II. UN CADRE CONSTITUTIONNEL DE L'OUTRE-MER RÉNOVÉ ET ASSOUPLI
Les articles 7 à 10 du projet de loi constitutionnelle définissent un cadre constitutionnel rénové pour l'outre-mer. Celui-ci propose une nouvelle classification juridique des collectivités territoriales et tend à permettre l'élaboration de statuts « sur mesure » tenant compte de la diversité des situations et des souhaits de ces collectivités.
Sur le premier point, le texte consacre l'existence des régions d'outre-mer dans la Constitution et solde la disparition de la catégorie des territoires d'outre-mer, la seule survivance de cette catégorie demeurant les Terres australes et antarctiques françaises en vertu de l'article premier de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955.
Il définit deux catégories juridiques relevant respectivement de l'article 73 et de l'article 74 de la Constitution, le critère discriminant tenant au régime législatif applicable. En effet, les départements et régions d'outre-mer, régis par l'article 73, sont soumis au principe de l'assimilation législative tandis que les collectivités d'outre-mer, régies par l'article 74, relèvent totalement ou partiellement du principe de la spécialité législative. Cette nouvelle catégorie constitutionnelle des « collectivités d'outre-mer » regroupe la Polynésie française, les îles Wallis-et-Futuna, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. La Nouvelle-Calédonie, régie par le titre XIII qui lui est spécifique, reste étrangère à cette répartition, bien qu'elle soit gouvernée par le principe de la spécialité législative.
Outre cette rationalisation par l'instauration d'une nouvelle classification juridique, le projet de loi assouplit le cadre constitutionnel de l'outre-mer de façon à offrir une plus grande liberté de choix aux populations concernées et à permettre au législateur de concevoir des statuts « cousus main », adaptés à la diversité qui caractérise l'outre-mer.
A. LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT : LA CLARIFICATION ET LA SÉCURISATION DU CADRE CONSTITUTIONNEL DE L'OUTRE-MER
Sur ce volet du projet de loi constitutionnelle, le Sénat a opéré des clarifications et ajouté de nouvelles garanties.
1. Les clarifications visant à apaiser certaines craintes
Le Sénat a précisé dans la Constitution que la nouvelle collectivité territoriale issue de la fusion d'un département et d'une région d'outre-mer restera régie par l'article 73 , et non par l'article 74, afin de ne pas bloquer des évolutions institutionnelles demandées par des électeurs cependant désireux de continuer à relever du principe de l'assimilation législative ( article 7 ).
Il a mentionné la Nouvelle-Calédonie dans le titre XII de la Constitution pour qu'elle puisse bénéficier des avancées prévues pour les autres collectivités territoriales de la République : désignation de « chefs de file » pour l'exercice de compétences croisées, droit de pétition, référendum local... Il serait en effet paradoxal que la Nouvelle-Calédonie, du seul fait qu'elle est régie par un titre autonome de la Constitution, ne puisse détenir des prérogatives au moins équivalentes à celles dévolues aux autres collectivités territoriales de la République ( article 7 ).
Le Sénat a autorisé une partie d'une collectivité située outre-mer -tel pourrait être le cas, par exemple, de Saint-Barthélemy- à changer de régime, sous réserve du consentement préalable soit de ses seuls électeurs, soit de l'ensemble des électeurs de la collectivité concernée -la Guadeloupe en l'occurrence- ( article 7 ).
Il a prévu qu'une assemblée locale ne pourra être habilitée à exercer un pourvoir normatif dans le domaine de la loi , par dérogation au principe de l'assimilation législative, que dans un nombre limité de matières , afin de bien indiquer que cette possibilité, auparavant propre aux territoires d'outre-mer et reprise par le projet de loi pour les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, devra demeurer exceptionnelle ( article 8 ).
La Réunion n'aura pas la possibilité d'exercer un pouvoir normatif dans des domaines relevant de la loi , afin de respecter la volonté manifestée par les Réunionnais.
Le Sénat a précisé que le contrôle juridictionnel spécifique exercé sur les actes de l'assemblée délibérante d'une collectivité d'outre-mer intervenant dans des matières qui, en métropole, relèvent du domaine de la loi, pourra être organisé devant le Conseil d'Etat ( article 9 ). S'agissant d'actes qui demeurent de nature réglementaire, il est en effet apparu préférable, en définitive, de réserver leur contrôle à cette juridiction.
Il a également précisé que, parmi les titulaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel pour la mise en oeuvre de la procédure de déclassement d'une loi empiétant sur le domaine de compétence d'une collectivité dotée de l'autonomie, figureront les autorités de cette collectivité ( article 9 ).
Il a substitué à la notion d'association d'une collectivité dotée de l'autonomie à l'exercice des compétences conservées par l'Etat celle de la participation de la collectivité à cet exercice, sous le contrôle de l'Etat . Cette modification, tout en garantissant la conservation par l'Etat de la maîtrise de ses compétences, devrait permettre à la collectivité de proposer sa participation, en particulier lorsque celle-ci est de nature à conforter la mise en oeuvre de ses propres compétences ( article 9 ).
Enfin, le Sénat a prévu que le second tour du scrutin présidentiel aura lieu le quatorzième jour suivant le premier tour , et non dans les deux semaines qui suivent, afin de garantir le délai actuel tout en tenant compte du décalage horaire pour les collectivités d'outre-mer ( article 11 ).
2. La sécurisation de certaines procédures
Afin d'accroître les garanties relatives à certaines procédures, le Sénat a subordonné à une habilitation du législateur la possibilité pour les départements et régions d'outre-mer de prendre des règlements dans des matières législatives relevant des compétences de l'Etat. En effet, une telle habilitation est déjà prévue s'agissant de la possibilité pour les assemblées locales d'adapter elles-mêmes les lois et règlements ( article 8 ).
Il a permis à une loi organique de préciser et compléter les matières régaliennes ne pouvant faire l'objet d'un transfert aux assemblées locales, afin de montrer le caractère exceptionnel d'un tel transfert de pouvoir normatif ( article 8 ).
Il a interdit toute possibilité d'adaptation et de réglementation par les collectivités régies par l'article 73 dans le domaine de la loi, lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique . Une telle limitation étant déjà prévue en matière d'expérimentation, elle semblait indispensable s'agissant de dispositions pérennes ( article 8 ).
Enfin, le Sénat a prévu que les ordonnances prises par le Gouvernement pour l'actualisation du droit applicable outre-mer en vertu de l'habilitation permanente résultant du nouvel article 74-1 devront faire l'objet d'une ratification expresse par le Parlement dans un délai de dix-huit mois à compter de leur publication, à peine de caducité ( article 10 ).
L'obligation de ratifier expressément les ordonnances prises sur le fondement de cette habilitation constitutionnelle permettra au Parlement, dessaisi en amont, d'exercer un droit de regard sur le contenu des ordonnances mais, surtout, évitera que des pans entiers du droit positif ayant valeur législative en métropole ne conservent une valeur seulement réglementaire outre-mer, avec le risque permanent de contestation devant le juge administratif.
La ratification expresse, dont l'initiative pourra émaner tant du Gouvernement que des assemblées, permettra de réduire la confusion dans la hiérarchie des normes outre-mer et d'assurer une meilleure sécurité juridique.