CHAPITRE V : DES RÉFORMES DE STRUCTURE
I. LA DÉCENTRALISATION : UNE CHANCE POUR LA POLITIQUE DU LOGEMENT
A. LE RAPPEL DES PRÉCONISATIONS DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
1. La politique du logement social ne peut être décidée « d'en haut »
L'an dernier, votre rapporteur spécial reprenait à son compte les conclusions d'un rapport de séminaire de l'Ecole nationale d'administration (ENA) qui avait parfaitement résumé les difficultés de la politique du logement social et plus globalement de la politique du logement en France.
Celle-ci souffre en effet d'un excès de centralisation.
Ainsi, les objectifs quantitatifs sont fixés au niveau central : une circulaire annuelle de programmation est envoyée aux services déconcentrés. Dans les autres pays européens, seules les orientations générales de la politique du logement sont définies au niveau national, les objectifs chiffrés relevant du niveau local. En Espagne, le plan quadriennal fixe un cadre national au sein duquel chaque région autonome choisit les priorités qu'elle retiendra.
Les aides sont également définies au niveau national : les aides à la personnes sont octroyées selon des barèmes nationaux d'attribution et les aides à la pierre sont définies par une réglementation nationale uniforme (taux et durée des prêts, montant des subventions, plafonds de ressources et de loyers). Les aides fiscales sont également indépendantes de la situation locale. Or, en Allemagne comme au Royaume-Uni, les aides à la pierre et avantages fiscaux liés au logement sont différents selon les Länder et les régions.
Un récent rapport de mission de l'inspection générale des finances et du Conseil Général des Ponts et Chaussées de mars 2002 confirme l'importance de « prendre en compte le niveau local », ce que votre commission des finances a souligné à plusieurs reprises.
« Une nécessaire prise en compte du niveau local »
Les trois pays étudiés (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni) accordent une responsabilité plus grande aux collectivités territoriales. Cette donnée est fortement liée à l'organisation administrative et politique des pays, et donne donc difficilement lieu à une comparaison. Cependant, au-delà des différents degrés de décentralisation, tous les pays examinés ont pris acte de la difficulté de fixer des règles nationales, voire régionales trop rigides.
Ainsi, au Royaume-Uni, les règles en matière de loyer ou d'attribution sont indicatives pour les communes, qui peuvent fixer des règles différentes. Aux Pays-Bas, l'Etat central se contente des règles générales, et les communes sont chargées de réguler le marché local de l'habitat. Enfin, en Allemagne, la récente réforme du droit de la construction (octobre 2001) vise à associer davantage les communes et groupements de communes à la fixation des règles, jusqu'alors principalement édictées par les Länder.
Par ailleurs, cette réforme du droit de la construction allemand a également cherché à enrichir les outils dont peuvent disposer les acteurs locaux pour intervenir sur le marché de l'habitat de manière fine. Ainsi, elle prévoit la possibilité de déconventionnement du parc conventionné et même de transfert de conventionnement, afin de coller au mieux à l'évolution des besoins.
Source : rapport sur le financement du logement social - IGF/CGPC - mars 2002
2. Le rôle des collectivités territoriales dans la politique du logement
En 1982-1983, la compétence logement n'a pas été décentralisée au profit des collectivités territoriales mais la loi du 7 janvier 1983 sur la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat reconnaît une possibilité d'interventions à chaque collectivité territoriale: " Les communes, les départements, les régions définissent dans le cadre de leur compétences respectives, leur priorité en matière d'habitat ." De plus cette loi a ouvert la faculté aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale de définir un programme local de l'habitat déterminant les opérations prioritaires dans ce domaine.
Les lois qui se sont succédées pour favoriser la coopération intercommunale ont progressivement précisé la compétence des groupements de communes et depuis le loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale des compétences ont été définies ; les communautés urbaines et les communautés d'agglomération ont une compétence obligatoire en matière d'équilibre social de l'habitat sur le territoire communautaire, ce qui intègre : « programme local de l'habitat ; politique du logement d'intérêt communautaire ; actions et aides financières en faveur du logement social d'intérêt communautaire ; réserves foncières pour la mise en oeuvre de la politique communautaire d'équilibre social de l'habitat ; action, par des opérations d'intérêt communautaire, en faveur du logement des personnes défavorisées ; amélioration du parc immobilier bâti d'intérêt communautaire » Ces mêmes compétences font partie des compétences optionnelles des communautés de communes.
Le rôle actuel des collectivités territoriales en matière de logement
Les communes et leurs groupements agissent essentiellement sur la production de logements : pour le foncier par apport de terrain, prise en charge de surcoûts fonciers, réalisation de la viabilité. Ils interviennent également pour financer les actions d'accompagnement des opérations de réhabilitation : financement d'opérateurs, réalisation d'aménagements urbains, accompagnement social. Ils apportent surtout leur garantie aux emprunts contractés par les organismes HLM.
Les communes en raison de leur compétence en matière d'urbanisme réglementaire, d'action foncière et d'urbanisme opérationnel interviennent directement sur la création ou la mobilisation de l'offre foncière nécessaire à la réalisation de logements neufs. De même, leurs responsabilités dans la mise en oeuvre des procédures ou démarches opérationnelles dans les quartiers existants leur permettent d'initier des actions de rénovation ou de réhabilitation dans l'habitat existant que ce soit en centre ancien ou dans les quartiers d'habitat social.
Par ailleurs, les communes bénéficient de contingents de réservation dans le parc HLM qui leur donnent un rôle important dans les politiques d'attribution des logements sociaux.
Les départements participent, à même hauteur que l'Etat, comme la loi leur fait obligation, au financement des Fonds de solidarité logement (FSL) ainsi qu'au financement des Fonds départementaux d'aide aux accédants en difficulté (FAAD) et apportent, concurremment ou en complément à des communes, leur garantie aux emprunts contractés par les organismes HLM.
Au travers des plans départementaux d'action pour le logement des plus défavorisés (PDALPD), ils participent avec l'Etat à la définition au plan local et à la mise en oeuvre de la politique du logement des plus défavorisés.
Ils accordent fréquemment des aides aux ménages : aides à l'accession à la propriété, aides aux propriétaires occupants qui améliorent leur logement parfois ciblées sur certaines catégories : personnes âgées, handicapés, agriculteurs,....
Ils ont assez généralement des systèmes d'accompagnement à l'action des communes : aide aux lotissements communaux, aide au montage d'OPAH, aide à la réhabilitation,.... Ces aides sont principalement axées sur les communes rurales. Ils aident également de façon assez générale au fonctionnement de divers organismes : PACT, CDHR, ADIL....
Il est à noter que les départements, et certaines communes disposent d'opérateurs : SEM (sociétés d'économie mixte) d'aménagement et de construction, offices d'HLM et OPAC qui agissent directement sur la production et la gestion de logements.
De façon plus récente, quelques départements interviennent pour subventionner directement des opérations de logements sociaux : aide à la réhabilitation du parc HLM, subventions pour les Prêts Locatifs Aidés d'intégration (PLA-I), subvention à des opérations PLUS notamment lorsqu'il s'agit de loger des catégories spécifiques (logement des étudiants notamment).
Les régions interviennent principalement en faveur des communes : aménagements urbains, accompagnement des OPAH. Elles interviennent fréquemment pour la réhabilitation du parc HLM. Elles développent également, surtout dans les régions urbaines importantes, des aides à la construction : surcharge foncière, construction de logements pour telle ou telle catégorie spécifique. Quelques régions mènent des politiques en faveur du PLA-I.
Elles interviennent aussi parfois sur des secteurs très spécifiques, comme le logement intermédiaire, le logement des jeunes et des étudiants ou celui des personnes défavorisées, le traitement des copropriétés en difficulté.
La fiscalité locale est largement assise sur l'immobilier. Tel est le cas notamment des impôts directs locaux, des droits de mutation à titre onéreux et de la taxe locale d'équipement. Il en résulte que les collectivités territoriales peuvent intervenir directement sur le poids de l'impôt en fonction des objectifs de politique immobilière qu'elles entendent promouvoir. Ainsi, les exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties dont bénéficient les logements construits à l'aide du financement PLUS peuvent être prolongées au delà de 15 ans par les départements et les villes pour la part qui leur revient.
Source : DGUHC
3. Un effort des collectivités territoriales très mal recensé
L'an passé, votre rapporteur spécial expliquait qu'il n'existait pas de document de synthèse pertinent sur l'effort des collectivités territoriales en faveur du logement.
De manière significative, le tableau sur l'effort financier de la Nation en faveur du logement ne les prend pas en compte, alors que sont mentionnées les aides de l'Etat et des partenaires sociaux.
Le tableau fourni par le ministère de l'économie et des finances et le ministère chargé du logement sur les interventions des collectivités territoriales manque singulièrement d'explication pour qu'il puisse être permis d'en vérifier la pertinence. La modestie des sommes annoncées laisse à penser que certaines actions essentielles des collectivités territoriales, comme par exemple la mise à disposition de terrains à bâtir, n'ont pas été prises en compte.
Interventions en faveur du logement des collectivités territoriales en 2000
(en millions d'euros)
|
Communes |
Départements |
Régions |
Aides directes |
252 |
94 |
68 |
Aides indirectes |
12 |
1 |
3 |
Total |
264 |
95 |
71 |
Source : DCP Notes bleues de Bercy n°229-230
En 2001, d'après l'enquête auprès des comptables des collectivités de plus de 700 habitants, 399 millions d'euros auraient été consacrés au logement, somme en diminution de 7 % par rapport à l'année précédente, la part des départements ayant baissé significativement. Mais cette enquête ne prend en compte qu'une partie des aides effectives.
Le ministère chargé du logement explique donc cette année encore qu'il n'existe pas de statistiques fiables en la matière.
B. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI RELATIF AUX RESPONSABILITÉS LOCALES
1. Les compétences décentralisées
La politique du logement social et celle du logement pour les étudiants sont réorganisées par le projet de loi relatif aux responsabilités locales.
La politique du logement social fait l'objet d'une délégation de compétences aux structures intercommunales d'agglomération pour la gestion des aides à la pierre, alors que les départements se voient confier la pleine responsabilité de tous les fonds de solidarité (FSL) liés au logement ainsi que celle du logement des étudiants, par convention avec les CROUS.
Les dispositions du projet de loi relatif aux responsabilités locales concernant le logement
L'article 49 du projet de loi définit les conditions dans lesquelles l'Etat peut déléguer ses compétences en matière d'aides à la pierre à certaines collectivités territoriales et à certains groupements, à leur demande.
Ces compétences peuvent être déléguées à une communauté urbaine ou d'agglomération ou bien à un syndicat d'agglomération nouvelle ou à une communauté de communes qui remplit les conditions pour devenir communauté d'agglomération, dès lors que ce groupement a défini ses orientations stratégiques en matière de logement au travers d'un programme local de l'habitat.
De même, le département peut solliciter la délégation des compétences relatives aux aides à la pierre sur l'ensemble du territoire départemental à l'exception des territoires des structures intercommunales qui ont demandé à bénéficier de la délégation de compétence.
Les aides susceptibles d'être déléguées sont les aides au logement locatif social, à la rénovation de l'habitat privé et à la réalisation de places d'hébergement, ainsi que celles qui sont affectées à la rénovation urbaine dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Les dispositions du texte relatives aux modalités de gestion confient à l'autorité délégataire la compétence qui est aujourd'hui celle de l'Etat pour décider de l'attribution et de la notification des aides et renvoient à des conventions le soin de fixer les conditions dans lesquelles l'autorité délégataire pourra assurer elle-même les paiements consécutifs à ces décisions d'attribution.
Le dispositif de concertation entre les acteurs locaux de l'habitat est mis en cohérence avec le nouveau partage des responsabilités par la création d'un comité régional de l'habitat en métropole.
Enfin il ouvre aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale la possibilité d'apporter des aides dans l'ensemble des domaines d'action de la politique du logement.
L'article 50 définit les conditions du transfert des fonds de solidarité pour le logement (FSL), aujourd'hui cogérés par l'Etat et les départements aux seuls départements et prévoit l'extension de la compétence de ces fonds aux aides pour les impayés d'eau, d'énergie et de téléphone, qui sont actuellement attribuées par des fonds spécifiques, ainsi, à titre facultatif, qu'à certaines aides destinées à prendre en compte des surcoûts de gestion locative liés à l'occupation de logements par des personnes en difficultés.
L'article 51 prévoit le transfert aux communes, ou à leurs groupements, des opérations de construction, de reconstruction et d'équipement des locaux destinés au logement des étudiants.
2. Les conséquences attendues sur la gestion des crédits
Actuellement, les aides de l'Etat en faveur de l'habitat sont réparties par la loi de finances entre les actions d'intérêt national et les interventions locales. Dans chaque région, le préfet répartit les crédits entre les départements en prenant en considération les priorités du conseil régional en matière d'habitat et après l'avoir consulté 16 ( * ) .
Le représentant de l'Etat dans le département répartit ensuite, après avis du conseil général, les crédits qui lui sont affectés, en tenant compte des priorités définies dans les programmes locaux de l'habitat élaborés par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale et en veillant au respect des objectifs nationaux, notamment pour le logement des personnes mal logées ou défavorisées.
En vertu du projet de loi relatif aux responsabilités locales, les aides budgétaires susceptibles d'être déléguées seraient :
- les aides publiques en faveur de la construction, de la réhabilitation et de la démolition des logements locatifs sociaux ;
- les aides publiques en faveur de la rénovation de l'habitat privé ,
- les aides publiques destinées à la création de places d'hébergement ,
- dans les seuls départements et régions d'outre-mer, les aides directes en faveur de l'accession sociale à la propriété .
Estimation des moyens d'engagement susceptibles
d'être déléguées
aux collectivités
territoriales
Insalubrité et saturnisme
|
13 |
Qualité de service
|
362 |
PLAI-PLUS-PALULOS logement d'urgence
|
|
Surcharge foncière IDF
|
|
Etudes, suivi-animation et MOUS
|
|
Démolition
|
|
RHI
|
7 |
ANAH
|
392 |
Total des crédits « délégables » |
774 |
Source - ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer
Les aides affectées à la rénovation urbaine dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ne pourraient faire l'objet d'une délégation de compétences.
En effet, la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a prévu la création d'une Agence nationale pour la rénovation urbaine chargée de collecter les crédits nationaux destinés à restructurer les quartiers classés en zone urbaine sensible.
Le bénéfice de la délégation de compétence serait réservé :
- en priorité, aux communautés urbaines, aux communautés d'agglomération, aux syndicats d'agglomération nouvelles, ainsi qu'aux communautés de communes remplissant les conditions démographiques requises pour se transformer en communauté d'agglomération, c'est-à-dire regrouper plus de 50.000 habitants et compter au moins une commune de plus de 15.000 habitants ;
- à titre subsidiaire et pour le reste du territoire, aux départements.
Il serait subordonné à la conclusion d'une convention avec l'Etat définissant précisément les objectifs à atteindre et, s'agissant des établissements publics de coopération intercommunale, à l'élaboration ou la prescription préalable d'un programme local de l'habitat.
Le représentant de l'Etat resterait libre de signer ou non la convention, la délégation de compétence ne constituant en effet qu'une faculté et non une obligation.
Les modalités de répartition des crédits seraient les suivantes :
- le montant total des aides à la pierre serait réparti entre les régions en fonction notamment des données sociales et démographiques, de l'état du patrimoine de logements ainsi que de la situation du marché locatif ;
- la dotation régionale serait ensuite répartie par le représentant de l'Etat dans la région , après avoir recueilli l'avis d'un comité régional de l'habitat que le projet de loi tend à instituer ou dans les régions d'outre-mer du comité départemental de l'habitat, entre les établissements publics de coopération intercommunale et les départements ayant souscrit une convention de délégation de compétence. L'avis du conseil régional ne serait plus sollicité.
En sus de se voir confier l'attribution et la notification des aides à la pierre, les établissements publics de coopération intercommunale et les départements auraient la faculté, dans le cadre de la convention d'adapter, dans des limites fixées par décret en Conseil d'Etat, les conditions d'octroi des aides de l'Etat , selon les secteurs géographiques et en raison des particularités locales, sociales et démographiques et de la situation du marché du logement.
Enfin, les conditions d'octroi des aides des collectivités territoriales au logement seraient désormais plus libres :
- elles pourraient intervenir en complément ou indépendamment des aides de l'Etat ;
- elles pourraient être destinées aussi bien à la réalisation, à la réhabilitation ou à la démolition de logements locatifs et de places d'hébergement, qu'à des opérations de rénovation urbaine, à des propriétaires occupants pour l'amélioration de l'habitat, à des accédants à la propriété - à la condition de prévoir une condition de ressources -, ou encore consister en des compléments aux aides personnelles au logement ;
- les collectivités territoriales et leurs groupements auraient la faculté de conclure à cet effet des conventions avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, afin de lui confier la gestion de ces aides.
* 16 L'ensemble des informations du présent chapitre sont extraites du rapport n° 31 tome I (2003-2004) de notre collègue Jean-Pierre Schosteck, rapporteur du projet de loi relatif aux responsabilités locales, au nom de la commission des lois.