D. LE FINANCEMENT DE L'ÉTAT

1. Les principaux éléments du tableau de financement

L'article 34 de la LOLF dispose que « dans la première partie, la loi de finances de l'année : (...) Comporte les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'Etat prévues à l'article 26 et évalue les ressources et les charges de trésorerie qui concourent à la réalisation de l'équilibre financier, présentées dans un tableau de financement ».

Les tableaux de financement successifs sont synthétisés dans le tableau ci-après :

Tableau de financement de l'Etat

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les lois de finances et lois de règlement

Les principaux éléments qui se dégagent du tableau de financement sont les suivants :

- le besoin de financement proposé pour 2010, dont le montant s'établit à 212 milliards d'euros, est inférieur de 40 milliards d'euros à la prévision d'exécution pour 2009 . Il est cependant supérieur à celui de toutes les autres années et seulement légèrement inférieur à celui du projet de loi de finances initiale pour 2009 ;

- le tableau de financement illustre l'ampleur du dérapage des finances publiques en 2009 , avec un besoin de financement qui passe de 179,6 milliards d'euros en loi de finances initiale à 253,8 milliards d'euros en exécution. Cet écart est entièrement dû au déficit budgétaire, qui a plus que doublé (+ 110 %) ;

- le financement de l'augmentation du besoin de financement en 2009 a reposé pour 30 milliards d'euros sur des emprunts à moyen et long termes et pour 58,8 milliards d'euros sur des emprunts à court terme 18 ( * ) .

2. Un tableau de financement déjà périmé, en l'absence de précisions sur le montant et les modalités du futur « emprunt national » ?

L'examen du projet de loi de finances pour 2010 se déroule alors que chacun des acteurs est conscient que son contenu sera substantiellement modifié au début de l'année prochaine, lorsqu'un projet de loi de finances rectificative sera présenté pour proposer les modalités de la collecte d'un « emprunt national » et pour définir les conditions dans lesquelles les sommes ainsi levées devront être dépensées.

Les chiffres les plus divers sont évoqués au sujet de cet emprunt et, si on peut conclure que son montant devrait représenter l'équivalent d'une année de déficit budgétaire , on ne sait pas s'il sera plus proche du déficit constaté en 2007 (34,6 milliards d'euros) ou du déficit prévisionnel pour 2010 (116 milliards d'euros).

Faute d'éléments plus précis à commenter, on se bornera ici à récapituler certains éléments qui pourraient utilement être pris en compte lors de l'élaboration du dispositif de l'emprunt national :

- du point de vue des conditions de marché et des perspectives d'évolution des taux, la stratégie la plus lisible et la moins coûteuse est celle d'un emprunt en une seule tranche ;

- pour respecter l'objectif de ne pas emprunter plus que l'Allemagne en 2010, la marge de manoeuvre serait, en l'état actuel des données disponibles, d'une vingtaine de milliards d'euros ;

- un emprunt auprès des particuliers devrait proposer, à cinq ans, une rémunération d'au moins 4 % pour être attractif, compte tenu du précédent que constitue l'emprunt souscrit le 17 juin 2009, par EDF, au taux de 4,5 % ;

- pour cette durée, un emprunt sur les marchés permet de lever la même somme pour un taux proche de 2,5 % ;

- il ressort des déclarations du Président de la République devant le Congrès du Parlement, le 22 juin 2009, ou le 26 août 2009, lors de l'installation de la commission présidée par MM. Michel Rocard et Alain Juppé, que l'emprunt sera souscrit soit auprès des Français, soit sur les marchés, selon la solution la plus efficace ou la moins coûteuse.

3. La réduction affichée du besoin de financement

Entre 2009 et 2010, le besoin de financement de l'Etat devrait diminuer de 40 milliards d'euros, pour s'établir à 212 milliards d'euros.

Comme le montre le tableau de financement présenté ci-avant, cette réduction s'explique principalement par la diminution annoncée du déficit budgétaire, qui baisserait de 141 milliards d'euros à 116 milliards 19 ( * ) , soit un recul de 25 milliards d'euros.

La différence, soit 15 milliards d'euros, proviendrait des fluctuations de l'amortissement de la dette à moyen et long terme, le montant de 2010, 91,9 milliards d'euros, étant inférieur de 18,3 milliards d'euros à celui de 2009 tandis que le montant des amortissements de dette reprise augmente de 3,1 milliards d'euros, pour s'établir à 4,1 milliards d'euros 20 ( * ) .

En 2011, compte tenu de l'arrivée à échéance de 52,1 milliards d'euros d'OAT et de 62 milliards d'euros de BTAN, les besoins d'amortissements devraient être supérieurs de 16 % à ceux de 2010.

4. L'amorce d'une stabilisation des émissions à court terme

Le Gouvernement rappelle, dans les réponses au questionnaire budgétaire, que « traditionnellement, les émissions de dette à moyen et long termes nettes des rachats effectués par l'Etat et par la Caisse de la dette publique ont vocation à couvrir les amortissements de dette à moyen et long termes, ainsi que le déficit budgétaire, tandis que la variation des BTF a vocation à couvrir la variation nette du solde du compte du Trésor et la variation des dépôts des correspondants du Trésor ».

Toutefois, depuis 2008, l'évolution des conditions de marché a conduit l'AFT à chercher à tirer le meilleur parti de la baisse des taux d'intérêt à court terme et à réorienter vers les maturités à moins d'un an une partie importante de son programme de financement.

Répartition de l'encours de la dette négociable
entre les titres à plus d'un an et les titres à moins d'un an

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de l'Agence France Trésor

Il en est résulté une augmentation significative de la part de la dette à court terme dans l'encours total, qui est passée de 8 % à 14 % entre 2007 et 2008 et de 14 % à 18 % entre 2008 et 2009.

En 2010, il est envisagé, dans le tableau de financement inscrit à l'article 34 du projet de loi de finances, que la progression se poursuive, mais à un rythme moins soutenu. La part des BTF dans l'encours total s'établirait à 19 %. Lorsque l'« emprunt national » sera lancé, la part de la dette à moins d'un an diminuera mécaniquement (et d'autant plus fortement que le montant de cet emprunt sera élevé) en raison de l'augmentation importante du volume d'encours à plus d'un an. Toutes choses égales par ailleurs, si l'emprunt national avait pour effet de faire passer le montant des émissions à moyen et long termes de 175 milliards d'euros à 195 milliards d'euros, la part des BTF dans le total passerait de 19 % à 18,6 %.

Encours de la dette négociable de l'Etat

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de l'Agence France Trésor

5. Le plafond de la variation de la dette à moyen et long terme retrouve-t-il un sens ?

L'augmentation de la part de la dette à court terme dans l'encours total, parfaitement justifiée du point de vue des intérêts du contribuable, a suscité des réactions critiques au Parlement, ainsi qu'à la Cour des comptes, en raison de ses conséquences sur la signification du vote émis, à l'article d'équilibre des lois de finances, sur le plafond de variation de la dette négociable à plus d'un an.

Le vote de ce plafond résulte des dispositions du 9° de l'article 34 de la LOLF, qui prévoit que la première partie de la loi de finances « fixe le plafond de la variation nette, appréciée en fin d'année, de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an ». Cette disposition est issue d'un amendement présenté par votre commission des finances lors de l'examen au Sénat, en première lecture, de la proposition de loi organique devenue la LOLF.

La genèse du plafond de variation de la dette à moyen et long termes

« Deux principes ont donc été posés : que le plafond n'empêche pas le gouvernement de faire face à des aléas de trésorerie risquant de mettre l'Etat en cessation de paiement ; qu'il n'empêche pas une gestion optimale de la dette, donc par exemple qu'il n'interdise pas en cours d'année de procéder à des rachats de dettes.

« Ce souhait des députés de l'opposition, devenu engagement du gouvernement à leur égard, rejoint en tous points les préoccupations de votre commission des finances, exprimées à la fois par votre rapporteur et par le rapporteur général Philippe Marini. Il semble pleinement justifié que le Parlement tire les conséquences concrètes sur la dette des votes de l'équilibre budgétaire et de l'équilibre financier.

« En se prononçant sur la dette, le Parlement décide expressément de la charge imposée aux générations futures. En outre, la comparaison de la variation du stock de dette provoquée par les décisions budgétaires et financières, et du tableau présentant le budget de l'Etat en sections de fonctionnement et d'investissement rendra possible les comparaisons et donc, les appréciations politiques sur le niveau souhaitable de dépenses d'aujourd'hui dont le Parlement reporte le paiement sur les générations futures.

« Cependant, les difficultés techniques sont importantes et votre rapporteur partage les limites posées par Mme Florence Parly [alors secrétaire d'Etat chargée du budget] . En effet, il ne saurait être question de ne pas honorer la signature de l'Etat. Même si les moyens actuels de prévision rendent une telle perspective peu envisageable, il est certain que les aléas qui s'attachent tant aux décaissements qu'aux encaissements de l'Etat justifient que les opérations liées à la tenue de la trésorerie de l'Etat ne soient pas contraintes par un plafond strict, sauf à imaginer des procédures d'urgence complexes .

« De même, fixer un plafond brut de la dette risquerait de soulever des difficultés pour la gestion de celle-ci. Des techniques financières complexes, qui peuvent conduire à racheter de la dette passée pour en émettre une nouvelle et donc à augmenter les émissions brutes, pouvant permettre de minorer finalement la charge de la dette. Celle-ci représentant la première dépense de l'Etat, il serait désastreux d'en rendre impossible la diminution par des dispositions inappropriées.

« Au total, votre rapporteur vous proposera d'ajouter parmi les dispositions de la première partie la fixation du « plafond de la variation nette de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an, appréciée en fin d'année ». La variation nette permettra d'éviter les biais mentionnés ci-dessus d'un plafond de dette brute ; la prise en compte de la seule dette supérieure à un an permettra d' éviter d'y inclure les émissions de très court terme nécessitées par des besoins ponctuels de trésorerie . Cette variation sera appréciée en fin d'année et le plafond aura une valeur contraignante, qui obligera le gouvernement à en demander le relèvement dans un collectif budgétaire s'il lui paraît ne pas pouvoir être respecté.

« Ainsi, votant le tableau de financement de l'Etat, fixant un plafond pour l'augmentation de la dette nette, ayant connaissance de l'ensemble des opérations liées à cette dette par le biais du compte de commerce particulier dédié à cet effet, le Parlement verra son information comme son contrôle sur la dette considérablement améliorés et sera en mesure de jouer pleinement son rôle en la matière, qui est celui d'engager l'avenir ».

Source : rapport n° 343 (2000-2001) de M. Alain Lambert, fait au nom de la commission des finances, sur la proposition de loi organique relative aux lois de finances (commentaire de l'article 31)

L'ampleur prise par les emprunts à court terme dans le financement de la variation du stock de dette a eu pour effet d'ôter tout sens et toute portée, en 2008 et en 2009, au vote du Parlement sur la variation de la dette négociable. En effet, comme le montre le tableau ci-dessous, près des deux tiers de l'augmentation de l'encours total ont été financés à court terme en 2008, cette part s'élevant encore à 55 % en 2009.

Répartition de la variation de l'encours de dette entre la dette à plus d'un an
et la dette à moins d'un an

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances

Cette évolution a conduit, lors de l'examen du projet de loi de règlement pour 2008, au dépôt par votre rapporteur spécial et par le rapporteur général de la commission des finances d'un amendement, provocateur, dont l'objet était d'instaurer un vote sur la variation de la dette à plus de trois mois.

En présentant la position du Gouvernement sur cet amendement, le ministre du budget a fait la déclaration suivante :

« C'est pourquoi je vous propose un compromis qui me paraît à la fois efficace et utile : d'un côté, vous renoncez à instaurer un plafond de variation de la dette à court terme, qui semble inopportun, et, de l'autre, nous nous engageons à mieux structurer l'information délivrée au Parlement. En effet, contrairement au rapporteur spécial pour les engagements financiers de l'État, la plupart des membres de la commission des finances, y compris son président ou son rapporteur général, n'ont pas accès à l'ensemble de la documentation.

« Il s'agirait donc d'instaurer un système de comptes rendus trimestriels, voire mensuels si vous le souhaitez, qui, à partir des chiffres précis des encours de la dette à court terme, expliqueraient les variations de celle-ci. L'information du Parlement sur les émissions de bons du Trésor à taux fixe serait ainsi accrue et vous auriez, mesdames, messieurs les sénateurs, tous les éléments nécessaires pour interpeller le ministre et dialoguer avec l'Agence France Trésor.

« Ces comptes rendus seraient aussi l'occasion de faire le point sur les obligations indexées , conformément au souhait que vous avez exprimé, ainsi que sur toutes les émissions qui vous semblent de nature à présenter un risque.

« Je vous demande donc, monsieur Fourcade, de retirer cet amendement en contrepartie d'une information structurée sur ce sujet » 21 ( * ) .

Le mode opératoire de ces comptes-rendus reste à perfectionner. Sur le fond, le tableau de financement proposé pour 2010 ramène la part de la dette à moins d'un an dans le total de la variation de l'encours d'une année sur l'autre à 26,3 % , soit un niveau inférieur à celui de 2007.

Ce rééquilibrage a pour effet mécanique, en « basculant » vers les emprunts à moyen et long termes une part importante du financement effectué à court terme en 2008 et en 2009, de provoquer une augmentation de plus de 50 % du plafond de variation de la dette à plus d'un an par rapport à l'exécution 2009 (et un triplement par rapport à la loi de finances initiale pour 2009) , sur lequel le Parlement se prononce à l'article d'équilibre du projet de loi de finances, qui passe ainsi de 54,8 milliards d'euros en prévision d'exécution pour 2009 (24 milliards d'euros en loi de finances initiale) à 83,1 milliards d'euros.

De manière paradoxale, l'article d'équilibre du projet de loi de finances pour 2010 contient à la fois la plus forte baisse du besoin de financement constatée d'une année sur l'autre depuis 2006 (- 40 %) et, dans le même temps, la plus forte hausse du plafond de variation de la dette négociable à plus d'un an (+ 83,1 milliards d'euros) .

* 18 En plus du déficit budgétaire, ces emprunts ont également servi à compenser les moindres recettes liées à l'absence d'annulation de 2,5 milliards d'euros de titres par la Caisse de la dette publique, le solde négatif des dépôts des correspondants et la variation moins importante que prévu du solde du compte au Trésor.

* 19 Pour illustrer l'ampleur du dérapage des finances publiques depuis deux ans, il est frappant de constater que le montant du déficit budgétaire prévu pour 2010, soit 11  milliards d'euros, est équivalent au montant de la totalité du besoin de financement (solde budgétaire + amortissements des emprunts à moyen et long terme) pour l'année 2006.

* 20 Les amortissements de dettes reprises s'élèvent à 4,1 milliards d'euros en 2010 et se décomposent comme suit : 2,4 milliards d'euros pour l'Erap, pour la dernière année et en application des dispositions de l'article 62 de la loi de finances pour 2009 ; 0,5 milliard d'euros pour Charbonnages de France en application de l'article 55 de la loi de finances pour 2008 ; 1,2 milliard d'euros pour le service annexe d'amortissement de la dette (SAAD) de la SNCF conformément à l'article 82 de la loi de finances rectificative pour 2007.

* 21 J.O. Débats Sénat, séance du 15 juillet 2009 p. 6894.

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