D. LE CONTRÔLE DU RESPECT DE L'ACQUIS : UNE MÉTHODE SPÉCIFIQUE ET DES CLAUSES DE SAUVEGARDE
1. Des contrôles spécifiques
Lors des négociations d'adhésion, des mécanismes concrets pour le suivi de la reprise et de la mise en oeuvre effective de l'acquis communautaire ont été mis en place.
Ces mécanismes se sont fondés sur les structures existantes des accords d'association, des systèmes « d'examens par les pairs » sur place auxquels participent des représentants des Etats membres, et des questionnaires.
Deux points particuliers, la sécurité sanitaire des aliments, ainsi que la justice et les Affaires intérieures, ont fait l'objet d'une surveillance accrue par la Commission, à la demande du Conseil.
La reprise de l'acquis communautaire n'est donc pas simplement une exigence juridique mais sa traduction a été appréciée de façon très concrète.
2. Un nombre limité de questions en suspens
Les derniers rapports de suivi ont été remis par la Commission le 5 novembre 2003. Ils ont évalué le degré de préparation de chaque adhérent pour la transposition de la législation, la mise en oeuvre des structures nécessaires, les capacités administratives et l'exécution.
Ils font état de 39 cas de carence sur l'ensemble des chapitres qui concernent plus particulièrement la Pologne, Malte et la Lettonie.
Sur certains points, les adhérents sont seuls pénalisés ; sur d'autres, comme la mise aux normes sanitaires des installations agroalimentaires ou le contrôles des produits en provenance de pays tiers, c'est la sécurité du marché intérieur qui est en question.
Les chapitres sur lesquels se concentrent les problèmes sérieux de convergence sont la libre circulation des personnes et l'agriculture.
L'évaluation de la mise en oeuvre de l'acquis est appréciée très concrètement, la commission relève ainsi que « le taux de corruption reste élevé dans certains pays, voire très élevé dans certains cas et peut affecter la confiance dans l'administration publique et le système judiciaire, ce qui risque de compromettre également la mise en oeuvre correcte de l'acquis. La lutte contre la corruption devra donc rester une priorité politique au cours des prochaines années ».
La Commission considère que les nouveaux adhérents seront prêts au début de l'année 2004. Au vu des rapports qu'elle a fourni, on peut considérer qu `elle a géré le processus d'élargissement avec enthousiasme mais aussi avec clairvoyance et sans naïveté.
3. Les clauses de sauvegarde
Les clauses de sauvegarde constituent l'arme ultime en cas de manquement grave d'un nouveau membre aux exigences de reprise de l'acquis. Elles s'ajoutent à l'éventail de sanctions dont la Commission dispose déjà en cas de manquement aux obligations des Etats (lancement de procédures d'infractions, saisine de la CJCE, mesures de sauvegarde existantes).
La clause de sauvegarde économique générale vise les cas de perturbation économique grave d'un secteur d'activité ; elle peut être invoquée par tous les Etats membres. Au nombre des adaptations permanentes figure en outre un mécanisme spécifique de protection des brevets pharmaceutiques.
Les trois clauses de sauvegarde pourront être invoquées pendant une durée de trois ans à compter de l'adhésion des dix nouveaux membres.
Dans tous les cas, c'est la Commission qui détermine la nature des mesures de sauvegarde, leur proportionnalité ainsi que les conditions d'application et d'abrogation.
a) La clause de sauvegarde économique générale
Pour les Etats membres actuels, cette clause vise à prévenir de trop fortes distorsions de concurrence ; pour les nouveaux membres, il s'agit d'atténuer, le cas échéant, des chocs économiques liés à l'adhésion.
Elle s'applique « en cas de difficultés graves et susceptibles de persister dans un secteur de l'activité économique ainsi que de difficultés pouvant se traduire par l'altération grave d'une situation économique régionale ».
Le texte précise que les mesures, qui sont déterminées par la Commission, n'entraînent pas de contrôles aux frontières.
b) La clause de sauvegarde du marché intérieur
Elle permet de suspendre la libre circulation de marchandises dans le cas de manquements graves à l'application de l'acquis, susceptibles d'affecter le bon fonctionnement du marché intérieur.
L'objectif premier de l'introduction de cette clause était de préserver l'acquis vétérinaire et phytosanitaire de la politique agricole commune et de pouvoir prendre les mesures appropriées en cas de crise sanitaire ou alimentaire : fermeture d'établissements non conformes, suspension de la libre circulation de produits...
De fait, la sécurité sanitaire des aliments figure au nombre des carences constatées par la commission dans ses rapports de suivi. La mise aux normes des installations d'abattage des animaux et de conditionnement de poissons ainsi que la mise en place des postes d'inspections frontaliers chargés de contrôler les importations en provenance des pays tiers posent problèmes chez de nombreux adhérents (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie notamment).
Si les difficultés pointées par la Commission ne sont pas réglées d'ici là, la clause de sauvegarde pourrait être mise en oeuvre dès l'adhésion et se traduire par la fermeture d'installations non conformes et l'interdiction d'accès au marché intérieur de certaines marchandises, marquées d'un étiquetage spécifique et disponibles uniquement sur le marché local, le temps nécessaire aux ajustements demandés.
« Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées lorsque l'engagement correspondant est rempli ».
Elles peuvent être prises à la demande d'un Etat membre actuel ou à l'initiative de la Commission.
c) La clause de sauvegarde « justice et affaires intérieures »
Les sujets couverts par l'actuel troisième pilier ont été identifiés comme susceptibles de poser des difficultés pour la mise en oeuvre de l'acquis, les nouveaux Etats membres ayant notamment à prendre en charge la surveillance d'une part importante des frontières extérieures de l'Union.
Le contrôle des frontières extérieures et de l'immigration, la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment d'argent et la corruption ainsi que l'efficacité du système judiciaire font ainsi l'objet d'une vigilance particulière.
En cas de manquements graves ou de risque imminent de manquements graves à des normes judiciaires aussi essentielles que le respect des libertés publiques ou le fonctionnement de la justice, la clause de sauvegarde peut prendre la forme de la suspension temporaire de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière civile et en matière pénale.
Selon le principe de la reconnaissance mutuelle, les décisions de justice rendues dans un Etat membre doivent être reconnues et exécutées dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, sans contrôle préalable ni procédure particulière. Ce principe sert d'alternative à l'harmonisation des procédures dans l'Union qui en est au tout début du processus d'intégration dans ces domaines. Après l'élargissement, des efforts de formation importants devront être consentis chez les nouveaux adhérents pour renforcer leurs capacités en matière de justice, condition indispensable à la confiance qui doit prévaloir pour la reconnaissance mutuelle des décisions.
d) Le mécanisme de protection des brevets pharmaceutiques
Sur le chapitre « droit des sociétés », les adaptations permanentes portent sur l'imposition d'un mécanisme spécifique de protection des brevets pharmaceutiques.
Chez les huit adhérents concernés 10 ( * ) , la législation sur les brevets est récente et le certificat complémentaire de protection, qui permet la prolongation de la protection pour 5 ans, ne sera appliqué qu'à compter de l'adhésion. De ce fait, nombre des médicaments produits ont été commercialisés à une période où ils ne pouvaient, en l'absence de législation, bénéficier d'une protection.
Le mécanisme prévoit que le titulaire d'un brevet enregistré dans un Etat membre à une date où cette protection ne pouvait être obtenue dans l'un des nouveaux Etats membres peut empêcher l'importation et la commercialisation du produit dans le ou les Etats membres où le produit jouit de la protection d'un brevet ou d'un certificat complémentaire de protection.
Il revient aux importateurs désireux de commercialiser des produits couverts par le mécanisme de protection, de produire une notification préalable au titulaire du brevet à l'appui de sa demande d'importation.
* 10 À l'exception de Malte et Chypre