CHAPITRE III :
LE COMPTE DE PRIVATISATION 902-24, UN SUPPORT
BUDGÉTAIRE POUR QUELLE POLITIQUE ?
Le compte 902-24 « Produit de cessions de titres parts et droits de sociétés » concentre toutes les inquiétudes de votre rapporteur spécial. L'effet de ciseau entre besoins de dotations en capital et recettes issues des privatisations, déjà constaté l'an passé, s'est accentué au point où le gouvernement est tenté de recourir à des solutions extrabudgétaires pour recapitaliser certaines entreprises publiques. Ce recours est le symptôme de la grave crise traversée non seulement par le compte 902-24, mais aussi et surtout par l'État actionnaire.
Le compte 902-24, n'est pas, contrairement à ce qui pourrait apparaître ici ou là, un compte de l'Etat investisseur : il est un compte de restructuration, de cantonnement d'actifs dévalorisés et de désendettement : les principaux bénéficiaires sont ainsi le GIAT, Charbonnages de France, l'EPFR 4 ( * ) , Bull, d'autres structures de cantonnement et Réseau Ferré de France. Les actifs de valeur de l'État sont cédés pour permettre la poursuite d'activité d'entreprises qui ne pourront jamais être mises sur le marché et qui pour certaines seront à terme fermées.
I. QUELLES RECETTES POUR QUELLES DÉPENSES ?
A. UN EFFORT DE CLARIFICATION À MENER DANS LA DÉFINITION DES RECETTES AFFECTÉES
Le troisième alinéa de l'article 71 modifié de la loi de finances pour 1993 fixe la liste des recettes du compte d'affectation spéciale n° 902-24 des produits de cession de titres, parts et droits de sociétés. Il a été modifié à plusieurs reprises et notamment par l'article 24 de la loi de finances rectificative pour 2001 pour intégrer aux recettes du compte d'affectation spéciale « le reversement, sous toutes ses formes, par l'établissement public Autoroutes de France du produit résultant de la cession de titres qu'il détient dans la Société des autoroutes du sud de la France ». Cette modification était rendue nécessaire par la privatisation d'Autoroutes du Sud de la France (ASF) et la nécessité d'imputer les recettes en résultant au budget de l'Etat, mais hors budget général comme le prévoient les normes comptables européennes recensées dans le SEC 95.
Les recettes pouvant, et devant être imputées au compte d'affectation spéciale n° 902-24, sont ainsi « le produit des ventes par l'Etat de titres, de parts ou de droits de sociétés, le reversement, sous toutes ses formes, par la société Thomson SA, du produit résultant de la cession ou du transfert de titres des sociétés Thomson CSF et Thomson Multimédia, le reversement, sous toutes ses formes, par la société Compagnie Financière Hervet, du produit résultant de la cession ou du transfert de titres de la société Banque Hervet, les reversements résultant des investissements réalisés directement ou indirectement par l'Etat dans des fonds de capital-investissement, le reversement, sous toutes ses formes, par l'établissement public Autoroutes de France du produit résultant de la cession de titres qu'il détient dans la Société des autoroutes du sud de la France, le reversement d'avances d'actionnaires ou de dotations en capital et des produits de réduction du capital ou de liquidation ainsi que les versements du budget général ou d'un budget annexe ».
La rédaction actuelle prend en compte les critiques que la Cour des Comptes avait formulées dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 1998 en constatant qu'un montant très important de recettes n'avait pas été inscrit dans le compte n° 902-24 précité et cela en contradiction avec les textes et les principes comptables qui régissent les cessions de titres. La Cour des Comptes avait estimé que les recettes inscrites dans les comptes en 1998 ne retraçaient pas la réalité des opérations effectuées durant cet exercice puisque les recettes de la cession du GAN et du CIC n'avaient pas été inscrites audit compte : les produits des cessions avaient été « bloqués » au niveau d'une société-écran, la société de défaisance du GAN dont l'État était l'actionnaire unique. Ce blocage était critiquable au regard des principes budgétaires d'unité et d'universalité.
La même question avait été posée à l'occasion de la vente des titres de Thomson CSF, devenue Thalès, par Thomson SA dont le produit a finalement été imputé sur le compte d'affectation spéciale.
L'article 71 dans sa rédaction actuelle permet donc, au nom du principe d'universalité et de sincérité budgétaires, la remontée dans le compte d'affectation spéciale 902-24 des produits de cession d'une filiale par sa société-mère dès lors que ceci est explicitement précisé dans le texte de l'article.
Ceci oblige encore cette année, dans le projet de loi de finances pour 2003, le gouvernement à demander au Parlement l'autorisation d'affecter les recettes qui seront issues d'une part de la cession de titres des sociétés Thomson Multimedia, Thalès et EADS NV par les sociétés Sofivision et la Sogepa et d'autre part du produit des ventes de toutes participations que l'établissement Autoroutes de France (ADF) détient dans des sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Il faut se féliciter de la volonté du gouvernement de faire du compte n° 902-24 le compte unique des produits de cessions de titres, parts et droits de sociétés, que ces titres, droits et parts soient détenus directement par l'Etat ou, pour le compte de l'Etat, par une société-mère ou encore une société-écran. Il semble opportun que de telles recettes ne soient pas uniquement « captées » par ces sociétés mais qu'elles puissent bénéficier à l'Etat actionnaire pour financer les dotations en capital dont ont besoin certaines entreprises publiques. Il reste néanmoins, pour l'avenir, à trouver une formulation suffisamment générale qu'elle puisse permettre de prévoir tous les cas de figure de reversement de recettes sur le budget de l'Etat, sans que le gouvernement ne soit obligé de revenir pour chaque cas particulier devant le Parlement.
* 4 Etablissement public restructuration du Crédit Lyonnais