Rapport n° 146 (2005-2006) de M. Gérard ROUJAS , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 21 décembre 2005
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INTRODUCTION
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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PROJET DE LOI
N° 146
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 décembre 2005 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières ,
Par M. Gérard ROUJAS,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet. |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 2626 , 2711 et T.A. 517
Sénat : 127 (2005-2006)
Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
L'Assemblée nationale a adopté, le 13 décembre dernier, le présent projet de loi autorisant l'approbation de l'accord fait à Paris, le 10 décembre 2004, entre la France et la Russie, et relatif à certaines questions immobilières.
Cet intitulé peu explicite renvoie à un dossier dont le Parlement a déjà eu à connaître, il y a trois ans : celui du règlement définitif de la question des légations baltes à Paris.
Le Sénat avait en effet adopté, le 4 mars 2003, trois projets de loi autorisant l'approbation d'accords entre la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie relatifs au statut des immeubles de leur légation respective à Paris.
Par ces accords, la France est devenue propriétaire des trois anciennes ambassades des pays baltes à Paris, occupées par les services diplomatiques soviétiques puis russes, depuis 1944. L'accord franco-russe du 10 décembre 2004 constitue le second volet du règlement global de ce contentieux. Il prévoit le transfert, par la France à la Russie, des titres de propriété des immeubles concernés.
Votre rapporteur effectuera un bref historique du contentieux des légations baltes à Paris avant de présenter le schéma de règlement mis en oeuvre par la France et l'accord du 10 décembre 2004.
I. LE DIFFÉREND RELATIF AUX IMMEUBLES DES AMBASSADES BALTES À PARIS
A. DES IMMEUBLES UTILISÉS DEPUIS PLUSIEURS DÉCENNIES PAR LES SERVICES DIPLOMATIQUES SOVIÉTIQUES PUIS RUSSES
Devenus indépendants au lendemain de la première guerre mondiale, les trois Etats baltes ouvrirent dans les années suivantes des ambassades à Paris.
La Lituanie a acheté en juillet 1925 l'Hôtel Fournier, sis 14, place Malesherbes, devenu depuis lors place du Général Catroux, dans le 17 ème arrondissement. Le contrat d'acquisition, pour un montant de 1,5 million de francs de l'époque, avait été dûment inscrit à la conservation des hypothèques de Paris. La Lituanie avait payé l'intégralité du prix en quatre versements, le dernier ayant été effectué en 1928.
La Lettonie fit pour sa part l'acquisition en 1927 d'un immeuble situé 8, rue de Prony, dans le 17 ème arrondissement.
Quant à l' Estonie , elle acheta en janvier 1936 pour 1 million de francs intégralement payés lors de la signature du contrat, un immeuble situé 4, rue du Général Appert, dans le 16 ème arrondissement, immeuble sur lequel elle engagea en 1937 d'importants travaux de reconstruction et de rénovation.
La première indépendance des États baltes fut de courte durée puisque les trois pays furent envahis en juin 1940 par les troupes soviétiques. En effet, les protocoles secrets du traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique du 23 août 1939 (pacte Molotov-Ribbentrop) et du traité germano-soviétique de délimitation et d'amitié du 28 septembre 1939 prévoyaient le partage des territoires situés entre les deux pays et attribuèrent les pays baltes à la zone d'influence soviétique. Les trois pays baltes, érigés en républiques soviétiques, furent incorporés à l'URSS dès l'été 1940.
Bien que la France n'ait pas reconnu cette annexion, les clefs des trois ambassades baltes à Paris furent remises en août 1940, sur demande du gouvernement de Vichy, à la préfecture de police qui les transmit à l'ambassade d'URSS.
En juin 1941, lors du déclenchement de l'offensive allemande contre l'Union soviétique, les trois immeubles furent réquisitionnés par l'Ambassade d'Allemagne.
A la Libération, en septembre 1944, l'ambassade d'URSS obtint des nouvelles autorités françaises de pouvoir réintégrer les trois immeubles qu'elle avait temporairement occupés en 1940-1941. L'année suivante, après la défaite allemande, les trois pays baltes furent réintégrés de force à l'URSS.
Depuis lors, les trois immeubles parisiens n'ont cessé d'être utilisés par les services diplomatiques soviétiques puis russes .
B. LES DÉMARCHES INFRUCTUEUSES DES ÉTATS BALTES
Ayant recouvré leur indépendance (en 1990 pour la Lituanie et en 1991 pour l'Estonie et la Lettonie), les trois États baltes ont immédiatement engagé des démarches auprès de la Russie pour obtenir la restitution de leurs immeubles à Paris .
La Russie a pour sa part invoqué divers arguments pour ne pas accéder favorablement à ces demandes.
S'agissant de l' ancienne légation d'Estonie , elle a fait valoir que la ville de Paris avait délivré à l'ambassade d'URSS un permis de démolir en 1978, puis un permis de construire en 1979, en vue de l'édification d'un nouvel immeuble qui abrite désormais des logements pour les personnels de la délégation commerciale russe. Ces permis de démolir et de construire sont cependant sans effet sur la propriété du sol. L'État estonien a pour sa part engagé une procédure judiciaire mais le tribunal s'est déclaré incompétent en invoquant l'immunité de juridiction dont bénéficiait l'immeuble.
En ce qui concerne l'immeuble de l' ancienne légation de Lettonie , qui abrite actuellement la mission permanente russe auprès de l'UNESCO et les archives du Consulat, il apparaît que l'URSS était parvenue à le faire inscrire comme sa propriété sur le cadastre de Paris. Cependant, la vente de cet immeuble a été empêchée à plusieurs reprises, les autorités soviétiques puis russes n'ayant pu produire des documents prouvant leur droit de propriété.
Enfin, l' ancienne légation de Lituanie abrite le centre d'information de l'Agence de presse Ria-Novosty. Saisie par l'État lituanien, la Cour d'appel de Paris, en 1994, s'est déclarée incompétente pour statuer sur le litige car un diplomate russe qui bénéficiait de l'immunité diplomatique avait la responsabilité du bureau situé dans l'immeuble.
Face à ce différend, la France a réaffirmé à plusieurs reprises que d'un point de vue juridique, la situation était claire, les pays baltes n'ayant jamais cessé d'être propriétaires de leur immeuble respectif, comme en témoignent les mentions figurant au registre des hypothèques.
Elle a également agi en faveur du règlement de ce différend, en intervenant régulièrement auprès de la Russie d'une part, et en permettant l' installation provisoire des nouvelles ambassades baltes à Paris dans des locaux dont elle a pris en charge, depuis 1991, le loyer et les charges locatives.
Les trois ambassades baltes ont ainsi pu fonctionner dans un immeuble situé 14, boulevard Montmartre, dans le 9 ème arrondissement.
En 1997, la Lettonie a installé son ambassade dans un immeuble acquis 6, villa Saïd, dans le 16 ème arrondissement, dont elle assure depuis lors la charge. Il en va de même, depuis 1999, de l'Estonie, dont l'ambassade est installée 46, rue Pierre Charon, dans le 8 ème arrondissement. La Lituanie est la dernière à avoir quitté les locaux loués par la France et son ambassade est désormais située 22, boulevard de Courcelles dans le 17 ème arrondissement.
Toutefois, les solutions mises en oeuvre pour l'installation provisoire n'étaient en rien alternatives au règlement juridique du dossier.
Face au blocage persistant de la situation, les autorités françaises ont pris l'initiative de proposer un schéma global de règlement dont l'accord franco-russe aujourd'hui soumis au Parlement constitue le dernier volet.
II. UN CONTENTIEUX DÉSORMAIS RÉSOLU
Bien que n'étant pas directement partie à ce différend, comme elle a constamment pris le soin de le rappeler, la France a souhaité contribuer activement à la recherche d'une solution pour résoudre ce dossier qui, de facto, pesait sur ses relations avec les trois Etats baltes, destinés à entrer dans l'Union européenne à partir de 2004.
La proposition française « d'opération triangulaire » , mise au point en concertation avec la Russie et les trois pays baltes en avril 2001, a été inspirée du précédent suisse (achat par Berne à la Lettonie en 1994 du titre de propriété de son ancienne légation auprès de la SDN à Genève, occupée par la Russie, puis échange de ce titre de propriété avec la Russie contre celui de la résidence helvétique à Moscou).
Sur ce modèle, la France s'est engagée à acquérir les immeubles des trois légations baltes à Paris , puis à en transférer la propriété à la Russie, moyennant une contrepartie financière à la charge de cette dernière.
A. LE SCHÉMA DE RÈGLEMENT « TRIANGULAIRE » INITIÉ PAR LA FRANCE
Le Parlement a autorisé le 4 mars 2003 la ratification de trois accords pratiquement identiques signés simultanément à Paris le 13 décembre 2001 entre la France et la Lettonie, la France et la Lituanie et la France et l'Estonie.
Par ces accords, la France a acquis auprès des trois Etats baltes la propriété des immeubles ayant abrité, durant l'entre deux guerres, leur légation respective. Le montant de ces acquisitions, fixé par chacun des accords, s'élève à :
- 3 963 674 euros pour l'immeuble de la légation de Lettonie,
- 3 506 327 euros pour celui de la légation de Lituanie,
- 3 917 939 euros pour celui de la légation d'Estonie.
Ce montant a été établi en déduisant de la valeur des immeubles, évaluée par les services fiscaux, les loyers versés par la France pour l'installation provisoire des ambassades des pays baltes à Paris depuis 1991. Il tient compte également de certaines demandes spécifiques et du préjudice subi depuis la seconde guerre mondiale.
S'agissant de la compensation financière attendue de la Russie , en application du schéma « triangulaire » proposé au printemps 2001, la France avait souhaité, dans un premier temps, pouvoir échanger les titres de propriété des légations baltes contre un titre de propriété équivalent, en l'occurrence la résidence de notre ambassadeur à Moscou, la maison Igoumnov. La partie russe s'est montrée très réservée sur cette solution, invoquant l'appartenance de cette résidence au patrimoine national russe, ce qui ne permet pas d'envisager sa cession. Elle s'est également efforcée de lier cette question à d'autres dossiers de nature immobilière ou fiscale concernant les immeubles de ses services diplomatiques en France.
Les négociations se sont finalement orientées vers l'octroi à la France, par la Russie, d'un avantage financier prenant la forme :
- d'une réduction de loyers sur la résidence de l'ambassadeur de France à Moscou,
- et, éventuellement, de la prise en charge de travaux au sein de cette même résidence.
L'accord du 10 décembre 2004 consacre l'aboutissement de ces longues négociations.
B. L'ACCORD DU 10 DÉCEMBRE 2004
La conclusion définitive de l'accord entre la France et la Russie est intervenue le 10 décembre 2004, soit un an et demi après que les trois accords conclus avec les pays baltes aient été approuvés par le Parlement français.
Votre commission constate toutefois que les termes de cet accord franco-russe sont bien conformes aux précisions qui lui avaient alors été fournies par le Gouvernement.
L'article 1 er de l'accord du 10 décembre 2004 stipule que la France s'engage à transférer à la Russie les titres de propriété des trois immeubles concernés . Elle prend à sa charge les procédures d'enregistrement et de publication de ces titres en France, ainsi que les frais s'y rapportant.
L'article 2 prévoit qu'à compter du transfert de titres de propriété, la Russie garantira à la France pour une période de dix ans, de nouvelles conditions de location de la résidence de l'ambassadeur de France à Moscou .
Un échange de notes annexé à l'accord précise les deux particularités du nouveau bail qui sera conclu entre les deux pays :
- d'une part, la Russie effectuera dans la résidence des travaux pour un montant de 2 millions d'euros hors taxes ;
- d'autre part, elle accordera durant dix ans une réduction substantielle du loyer . Ce loyer passera de 621.355 à 170.000 dollars par an, soit, sur dix ans, une diminution d'environ 4,5 millions de dollar.
Le taux de change dollar/euro a été fixé conventionnellement, après de longues discussions, à 1,12 dollar pour 1 euro. L'économie pour la France sera donc, sur ces loyers, de 4 millions d'euros.
Au total, la Russie accorde sur 10 ans à la France un avantage de 6 millions d'euros qui représente environ la moitié de l'effort financier déjà effectué par la France en faveur des pays baltes.
CONCLUSION
L'accord franco-russe du 10 décembre 2004 permettra de refermer définitivement un dossier qui a émaillé les relations de la France avec les pays baltes et la Russie depuis une dizaine d'années.
Au total, l'opération se soldera donc par une indemnisation totale des Etats baltes, supportée à part quasiment égale par la France et la Russie.
Ce résultat témoigne de l'évolution de la position française, qui s'est orientée vers un engagement plus fort, sur le plan politique et financier, compte tenu de l'enjeu diplomatique d'un règlement définitif d'un dossier pesant fortement sur nos relations avec les Etats baltes.
Il est toujours possible de regretter que la Russie n'ait pas supporté l'intégralité des conséquences financières du règlement de ce contentieux. Mais il est probable que sans les concessions faites par la France, le dossier serait resté en l'état pour plusieurs années encore. Tout autant que la Russie, la France avait intérêt à le clore. Par ailleurs, notre pays n'est pas exempt de toute responsabilité dans le fait que la Russie s'estime légitime propriétaire des immeubles contestés.
Pour ces raisons, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande d'adopter le présent projet de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du 21 décembre 2005.
A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Josselin de Rohan a demandé des précisions sur les incidences de l'accord sur les conditions d'installation de notre ambassade à Moscou.
M. Gérard Roujas, rapporteur, a précisé que l'accord concernait uniquement la résidence de l'Ambassadeur de France à Moscou, et non les locaux de la chancellerie diplomatique. Il a ajouté que la période de dix ans mentionnée dans l'accord est celle durant laquelle sera appliquée la réduction de loyer, la location de la résidence étant cependant appelée à se poursuivre au-delà de ces dix ans.
M. Didier Boulaud, M. André Dulait et Mme Monique Cerisier-ben Guiga ont ensuite effectué des remarques plus générales sur la gestion par le ministère des affaires étrangères de son patrimoine immobilier à l'étranger.
M. Serge Vinçon, président, a indiqué que la commission pourrait entendre sur ce sujet le secrétaire général du ministère.
La commission a ensuite adopté le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières.
PROJET DE LOI
(texte adopté par l'Assemblée nationale)
Article unique 1 ( * )
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières, signé à Paris le 10 décembre 2004 et dont le texte est annexé à la présente loi.
* 1 Voir le texte annexé au document Assemblée nationale n° 2626 (XIIè législature)