4. Les solutions préconisées par la Commission européenne
Pour résoudre les différentes difficultés énoncées ci-dessus, que la Commission juge contraire aux intérêts des consommateurs d'énergie et qui entravent la réalisation du marché intérieur, les deux propositions de directives du « paquet énergie » franchissent une étape supplémentaire par rapport aux deux directives en vigueur en proposant aux opérateurs énergétiques intégrés une alternative avec la séparation patrimoniale complète ( ownership unbundling - OU) de leurs actifs de transport ou la désignation d'un gestionnaire de réseau indépendant ( independant system operator - ISO), chargé d'assurer les fonctions de gestionnaire de réseau de transport (GRT). Ces deux options s'appliquent de la même manière aux opérateurs électriques et gaziers, la Commission européenne estimant qu'aucun argument convaincant ne justifie une différence de traitement entre ces deux secteurs.
a) La séparation patrimoniale
La séparation patrimoniale complète, qui constitue la solution que la Commission européenne préférerait voir mise en oeuvre dans tous les pays membres, obligerait les opérateurs intégrés à se séparer de leur filiale chargée du transport d'électricité ou de gaz. Dans ce schéma, les entreprises chargées d'activités de production ou de fourniture d'électricité ou de gaz ne seraient plus autorisées à exercer un contrôle ou un pouvoir direct ou indirect ou à détenir une quelconque participation dans un GRT. Ces incompatibilités concerneraient par conséquent la propriété d'une partie du capital, même minoritaire , ou d'éléments d'actifs, le pouvoir d'exercer des droits de vote, le pouvoir de désigner les membres du conseil de surveillance ou d'administration et le droit de recevoir des dividendes ou d'autres participations aux bénéfices. En revanche, comme le souligne la Commission dans l'exposé des motifs 23 ( * ) de ses propositions d'actes communautaires, un investisseur privé, comme un fonds de pension, aurait la possibilité de détenir une participation minoritaire sans contrôle à la fois dans un GRT et une entreprise de fourniture. En revanche, cet investisseur ne pourrait détenir de droits de blocage au sein des deux entreprises, ne pourrait désigner de membres de leurs conseils d'administration et ne pourrait être simultanément membre du conseil d'administration des deux entreprises.
A titre d'exemple, dans le cas d'une mise en oeuvre de ces dispositions en France, EDF serait tenue de vendre le capital de Réseau de Transport d'Electricité (RTE), dont elle possède aujourd'hui la totalité. De même, Gaz de France aurait l'obligation de céder ses actifs dans le domaine du transport de gaz naturel.
L'exigence de séparation concernerait tant les opérateurs de l'Union européenne que ceux des pays tiers. S'agissant des opérateurs de pays tiers , les propositions de directives prévoient des mesures permettant de garantir qu'ils ne pourront investir ou prendre le contrôle de réseaux au sein de l'Union européenne que s'ils respectent les mêmes exigences s'appliquant aux opérateurs communautaires. La Commission européenne aurait ainsi la possibilité d'intervenir, notamment en demandant à l'autorité de régulation nationale de retirer sa certification au GRT, lorsque l'acquéreur d'un réseau de transport ne serait pas en mesure de démontrer son indépendance vis-à-vis d'activités de production ou de fourniture. Enfin, les propositions de directives interdisent également que tout réseau de transport puisse être contrôlé par des entités physiques de pays-tiers ou des pays, sauf en cas d'accord bilatéral préalable entre ce pays et l'Union européenne .
Afin d'encourager les investissements dans de nouvelles infrastructures de la part des entreprises énergétiques, les propositions de directives offrent une possibilité de dérogation temporaire aux règles de dissociation de propriété pour la construction de nouveaux ouvrages (interconnexions gazières, interconnexions électriques en courant continu). Cette dérogation pourra être appliquée au cas par cas, à la lumière des aspects économiques de l'investissement, des objectifs du marché intérieur et de l'objectif de sécurité d'approvisionnement.
b) La désignation d'un gestionnaire de réseau indépendant
Pour les Etats qui ne souhaiteraient pas mettre en oeuvre cette solution, la Commission offre une solution de substitution avec le système ISO. Cette forme organisationnelle permet à l'entreprise intégrée de conserver la propriété des actifs du réseau de transport à condition que ceux-ci soient gérés par un GRT totalement indépendant de celle-là. Une réglementation et une surveillance adaptées doivent alors être définies pour garantir que le GRT demeure indépendant de l'entreprise intégrée. La Commission a également le pouvoir d'approuver la désignation par l'Etat membre du gestionnaire de réseau indépendant. Pour obtenir cette approbation, le gestionnaire indépendant doit notamment démontrer qu'il respecte les dispositions relatives à la séparation patrimoniale (interdiction d'exercer un contrôle direct ou indirect dans une entreprise chargée de la production ou de la fourniture etc...), qu'il a à sa disposition les ressources financières, techniques et humaines pour accomplir sa mission et qu'il s'engage à se conformer à un plan décennal de développement du réseau proposé par le régulateur.
c) La séparation juridique des opérateurs de stockage et l'accès aux installations de gaz naturel liquéfié
Enfin, pour renforcer la concurrence et la transparence sur le marché gazier, les propositions de la Commission tendent à renforcer les dispositions relatives à l'accès des tiers aux stockages de gaz et aux infrastructures méthanières. La proposition de directive oblige les entreprises gazières intégrées à séparer leurs installations de stockage en créant une filiale afin de lui conférer une indépendance juridique et fonctionnelle, à l'image des dispositions imposant aujourd'hui la séparation juridique des actifs de transport. Les dirigeants de la filiale chargée du stockage ne pourront désormais plus faire partie des structures de l'entreprise intégrée et des dispositions devront être prises pour leur permettre d'exercer leurs activités en toute indépendance, ce qui suppose qu'ils disposent de réels pouvoirs de décision. Enfin, les nouvelles dispositions proposées exigent des Etats membres la définition de critères conditionnant les modalités de l'accès des tiers aux stockages et renforcent le contrôle de la mise en oeuvre de ces obligations par les régulateurs.
Par ailleurs, compte tenu de la place croissante du GNL dans l'approvisionnement gazier de l'Union, les propositions de la Commission tendent à une clarification des règles relatives à l'accès aux terminaux méthaniers. A cet effet, il est proposé de définir des règles d'accès des tiers aux infrastructures méthanières, d'attribution des capacités et de gestion des congestions, tout en veillant à accroître la transparence des informations qui y sont relatives.
Les nouveaux stockages et terminaux méthaniers pourront, conformément au régime dérogatoire proposé par la directive, être exemptés de l'application des dispositions relatives respectivement à la séparation juridique ou à la régulation.
* 23 L'exposé des motifs est commun aux deux propositions de directives et aux trois propositions de règlement.