D. LA LIMITE DES DÉROGATIONS LÉGALES
Le législateur a prévu, au bénéfice des élus municipaux des petites collectivités, des atténuations au principe nécessairement rigoureux édicté par l'article 432-12 dans des situations très particulières prenant en compte la réalité locale.
Ces dérogations applicables aux seules communes de 3.500 habitants au plus , autorisent les maires, adjoints et conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire :
- à traiter avec la commune dont ils sont élus pour des opérations mobilières ou immobilières ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel de 16.000 euros ;
- à acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement : cet assouplissement vise à remédier aux difficultés de logement des élus lorsque la commune est propriétaire de terrains situés sur son territoire.
Il est encadré par le respect de deux conditions : le bien concerné, tout d'abord, doit avoir été estimé par le service des domaines ; l'acte, ensuite, doit avoir été autorisé par une délibération motivée du conseil municipal ;
- à acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle . Dans ce cas, le prix ne peut être inférieur à l'évaluation du service des domaines et comme dans le cas prévu pour faciliter le logement des élus, l'acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens, par une délibération motivée du conseil municipal.
Notons que le législateur a organisé la transparence de ces procédures dérogatoires : dans tous les cas, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos. Les administrés seront, en tout état de cause, informés.
Par ailleurs, lorsque l'une de ces dérogations est mise en oeuvre, le législateur a organisé le « retrait » de l'élu intéressé : d'une part, le conseil municipal doit désigner un autre de ses membres pour représenter la commune et d'autre part, l'intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat. C'est pourquoi le délit est constitué en l'absence de mise en oeuvre de ce système particulier de représentation ( cf . Cass. crim. 29 juin 2005 déclarant coupable de prise illégale d'intérêts le maire qui a décidé seul de la conclusion d'un contrat auquel il était partie et a exécuté lui-même les ordres de paiement).
Précisons que le champ des dérogations a été élargi au logement d'une part, et à l'activité professionnelle d'autre part, par le nouveau code pénal de 1992 : si la première figurait dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat, la seconde a été introduite par la Haute assemblée pour tenir compte de l'évolution de l'aménagement des territoires ruraux : le sénateur Charles Jolibois, à l'origine de cette disposition, remarquait que « de plus en plus, se constituent dans les communes de moins de 3.500 habitants des zones artisanales » 8 ( * ) .
Cet ensemble d'assouplissements à l'interdiction posée par le premier alinéa de l'article 432-12, dont il convient de rappeler qu'il ne s'applique qu'aux toutes petites communes, n'avait pas pour objet, dans l'esprit du législateur, d'entamer la répression du délit d'ingérence ; il consiste simplement à résoudre des difficultés concrètes rencontrées fréquemment dans certaines communes en raison de leur taille. Pour notre regretté collègue Paul Masson, rapporteur du Livre IV du nouveau code, consacré aux crimes et délits contre la Nation, l'Etat et la paix publique, il convenait d'éviter que ne résultent, de l'application du dispositif pénal, « des situations parfaitement inéquitables pour les élus locaux » 9 ( * ) .
Le même souci a conduit au dépôt de la proposition de loi aujourd'hui soumise à l'examen du Sénat.
* 8 Cf. débats Sénat. Séance du 23 avril 1992.
* 9 Cf rapport n° 274 (1991-1992) de M. Paul Masson.