II. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DU SAUVETAGE DE L'ASSURANCE VIEILLESSE
La loi « Fillon » était indispensable. Pour autant, elle ne pourra à elle seule assurer le sauvetage du régime français de retraite par répartition, ne serait-ce que parce qu'elle concerne directement les seules retraites de base et non l'ensemble de l'assurance vieillesse. Il nous faut donc étendre la réflexion à l'ensemble des aspects de l'assurance vieillesse et parvenir à remettre en cause certaines tendances de fond de la société française.
Il convient, au préalable, de souligner un point qui sonne comme une évidence : plus la conjoncture économique sera favorable et le taux de chômage bas, plus important sera le transfert, au profit de l'assurance vieillesse, des ressources financières actuellement mobilisées par l'Unédic.
Le succès de la réforme dépend ainsi, en premier lieu, de la croissance économique à venir et de l'évolution du marché du travail. Le plan de financement de la « loi Fillon » prévoit, en effet, que les futurs excédents de l'Unédic, résultant de la baisse du chômage consécutive au retournement démographique, pourraient neutraliser ou limiter le relèvement des cotisations vieillesse.
Cette hypothèse repose sur le remplacement des départs en retraite des « baby boomers » par les « classes creuses » des années 1980. Le nombre de départs en retraite devrait ainsi passer de 500.000 par an en moyenne, entre 2000 et 2005, à plus de 800.000 par an à partir de 2006 et se maintenir à ce niveau pendant les trente prochaines années.
Si la population active a fortement augmenté et de façon continue en France depuis les années 1960, notre pays a également connu, de façon transitoire jusqu'ici, un manque de main-d'oeuvre dans certains secteurs économiques. Ainsi, en 2000, dans un contexte économique international alors très favorable, la croissance spontanée de la population active n'a pas suffi à faire face aux besoins de créations d'emplois. A partir de 2006, il est probable que cette situation devienne structurelle.
Le chiffrage, effectué par le COR et repris par le Gouvernement Jospin, était fondé sur une diminution progressive du taux de chômage à 4,5 %, ce taux correspondant au « plein emploi ». Le scénario retenu par le Gouvernement Raffarin est lui aussi « volontariste » mais aussi prudent. En effet, l'affectation des cotisations chômage au financement de l'assurance vieillesse, chiffrée à 8,9 milliards d'euros, repose sur un scénario de diminution du taux de chômage comprise entre 5 et 6 % à l'horizon 2020. Mais si le scénario du COR se réalisait, des marges de manoeuvre supplémentaires pourraient être dégagées.
A. L'IMPLICATION NÉCESSAIRE DES PARTENAIRES SOCIAUX
Il apparaît, également, primordial que le dialogue social soit rénové pour, comme dans les autres pays développés, assurer le suivi de la réforme, améliorer le fonctionnement du marché du travail et des entreprises et susciter la redynamisation de la « seconde partie de carrière » des salariés.
Au-delà des seuls régimes de base, il convient d'avoir à l'esprit que les régimes complémentaires, qui dépendent des partenaires sociaux, sont soumis à des défis financiers d'une ampleur équivalente à ceux du régime général. La mise en oeuvre de la « loi Fillon » concerne, par ailleurs, directement et indirectement l'ARRCO et l'AGIRC. La mise en oeuvre de « l'objectif de retraite » fixé pour les salariés à 85 % du SMIC net, tout comme la mesure d'âge destinée aux personnes ayant débuté leur vie professionnelle de façon précoce, suppose une transposition dans le cadre des régimes complémentaires.
a) Le rôle des partenaires sociaux
Le rôle des partenaires sociaux dans le suivi de l'application des dispositions de la loi portant réforme des retraites est essentiel et porte directement sur trois points principaux : la pénibilité, l'emploi des salariés de plus de cinquante ans et, éventuellement, la revalorisation des pensions.
La pénibilité du travail
Dans un délai de trois ans après la publication de la loi, les partenaires sociaux sont invités à engager une négociation interprofessionnelle sur la pénibilité au travail. Les partenaires sociaux négocieront sur ce thème tous les trois ans dans les branches. Ces négociations porteront aussi sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences des salariés âgés. Un bilan de ces négociations sera établi au moins une fois tous les trois ans par la commission nationale de la négociation collective.
L'emploi des salariés âgés de plus de cinquante ans
Une conférence réunissant l'État, les représentants des salariés et des employeurs sera instituée pour examiner, avant l'élaboration par le Gouvernement, des rapports relatifs à l'allongement de la durée d'assurance qu'il devra présenter au Parlement, les problèmes liés à l'emploi des plus de cinquante ans.
La négociation annuelle obligatoire dans l'entreprise devra aborder désormais tous les trois ans la question de l'accès et du maintien dans l'emploi des salariés âgés.
La revalorisation des pensions de vieillesse
L'article 27 de la loi indique que, par dérogation au mécanisme d'indexation des pensions sur les prix et sur proposition d'une conférence présidée par le ministre chargé de la sécurité sociale et réunissant les organisations syndicales et professionnelles représentatives au plan national, une correction au taux de revalorisation de l'année suivante pourra être proposée au Parlement dans le cadre du plus prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
On notera également l'importance du rôle des partenaires sociaux pour organiser le départ anticipé des salariés à longue carrière dans les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO.
Les partenaires sociaux se trouvent, en outre, confortés indirectement par le renforcement du rôle du COR, dont ils forment la plus grande partie des membres.
La contribution du dialogue social apparaît aussi capitale pour la mise en oeuvre de la loi et pour la mobilisation nationale en faveur de l'emploi des seniors. Elle ne saurait toutefois se limiter à ces seuls aspects.
Il s'agit pour le Gouvernement, d'une façon générale, de faire évoluer les rapports sociaux dans un sens moins conflictuel et de favoriser l'émergence de compromis constructifs.
Nous nous réjouissons, à ce titre, de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 sur l'accès des salariés à la formation professionnelle tout au long de la vie. Pour la première fois, depuis trente ans, les trois organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA) et les cinq organisations syndicales, y compris la CGT, ont signé un texte commun.
Le projet de loi sur le dialogue social, actuellement en cours d'élaboration, a également pour objet de favoriser cette évolution, en modifiant profondément le mode de conclusion des accords.
b) Anticiper sur la dégradation des comptes de l'AGIRC et de l'ARRCO
Après huit années consécutives de déficit, les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, gérés paritairement par les représentants des salariés et des employés, ont retrouvé une situation positive depuis l'année 2000, grâce à l'amélioration de la situation de l'emploi et à la hausse des cotisations des accords de 1993-1996.
En février 2001, les partenaires sociaux ont signé de nouveaux accords comportant deux mesures principales :
- pour les années 2001, 2002 et 2003, l'indexation du salaire de référence repose sur les prix, comme la valeur du point, ce qui permet de maintenir le rendement des régimes au niveau atteint en 2001 et donc d'arrêter la baisse du taux de remplacement consécutive aux réformes précédentes ;
- l'Association pour la gestion du fond de financement (AGFF) de l'AGIRC et de l'ARRCO se substitue à l'Association pour la structure financière (ASF) et ses excédents seront affectés à l'AGIRC et à l'ARRCO selon une clé de répartition (75 % pour l'ARRCO et 25 % pour l'AGIRC en 2003).
ARRCO - Données générales
(effectifs au 1 er juillet et montants en millions d'euros)
|
2000 |
2001 |
% |
2002 |
% |
2003 |
% |
2004 |
% |
Cotisants vieillesse |
18.743.961 |
19.450.000 |
3,8 |
19.547.250 |
0,5 |
19.805.892 |
0,3 |
19.801.951 |
1,5 |
Bénéficiaires vieillesse |
9.822.609 |
9.960.126 |
1,4 |
10.089.608 |
1,3 |
10.200.594 |
1,1 |
10.333.201 |
3,1 |
Produits |
42.207,6 |
43.545,8 |
3,2 |
45.186,7 |
3,8 |
48.442,2 |
7,2 |
48.534,2 |
0,0 |
dont cotisations |
24.350,9 |
25.474,2 |
4,6 |
26.988,4 |
5,9 |
27.818,8 |
3,1 |
28.868,9 |
23,3 |
Poids des cotisations dans l'ensemble des produits |
57,7 % |
58,5 % |
|
59,7 % |
|
57,4 % |
|
59,5 % |
|
Charges |
38.658,6 |
39.855,1 |
3,1 |
42.280,5 |
6,1 |
43.492,9 |
2,9 |
44.757,6 |
3,7 |
dont prestation |
26.597,6 |
27.831,6 |
3,9 |
28.498,4 |
3,1 |
29.591,0 |
3,8 |
30.785,5 |
4,1 |
Poids des prestations dans l'ensemble des charges |
68,8 % |
69,3 % |
|
67,4 % |
|
68,0 % |
|
68,8 % |
|
Résultat net |
3.549,0 |
3.690,6 |
|
2.906,1 |
|
4.949,3 |
|
3.776,6 |
|
Source : CCSS - Septembre 2003
AGIRC - Données générales
(effectifs au 1 er juillet et montants en millions d'euros)
|
2001 |
% |
2002 |
% |
2003 |
% |
2004 |
% |
Cotisants vieillesse |
3.437.401 |
4,9 |
3.489.488 |
1,5 |
3.541.830 |
1,5 |
3.594.958 |
1,5 |
Bénéficiaires vieillesse |
1.814.111 |
2,8 |
1.872.285 |
3,2 |
1.930.761 |
3,1 |
1.991.142 |
3,5 |
Produits |
16.478,6 |
6,7 |
16.800,4 |
2,0 |
17.754,8 |
5,7 |
17.746,4 |
2,0 |
dont cotisations |
12.718,4 |
7,6 |
12.913,5 |
1,5 |
13.181,5 |
2,1 |
13.614,4 |
0,0 |
Poids des cotisations dans l'ensemble des produits |
77,2 % |
|
76,9 % |
|
74,2 % |
3,5 |
76,7 % |
3,3 |
Charges |
15.145,8 |
5,3 |
15.871,8 |
4,8 |
16.425,4 |
4,1 |
17.033,7 |
|
dont prestation |
14.263,0 |
4,8 |
14.869,9 |
4,3 |
15.478,3 |
|
16.111,5 |
3,7 |
Poids des prestations dans l'ensemble des charges |
94,2 % |
|
93,7 % |
|
94,2 % |
|
94,6 % |
4,1 |
Résultat net |
1.332,9 |
|
928,6 |
|
1.329,4 |
|
712,7 |
|
Source : CCSS - Septembre 2003
Malgré le retournement de la conjoncture économique, les résultats de l'AGIRC et l'ARRCO resteront positifs en 2003 comme en 2004. Ils devraient le demeurer jusqu'en 2015. Au-delà de cette date, les effets des départs en retraite massifs des « baby boomers » l'emporteront sur les économies générées par les réformes de 1993 et 1996. D'autres mesures d'adaptation s'imposeront.
c) Prendre en compte le coût du dispositif en faveur des carrières longues de la « loi Fillon »
Les partenaires sociaux ont entrepris d'évaluer le coût des mesures en faveur des « carrières longues », ce qui est difficile dans la mesure où il dépendra de comportements individuels. Dans l'hypothèse où 75 % des 193.000 salariés concernés (120.000 salariés, 50.000 chômeurs et 23.000 préretraités) utiliseraient cette possibilité, le coût pour la CNAV serait de 1,35 milliard d'euros, en année pleine 4 ( * ) .
La mise en oeuvre de cette mesure supposera une transposition dans les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO. Les projections financières établies par les services de ces deux organismes, et soumises le 7 octobre dernier aux partenaires sociaux, font état de conclusions contrastées :.
- d'une part, la liquidation des pensions complémentaires avant l'âge moyen, du fait des départs anticipés, conduit à une diminution des ressources (cotisations ou versements des régimes de chômage ou préretraite) et à un accroissement des charges pour l'association pour la gestion du fonds de financement AGIRC-ARRCO (AGFF). L'estimation des effectifs des salariés ayant commencé à travailler à quatorze, quinze ou seize ans et liquidant leurs pensions à partir de 56 ans est la suivante : 160.000 en 2004, 178.000 en 2008, 128.000 en 2012, 79.000 en 2016, puis 30.000 à partir de 2020. Cette diminution progressive est due à la prise en compte du passage de l'âge minimum de scolarité de quatorze à seize ans. L'impact de la mesure sur les soldes techniques des régimes est estimé à - 840 millions d'euros en 2008, - 147 millions d'euros en 2020 et de - 151 millions d'euros en 2025 ;
- d'autre part, à l'inverse, l'allongement de la durée d'assurance, prévu par la réforme, devrait fournir aux régimes un surcroît de cotisations et décale la date de liquidation des pensions. Il s'agit, au demeurant, d'estimations basses en matière d'économie, dans la mesure où les âges d'entrée en activité devraient être plus tardifs pour les générations suivantes, en raison de l'entrée en vigueur de la scolarité obligatoire à seize ans et de l'allongement général des études.
* 4 Cf. audition de M. Marcel Lesca et de M. Patrick Hemange.