EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une séance tenue dans l'après-midi du 20 octobre 2004, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a examiné les crédits des affaires européennes (article 43), sur le rapport de M. Denis Badré, rapporteur spécial.

M. Denis Badré, rapporteur spécial , a en premier lieu indiqué qu'avec 16,57 milliards d'euros, l'estimation du prélèvement sur recettes au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes pour 2005, prévue par l'article 43 du projet de loi de finances, était quasiment stable par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2004, mais que le prélèvement sur recettes pour 2005 se révélait toutefois en augmentation de 8 % par rapport à la prévision d'exécution pour 2004, qui, contrairement à l'exercice 2003, conduirait à une surestimation de près d'un milliard d'euros du montant inscrit en loi de finances initiale pour 2004. Il a rappelé, à cet égard, qu'il était difficile d'obtenir une prévision fiable du prélèvement sur recettes, car les facteurs susceptibles d'influer sur l'exécution étaient nombreux, à l'image de la réévaluation de la correction britannique intervenue cette année.

Puis évoquant le principe du prélèvement au sein du processus de décision budgétaire européen, il a précisé que l'article 6 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) avait permis d'asseoir les fondements juridiques du prélèvement sur recettes au profit de deux bénéficiaires exclusifs, les collectivités territoriales et l'Union européenne, après que la jurisprudence du Conseil constitutionnel eut admis une pratique qui n'était originellement prévue ni par l'ordonnance organique de 1959, ni par le règlement de comptabilité publique de 1962. Il a toutefois regretté, ainsi qu'il l'avait déjà indiqué lors du séminaire de travail de la commission des finances organisé le 14 octobre 2004, que la nouvelle nomenclature budgétaire ne fasse pas apparaître plus clairement l'action européenne du gouvernement, par la création d'un programme transversal dédié à la participation de la France à la construction européenne. Il a relevé que la nouvelle nomenclature prévoyait, certes, deux actions, au sein des missions « Action extérieure de la France » et « Direction de l'action du gouvernement », dont le libellé traduisait cette dimension européenne, mais dont les crédits ne détenaient manifestement pas la taille critique pour constituer un programme. Il a cependant considéré qu'à terme, l'implication probablement croissante du budget de l'Etat dans des projets européens, par exemple à travers des cofinancements pour les réseaux européens de transport ou les missions du ministère de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales au titre de la politique agricole commune (PAC), pourrait conduire à évoquer, à nouveau, la question de la création d'un tel programme budgétaire.

M. Denis Badré, rapporteur spécial , a considéré que le système actuel de financement du budget européen était sécurisant, du fait de l'ajustement automatique des recettes aux dépenses, mais que le vote des recettes et des dépenses, respectivement par les Parlements nationaux et le Parlement européen, traduisait une dichotomie déresponsabilisante et non conforme aux principes fondamentaux de la démocratie, au premier rang desquels le consentement à l'impôt. Il a ajouté que ce financement était indolore pour le citoyen, qui se sentait dès lors peu concerné par les enjeux budgétaires européens, et que la part aujourd'hui très minoritaire des ressources propres tendait à exacerber la logique des « retours nets ». Ce constat justifiait selon lui que l'on s'interroge sur l'opportunité de la mise en place d'un impôt européen, qui était susceptible de renforcer la citoyenneté européenne mais présentait encore de nombreux obstacles techniques et politiques. Un futur mode de financement pourrait, selon lui, consister en une cotisation des Etats membres consacrée au fonctionnement de l'Union et de ses politiques traditionnelles, et en un impôt affecté à un bien public ou une compétence communautaire spécifique. Il a indiqué qu'un tel impôt aurait nécessairement vocation à se substituer à un impôt national, conformément à une nouvelle répartition des compétences entre les niveaux institutionnels.

Abordant les caractéristiques du budget européen pour 2005, il a indiqué que le Conseil Ecofin s'était attaché, selon son habitude, à tempérer les ambitions budgétaires de la Commission européenne en appliquant certains principes tels que la restauration de marges sous plafond pour chaque rubrique, le non-recours à l'instrument de flexibilité et une meilleure prise en compte du niveau d'exécution des crédits de l'exercice précédent. Le projet de budget du Conseil affichait ainsi une hausse encore importante des crédits d'engagement de 4,1 % et de 5,4 % des crédits de paiement par rapport au budget 2004, alors que l'avant-projet de budget de la Commission européenne se traduisait par des augmentations respectives de 5,2 % et 9,8 %.

M. Denis Badré, rapporteur spécial , a ensuite observé que l'exécution des crédits européens avait progressé, en particulier sur les politiques agricole et régionale, mais demeurait perfectible. Les dépenses extérieures et de pré-adhésion faisaient ainsi toujours figure de « parent pauvre » de la consommation des crédits européens.

Il a précisé que la France était en 2003 le second contributeur et le second bénéficiaire en volume du budget européen, et le septième contributeur net en part du produit national brut (PNB). Il a rappelé que la correction britannique, dont la révision des modalités lors du conseil de Berlin de 1999 avait été très préjudiciable à la France, pesait lourd dans la contribution de notre pays, puisque celui-ci en finançait près de 28 %, soit un montant prévisionnel de 1,42 milliard d'euros en 2005.

En ce qui concernait l'avenir du budget européen, et plus précisément les perspectives financières de la période 2007-2013, il a appelé l'attention de la commission sur la constitution par la commission des budgets du Parlement européen d'un groupe de travail associant parlementaires nationaux et européens, auquel le Sénat pourrait opportunément participer.

M. Denis Badré, rapporteur spécial , a estimé que l'évolution du périmètre de l'Union européenne au fil des élargissements successifs devait s'accompagner d'une nécessaire évolution de ses compétences. Il a rappelé que l'élargissement réalisé en 2004 comportait des avantages macro-économiques et un retour sur investissement pour l'ensemble de l'Union, et que son coût net pour les quinze anciens Etats membres, modéré au cours de la période 2004-2006, pourrait quintupler en 2010. Il a également évoqué le « dumping fiscal » des nouveaux Etats membres, qui selon lui, en dépit du précédent isolé de l'Irlande, n'allait pas dans le sens de la convergence, n'était pas cohérent avec l'octroi de fonds structurels abondants, et faisait encourir aux nouveaux Etats membres le risque d'un accroissement du déficit budgétaire, et partant, d'un recul de leurs perspectives d'entrée dans la zone euro.

Evoquant un amendement que certains députés entendaient déposer afin de réduire la contribution française au prorata de la part que représentaient les crédits de pré-adhésion de la Turquie dans le budget européen, il a considéré qu'une telle initiative n'était pas opportune, dans la mesure où le budget pour 2005 se plaçait dans la continuité de perspectives financières fixées en 2000. Il a, en revanche, estimé qu'un débat clair et transparent devait se porter sur le prochain cadre financier pluriannuel, dans lequel les crédits de pré-adhésion versés à la Turquie devraient pouvoir, le cas échéant, être considérés comme des crédits de partenariat.

Il a enfin abordé les mutations des deux principales politiques communautaires, la PAC et la politique régionale, qui représentaient près de 85 % des dépenses opérationnelles réparties. Il a souligné le fait que la PAC devait être considérée comme un succès non pas uniquement pour les seuls agriculteurs français, mais bien pour l'ensemble des consommateurs européens, dans la mesure où elle avait garanti l'autosuffisance alimentaire, ainsi que la variété et la qualité des produits. Il importait néanmoins, selon lui, d'assigner à la PAC des objectifs plus conformes aux aspirations réelles des citoyens. Il convenait également de réexaminer la vocation réelle des fonds structurels, selon qu'ils devaient réduire les inégalités économiques entre Etats ou entre régions.

Il a conclu en rappelant que l'année 2005 serait décisive pour approfondir les grands thèmes budgétaires et politiques de l'Union européenne, et a dès lors recommandé le vote du prélèvement sur recettes afin de ne pas ouvrir une crise de façon prématurée.

Un débat s'est alors engagé.

M. Jean Arthuis, président , a déploré que les Parlements nationaux ne disposent au fond d'aucune marge de manoeuvre pour amender l'évaluation de la contribution de leur pays au budget européen.

M. Bernard Angels a déclaré partager la conviction européenne de M. Denis Badré et apprécier son travail. Il a néanmoins considéré que la situation était aujourd'hui critique, bien qu'il fut difficile de voter contre l'adoption de l'article d'évaluation du prélèvement. Il a exprimé son regret que le Conseil Ecofin ait réduit à 0,99 % du revenu national brut de l'Union, au lieu de 1,03 % dans l'avant-projet de la Commission européenne, le montant des crédits de paiement du budget européen, et a considéré que la faiblesse des crédits budgétaires dans une Europe élargie était aujourd'hui « dramatique » et non conforme aux ambitions affirmées par les responsables de gouvernement. Il a dès lors constaté que les ministres du Conseil Ecofin n'avait fait que voter le contraire de ce que souhaitaient les Etats, et a fait part de sa déception sur la manière dont étaient traités dans le budget les engagements politiques européens. Estimant que ce budget européen sous-dimensionné contribuait à ce que les Etats se « tirent une balle dans le pied » au nom des engagements macro-économiques pris à Maastricht, il s'est déclaré très pessimiste pour l'avenir de l'Union européenne.

M. Jean Arthuis, président , a approuvé le vote du Conseil Ecofin, qui se montrait, selon lui, cohérent avec la volonté de maîtrise des déficits publics affichée par les différents Etats membres. Il a estimé que le caractère essentiellement redistributif du budget européen constituait une caractéristique étrange et conduisait à n'examiner le bénéfice du budget européen qu'à la hauteur du solde des contributions et des retours.

M. Aymeri de Montesquiou a dit apprécier la sincérité de M. Bernard Angels, et a contesté la perception consistant à ne se focaliser que sur le solde, dans la mesure où l'utilisation des crédits européens ne répondait pas aux mêmes objectifs ni modalités que celle qu'en feraient les Etats membres eux-mêmes. Le fonctionnement du budget européen ne saurait donc, selon lui, être assimilé à une simple juxtaposition de politiques nationales. Il a, en outre, souhaité connaître les critères de détermination du solde net des Etats membres et de leur contribution assise sur le PNB.

M. Jacques Baudot a enfin exprimé son inquiétude sur les projections relatives au coût d'un élargissement à la Turquie.

En réponse, M. Denis Badré, rapporteur spécial , a rappelé qu'il importait de ne pas s'opposer à l'adoption du prélèvement européen dans un contexte caractérisé par la définition des prochaines perspectives financières et le débat sur la Constitution européenne. Il a souligné que le budget européen pour 2005 se situait dans la continuité des engagements pris lors de l'adoption des perspectives financières pour la période 2000-2006, aussi les propositions devraient-elles davantage se concentrer sur le niveau des crédits qui serait prochainement fixé pour la période de programmation 2007-2013. Il a néanmoins ajouté que les enjeux financiers et comptables et les discussions sur le plafond des dépenses devraient surtout être précédés d'une réflexion sur la nécessaire clarification des compétences de l'Union.

Il a également tenu à relativiser la relation établie entre le montant du prélèvement sur recettes et celui du déficit budgétaire de la France, en rappelant que cette contribution au budget européen ne représentait que le tiers de l'important déficit de l'Etat. Il a ajouté qu'il existait au moins deux méthodes de calcul du solde net des Etats membres, et que la ressource assise sur le PNB constituait la recette d'équilibre du budget, obtenue par l'application d'un taux fixé au cours de la procédure budgétaire à une assiette constituée du PNB de la Communauté, et dont le financement était réparti entre les Etats membres au prorata de leur part dans le PNB communautaire. Il a enfin considéré qu'il était préférable de disjoindre le débat sur l'adhésion de la Turquie des seuls enjeux budgétaires.

La commission a alors adopté l'article 43 sans modification.

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