retraites, ai-je rappelé au ministre Baroin ce matin. Peut-être devrions-nous en tirer des conclusions pour l'avenir.
D'après les informations fournies, la reprise de la dette atteindra 130 milliards d'euros, soit un montant équivalent à la dette transférée à la Cades depuis sa création, mais largement supérieur à la dette qu'elle doit amortir, soit 90 milliards d'euros. Ces 130 milliards correspondent aux déficits du régime général et du FSV pour 2009 et 2010, au déficit prévisionnel de l'assurance maladie pour 2011 et à celui de la branche vieillesse de 2011 à 2018, date à laquelle il est prévu son retour à l'équilibre, grâce à la réforme des retraites. Selon le Gouvernement, cette dette se décompose en une dette de crise d'environ 34 milliards pour 2009 et 2010, une dette structurelle également évaluée à 34 milliards pour 2009, 2010 et 2011 au titre de la seule maladie et les déficits de l'assurance vieillesse de 2011 à 2018, soit 62 milliards. Le plan de financement que propose le Gouvernement est fonction de cette analyse : la dette de crise sera financée grâce à l'allongement de la durée de vie de la Cades de 2021 à 2025, la dette structurelle via l'affection de 3,2 milliards d'euros de recettes nouvelles sur les assurances qui ne sont pas entièrement satisfaisantes, j'y reviendrai, et les déficits de l'assurance vieillesse grâce à la mobilisation des actifs et de la recette du fonds de réserve pour les retraites, le FRR, soit respectivement environ 30 milliards et 1,5 milliard par an. Les principaux éléments de cette reprise de dette, notamment le détail des montants de dette transférés à la Cades et les conditions de mobilisation du FRR, figureront dans le projet de loi de financement ; les recettes sur les assurances seront détaillées dans le projet de loi de finances.
Le présent texte, quant à lui, est nécessaire pour une question de principe. Il vise, pour l'essentiel, à lever le verrou posé par le législateur dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005 : l'impossibilité de transférer de nouvelles dettes à la Cades sans affectation parallèle de ressources pour y faire face. Ce principe, dont le but était d'empêcher un nouvel allongement de la durée de vie de la Cades et auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur organique par une décision historique, n'est pas remis en cause par l'article premier de ce projet de loi. Nous n'aurions pas accepté le report de nos déficits sur nos enfants et petits-enfants ! D'ailleurs, j'ai la faiblesse de croire que l'unanimité de la commission de la dette sociale sur ce point a contraint le Gouvernement à restreindre la portée de la dérogation instituée par ce texte à la loi de financement pour 2011, soit un allongement de la durée de vie de la Cades limité à environ quatre ans et une extinction de la caisse, en l'état actuel, programmée pour 2025. Ces quatre années supplémentaires permettront d'atténuer le coût de la reprise de la dette accumulée de 80 milliards fin 2011, en reprenant un peu plus des 30 milliards de dettes liés à la crise sans accroissement des ressources affectées à la Cades. En outre, l'article premier autorise le transfert d'actifs, et non seulement de recettes, à la Cades. Cette disposition s'inscrit dans le cadre de la mobilisation prévue du FRR pour assurer le financement des déficits de l'assurance vieillesse jusqu'en 2018. Cette précision ne paraît pas utile puisque, a indiqué le ministre ce matin, la Cades devrait bénéficier du produit de la réalisation des actifs par le FRR, et non des actifs eux-mêmes. Mais mieux vaut la prévoir si un tel transfert se révèle nécessaire.
L'article 2 vise à améliorer l'information du Parlement en soumettant à son approbation la situation patrimoniale de tous les organismes entrant dans le champ de la loi de financement, y compris la Cades et le FRR. Ce faisant, le Gouvernement lève une réserve récurrente de la Cour des comptes sur le positionnement ambigu de la Cades entre la sphère sociale et celle de l'État. Un amendement du Gouvernement sur la composition du conseil d'administration de la Cades renforce cet ancrage de la Cades dans le périmètre des finances sociales, ce dont je me réjouis en tant que rapporteur général. L'article 3 tire les conséquences de l'article 2 dans le code des juridictions financières et l'article 4 précise les dates d'entrée en vigueur de la loi.
Le texte ne posant pas de difficultés techniques particulières, je proposerai simplement deux amendements à l'article 2 destinés à compléter l'article L. O. 111-4 du code de la sécurité sociale. Ceux-ci reprennent deux propositions du groupe de travail présidé par Raoul Briet sur le pilotage des dépenses de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'Ondam, auquel j'avais l'honneur d'appartenir, qui ont fait l'unanimité lors de la présentation du rapport devant la conférence des finances publiques en juin dernier. La première prévoit que l'annexe B de la loi de financement, qui contient les prévisions quadriennales, devra fournir une information plus précise sur les perspectives d'évolution de l'Ondam et sur les hypothèses retenues pour établir sa progression, information jusqu'alors très sommaire. La seconde renforce le contenu de l'annexe 7 consacrée à l'Ondam, dont nous avons maintes fois souligné l'insuffisance, voire l'indigence.
Cela dit, ce texte soulève une interrogation majeure : les trois recettes portant sur les assurances, censées rapporter 3,2 milliards d'euros en 2011, n'offrent pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaires, comme l'a reconnu ce matin le ministre. De fait, la taxation de la réserve de capitalisation des sociétés d'assurance est une « mesure à un coup », même si le Gouvernement envisage de répartir son produit, dont le total serait compris entre 1,4 et 1,6 milliard d'euros, entre les exercices 2011 et 2012. Ensuite, l'anticipation des prélèvements sociaux sur les compartiments euros des contrats d'assurance-vie rapportera environ 1,4 milliard d'euros en 2011, mais moins ensuite car la recette s'effritera naturellement, sans compter les éventuels arbitrages des épargnants. Seule la taxation des contrats d'assurance santé responsables offre une certaine pérennité, mais nous reparlerons de ses éventuels dégâts collatéraux lors des débats sur la loi de financement et la loi de finances. Conforté dans cette analyse par les propos tenus par M. Ract-Madoux, président de la Cades, et M. Libault, directeur de la sécurité sociale, je vous propose d'inscrire dans la loi organique la clause de garantie suivante : la loi de financement devra assurer le respect de la règle d'affectation des recettes nécessaires au remboursement des dettes sociales reprises et, à défaut, prévoir une augmentation automatique - les personnalités auditionnées ont insisté sur ce point ce matin - de la CRDS.
Enfin, comme je l'ai répété devant la commission de la dette sociale et ce matin, une clause de retour à bonne fortune, objet d'un autre amendement, me semble un impératif vis-à-vis de nos concitoyens : si la situation s'améliore, il faut que nous puissions, en nous imposant davantage de rigueur, ramener la date de fin de vie de la Cades à 2021.
Guy Fischer . - Le groupe CRC-SPG s'opposera à ce texte, ce qui n'étonnera guère le rapporteur général car j'avais dit mon opposition, au sein de la commission de la dette sociale, à la solution retenue par le Gouvernement dans ce débat technique et complexe. Pour nous, le Gouvernement n'est pas allé jusqu'au bout dans la recherche de nouvelles recettes financières, je pense à la taxation des revenus du capital et des revenus des entreprises. Nous nous sommes heurtés au dogme édicté par le Président de la République : pas de hausse des prélèvements ! Et pourtant, d'après les organisations syndicales, 85 % des déficits seront in fine supportés par les salariés... Nous sommes contre la taxation des mutuelles quand celles-ci suppléent de plus en plus au régime général à mesure des contractions de la sécurité sociale. En outre, ce texte - ce point a été souligné par le rapporteur général - se fonde sur un postulat selon lequel l'État ne peut pas reprendre une partie de la dette sociale alors que l'effort aurait pu être partagé. Enfin, l'utilisation anticipée du FRR conforte notre opposition à ce texte.
Marc Laménie . - Ce texte est, certes, de caractère technique et complexe mais il concerne tous les Français. Comment et selon quels critères a-t-on déterminé la date d'extinction de la Cades ?
Bernard Cazeau . - Les informations obtenues ce matin ont confirmé nos très grandes réserves à l'égard de ce texte dont les perspectives financières semblent aléatoires, non pérennes. Le recours à la Cades, une fois de plus, est un moyen détourné de faire porter à nos concitoyens les déficits sociaux, sans oublier l'utilisation anticipée du FRR, contraire à ce qui était prévu. Bref, ce projet de loi me semble quelque peu bâclé : il tient davantage de l'échappatoire politique dans la perspective de 2012, comme je l'ai dit au ministre ce matin, que de la volonté de régler le problème de la dette sociale. Pour toutes ces raisons, nous ne participerons pas au vote en commission et détaillerons notre position en séance publique.
Jacky Le Menn . - Derrière le technique, il y a du politique. D'autres solutions étaient possibles que l'allongement de la durée de vie de la Cades. Il aurait fallu bâtir une fiscalité plus juste pour atteindre l'objectif, que nous partageons, du remboursement de la dette sociale. Oui, car personne ne veut traîner cette dette qui, le président de la Cades l'a rappelé ce matin, représente pas moins de 5 % de la dette globale publique ! Il s'agirait de faire une dérogation pour ne pas faire porter la dette aux générations futures. Mais, en réalité, nous n'en finissons pas de payer les factures des années précédentes. M. Jégou l'a encore dit ce matin : nous payons aujourd'hui pour les années 1990. Et, de dérogation en dérogation, l'exception devient permanente. L'utilisation anticipée du FRR et la fragilité des nouvelles ressources sur les assurances ne sont pas de nature à régler le problème de manière équitable pour le présent et pour l'avenir.
Yves Daudigny . - Dans ma courte vie de sénateur, je n'ai jamais vu des auditions organisées le matin sur un texte examiné l'après-midi avec un délai-limite pour le dépôt des amendements la veille. De surcroît, ce projet de loi sera examiné en séance publique un lundi, jour malcommode pour les sénateurs. Ce texte, auquel son caractère organique confère de la solennité, méritait meilleur traitement. J'y vois le signe qu'il est effectivement bâclé !
Muguette Dini , présidente . - Cette remarque me permet de rappeler le calendrier : les amendements extérieurs, qui devront être déposés avant le 9 septembre à 11 heures, seront examinés par la commission le lundi 13 septembre à 14 heures, soit une heure avant l'ouverture de la séance à 15 heures. Si le rapporteur le jugeait nécessaire, une réunion supplémentaire de la commission pourrait être convoquée plus tôt.
Alain Vasselle , rapporteur général . - Je prends acte des déclarations de nos collègues. J'ai moi-même exprimé des doutes et des interrogations. Marc Laménie nous questionne sur la date de 2025 : elle est obtenue par projection des recettes, elle serait plus tardive avec moins de ressources, plus précoce avec des rentrées plus importantes. Les probabilités, rappelées par M. Ract-Madoux, sont les suivantes : après la nouvelle reprise de dette, il y aura 5 % de chances de terminer deux ans avant et 5 % deux ans après ; en l'état actuel, 5 % de chances de terminer un an plus tôt et 5 % de terminer un an avant. La différence est faible.
Puis la commission procède à l' examen des amendements .
Alain Vasselle , rapporteur général. - Les amendements alternatifs n os 1 et 2 tendent à sécuriser les recettes en inscrivant une clause de garantie. Nous pouvons choisir entre une rédaction simple ou une formulation qui précise les modalités concrètes, en reprenant l'idée de M. Ract-Madoux d'exprimer le montant des recettes en points de CRDS. Dans le premier cas, c'est au Gouvernement de présenter sa solution pour fournir les ressources nécessaires, dans le second, le processus est plus détaillé. Je propose d'adopter le premier, nous réservant de revenir au second si nos contacts avec le Gouvernement ne donnent pas de résultats satisfaisants.
L'amendement n° 1 est adopté. L'amendement n° 2 devient sans objet.
Bernard Cazeau . - Ce second amendement bloquerait tout, alors qu'un gouvernement peut choisir de présenter d'autres modalités de financement de la caisse. Le premier est vague, il pose le principe mais on fait ce que l'on veut. Le second est trop précis.
Alain Vasselle , rapporteur . - L'amendement n° 3 vise à inscrire dans le texte une clause de retour à meilleure fortune. Si les circonstances économiques l'autorisent, nous nous devons de rembourser plus rapidement la dette sociale.
L'amendement n° 3 est adopté.
L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Alain Vasselle , rapporteur général . - Les amendements n os 4 et 5 concernent l'Ondam et reprennent des propositions du groupe de travail de M. Raoul Briet. Le n° 4 vise à insérer le vote de l'objectif dans une perspective pluriannuelle : nous avons besoin d'une information plus précise sur les hypothèses de construction de l'objectif et sur son évolution prévisionnelle.
Guy Fischer . - Le Président de la République a déjà fixé la progression de l'Ondam, lors de sa conférence de presse !
Alain Vasselle , rapporteur général . - Oui : 2,9 % cette année et 2,8 % l'an prochain. Mais fixer un objectif est une chose, fournir les éléments qui ont servi à sa construction en est une autre et cette information nourrira nos discussions avec le Gouvernement. L'amendement n° 5 concerne l'annexe du PLFSS relative à l'Ondam : elle devra contenir des éléments précis sur son exécution et sur son élaboration pour l'année suivante.
Les amendements n° 4 et 5 sont adoptés.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Alain Vasselle , rapporteur général . - J'en viens à l'amendement du Gouvernement qui porte de six à quatorze le nombre de sièges au conseil d'administration, élargi aux représentants des partenaires sociaux.
Guy Fischer . - Nous ne sommes pas contre cette proposition.
Bernard Cazeau . - Nous y sommes également favorables. Mais c'est une mesure d'ordre qui n'a rien à voir avec le projet de loi organique et relève d'un projet de loi de financement. Bref, c'est un cavalier.
André Lardeux . - Le Gouvernement pousse le bouchon un peu loin : qu'il ait le courage de présenter son amendement lui-même, en séance publique, afin que nous en discutions ouvertement. Je voterai contre cet amendement.
Janine Rozier . - Je partage cette analyse.
Jacky Le Menn . - Quelle sera la durée du débat public ? Les temps de parole des groupes ?
Muguette Dini , présidente . - Ils seront décidés lors de la prochaine conférence des présidents du 8 septembre prochain.
Guy Fischer . - Quelles déplorables conditions de travail...
L'amendement n° 6 du Gouvernement est adopté et devient un article additionnel . L'ensemble du projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.