Chapitre
premier
Compétence des juridictions spécialisées
Pour répondre à la criminalité organisée, il apparaît nécessaire aujourd'hui de disposer de juridictions spécialisées, dotées de moyens renforcés et disposant d'un ressort de compétence plus étendu que celui de chacun des tribunaux de grande instance que compte notre pays. L'article premier du projet de loi article tend donc à prévoir, au sein du nouveau titre XXV du code de procédure pénale, la création de juridictions spécialisées compétentes pour connaître des infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-74 nouveaux du même code.
Les dispositions tendant à créer ces juridictions spécialisées seront brièvement présentées. Votre rapporteur évoquera en effet de manière plus détaillée la question de la spécialisation des juridictions en commentant les dispositions du présent projet de loi relatives aux juridictions spécialisées en matière économique et financière.
Article 706-75 du code de procédure pénale
Création de
juridictions interrégionales
Le texte proposé pour l'article 706-75 du code de procédure pénale ouvre la possibilité d'étendre la compétence territoriale d'un tribunal de grande instance et d'une cour d'assises au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et délits entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-74, dans les affaires qui seraient ou apparaîtraient d'une grande complexité.
Rappelons que le code de procédure pénale prévoit déjà l'existence de juridictions spécialisées. Ainsi, un tribunal de grande instance par cour d'appel est spécialisé en matière économique et financière. Le présent projet de loi tend d'ailleurs à créer en outre des juridictions interrégionales également spécialisées en matière économique et financière.
Par ailleurs, le tribunal de grande instance de Paris dispose d'une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun en matière de terrorisme. Dans ces conditions, le texte proposé pour l'article 706-75 du code de procédure pénale exclut à juste titre le terrorisme de la liste des infractions relevant de la compétence des nouvelles juridictions spécialisées.
La compétence des juridictions interrégionales s'étendrait aux infractions connexes. Un décret devrait fixer la liste et le ressort de ces juridictions, qui comprendraient une section du parquet et des formations d'instruction et de jugement spécialisées pour connaître des infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-74.
D'après l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, « le Gouvernement envisage (...) de diviser le territoire métropolitain en six ou sept zones comportant chacune une juridiction inter-régionale ».
Article 706-76 du code de procédure pénale
Compétence
concurrente des juridictions spécialisées
Le texte proposé pour l'article 706-76 précise que le procureur de la République, le juge d'instruction, la formation correctionnelle spécialisée du tribunal de grande instance et la cour d'assises des juridictions spécialisées exercent sur toute l'étendue du ressort de ces juridictions une compétence concurrente à celle qui résulte des règles habituellement applicables pour déterminer la compétence d'une juridiction.
Le choix d'une compétence concurrente est logique, dès lors que le projet de loi ne prévoit la saisine des juridictions spécialisées que pour les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité. La compétence concurrente peut également éviter des nullités de procédure dans des cas où une juridiction de droit commun omettrait de renvoyer une affaire à la juridiction spécialisée.
Conformément aux règles déjà prévues par l'article 705 du code de procédure pénale pour les juridictions économiques et financières, le texte proposé pour l'article 706-76 du code de procédure pénale prévoit que la juridiction saisie demeure compétente, quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l'affaire. Une telle règle doit permettre d'éviter des « allers-retours » entre juridictions en cas de changement de qualification de l'infraction pendant le déroulement de la procédure.
Toutefois, si les faits constituaient une contravention, le juge d'instruction devrait prononcer le renvoi de l'affaire devant le tribunal de police compétent.
Article 706-77 du code de procédure pénale
Dessaisissement du
juge d'instruction
Le texte proposé pour l'article 706-77 du code de procédure pénale a pour objet de définir les modalités de dessaisissement du juge d'instruction d'une juridiction de droit commun au profit d'une juridiction spécialisée. Ces modalités sont reprises de celles prévues par le code de procédure pénale en matière de terrorisme.
Le procureur de la République près un tribunal de grande instance non spécialisé pourrait requérir le juge d'instruction, pour les infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-74, de se dessaisir au profit de la juridiction d'instruction spécialisée. Les parties seraient préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations. Par un amendement , votre commission propose de préciser clairement que les parties sont avisées par le juge d'instruction .
Le texte proposé dispose que l'ordonnance est rendue huit jours au plus tôt après l'avis donné aux parties. Singulièrement, aucun délai maximal n'est donné au juge d'instruction pour rendre l'ordonnance et l'hypothèse dans laquelle le juge d'instruction ne rendrait pas d'ordonnance n'est pas évoquée.
Votre commission vous soumet un amendement tendant à prévoir que le juge d'instruction doit rendre son ordonnance dans un délai compris entre huit jours et un mois . Elle proposera en outre ultérieurement que le ministère public puisse, en l'absence d'ordonnance du juge d'instruction, saisir directement la chambre de l'instruction ou la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Si le juge d'instruction décidait de se dessaisir, son ordonnance ne prendrait effet qu'à compter du délai de cinq jours prévu dans le texte proposé pour l'article 706-78 du code de procédure pénale pour former appel de l'ordonnance. En cas de recours, le juge d'instruction demeurerait saisi jusqu'à ce que soit porté à sa connaissance l'arrêt de la chambre de l'instruction passé en force de chose jugée ou celui de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Le texte proposé pour l'article 706-77 prévoit enfin que le procureur de la République adresse le dossier de la procédure au procureur de la République près le tribunal de grande instance spécialisé dès que l'ordonnance est passée en force de chose jugée.
Article 706-78 du code de procédure pénale
Recours contre
l'ordonnance du juge d'instruction
Le texte proposé pour l'article 706-78 du code de procédure pénale dispose que l'ordonnance du juge d'instruction peut être déférée, à la requête du ministère public ou des parties, dans les cinq jours de sa notification, soit à la chambre de l'instruction si la juridiction au profit de laquelle le dessaisissement a été ordonné ou refusé se trouve dans le ressort de la même cour d'appel, soit à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Par deux amendements , votre commission vous propose, d'une part, d'apporter une clarification rédactionnelle au texte proposé, d'autre part, de permettre au procureur de la République de saisir la chambre de l'instruction ou la chambre criminelle de la Cour de cassation lorsque le juge d'instruction ne rend pas d'ordonnance.
Une fois saisie, la chambre de l'instruction ou la chambre criminelle devrait désigner, dans les huit jours suivant la date de réception du dossier, le juge d'instruction chargé de poursuivre l'information. L'arrêt de la chambre de l'instruction ou de la chambre criminelle serait porté à la connaissance du juge d'instruction ainsi qu'à celle du ministère public et notifié aux parties.
Enfin, le texte proposé dispose que ses dispositions sont applicables à l'arrêt de la chambre de l'instruction, lorsque celle-ci est directement saisie d'une demande de dessaisissement. Il peut en effet arriver, au cours d'une instruction, que la chambre de l'instruction soit conduite à instruire elle-même un dossier. Dans ce cas, une éventuelle demande de dessaisissement devrait être portée devant elle.
Article 706-79 du code de procédure pénale
Rôle des
assistants spécialisés
Le texte proposé pour l'article 706-79 du code de procédure pénale permet aux magistrats des juridictions spécialisées de demander à des assistants spécialisés de participer aux procédures concernant les crimes et délits entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-74.
Le recours à des assistants spécialisés est déjà prévu par le code de procédure pénale en matière économique et financière. Votre rapporteur présentera de manière détaillée le rôle et les modalités de désignation de ces collaborateurs des magistrats à l'article 7 du présent projet de loi. Il est tout à fait heureux que le champ de leur intervention soit désormais étendu aux juridictions spécialisées en matière de criminalité organisée.