B. IDENTIFIER L'INCESTE AFIN DE RENFORCER LES DISPOSITIFS DE PRISE EN CHARGE EXISTANTS

Au-delà de ce volet strictement pénal, la proposition de loi inclut deux séries de dispositions visant à améliorer la sensibilisation du public, et plus particulièrement des professionnels de l'enfance, à la problématique des violences sexuelles intrafamiliales d'une part, et à renforcer les dispositions relatives à l'accompagnement et à la prise en charge des victimes d'autre part.

Aux termes des articles 4 et 5 de la proposition de loi, une mission de sensibilisation aux violences sexuelles intrafamiliales serait confiée à l'Education nationale et aux sociétés en charge de l'audiovisuel public. En outre, la formation des professionnels de l'enfance et des médecins comprendrait désormais obligatoirement un module de sensibilisation à ce type très particulier de problématique.

Comme l'écrit Mme Marie-Louise Fort dans le rapport de la mission de lutte contre l'inceste que lui a confiée le groupe UMP de l'Assemblée nationale, « les responsables associatifs auditionnés ont tous mis l'accent sur le besoin de créer un référentiel chez les enfants victimes. Il s'agit de permettre à l'enfant de comparer sa situation avec celles de ses camarades et avec la norme. L'enfant écoutant le message de prévention sur les méfaits de la violence, dans lequel s'inscrit la sensibilisation aux violences sexuelles, pourra développer son jugement et comprendre que sa souffrance ne fait pas partie de la normalité comme peut le lui faire croire son agresseur » 28 ( * ) .

Corrélativement, il est important que les professionnels amenés à recueillir la parole de l'enfant soient formés à prêter une attention particulière aux symptômes que présentent les victimes d'inceste.

L'ensemble des dispositions de la proposition de loi a ainsi pour but de conforter et de donner un nouvel élan aux efforts réels accomplis par les pouvoirs publics en cette matière depuis une dizaine d'années.

Ainsi, dès septembre 1997, l'Education nationale a publié une instruction à l'attention des chefs d'établissement et directeurs d'école concernant les violences sexuelles. Faisant le constat que « l'école, le collège, le lycée sont les lieux où un enfant se confie souvent pour la première fois et révèle les violences sexuelles dont il est ou a été victime au sein de la cellule familiale ou dans son entourage », cette instruction a attiré l'attention des directeurs d'école et chefs d'établissement sur les symptômes que présentent les enfants et adolescents victimes de violences sexuelles et rappelé les obligations qui pèsent sur les agents de l'Education nationale, notamment en termes de signalement aux autorités 29 ( * ) . Par la suite, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, puis la loi n° 2000-197 du 6 mars 2000 visant à renforcer le rôle de l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants 30 ( * ) ont renforcé la rôle de l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants. Enfin, les Axes prioritaires de prévention 2008-2009 de l'Education nationale ont inscrit la lutte contre les violences sexuelles comme une priorité.

Néanmoins, les associations de protection de l'enfance rencontrées par votre rapporteur dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi lui ont indiqué que l'ensemble de ces dispositions n'étaient pas pleinement appliquées. L'association La Voix de l'Enfant a notamment attiré l'attention de votre rapporteur sur le fait que les interventions des associations spécialisées n'étaient pas toujours bien accueillies dans les établissements scolaires. L'association internationale des victimes de l'inceste a par ailleurs indiqué que la plupart des établissements scolaires dans lesquelles elle intervenait n'affichaient pas, alors qu'ils en ont l'obligation, l'information relative à l'existence du service d'accueil téléphonique gratuit 119 Allô Enfance Maltraitée 31 ( * ) .

Pourtant, le docteur Patrick Ayoun 32 ( * ) a fait valoir à votre rapporteur que des bilans très positifs pouvaient être tirés des actions de sensibilisation aux violences sexuelles menées par certaines associations à destination d'adolescents. En revanche, il a attiré l'attention sur le fait que de telles actions pouvaient parfois avoir un effet très perturbant sur de jeunes enfants, d'où la nécessité pour les professeurs et autres professionnels de l'enfance d'être spécialement formés sur cette problématique très particulière que constituent les violences sexuelles intrafamiliales.

La question plus générale de la formation des professionnels de l'enfance au recueil de la parole de l'enfant avait constitué l'un des axes étudiés par le groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau » et présidé par M. Jean-Olivier Viout. Constatant que « le recueil de la parole de l'enfant présente de telles spécificités qu'il ne peut s'improviser », ce groupe de travail avait souligné le travail accompli depuis quelques années au niveau de la police et de la gendarmerie nationale en matière de formation et de professionnalisation des enquêteurs chargés du recueil de la parole de l'enfant 33 ( * ) . Des modules de formation relatifs aux violences sexuelles intrafamiliales sont également désormais proposés, en formation initiale comme en formation continue, aux auditeurs de justice et aux magistrats par l'Ecole nationale de la magistrature. Les dispositions figurant à l'article 4 de la proposition de loi permettraient d'étendre à l'ensemble des professionnels appelés à être en contact avec les enfants ces modules de formation, qui paraissent indispensables à la détection des enfants victimes d'inceste.

Par ailleurs, la proposition de loi inclut un volet relatif à l'accompagnement des victimes, dont la portée a cependant été limitée en raison de l'appréciation portée par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur sa recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution

Ainsi, l'article 6, jugé irrecevable sur ce fondement, prévoyait de doter chaque département d'un centre de référence pour la prise en charge de victimes de traumatismes psychiques. Ces dernières auraient bénéficié de l'assistance de médecins, psychologues et avocats afin de mieux les accompagner dans leur parcours judiciaire et les aider à se reconstruire.

Cette disposition, qui ne figure donc plus dans la proposition de loi, en constituait pourtant un axe essentiel. En effet, comme l'a fait observer l'Observatoire national de l'enfance en danger dans la contribution écrite qu'il a fait parvenir à votre rapporteur, « la question la plus centrale [...] concerne la faiblesse de la réponse en matière de soins offerts aux enfants victimes d'abus sexuels, particulièrement au sein de leur famille. S'il existe de très rares structures réputées, [...] d'une part, aucune ne prend en charge les garçons, et, d'autre part, dans la plupart des départements de France, nos interlocuteurs (services sociaux et départementaux, magistrats) soulignent l'absence de soins pédopsychiatriques ». L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur ont également attiré son attention sur la faiblesse globale et les inégalités territoriales de l'offre de soins relatives aux mineurs et majeurs victimes d'inceste. Ainsi, à l'exception notable de la maison Jean Bru, qui accueille à Agen des jeunes filles victimes d'inceste, aucune institution n'est spécialisée dans la prise en charge des mineurs victimes d'inceste. Quant aux majeurs souffrant des conséquences de l'inceste qu'ils ont subis dans leur enfance, leur prise en charge se limite à celle des symptômes qu'ils présentent (alcoolisme, forte propension aux tentatives de suicide, etc.) sans qu'aucune action ne soit menée sur le plan thérapeutique sur la cause de tels symptômes.

Toutefois, Mme Marie-Louise Fort, rapporteur du texte au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, a indiqué au cours des débats avoir reçu de la part du ministère de la santé l'assurance que des réponses seraient prochainement apportées aux victimes de violences sexuelles incestueuses. De telles réponses pourront être exposées dans le rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement, en application de l'article 7 de la proposition de loi, sur les modalités de prise en charge des victimes d'infractions sexuelles intrafamiliales.

Enfin, l'article 6 bis de la proposition de loi vise à étendre aux associations impliquées dans la lutte contre l'inceste la possibilité de se constituer partie civile lorsque des poursuites ont été engagées à l'encontre d'auteurs de violences sexuelles incestueuses. Par ailleurs, la désignation d'un administrateur ad hoc , qui est actuellement une possibilité ouverte aux magistrats, serait rendue systématique dès lors que l'affaire concerne des violences sexuelles intrafamiliales.

Aux termes de l'article 706-50 du code de procédure pénale, le procureur de la République ou le juge d'instruction, saisi de faits commis volontairement à l'encontre d'un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux. Cet administrateur ad hoc assure la protection des intérêts du mineur et exerce, s'il y a lieu, au nom de celui-ci les droits reconnus à la partie civile.

L'administrateur ad hoc est désigné par le magistrat compétent, soit parmi les proches de l'enfant, soit sur une liste de personnalités dressée tous les quatre ans dans le ressort de chaque cour d'appel. Ce peut être une personne physique ou une personne morale :

- une personne physique ne peut notamment être inscrite sur la liste que si elle a entre trente et soixante-dix ans, qu'elle s'est signalée depuis un temps suffisant par l'intérêt qu'elle porte aux questions de l'enfance et par sa compétence et qu'elle n'a pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale ou à sanction disciplinaire ou administrative pour agissements contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs ;

- une personne morale peut quant à elle être inscrite sur cette liste à condition que chacune des personnes susceptibles d'exercer pour son compte une mission d'administrateur ad hoc remplisse ces mêmes conditions.

En pratique, les administrateurs ad hoc se caractérisent par des profils très divers : personnes physiques de formation diverse, conseils généraux, associations d'aide aux victimes, avocats, etc., tout autant que par des pratiques et des moyens très divers. Comme le relevait le rapport du groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau », remis en février 2005, « l'administrateur ad hoc demeure souvent encore un personnage méconnu qui recouvre des réalités variables. Il se cantonne tantôt à un rôle de désignation d'un avocat ou exerce au contraire une véritable mission de représentation juridique et de soutien moral tout au long de la procédure pénale. [...] La mission dévolue à l'administrateur ad hoc exige des compétences juridiques de plus en plus précises, des qualités humaines et une véritable déontologie. [...] Les différentes auditions ont d'autre part fait apparaître que la faible rémunération de l'administrateur ad hoc, sur une base forfaitaire non réévaluée depuis 1999, constituait un frein au recrutement d'administrateurs ad hoc de qualité » 34 ( * ) . Une refonte de ce système d'indemnisation, mise en oeuvre par le décret n° 2008-764 du 30 juillet 2008 et par l'arrêté du 2 septembre 2008 relatif aux frais de justice criminelle, en matière de médecine légale, de traduction, d'interprétariat et d'administration ad hoc , en permettant désormais aux administrateurs d'être remboursés des frais de déplacement inhérents à leurs missions et en créant une indemnité de carence en cas de difficulté dans le déroulement de celles-ci, devrait contribuer à pallier la pénurie actuelle d'administrateurs 35 ( * ) .

* 28 Groupe UMP, Mission de lutte contre l'inceste, janvier 2009, page 13.

* 29 Bulletin officiel de l'Education nationale, 4 septembre 1997.

* 30 Aux termes de l'article unique de cette loi, il a été précisé que les visites médicales devaient notamment avoir pour objet de prévenir et détecter les cas d'enfants maltraités. En outre, cette loi a institué la séance annuelle d'information et de sensibilisation sur l'enfance maltraitée inscrite dans l'emploi du temps des élèves des écoles, des collèges et des lycées.

* 31 Ce service d'accueil téléphonique a été mis en place à la suite de l'adoption de la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance. L'affichage de ses coordonnées est obligatoire dans tous les établissements et services recevant habituellement des mineurs.

* 32 Pédopsychiatre, chef du département intersectoriel de psychiatrie de l'adolescent à l'hôpital Charles-Perrens de Bordeaux, exerce également à la maison d'accueil Jean Bru, un internat qui accueille des jeunes filles qui ont été victimes d'inceste.

* 33 Rapport du groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau », février 2005, page 10.

* 34 Rapport du groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau », février 2005, pages 47-48, disponible en libre accès sur le site de la Documentation française.

* 35 Voir à ce sujet le dossier thématique 2009-1 de l'Observatoire national de l'enfance en danger publié sur leur site Internet.

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