3. Des rapports financiers complexes avec l'État et les autres branches
Une seconde raison explique les difficultés actuelles de la branche famille : la détournement de ses excédents vers la prise en charge de dépenses qui n'entrent pas dans son champ légitime de compétences.
a) La CNAF: financeur de la branche vieillesse ?
Comme votre rapporteur le déplore chaque année, des dépenses, sans rapport avec la politique familiale, sont venues depuis 2000 amputer lourdement l'excédent de la branche, et au premier rang d'entre elles, la prise en charge progressive par la CNAF des majorations de pension de retraite pour enfants, versées par le FSV en tant qu'avantage vieillesse.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 avait prévu un mécanisme progressif de prise en charge de ces majorations par tranche de 15 % par an.
Dans sa décision du 18 décembre 2001, le Conseil constitutionnel a semblé poser un curseur, sans toutefois préciser son positionnement, au-delà duquel cette prise en charge constituerait une rupture d'égalité entre les familles ayant aujourd'hui des enfants à charge et celles qui voient leur pension de retraite majorée en raison des enfants qu'elles ont élevés par le passé.
En dépit de cette mise en garde, l'État a accentué le transfert, vers la CNAF, du coût des majorations de pension. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a porté sa contribution à 60 % du coût de cette majoration, franchissant une étape supplémentaire dans le plan initial dont votre rapporteur avait contesté le principe même dès 2001. Il maintient, en effet, que cette prestation reste un avantage vieillesse, historiquement considéré comme un juste retour accordé aux parents qui avaient contribué, en élevant au moins trois enfants, à l'équilibre futur des régimes de retraite par répartition.
Par ailleurs, il observe que le précédent gouvernement porte la responsabilité de la situation financière très dégradée du fonds de solidarité vieillesse, résultant de la double ponction qu'il a subie pour alimenter le fonds de financement des 35 heures (FOREC) et le fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (FAPA).
Or, c'est cet état de fait qui explique la contribution qu'il est encore demandé à la branche famille d'apporter en 2004. En effet, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale maintient le prélèvement de 60 % du coût des majorations de pension sur les comptes de la CNAF, pour un total de 1,82 milliard d'euros.
Si cette situation devait perdurer en l'état jusqu'en 2020, le montant cumulé mis à la charge de la branche famille sur l'ensemble de la période s'élèverait à près de 40 milliards d'euros, dont 5 milliards environ versés entre 2001 et 2004. Plus encore, si l'on devait mettre à la charge de la CNAF l'intégralité de la compensation à partir de 2005, les sommes versées par la branche famille sur la période 2000-2020 s'élèveraient à plus de 60 milliards d'euros.
Dans les deux cas de figure, les masses en jeu sont colossales et votre rapporteur déplore cette utilisation dévoyée des moyens de la branche, au détriment de mesures en faveur des familles.
b) Les relations financières entre l'État et la CNAF : un véritable jeu de ping-pong
Budgétisation et débudgétisation
Les relations entre l'État et la CNAF sont par ailleurs brouillées depuis 1999 par diverses opérations de budgétisation et débudgétisation.
- La prise en charge progressive de la majoration d'allocation de rentrée scolaire
A l'occasion de la conférence de la famille de juin 1999, le gouvernement précédent avait annoncé la prise en charge progressive de la MARS par la seule branche famille, en supprimant sa compensation par l'État. En contrepartie, ce dernier devait financer le fonds d'action sociale des travailleurs immigrés (FASTIF) à la place de la CNAF.
Le caractère progressif du transfert a, semble-t-il, été oublié car la débudgétisation totale de la MARS a eu lieu dès 2001, entraînant à une dépense de plus d'un milliard d'euros pour la branche famille. Malgré la reprise du FASTIF par l'État, il en est résulté une dégradation de l'excédent de la branche de 37 % par rapport à ce qu'il aurait été en suivant son évolution tendancielle.
- La budgétisation contestable de l'API
Toujours à l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, les comptes de la branche famille ont fait l'objet d'un autre transfert.
A l'époque, les allocations familiales avaient été rétablies pour toutes les familles, après la levée de boucliers que la décision de leur mise sous condition de ressources avait provoquée lors de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. Ce rétablissement se faisait toutefois en échange de l'abaissement du quotient familial. L'ajustement de ce gain fiscal pour l'État avait été réalisé par la budgétisation d'une prestation familiale, l'API.
Votre rapporteur s'interroge donc sur le bien-fondé de la prise en charge, par l'État, d'une prestation véritablement familiale, alors même que la branche se voit confier dans le même temps des charges supplémentaires sans grand rapport avec son objet.
Des tentatives de ponctions directes sur les réserves de la branche
Votre rapporteur rappelle également que, sous la précédente législature, ont eu lieu plusieurs tentatives de ponction des excédents mis en réserve dans le compte de report à nouveau.
Ces dépenses en capital, pour un montant de 1,22 milliard d'euros sont de deux ordres : les dépenses en faveur du fonds d'investissement pour l'accueil de la petite enfance (FIPE I et II), pour 460 millions d'euros, et le transfert de 760 millions d'euros des excédents de la branche au fonds de réserve des retraites prévu par le projet de loi de financement pour 2002.
Votre commission s'était alors montrée très critique à l'égard de ces circuits financiers parallèles qui présentaient l'indéniable avantage pour le gouvernement d'alors, de pouvoir utiliser deux fois les excédents de la branche famille : une première fois en affichage, pour équilibrer le résultat du régime général, puis, cet effet atteint, une seconde fois, pour financer réellement des dépenses, en marge des objectifs de la loi de financement.
Ces deux mesures ont d'ailleurs été annulées par le Conseil constitutionnel du fait de leur affichage inexistant en loi de financement, qui n'avait pas permis au Parlement de ce prononcer sur les dispositifs proposés.
La question récurrente des frais de gestion
En raison de l'implantation des CAF sur l'ensemble du territoire et de leur relative facilité d'accès, la branche famille gère pour le compte du Fonds national d'aide au logement (FNAL) et du fond national de l'habitat (FNH) les prestations de logement [aide personnalisée au logement (APL), allocation de logement sociale (ALS) et allocation de logement familial (ALF)] et pour le compte de l'État les minima sociaux (RMI, AAH, API et ASA). Ce service entraîne des coûts administratifs non négligeables.
La Cour des comptes rappelle à cet égard, dans son rapport de septembre 2001, que l'État refuse de s'acquitter des frais de gestion qui découlent du versement de ces prestations, frais estimés par la CNAF à environ 3 % de leur montant soit plus de 150 millions d'euros, au motif que cette dernière ne disposerait pas d'un outil fiable d'analyse des coûts réels.
« La branche famille ne possède pas à ce jour de comptabilité analytique . Elle n'est donc pas à même de connaître avec précision les coûts supportés à raison de la gestion des prestations de solidarité qu'elle verse pour le compte de l'État. (...) Ce faisant, la CNAF se prive d'un élément d'éclairage utile dans le débat qui l'oppose à l'État. » 3 ( * )
Votre rapporteur souscrit à l'analyse de la Cour en ce qui concerne l'utilité de posséder une comptabilité analytique mais, en l'absence d'une telle réforme, salue l'initiative prise par la CNAF de mettre en place une méthodologie dite du « poids de l'allocataire ». Celle-ci détermine trois catégories d'allocataires, chaque allocataire étant comptabilisé une seule fois selon la plus importante prestation qu'il perçoit: ceux qui bénéficient d'une prestation d'invalidité ou de précarité (dont le RMI et l'AAH) ont poids relatif fixé à 2,53 ; ce poids est fixé à 1,3 pour les allocataires d'une prestation logement et à 1 pour ceux qui reçoivent une prestation familiale.
Cette méthode permet d'appréhender le niveau des coûts de gestion pour chaque type de prestation versée. Ainsi, par exemple, un allocataire bénéficiant du RMI a un coût de gestion 2,53 fois plus important qu'un allocataire ne touchant que les allocations familiales. L'État pourrait donc se fonder sur cette estimation pour rembourser ces frais.
Votre rapporteur observe en outre que l'absence d'une comptabilité analytique, dont la mise en place représenterait par ailleurs un coût, ne saurait dégager l'État de ses responsabilités : en effet, c'est hors de toute comptabilité analytique que l'État facture, arbitrairement, le concours de ses services fiscaux pour le recouvrement des recettes de la sécurité sociale. Il constate par ailleurs que le FNH et le FNAL s'acquittent auprès de la CNAF des frais de gestion pour le versement des prestations logement.
Ce problème des frais de gestion est plus que jamais d'actualité avec la décentralisation du RMI en 2004 : se pose en effet la question de l'éventuelle instauration d'un remboursement, par les départements, des frais de gestion de cette prestation et de son harmonisation sur l'ensemble du territoire. Pour autant, le projet de loi de décentralisation du RMI, dans sa forme actuelle, ne profite pas de l'opportunité ouverte par ce nouveau mode de gestion pour organiser ce remboursement, ce que votre rapporteur déplore.
C'est pourquoi une clarification et une simplification des comptes de la branche famille au regard de ses missions est aujourd'hui indispensable , ne serait-ce qu'en raison de la nécessité d'une politique familiale intelligible pour nos concitoyens. Chaque étape, projet de loi de financement de l'année ou « collectif social », doit désormais être impérativement mise à profit pour réaliser un nouveau pas dans ce sens.
* 3 Cour des comptes. Rapport sur la sécurité sociale. Septembre 2001.