C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ADOPTER UN TEXTE QUI RENFORCERA LA COHÉRENCE DE LA JUSTICE DES MINEURS

Sous réserve de quelques modifications, votre commission des Lois vous propose d'adopter la présente proposition de loi, tout en insistant sur la nécessité de préparer dans de bonnes conditions l'entrée en vigueur de cette réforme importante.

1. Une proposition de loi utile

L'un des principes fondamentaux de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est la spécialisation de la justice des mineurs . Cette spécialisation implique que les mineurs soient jugés par des juges différents de ceux qui jugent les majeurs, elle a également pour conséquence que le juge des enfants est doté d'attributions très étendues dans le déroulement de la procédure pénale, exerçant en particulier des fonctions d'instruction et de jugement.

L'attribution au juge des enfants d'une compétence pleine et entière en matière d'application des peines ne fait que parachever la spécialisation de la justice des mineurs.

Ce renforcement de la compétence du juge des enfants doit permettre d'améliorer la continuité dans le suivi des mineurs délinquants. Le juge des enfants est celui qui connaît le mieux le mineur pour l'avoir suivi dans tout son parcours. Il est logique qu'il puisse continuer à suivre le mineur lorsque celui-ci fait l'objet d'une incarcération.

Comme l'a constaté la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs, l'incarcération constitue trop souvent aujourd'hui la fin du processus éducatif du mineur. Le juge des enfants n'est plus compétent et la protection judiciaire de la jeunesse n'entre -même si une évolution se dessine sur ce point- qu'avec de grandes réticences dans les établissements pénitentiaires.

La présente proposition de loi doit modifier cette situation. Elle doit permettre une meilleure individualisation des peines prononcées contre les mineurs. Le juge des enfants pourra, dès le prononcé de la sanction, réfléchir aux aménagements qui peuvent être envisagés si le mineur se comporte bien lors de son incarcération. La détention ne doit plus être une fin, mais un moyen, un passage à l'issue duquel des perspectives nouvelles doivent pouvoir être envisagées pour le mineur. A cet égard, le juge des enfants paraît le mieux placé pour envisager les suites de la période de détention.

2. Quelques modifications

Afin de parfaire le dispositif, votre commission des lois vous propose, dans ses conclusions, quelques modifications minimes de la proposition de loi :

- le texte proposé prévoit que le juge des enfants compétent est celui du lieu de résidence habituelle du mineur. Votre commission vous propose de supprimer cette précision. D'une part, la compétence territoriale du juge de l'application des peines n'est pas prévue dans la loi, mais dans un décret, d'autre part, retenir comme seul critère de compétence le lieu de résidence habituelle du mineur paraît trop rigide, notamment dans les cas -rares- d'emprisonnement à une distance très importante du lieu de résidence ;

- afin de renforcer la souplesse du dispositif et d'éviter d'attribuer au juge des enfants des dossiers pour une période très courte, votre commission vous propose de prévoir que lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans au jour du jugement, le juge des enfants n'est compétent que si la juridiction de jugement le décide. Si une personne poursuivie a commis certains faits à dix-sept ans, mais qu'elle est jugée à vingt, l'exercice par le juge des enfants des compétences dévolues au juge de l'application des peines jusqu'à ce que le condamné ait atteint l'âge de vingt-et-un ans ne présentera que très rarement un intérêt pour le suivi du condamné ;

- la réforme devra être accompagnée de dispositions réglementaires, notamment pour préciser les modalités selon lesquelles le juge des enfants pourra se dessaisir au profit du juge de l'application des peines. Dans ces conditions, votre commission vous propose de prévoir qu'un décret fixera les conditions d'application de l'article 20-9 de l'ordonnance du 2 février 1945 modifié par la proposition de loi ;

- enfin, votre commission vous propose de permettre l'application aux mineurs de la mesure d'ajournement du prononcé de la peine assorti d'une mise à l'épreuve, qui peut présenter une grande utilité lorsque la juridiction souhaite que s'écoule un temps d'observation de l'évolution du mineur avant le prononcé de la peine. Actuellement, cette mesure ne peut être prononcée par les juridictions spécialisées pour mineurs que lorsqu'elles statuent sur le cas de personnes devenues majeures le jour du jugement.

3. Une entrée en vigueur à préparer

L'adoption de la présente proposition de loi renforcera la cohérence de la justice des mineurs. L'entrée en vigueur de la réforme doit être soigneusement préparée, même si le nombre de mineurs condamnés à des peines d'emprisonnement ferme pouvant faire l'objet d'aménagements demeure limité.

Le tableau suivant retrace le nombre de condamnations de mineurs à une peine privative de liberté.

Nombre de condamnations à une peine privative de liberté ferme
concernant les mineurs

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

CRIMES

Nombre de peines privatives de liberté comportant une partie ferme

169

134

222

280

339

375

361

429

Indice base 100 en 1994

100

79

131

166

201

222

214

254

Durée moyenne de la partie ferme - perpétuité exclue
(en mois)

55,1

57,3

47,1

51,2

50

45,1

40,7

47,3

DELITS

Nombre de peines privatives de liberté comportant une partie ferme

1 736

1 432

2 311

2 928

3 884

4 184

3 938

4 113

Indice base 100 en 1994

100

82

133

169

224

241

227

237

Durée moyenne de la partie ferme (en mois)

3,4

4

3,4

3,2

3,3

3,1

3,1

3,2

TOTAL DES PEINES PRIVATIVES DE LIBERTE COMPORTANT UNE PARTIE FERME

1 905

1 566

2 533

3 208

4 223

4 559

4 299

4 542

Indice base 100 en 1994

100

82

132

168

221

239

225

238

DETENTION PROVISOIRE

Nombre de détentions provisoires

961

944

1 306

1 622

1 979

2 090

1 782

1 655

Durée de la détention provisoire (en mois)

2,2

2,3

2,2

2,3

2,3

2,2

2,3

2,3

Source : Casier judiciaire

Les juridictions spécialisées pour mineurs ont prononcé près de 2,5 fois plus de condamnations avec emprisonnement en 2001 qu'en 1994. Les courtes peines d'emprisonnement (jusqu'à six mois) composent l'essentiel des emprisonnements fermes (3.471 en 2001).

Afin de mesurer la charge de travail nouvelle que la proposition de loi pourrait faire peser sur les juges des enfants, il est nécessaire d'examiner également le nombre de mineurs incarcérés (en flux et en stock).

Nombre d'incarcérations de mineurs au cours de l'année (flux)

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Mineurs incarcérés au cours de l'année

2 661

2 936

3 271

3 495

4 172

4 326

3 959

3 283

3 839

Catégorie pénale des mineurs incarcérés

Prévenus

2 516

2 777

3 143

3 258

3 828

3 921

3 635

2 942

3 429

Condamnés

143

152

126

231

344

401

313

336

407

Autres cas

2

7

2

6

0

4

11

5

3

Part des prévenus (en %)

94,66 %

94,6 %

96,1 %

93,2 %

91,8 %

90,6 %

91,8 %

89,6 %

89,3 %

Source : Fichier National des Détenus

Nombre de mineurs incarcérés au 31 décembre

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Mineurs incarcérés au 31 décembre

575

561

628

669

714

718

616

826

808

Catégorie pénale des mineurs incarcérés

Prévenus

436

436

495

541

553

560

454

630

592

Condamnés

139

125

133

128

161

158

162

196

216

Part des prévenus (en %)

75,8 %

77,7 %

78,8 %

80,9 %

77,5 %

78,0 %

73,7 %

76,3 %

73,3 %

Source : Fichier National des Détenus

Au vu de ces chiffres, il est probable qu'une grande partie des mineurs condamnés à des peines d'emprisonnement ferme subit sa peine au titre de la détention provisoire. La plupart des mineurs entrant en prison ont un statut de détenu provisoire .

Dans ces conditions, le transfert de compétences du juge de l'application des peines au juge des enfants devrait concerner pour l'essentiel les condamnés à des peines d'au moins un an d'emprisonnement. Le transfert de compétences pourrait concerner chaque année entre 400 et 800 mineurs , qui pourraient faire l'objet d'un aménagement de peine.

Le nombre de dossiers concernés par l'attribution au juge des enfants d'une compétence pleine et entière en matière d'application des peines devrait donc être limité. Toutefois, certaines réformes, telles que la création d'une procédure de jugement à délai rapproché, pourraient conduire, à moyen terme, à une diminution de la détention provisoire des mineurs au profit d'incarcérations après condamnation.

En tout état de cause, le transfert de compétences conduira à un accroissement des tâches des juges des enfants. Ceux-ci devront conduire des débats contradictoires dans les établissements pénitentiaires avant de prononcer certaines mesures d'aménagements de peine. Ils devront également participer à des commissions d'application des peines (pour statuer sur les permissions de sortie et les réductions de peine).

Compte tenu de cet accroissement prévisible de la charge de travail des juges pour enfants, votre commission se félicite que le Gouvernement ait prévu d'augmenter le nombre de juges des enfants au cours des prochaines années. Il conviendra que les juges des enfants soient rapidement informés du prochain transfert de compétences en matière d'application des peines afin qu'ils puissent s'y préparer dans de bonnes conditions .

Pour que la réforme puisse être pleinement efficace, il conviendrait également de développer les dispositifs permettant l'aménagement des peines des condamnés mineurs. Ainsi, le nombre de centres de semi-liberté accessibles aux mineurs devrait être fortement augmenté , de même que le nombre d'établissements en capacité d'accueillir des mineurs en libération conditionnelle ou en placement extérieur.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant ci-après.

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