EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LE CONTEXTE
A. LA CRISE GRECQUE
1. Des statistiques de finances publiques délibérément faussées par les autorités grecques
Les importantes révisions des statistiques de finances publiques grecques au cours de la dernière décennie ont suscité une véritable crise de confiance.
Tout d'abord, en 2004, Eurostat a considérablement revu à la hausse le déficit et la dette publics de la Grèce pour les années précédentes. En conséquence, la Commission a ouvert une procédure d'infraction (close en 2007).
Principales composantes de la révision des données grecques entre mars et septembre 2004
Source : Commission européenne, « Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publics de la Grèce », COM(2010) 1 final, 8 janvier 2010
La Grèce a considérablement réévalué son déficit public de 2008 tout au long de l'année 2009 : initialement évalué à 4,8 points de PIB dans la première notification, celui-ci a été revu à 5 points de PIB (chiffre validé et publié par Eurostat en avril 2009), puis 7,7 points de PIB (notification du 21 octobre 2009).
Le 21 octobre 2009, les autorités grecques ont également revu leur prévision pour 2009 , passée de 3,7 points de PIB (chiffre prévu par le programme de stabilité transmis par la Grèce en janvier 2009) à 12,5 points de PIB, ce qui s'explique certes en partie par la crise économique, mais aussi par des dérapages budgétaires et diverses décisions comptables. Le 22 avril 2010, Eurostat a réévalué ce chiffre à 13,6 points de PIB , estimant qu'il pourrait être encore accru de 0,3 à 0,5 point de PIB 3 ( * ) .
Ainsi, le 10 novembre 2009, le Conseil ECOFIN a invité la Commission européenne à élaborer un rapport sur « les problèmes qui se posent à nouveau dans les statistiques budgétaires grecques ». Dans ce rapport 4 ( * ) , remis le 8 janvier 2010, la Commission européenne souligne notamment qu'en 2004 et en 2009, « des révisions substantielles ont eu lieu à la suite d'élections politiques », et utilise le terme d'« ingérence » 5 ( * ) . La récente proposition de règlement 6 ( * ) relative à la qualité des données transmises par les Etats membres dans le cadre de la procédure de déficit excessif suggère quant à elle, dans ses considérants, que c'est « délibérément » que des données erronées ont été notifiées à la Commission 7 ( * ) .
Le 3 février 2010, la Commission européenne a non seulement adopté divers documents « classiques » dans le cadre d'une procédure de déficit excessif 8 ( * ) , mais aussi entamé une procédure d'infraction en invitant les autorités grecques à respecter leur obligation de communiquer des statistiques budgétaires fiables 9 ( * ) .
La suspicion relative aux finances publiques de la Grèce s'accompagne de la « révélation » par la presse de diverses opérations de « créativité comptable », dont certaines étaient connues depuis longtemps :
- en 2001, une opération de « swap de devises », réalisée avec l'assistance de la banque Goldman Sachs, qui a permis de diminuer comptablement d'un milliard d'euros le montant de la dette publique, le taux de change retenu, artificiel, permettant à Goldman Sachs de prêter de l'argent à la Grèce sans que cela n'apparaisse dans les statistiques ;
- un recours fréquent à la titrisation, c'est-à-dire à la cession de créances à une entité déconsolidée qui émet des titres en contrepartie.
A la suite de la révision des statistiques grecques en 2004, diverses mesures ont été prises :
- adoption d'un Code de bonnes pratiques des statistiques européennes 10 ( * ) , reposant sur le principe de l'autoréglementation, c'est-à-dire de la liberté pour les instituts nationaux de décider, sur la base du volontariat, des modalités de mise en oeuvre des principes du code ;
- création en 2008 (par une décision du Parlement européen et du Conseil) du Conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS).
En revanche, la proposition de la Commission européenne de modifier le règlement du Conseil concernant la qualité des données devant être transmises dans le cadre de la procédure relative aux déficits excessifs (règlement n° 3605/93), qui aurait quasiment donné à Eurostat des pouvoirs d'audit 11 ( * ) , n'a été que partiellement mise en oeuvre, le règlement n° 2103/2005 du Conseil accordant à Eurostat des pouvoirs de contrôle plus limités 12 ( * ) . La Commission européenne reconnaît cependant que « bien que le règlement n° 2103/2005 du Conseil ne soit pas allé aussi loin que l'avait proposé la Commission, des pouvoirs élargis auraient uniquement permis de réduire le risque qu'un pays notifie des données incorrectes, sans le supprimer pour autant ».
La Commission européenne a récemment publié une proposition de règlement 13 ( * ) relative à la qualité des données devant être transmises par les Etats membres dans le cadre de la procédure concernant les déficits excessifs, tendant à lui reconnaître de tels pouvoirs d'audit.
* 3 Dans un communiqué du 22 avril 2010, Eurostat indique : « Eurostat exprime une réserve sur la qualité des données déclarées par la Grèce, en raison des incertitudes sur l'excédent des caisses de sécurité sociale pour 2009, sur le classement de certains organismes publics et sur l'enregistrement des swaps hors taux de marché. Après l'achèvement de l'enquête qu'Eurostat a entreprise sur ces questions en collaboration avec les autorités statistiques grecques, cela pourrait conduire à une révision pour l'année 2009 de l'ordre de 0,3 à 0,5 point de PIB pour le déficit et de 5 à 7 points de PIB pour la dette ».
* 4 Commission européenne, « Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publics de la Grèce », COM(2010) 1 final, 8 janvier 2010.
* 5 L'important « déploiement d'activité » de la Commission européenne « n'a pas permis de déceler pleinement le degré d'ingérence dans les données PDE grecques ».
* 6 Proposition de règlement (UE) du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 479/2009 en ce qui concerne la qualité des données statistiques dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs, 15 février 2010 (COM(2010)53 final).
* 7 « Des évolutions récentes ont néanmoins clairement fait apparaître que le cadre de gouvernance actuel pour les statistiques budgétaires n'était pas encore parvenu à réduire, dans la mesure nécessaire, le risque que des données incorrectes ou inexactes soient délibérément notifiées à la Commission ».
* 8 Un avis sur le programme de stabilité de la Grèce pour 2010-2013, une recommandation au titre de l'article 126, paragraphe 9, du traité, sur la correction du déficit excessif, une recommandation au titre de l'article 121, paragraphe 4, du traité, sur les réformes structurelles.
* 9 « Considérant que la Grèce a manqué à son devoir de communiquer des statistiques budgétaires fiables, comme on a encore pu le constater en octobre avec une révision significative des données pour 2008, la Commission engage également une procédure d'infraction, invitant le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte de corriger toutes les lacunes et toutes les faiblesses systémiques identifiées dans le rapport récent de la Commission. La Grèce est invitée à coopérer avec la Commission afin de convenir rapidement d'un plan d'action visant à corriger les faiblesses en matière de statistiques, d'institutions et de gouvernance, notamment par l'adoption, pour le 15 mai au plus tard, d'une législation imposant de publier des rapports mensuels sur l'exécution budgétaire, imposant aux fonds de la sécurité sociale et aux hôpitaux de publier des comptes et renforçant les mécanismes de contrôle et la responsabilité des personnes dans les services responsables des statistiques et de la comptabilité, et afin de recevoir une assistance technique pour l'élaboration de statistiques fiables » (IP/10/116).
* 10 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant l'indépendance, l'intégrité et la responsabilité des autorités statistiques nationales et communautaire (COM 2005(217) du 25.5.2005).
* 11 Selon la Commission européenne, « les modifications proposées dans le document COM(2005)71 visaient à accroître la transparence des statistiques liées à la PDE et à renforcer les pouvoirs d'Eurostat en matière de qualité des données. En particulier, la Commission souhaitait des «visites de contrôle approfondi». Avec l'obligation générale, pour les États membres, d'accorder promptement à la Commission (Eurostat) l'accès aux informations nécessaires à l'évaluation de la qualité des données, cela aurait quasiment conféré à Eurostat des pouvoirs d'audit ».
* 12 Selon la Commission européenne, « le point crucial (...) est que les travaux d'Eurostat se bornent aux questions statistiques, le cadre institutionnel ne relevant pas de son champ d'action : « Les visites méthodologiques ne devraient pas aller au-delà du domaine purement statistique » et les interlocuteurs d'Eurostat devraient être «les services responsables de la notification dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs », ce qui fournit aux États membres des arguments possibles pour restreindre l'accès aux informations » (« Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publics de la Grèce », COM(2010) 1 final, 8 janvier 2010).
* 13 Proposition de règlement (UE) du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 479/2009 en ce qui concerne la qualité des données statistiques dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs, 15 février 2010 (COM(2010) 53 final).