EXAMEN EN COMMISSION LE MERCREDI 10 FÉVRIER 2010

La commission a procédé à l' examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte qu'elle propose pour le projet de loi organique n° 640 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l' article 13 de la Constitution et du rapport et du texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 641 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l' article 13 de la Constitution .

M. Patrice Gélard , rapporteur, a rappelé les modifications introduites par les députés, en deuxième lecture, au projet de loi organique :

- la suppression, de la liste des emplois et fonctions soumis à l'avis des commissions permanentes compétentes, de l'autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, en effet remplacée par une ordonnance du 21 janvier 2010 par une autorité de contrôle prudentiel, présidée par le gouverneur de la Banque de France, lequel est déjà soumis à la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ;

- le renvoi au projet de loi ordinaire de la disposition désignant la commission chargée des lois constitutionnelles comme commission compétente pour donner un avis sur la nomination des membres du Conseil constitutionnel ;

- le rétablissement de l'article 3 interdisant les délégations de vote pour le scrutin relatif à l'avis prévu par le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Par ailleurs, M. Patrice Gélard, rapporteur, a relevé que, à la suite du vote d'un amendement présenté par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, le projet de loi ordinaire prévoyait désormais expressément que l'avis rendu au titre de l'article 13 devait être précédé de l'audition de la personne pressentie par le Chef de l'Etat.

Le rapporteur a proposé à la commission d'adopter sans modification le projet de loi ordinaire et souhaité, en revanche, la suppression de l'article 3 du projet de loi organique afin d'autoriser les délégations de vote pour le scrutin relatif à l'avis sur les nominations.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a d'abord estimé qu'interdire les délégations de vote impliquerait une modification du Règlement du Sénat et, à ce titre, permettrait de considérer le projet de loi organique comme un texte concernant le Sénat.

Le rapporteur a jugé l'article 3 du projet de loi organique contraire à la Constitution. Il a noté en effet que le seul type de scrutin pour lequel les délégations de vote sont proscrites concerne la destitution du Chef de l'Etat et figure à l'article 68 de la Constitution. Il a ajouté que la disposition du dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution selon laquelle la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote n'avait pas pour objet d'interdire les délégations de vote pour tel ou tel type de scrutin. Elle visait, selon lui, comme le montrait le choix du législateur organique en 1958, à fixer les cas d'empêchement exceptionnel nécessitant pour le parlementaire de se faire représenter pour exercer son droit de vote. Ainsi, selon le rapporteur, seule une révision constitutionnelle permettrait d'interdire les délégations de vote pour un nouveau type de scrutin.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a considéré en outre que la délégation de vote présentait un intérêt pratique : dans certains cas, en effet, il serait utile de laisser s'écouler un délai entre l'audition de la personne par la commission et le moment où celle-ci rend son avis afin de permettre aux parlementaires d'arrêter leur position avec le recul nécessaire, après en avoir débattu, le cas échéant, avec leurs collègues. Il a jugé que l'organisation différée du vote pourrait, d'ailleurs, être encouragée par l'exigence introduite par les députés et admise, en première lecture, par les deux assemblées du dépouillement simultané du scrutin entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Dans cette perspective, a poursuivi le rapporteur, la délégation serait particulièrement pertinente pour les parlementaires qui, ayant entendu le candidat, ne pourraient être présents lors du vote.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a rappelé que, lors de la révision constitutionnelle, l'Assemblée nationale avait défendu l'idée que l'avis sur les nominations devait être donné par la réunion des commissions permanentes des deux assemblées. Il a également souligné que l'Assemblée nationale comprenait désormais une commission de l'économie et une commission du développement durable dont les effectifs respectifs correspondait à ceux de la commission de l'économie du Sénat. Il a observé que l'Assemblée nationale autorisait les délégations de vote, à l'exception du scrutin portant sur les nominations individuelles en vertu d'une disposition de l'instruction générale de son Bureau qui, par hypothèse, n'avait pas été soumise au Conseil constitutionnel.

Il a rappelé qu'une pratique similaire existait au Sénat jusqu'à la révision du Règlement effectuée en 1973 et la censure du Conseil constitutionnel qui avait estimé qu'il n'est pas possible d'apporter des restrictions aux possibilités de délégation de vote reconnues par l'ordonnance organique du 7 novembre 1958.

Enfin, il a rappelé que l'ordonnance organique ne visait pas à interdire la délégation de vote pour un type de scrutin mais à fixer les motifs exceptionnels autorisant une telle délégation. Pour lui, interdire une telle délégation est bien inconstitutionnel.

M. Jean-Pierre Michel , après avoir approuvé les arguments du rapporteur, a remarqué qu'une majorité des trois cinquièmes des votants des deux commissions ne serait probablement jamais réunie. Il a par ailleurs préconisé que les délégations de vote puissent être effectivement vérifiées avant la réunion de commission au cours de laquelle un avis devait être donné sur une nomination.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a rappelé qu'il existait une procédure de contrôle des délégations dans tous les cas.

M. Bernard Frimat a tout d'abord regretté le ton parfois polémique de certains propos relatifs au Sénat lors des débats à l'Assemblée nationale. Il a par ailleurs estimé que, bien que le principe de la délégation de vote en commission fût légitime, sa mise en pratique était souvent peu satisfaisante. En effet, la force majeure était avancée dans des situations qui ne le justifiaient pas à ses yeux.

M. Patrice Gélard , rapporteur, a cité les propos tenus par M. Jean-Jacques Urvoas en commission des lois de l'Assemblée nationale, soulignant les risques d'inconstitutionnalité de l'interdiction des délégations de vote.

La commission a ensuite examiné les amendements sur le projet de loi ordinaire.

Sur l'amendement n° 1 (article premier), présenté par M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, M. Patrice Gélard , rapporteur, a fait valoir que, lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement avait écarté le caractère obligatoire de la publicité des auditions organisées par les commissions afin de laisser celles-ci décider au cas par cas si la publicité était ou non souhaitable. Il convenait donc, selon lui, d'en rester aux règles actuelles prévues par les règlements des deux assemblées et permettant d'assurer de manière souple et adaptée la publicité des travaux des commissions. Il a en outre estimé que la présence du public et des journalistes au cours de l'audition risquait de modifier le comportement des commissaires et celui des candidats.

M. Bernard Frimat a estimé que les débats sur la révision constitutionnelle avaient porté sur la question générale de la publicité des auditions des commissions et non sur celle de la publicité des auditions précédant les nominations. Il avait alors été reconnu qu'une publicité de principe assortie d'exceptions aurait pu faire naître des soupçons à l'occasion de la tenue ponctuelle de débats à huis-clos. Cependant, M. Bernard Frimat a fait valoir, s'agissant de la mise en oeuvre du cinquième alinéa de l'article 13, que l'exigence d'une majorité des trois cinquièmes des voix pour faire obstacle à une nomination rendait improbable le rejet d'une candidature et impliquait par conséquent à tout le moins que ces auditions soient publiques, étant entendu que le vote resterait secret. En outre, a-t-il estimé, l'importance des postes concernés plaide également en faveur de cette publicité. Enfin, il a noté que la sérénité des débats ne serait pas remise en cause par une audition publique comme en témoignaient les auditions organisées par la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau.

M. Christian Cointat a jugé que la majorité qualifiée requise pour exprimer un veto ne laissait au Parlement qu'un pouvoir d'influence que seule une audition publique conforterait.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a estimé préférable de poser le principe de la publicité des auditions dans la mesure où, en l'absence d'une telle règle, il serait difficile de déterminer des critères justifiant au cas par cas cette publicité.

M. Richard Yung s'est prononcé en faveur de l'amendement en estimant que le caractère public de l'audition ne modifierait en rien la nature des questions posées par les commissaires et des réponses fournies par les candidats. Il fait valoir que cette publicité serait bénéfique pour l'image du Parlement, et a cité en exemple le Sénat des États-Unis où les auditions de nomination, publiques et télévisées, constituent un moment important du fonctionnement démocratique.

M. Bernard Frimat a indiqué que la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision avait prévu la publicité des auditions des présidents des chaines publiques. Il a cité les propos tenus par le Président de la République évoquant la nécessité de « sortir de la République des connivences pour aller vers celle des compétences ». Il a également observé qu'aucune règle ne permettait actuellement de déterminer quelles auditions seraient, par exception, publiques. Enfin, la publicité de ces auditions est, selon lui, d'autant plus justifiées que les nominations dont il est question sont, selon l'article 13, importantes « pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique de la nation».

M. Patrice Gélard , rapporteur, a fait observer que les noms des candidats pressentis étaient en général connus à l'avance et que les candidatures dont il était plausible qu'elles ne recueillent pas l'accord des commissions seraient probablement spontanément retirées avant l'audition. Il a ensuite estimé qu'un candidat dont la nomination ne serait pas approuvée par une majorité simple ne pourrait, en pratique, pas être nommé. Il a enfin exprimé la crainte que la médiatisation de l'audition ne nuise à l'appréciation sereine de la compétence des candidats.

M. Jean-Pierre Sueur ayant observé que les médias s'interrogeraient nécessairement sur les raisons pour lesquelles certains candidats susciteraient un certain nombre de votes négatifs, M. Jean-Jacques Hyest , président, a indiqué que les auditions feraient en tout état de cause l'objet d'un compte rendu.

M. Patrice Gélard , rapporteur, a estimé à cet égard que le second amendement du même auteur, prévoyant la rédaction d'un compte rendu, était satisfait par la pratique en vigueur.

M. Bernard Frimat a expliqué qu'il s'agissait d'avoir un compte rendu intégral, de style direct, afin qu'il soit possible de prendre connaissance de la totalité des débats.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a estimé que les modalités du compte rendu relevaient du Règlement.

M. Jean-Pierre Sueur a estimé que l'existence d'un compte rendu intégral pouvait rendre superflue la publicité de l'audition.

M. Bernard Frimat a estimé qu'il convenait de garder le débat ouvert dans la perspective d'une éventuelle commission mixte paritaire, afin de trouver les modalités permettant d'assurer la meilleure publicité aux débats des commissions.

M. Christian Cointat ayant remarqué qu'il était toujours possible de demander ponctuellement la publicité d'une audition, a souligné cependant la nécessité de garantir une certaine cohérence dans les modalités adoptées pour les auditions effectuées en vue de nominations.

A l'issue d'une suspension de séance, M. Patrice Gélard , rapporteur, a réaffirmé que la question de la publicité des auditions relevait en la matière du Règlement et devrait être réglée à l'occasion de la révision de celui-ci.

M. Bernard Frimat a souhaité maintenir l'amendement en estimant que la publicité des auditions relevait de la loi et non du Règlement puisqu'une telle disposition figurait d'ores et déjà dans la loi du 5 mars 2009. Il a par ailleurs demandé que les deux auditions qui auraient lieu à l'occasion des prochaines nominations au Conseil constitutionnel soient publiques.

En réponse à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat , qui plaidait pour l'inscription dans la loi de la publicité des auditions assortie de certaines exceptions, M. Jean-Jacques Hyest , président, a fait valoir que l'adoption d'une telle disposition rendrait en réalité impossible la tenue d'auditions à huis-clos.

M. Jean-Pierre Sueur a considéré qu'un renvoi au Règlement était inadéquat et qu'il ne serait pas acceptable que les modalités appliquées pour les auditions diffèrent entre le Sénat et l'Assemblée nationale.

Mme Alima Boumediene-Thiery a assuré que la transparence des auditions favoriserait leur crédibilité aux yeux des citoyens.

M. Laurent Béteille a estimé que l'existence d'un compte rendu intégral était suffisante pour rendre possibles l'analyse et la compréhension des débats. En outre, il n'était pas nécessaire, selon lui, que la pratique du Sénat et celle de l'Assemblée nationale soient identiques.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a proposé de suivre la position du rapporteur.

Article 3 du projet de loi organique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. Gélard, rapporteur

1

Suppression de l'interdiction des délégations de vote

Adopté

Article premier du projet de loi

M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

1

Publicité des auditions

Rejeté

2

Compte rendu des auditions

Rejeté

La commission a adopté le texte des deux projets de loi ainsi rédigés.

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