B. DES DONNÉES À INTERPRÉTER AVEC PRÉCAUTION
Ces chiffres révèlent une tendance, mais doivent être interprétés avec prudence. En effet, plusieurs facteurs rendent imparfaite notre connaissance des risques professionnels. Ils tiennent à certaines lacunes de notre système d'information statistique, ainsi qu'aux phénomènes connus de « sous-déclaration » et de « sous-reconnaissance » des maladies professionnelles et des accidents du travail.
1. Les faiblesses de l'information statistique
Si le régime général et le régime agricole collectent des données statistiques relativement fiables, il n'en va pas de même des autres régimes, notamment de ceux de la fonction publique et des grandes entreprises nationales. Il est difficile, dans ces conditions, d'appréhender les risques professionnels dans leur ensemble.
2. Le phénomène de « sous-déclaration »
Les accidents du travail doivent être déclarés par l'employeur à la caisse de sécurité sociale compétente tandis que les maladies professionnelles doivent être déclarées par la victime.
De multiples phénomènes, analysés par la Cour des comptes dans son rapport public particulier de septembre 2002, alimentent une tendance à la « sous-déclaration » des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Extrait du rapport public particulier de la Cour
des comptes
sur la gestion du risque accidents du travail et maladies
professionnelles
« La question de la sous-déclaration est évoquée de longue date. Elle concerne à la fois les accidents du travail et les maladies professionnelles. Les facteurs de sous-déclaration cités par divers rapports et études sont multiples. Une grande partie de la sous-déclaration viendrait d'une méconnaissance de l'origine potentiellement professionnelle des affections, par les salariés mais aussi par le système médical, y compris beaucoup de médecins traitants. Certains chercheurs considèrent pour leur part que l'objectif « zéro accident », assorti de primes, que se sont fixé certaines entreprises aurait un effet pervers, en incitant les salariés à ne pas faire déclarer les accidents par l'employeur et en provoquant des pressions en ce sens de la part de leurs collègues de travail. Selon eux, ce phénomène serait un facteur explicatif décisif de la contradiction entre la baisse du taux de fréquence et la croissance du nombre de jours d'arrêt par accident, les salariés ne déclarant plus les accidents qu'au-delà d'une certaine gravité.
« D'autres ouvrages et articles mettent en avant de manière plus générale les pressions qui seraient exercées par beaucoup d'employeurs, notamment dans le but d'éviter l'imputation à leur charge des dépenses consécutives aux accidents. Selon certains, la règle selon laquelle c'est l'employeur qui doit effectuer la déclaration, peut être considérée comme lui donnant une forme de pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de déclarer ou non un accident de travail, même si tels ne sont ni la lettre ni l'esprit de la loi. Le salarié peut aussi craindre, s'il pousse à déclarer l'accident, de paraître mettre lui-même l'accent sur la gravité de celui-ci, sur les séquelles qu'il pourra en conserver, et de nuire ainsi à l'appréciation qui pourra être portée sur ses aptitudes s'il souhaite une promotion. Le fait que, lorsque l'accident n'est pas suffisamment grave pour entraîner l'attribution d'une rente, le salarié n'a souvent pas d'avantage à ce qu'il soit déclaré comme accident du travail, le fait que l'indemnisation par l'assurance AT-MP soit en certains cas moins favorable que l'indemnisation de droit commun (...) peuvent également jouer dans le sens de la sous-déclaration.
« (...) Outre cette sous-déclaration, dont l'ampleur exacte et même l'ordre de grandeur demeurent inconnus mais dont l'existence est recoupée par les études épidémiologiques, deux autres phénomènes faussent la connaissance du nombre et de l'évolution des maladies professionnelles. Le premier est le retard dans l'adoption ou la modification des tableaux de maladies professionnelles, lié notamment aux difficultés de fonctionnement du conseil supérieur des risques professionnels. Le second tient aux pratiques des caisses dans la reconnaissance des maladies professionnelles qui peuvent conduire à une sous-reconnaissance. La CNAMTS ne dispose pas d'informations précises sur les taux de reconnaissance par les caisses de son réseau. Depuis 1997, elle leur demande d'intégrer cette information dans leur rapport annuel. Les informations recueillies, même si elles se sont progressivement améliorées, ne sont toutefois pas totalement significatives, notamment parce que certaines caisses ne tiennent aucune comptabilité du nombre des décisions de reconnaissance qu'elles prennent. Selon ces indications, les disparités seraient assez faibles pour la reconnaissance des accidents du travail mais très fortes pour les maladies professionnelles. »
L'ampleur de la « sous-déclaration » est délicate à évaluer. Pourtant, la branche AT-MP doit, depuis 1997, effectuer un reversement annuel à la branche maladie du régime général pour compenser les charges indûment supportées par celle-ci au titre d'accidents du travail ou de maladies professionnelles non déclarés.
3. La « sous-reconnaissance » des maladies professionnelles
Une maladie est reconnue d'origine professionnelle si :
- elle figure dans un tableau, fixé par décret en Conseil d'État, qui recense les maladies présumées être d'origine professionnelle ;
- ou si le salarié est reconnu atteint d'une maladie professionnelle par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dont l'avis s'impose à la caisse de sécurité sociale.
Cette procédure peut ne pas être exempte de défaillances. Des pathologies émergentes ou mal connues peuvent ne pas figurer sur les tableaux de maladies professionnelles. Pour faciliter leur renouvellement, le Parlement s'apprête cependant à habiliter le Gouvernement à modifier, par ordonnance, la législation applicable, afin de prévoir que les tableaux seront désormais révisés par décret simple, plutôt que par décret en Conseil d'État. Cette modification devrait permettre de raccourcir la procédure de révision.
Un autre problème, de nature scientifique cette fois, tient à la difficulté à déterminer parfois la cause exacte d'une affection. Cette difficulté est aggravée lorsqu'une pathologie est multifactorielle, c'est-à-dire combine des causes professionnelles et extraprofessionnelles. La ligne de partage entre les maladies professionnelles et les autres peut donc être difficile à déterminer.