EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi de notre collègue Hubert Haenel est un écho attendu à la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, également appelée LAT. Comme cette dernière, la présente proposition de loi est soumise à l'examen de votre commission des lois.

En effet, les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 ont été adoptés à titre temporaire pour permettre leur expérimentation et leur évaluation avant leur éventuelle prorogation ou pérennisation. L'article 32 de la LAT dispose que ces trois articles sont applicables jusqu'au 31 décembre 2008, le Gouvernement devant remettre chaque année au Parlement un rapport sur leur application. L'article unique de la présente proposition de loi propose de prolonger leur application pour quatre années supplémentaires jusqu'au 31 décembre 2012.

L'exposé des motifs de la LAT expliquait que, eu égard au niveau élevé et exceptionnel de la menace terroriste, certaines dispositions nouvelles revêtait également un caractère exceptionnel et devaient pouvoir faire l'objet d'une nouvelle discussion parlementaire à un horizon rapproché.

Tout en approuvant sur le principe cette méthode, notre excellent collègue Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la LAT au nom de la commission des lois, attirait l'attention sur :

- la nécessité de respecter la clause de rendez-vous ainsi fixée ;

- l'utilité de mettre à profit cette période d'expérimentation de trois années pour évaluer de manière approfondie la pertinence de ces dispositions .

Il concluait qu'à défaut, un tel procédé serait vain.

Il faut dire que les précédents recours à l'expérimentation en matière de terrorisme avaient montré leurs limites et recélaient une part d'illusion.

En effet, cette solution avait déjà été retenue en 2001 pour l'application des dispositions concernant le terrorisme de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne.

Lors de l'examen en nouvelle lecture de ce texte par le Sénat, le Gouvernement avait proposé plusieurs amendements destinés à renforcer les instruments permettant de lutter contre le terrorisme à la suite des attentats ayant frappé les Etats-Unis le 11 septembre 2001.

L'article 22 de cette loi disposait que l'ensemble des dispositions du chapitre V intitulé « Dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme » et comprenant les articles 22 à 33 étaient adoptées par une durée allant jusqu'au 31 décembre 2003. Il prévoyait également qu'avant cette date, le Parlement serait saisi d'un rapport d'évaluation sur l'application de ces mesures.

Depuis lors, elles ont toutes été pérennisées. La plupart l'ont été par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure 1 ( * ) . Toutefois, cette loi avait seulement prolongé la mise en oeuvre des articles 24, 25 et 26 jusqu'au 31 décembre 2005 afin de les soumettre à une nouvelle période d'évaluation.

L'article 24 a finalement été pérennisé à son tour par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

En revanche, les articles 25 et 26 ont été pérennisés respectivement par les ordonnances n° 2005-863 du 28 juillet 2005 relative à la sûreté des vols et à la sécurité de l'exploitation des aérodromes 2 ( * ) et n° 2005-898 du 2 août 2005 portant actualisation et adaptation des livres III et IV du code des ports maritimes (partie législative) 3 ( * ) .

Dans son rapport sur le bilan annuel de l'application des lois du 1 er octobre 2004 au 30 septembre 2005, votre commission s'était étonné que ces deux dispositions aient pu être pérennisées par la voie d'ordonnance . En effet, si le législateur avait souhaité les adopter à titre provisoire, c'était précisément pour se donner l'opportunité de rediscuter leur utilité. En procédant de la sorte par voie d'ordonnances, la clause de rendez-vous fixée par le Parlement n'avait pas été pleinement respectée.

En outre, l'article 22 de la loi relative à la sécurité quotidienne tel que modifié par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure disposait que le Gouvernement devrait remettre deux rapports d'évaluation des articles 24, 25 et 26, l'un avant le 31 décembre 2003, l'autre avant le 31 décembre 2005. Seul le premier de ces rapports, succinct, avait été rendu.

Au regard de ces précédents, quel jugement porter sur l'expérimentation des articles 3, 6 et 9 de la LAT ?

Parmi les points positifs, la clause de rendez-vous fixée au 31 décembre 2008 est respectée, le Gouvernement n'ayant pas écourté l'expérimentation. Par ailleurs, sans aborder le fond des dispositions, il faut relever que la quasi-totalité des textes d'application a été prise dans des délais raisonnables (moins d'un an), seul l'article 6 restant partiellement inapplicable. La durée effective de l'expérimentation permet donc de tirer de premiers enseignements à défaut de conclusions.

En revanche, les rapports annuels d'évaluation de la LAT n'ont pas tous été réalisés. Seul le rapport annuel 2008 l'a été et pour les seules dispositions qui concernent la présente proposition de loi.

Lors de son audition par la commission des lois sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, a reconnu être confrontée à d'importantes difficultés de calendrier, l'examen du devenir de ces dispositions avant le 31 décembre 2008 ne trouvant sa place dans aucun véhicule législatif adapté. Initialement, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) devait y pourvoir mais le report de son adoption en Conseil des ministres ne le permet plus.

Compte tenu de la persistance de la menace terroriste contre la France, notre collègue Hubert Haenel a pris l'initiative de cette proposition de loi. Certes, il eut été plus conforme à l'esprit dans lequel ces trois dispositions avait été adoptées en 2006 qu'elles fussent réexaminées et évaluées par le Parlement à la demande du Gouvernement. Toutefois, votre rapporteur tient à souligner que cette proposition de loi spécifique offre l'immense avantage de traiter ces questions isolément et non pas noyées dans un projet de loi au champ plus large ou incidemment au détour d'une ordonnance. Elle permet aussi de procéder à une réelle évaluation par le Parlement. En dépit de délais relativement serrés, votre rapporteur a pu procéder à de nombreuses auditions et a reçu plusieurs contributions écrites.

Les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 ayant des objets très différents, ils seront évalués séparément.

I. L'ARTICLE 3 : L'EXTENSION DES CONTRÔLES D'IDENTITÉ À BORD DES TRAINS TRANSNATIONAUX

A la différence des articles 6 et 9, l'article 3 de la LAT n'a pas pour unique objet de prévenir ou réprimer le terrorisme. Elle constitue une mesure compensatoire supplémentaire à la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen. Les contrôles d'identité réalisés à ce titre n'ont pas à être justifiés par la prévention ou la répression du terrorisme. Mais ils peuvent y contribuer.

A. LE DROIT POSITIF AVANT LA LAT

L'article 78-2 du code de procédure pénale définit les cas dans lesquels les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints, peuvent procéder à des contrôles d'identité.

En 1993 , le législateur, après l'adoption de la Convention de Schengen par la France et la suppression des contrôles aux frontières, a autorisé que des contrôles d'identité puissent être effectués en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la Convention Schengen - Belgique, Luxembourg, Allemagne, Italie et Espagne - et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà. Les personnes étrangères doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou séjourner en France.

Cette disposition s'applique aussi aux zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté

Dans ces zones, le contrôle de l'identité n'a pas à être motivé par l'une des hypothèses prévues aux sept premiers alinéas de l'article 78-2 du code de procédure pénale (existence d'une raison plausible de soupçonner qu'une personne a commis ou tenté de commettre un délit...).

En 2003, une première exception au principe des 20 kilomètres a été adoptée 4 ( * ) . Afin de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers en France dans des sections du territoire national ouvertes au trafic international et ayant les caractéristiques des zones frontalières, l'article 81 de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a en effet complété l'article 78-2 du code de procédure pénale. Il prévoit que, lorsqu'il existe une section autoroutière démarrant dans la zone des 20 kilomètres, les contrôles d'identité peuvent avoir lieu jusqu'au premier péage autoroutier, même si celui-ci se situe au-delà des 20 kilomètres, sur la voie ou sur les aires de stationnement, ainsi que sur le lieu de ce premier péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés sont désignés par arrêté.

* 1 Elle a pérennisé les articles 23, 27, 28, 29, 30, 31 et 33. La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice avait déjà pérennisé l'article 32.

* 2 Ratifiée par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports.

* 3 Le projet de loi de ratification a été déposé à l'Assemblée nationale le 26 octobre 2005.

* 4 Dans sa décision du 5 août 1993 , le Conseil constitutionnel avait censuré la possibilité d'étendre cette distance à quarante kilomètres par arrêté interministériel. Il estimait que cette disposition n'était pas accompagnée de « justifications appropriées tirées d'impératifs constants et particuliers de la sécurité publique » par rapport aux atteintes portées à la liberté individuelle. Le législateur avait en outre méconnu sa compétence en déléguant au pouvoir réglementaire le soin de fixer l'extension de la zone de contrôle.

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