2. b. La décentralisation
La décentralisation est la seconde caractéristique des réformes des systèmes de santé menées dans les années 90 en Europe. Dans certains pays, il s'agit de déléguer la gestion et le financement du système, tandis que dans d'autres, la décentralisation consiste simplement à déléguer l'exécution de décisions prises centralement à des intervenants locaux.
Les objectifs de la décentralisation sont assez proches de ceux de la mise en oeuvre de la concurrence. Le premier objectif est d'améliorer l'offre de soins en la rapprochant de la demande locale et, ainsi, de réduire les délais pour l'obtention d'une consultation de spécialiste ou de soins hospitaliers. Le second objectif est d'accroître la responsabilité des « entrepreneurs de soins » en leur donnant une enveloppe budgétaire à gérer. Cet effet est renforcé par l'instauration d'un financement local des soins de santé.
Au Royaume Uni, la décentralisation est professionnelle et économique avec l'instauration des groupes de soins primaires (depuis la réforme de 1997, les groupes de soins primaires couvrent en moyenne 150 000 personnes) qui conduit à substituer des relations contractuelles avec mécanismes incitatifs aux relations de contrôle hiérarchique. Cependant, le financement est toujours central (budget annuel voté par le Parlement). Ce rationnement direct des ressources (encadrement strict des capacités de production et rémunération forfaitaire) évite tout déficit mais n'a pas permis de résorber les listes d'attentes.
Dans les pays scandinaves, le système est décentralisé du point de vue de la gestion et du financement depuis de nombreuses années. En Suède, 67% du financement des dépenses de santé se situe au niveau local. Vingt et un comtés lèvent des impôts affectés à la santé, dirigent les structures hospitalières et autorisent l'installation des praticiens privés. La Réforme Ädel de 1992 a accru les responsabilités des municipalités, essentiellement pour les soins à dominante sociale (personnes âgées, handicapés, ...). Au Danemark, la gestion s'effectue au niveau des comtés. Le financement est assuré à 87% par des impôts locaux (rémunérations des professionnels de santé et gestion des hôpitaux). Les 13% restants sont issus de dotations provenant du gouvernement central (Polton (2003)). Les principes d'organisation sont similaires dans les autres pays scandinaves. Au cours des années 90, en Suède, la décentralisation a consisté à transférer un certain nombre de compétences des comtés aux municipalités. Dans cette configuration, les municipalités financent par la fiscalité les services dont elles sont responsables. Ce système n'entraîne pas de dérapage des dépenses et semble plus performant que le système britannique du point de vue des listes d'attente, sans pour autant les supprimer.
En Espagne, le processus de décentralisation, entamé depuis les années 1980, est progressif et s'effectue en même temps que le passage d'un système d'assurances sociales à un système national de santé. Cependant, la décentralisation de la gestion ne s'est pas accompagnée de celle du financement (les financements par la région restaient limités à seulement 9% à la fin des années 1990). Le découplage entre gestion et financement est à l'origine de tensions face au creusement des déficits régionaux.
L'Italie, qui était dans une situation proche de celle de l'Espagne, a connu deux réformes dans les années 1990. En 1992-93, la mise en concurrence des offreurs de soins s'est accompagnée d'une régionalisation accrue (pouvoirs transférés du niveau non seulement national, mais aussi local, vers les régions) et d'une responsabilisation financière (les régions doivent combler leurs déficits par des recettes fiscales ou augmentation du ticket modérateur). Cependant l'accroissement des déficits et l'intensification des conflits entre les régions et l'Etat a conduit à une nouvelle réforme en 1999. Cette dernière a mis fin au principe du budget national au profit d'un fédéralisme fiscal. Ce transfert de la responsabilité financière aux régions avec la mise en place d'impôts régionaux s'est accompagné de l'introduction d'un système de redistribution pour abonder les régions dont les recettes sont insuffisantes. Cette redistribution conduit de fait à une perte d'autonomie des régions "pauvres" par rapport aux régions "riches". La mise en oeuvre de cette réforme est progressive (jusqu'en 2014).
En Allemagne, enfin, la décentralisation dans le domaine de la santé ne passe pas tant par les länder que par des négociations locales entre association de caisses de sécurité sociale et association de médecins.