ARTICLE 10 ter (nouveau) - Non-déductibilité du bénéfice net de la fraction des indemnités de départ d'un dirigeant supérieure à un million d'euros
Commentaire : le présent article, introduit à l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Michel Bouvard, tend à plafonner à un million d'euros la déductibilité des indemnités de départ du bénéfice net d'une entreprise.
I. LE DROIT EXISTANT
A. LA DÉDUCTIBILITÉ SOUS CONDITIONS DES RÉMUNÉRATIONS DIRECTES ET INDIRECTES DU BÉNÉFICE DE L'ENTREPRISE
L'article 39 du code général des impôts, qui fixe la liste des dépenses considérées comme déductibles du bénéfice net, pose un principe général de déductibilité des dépenses de personnel et de main d'oeuvre , parmi lesquelles figurent, aux termes du 5 de cet article, « les rémunérations directes et indirectes, y compris les remboursements de frais versés aux personnes les mieux rémunérées 67 ( * ) ».
Cette déductibilité n'est toutefois pas sans limites dans la mesure où les rémunérations doivent être proportionnées et respecter l'intérêt de l'entreprise. Le 5 de l'article 39 précise ainsi que les dépenses, parmi lesquelles les rémunérations les plus élevées, « peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise ». Il précise également que lorsque ces rémunérations « augmentent dans une proportion supérieure à celle des bénéfices imposables ou que leur montant excède celui de ces bénéfices, l'administration peut demander à l'entreprise de justifier qu'elles sont nécessitées par sa gestion ».
De même, le 1° du 1 de l'article 39 précité prévoit que « les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais ».
Dans la pratique, l'appréciation du caractère excessif de la rémunération pose néanmoins des difficultés . L'administration procède généralement à des comparaisons avec des rémunérations versées aux dirigeants d'autres sociétés similaires par le secteur, la taille et le chiffre d'affaires. En cas de désaccord, les comparaisons et justifications peuvent être soumises à l'appréciation de la commission départementale des impôts.
B. L'EXONÉRATION PLAFONNÉE DES INDEMNITÉS DE LICENCIEMENT ET DE RÉVOCATION
L'article 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, complété par l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, a modifié l'article 80 duodecies du code général des impôts et accru les contraintes pesant sur la fiscalité personnelle et les cotisations sociales afférentes aux indemnités de licenciement comme à celles de révocation des dirigeants.
L'article 80 duodecies pose le principe général selon lequel toute indemnité versée à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail constitue une rémunération imposable . Par extension aux mandataires non salariés, constitue également une rémunération imposable toute indemnité versée, à l'occasion de la cessation de leurs fonctions, aux mandataires sociaux et dirigeants.
Ce principe est toutefois assorti de dérogations et de plafonds d'exonération , tenant en particulier compte de ce que les indemnités de licenciement sont traditionnellement considérées comme ayant la nature de dommages et intérêts destinés à compenser un préjudice , et ne sont donc en principe pas considérées comme des salaires imposables comme tels.
Ainsi les indemnités consécutives à un licenciement irrégulier (non-respect de la procédure ou absence de cause réelle et sérieuse), comme les indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, sont totalement exonérées . Hors plan social, est exonérée d'impôt sur le revenu et de cotisations de sécurité sociale la fraction des indemnités de licenciement qui n'excède pas le plus élevé des trois montants suivants :
- le montant prévu par la convention collective de branche, par l'accord professionnel et interprofessionnel ou, à défaut, par la loi ;
- ou la moitié du montant des indemnités de licenciement ;
- ou deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l'année civile précédant la rupture de son contrat de travail.
Toutefois, la fraction exonérée en application des deux dernières limites ne peut excéder six fois le plafond annuel de sécurité sociale en vigueur au moment du versement des indemnités , soit 186.408 euros pour les indemnités perçues en 2006 et 193.104 euros pour celles perçues en 2007. Ce plafond a été divisé par deux par rapport à celui qui prévalait jusqu'en 2006, égal à la moitié de la première tranche de l'impôt de solidarité sur la fortune 68 ( * ) , soit 375.000 euros pour les indemnités perçues en 2006.
C. LE NOUVEAU RÉGIME D'OCTROI DES « PARACHUTES DORÉS »
L'article 8 de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie du 27 juillet 2005 a notablement renforcé les obligations de transparence des sociétés cotées en soumettant au régime des conventions réglementées les éléments de rémunération versés à raison de ou postérieurement à la cessation des fonctions des dirigeants (président, directeurs généraux et directeurs généraux délégués), soit les retraites dites « chapeau », indemnités de départ et rémunérations différées communément dénommées « parachutes dorés ». L'application de ce régime implique une autorisation préalable du conseil d'administration ou de surveillance, l'information des commissaires aux comptes qui en attestent l'exactitude et la sincérité, et la soumission des conventions autorisées à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires.
L'article 17 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (« loi TEPA ») a ensuite introduit un dispositif d'encadrement de ces rémunérations différées.
Aux termes du nouvel article L. 225-42-1 du code de commerce, sont ainsi interdits « les éléments de rémunération, indemnités et avantages 69 ( * ) dont le bénéfice n'est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire , appréciées au regard de celles de la société dont il préside le conseil d'administration ou exerce la direction générale ou la direction générale déléguée ». Un dispositif analogue figure au nouvel article L. 225-90-1 pour les sociétés « dualistes » à directoire et conseil de surveillance.
Ce dispositif franchit donc une nouvelle étape en subordonnant la validité de ces rémunérations à des conditions de performance des dirigeants bénéficiaires, fixées a priori et qu'il revient ensuite au conseil d'administration ou de surveillance d'apprécier avant le versement. Les actionnaires disposent aussi d'un contrôle accru puisque l'assemblée générale se prononce par une résolution spécifique pour chaque bénéficiaire (notamment pour éviter les pratiques de « vote bloqué ») sur les rémunérations différées des mandataires sociaux.
Un nouveau point d'équilibre est ainsi atteint et la liberté d'organisation des entreprises est préservée puisque les critères de performance ne sont pas précisés dans la loi . La publicité de l'autorisation des parachutes, puis la nécessité d'en approuver à nouveau publiquement le versement, devraient cependant conduire les organes de direction à retenir des conditions de performance lisibles et justifiables, aux yeux des actionnaires comme pour le marché et, in fine , tant auprès des collaborateurs de chaque entreprise que pour l'opinion publique.
II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis de sagesse du gouvernement, un amendement dont notre collègue député Michel Bouvard était à l'initiative, tendant à insérer un 5 bis à l'article 39 du code général des impôts, précité, et prévoyant de n'admettre certaines rémunérations différées en déduction du bénéfice net que « dans la limite d'un million d'euros ». Ces rémunérations sont celles visées aux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du code de commerce, c'est-à-dire les « parachutes dorés » (cf. supra ) octroyés aux dirigeants d'une société à conseil d'administration ou à directoire.
Cet amendement est proche de celui qui avait été déjà déposé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2005, puis du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat en juillet 2007. L'amendement avait alors été adopté par l'Assemblée nationale, puis sa suppression par le Sénat avait été confirmée par la commission mixte paritaire. Sa rédaction est toutefois plus précise et il diffère du dispositif antérieurement proposé en ce qu'il ne prévoit plus la non-déductibilité de la totalité de la rémunération octroyée , mais de la seule fraction excédant un million d'euros.
Notre collègue député Didier Migaud, président de la commission des finances, a présenté ce dispositif comme une mesure d' « équité élémentaire » dans la continuité de la condition de proportionnalité au regard du service rendu, prévue par le 1° du 1 de l'article 39 du code général des impôts. Notre collègue député Michel Bouvard a estimé que le dispositif d'encadrement adopté dans la « loi TEPA » était incomplet et qu'il s'agissait de « mettre en place un dispositif général, de le rendre plus coûteux au-delà d'une certaine somme, de manière qu'il y ait une prise de conscience des dirigeants de l'entreprise, des actionnaires au moment où ce type d'avantage est octroyé à celui qui entre dans l'entreprise ou à celui qui la quitte ».
Compte tenu du montant envisagé, cette disposition aurait vocation à s'appliquer aux licenciements ou départs de dirigeants de grandes sociétés assujetties à l'impôt sur les sociétés 70 ( * ) et dont le marché des rémunérations se situe à des niveaux élevés.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
En dépit des légitimes considérations d'éthique qui ont été avancées pour justifier l'adoption du présent article, votre rapporteur général continue de penser, pour les mêmes raisons que celles exposées lors de l'examen du projet de loi « TEPA », que cette disposition est surpénalisante, économiquement peu pertinente et contrevient à la liberté de gestion des entreprises, et doit donc être supprimée .
Cette mesure contrevient, en effet, au principe général de déductibilité des charges de personnel et ne tient pas suffisamment compte de l'introduction, par l'article 17 de la loi « TEPA », de critères de performance du dirigeant dans l'attribution des éléments de rémunération différée. Or ce nouveau dispositif a justement pour objet légitime de restaurer le caractère proportionné de l'indemnité au risque pris , au « mérite », aux résultats du dirigeant, à la contribution de ce dernier au succès ou au redressement effectif de la société. Dès lors que ces indemnités sont versées selon des modalités conformes à la loi et sont exposées dans l'intérêt de l'entreprise, il n'y a aucun motif justifiant qu'elles soient exclues des charges déductibles.
La fixation d'un seuil d'un million d'euros comporterait dans ces conditions une part d'arbitraire , sans considération de la situation spécifique du dirigeant ni de l'environnement concurrentiel de l'entreprise. Ce n'est pas tant le montant de l'indemnité de départ qui importe que les conditions de son octroi : une telle indemnité, supérieure à un million d'euros, peut être justifiée si elle vient récompenser une performance et un engagement manifestes du dirigeant. Le conseil d'administration ou de surveillance de l'entreprise, sous le contrôle des actionnaires, est libre de fixer le niveau de rémunération qu'il estime adéquat pour ses dirigeants, comme d'ailleurs pour l'ensemble des salariés.
Sur le plan juridique, il a été exposé supra que l'administration fiscale dispose d'un pouvoir d'appréciation et de redressement du caractère excessif d'une rémunération directe ou indirecte, conformément au principe fiscal de conformité à la « gestion normale » et à l'intérêt d'une entreprise, et que l'exonération plafonnée des indemnités de licenciement est justifiée par la réparation d'un préjudice. Le juge peut également être appelé à se prononcer sur une indemnité excessive qui serait constitutive d'un acte anormal de gestion , ainsi qu'il a été récemment statué dans un arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux 71 ( * ) .
Les exonérations fiscales et sociales des bénéficiaires de ces indemnités n'en sont pas moins plus sévèrement encadrées et désormais soumises à un plafond d'exonération largement inférieur au plafond de déductibilité envisagé par le présent article.
Votre rapporteur général considère qu'une telle non-déductibilité jouerait en défaveur de la compétitivité des sociétés françaises , en particulier dans le recrutement des personnels à haute valeur ajoutée. Les indemnités de départ et de licenciement sont intégralement déductibles dans les principaux pays européens (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni), et dans le secteur financier, cette mesure aurait un impact non négligeable sur le coût et donc la localisation des compétences, dont on sait l'importance pour l'emploi et le dynamisme de notre économie.
Enfin on ne peut nier que le marché du recrutement des cadres dirigeants est hautement concurrentiel et procède d'une logique inverse du recrutement d'autres catégories de personnels. Lorsqu'une société recherche un cadre très performant et expérimenté, le pouvoir de négociation est plutôt entre les mains de ce dernier, qui est logiquement conduit à comparer les offres et niveaux de rémunération qui lui sont soumis.
Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.
* 67 Ces personnes « s'entendent, suivant que l'effectif du personnel excède ou non 200 salariés, des dix ou des cinq personnes dont les rémunérations directes ou indirectes ont été les plus importantes au cours de l'exercice ».
* 68 Votre rapporteur général rappelle qu'à l'occasion de l'examen de l'article 2 bis du projet de loi de finances pour 2000 (qui a introduit l'article 80 duodecies précité), qui s'inscrivait dans un contexte fortement troublé par le montant des indemnités et stock options accordées à un dirigeant d'une grande entreprise, il avait présenté un amendement (non adopté) tendant à supprimer le seuil rétroactif de 2,35 millions de francs prévu (soit la moitié de la première tranche de l'impôt de solidarité sur la fortune) pour aligner le régime des dirigeants et mandataires sociaux sur celui des salariés , soit une imposition au-delà de deux années de salaire brut ou à concurrence de la moitié de la somme perçue, selon le montant le plus élevé. Il avait également rappelé que la fraction non imposée à l'impôt sur le revenu le serait de toute manière au plan patrimonial au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune.
* 69 Cette formulation fait référence aux « éléments de rémunération, indemnités ou avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de [ces] fonctions, ou postérieurement à celles-ci » mentionnés au premier alinéa du même article.
* 70 Dans les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu, ces indemnités sont imposées au nom de leurs bénéficiaires comme un supplément de bénéfices, en application de la transparence fiscale.
* 71 Dans un arrêt du 15 février 2007, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a ainsi refusé la déduction d'une prime de licenciement au motif que la charge en cause était constitutive d'un acte anormal de gestion , dans la mesure où la société n'avait pu démontrer qu'elle était engagée dans son intérêt.